23/08/2023
tant que je respirerai dans le très médiocre siècle où nous sommes
... je resterai fidèle à Mam'zelle Wagnière et à Voltaire .
« Au chevalier Pierre de Taulès
18è janvier à Ferney 1
Mes inquiétudes, monsieur, sur les tracasseries de Genève étant entièrement dissipées, et M. le duc de Choiseul m'ayant fait l'honneur de m'écrire la lettre la plus agréable, je profite de ses bontés pour lui demander 2 la permission d'être instruit par vous de quelques vieilles vérités que vous aurez déterrées dans l'énorme fatras du dépôt des Affaires étrangères . Je lui représente que ces vérités deviennent inutiles si elles ne servent pas à l'Histoire, et que le temps est venu de les mettre au jour. Je lui dis que vous lui montrerez vos découvertes, et que je ne ferai usage que de celles qu'il approuvera. Il me paraît que ma proposition est honnête . J'attends donc les lumières que vous voudrez bien me communiquer. On vous aura l'obligation d'avoir fait connaître un siècle qui, dans presque tous les genres, doit être le modèle des siècles à venir.
Pour moi, tant que je respirerai dans le très médiocre siècle où nous sommes, j'aurai l'honneur d'être, avec la plus sensible reconnaissance,
monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire. »
1 L'original signé est passé à la vente Charon à Paris le 16 avril 1846 ; édition Taulès .
2 Cette lettre au duc de Choiseul manque. Mais V* a tort de parler de « fatras » à propos du dépôt des Affaires étrangères , qui depuis longtemps est tenu avec soin .
et : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63783738.texteImage
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22/08/2023
Je doute que l'homme à qui vous vous êtes adressé ait autant de bonne volonté que vous; et je serai bien étonné s'il ne fait pas tout le contraire de ce que vous l'avez prié de faire, le tout en douceur, et en cherchant les moyens de plaire
... Petit conseil au président qui tente de rameuter ses ministres, chacun d'eux étant susceptible de faire n'importe quoi, par sottise ou incapacité ; le passé nous l'a montré, le futur le confirmera immanquablement, avec IA ou pas à la rescousse .
« A Michel-Paul-Guy de Chabanon
18è janvier 1768
La grippe, en faisant le tour du monde, a passé par notre Sibérie, et s'est emparée un peu de ma vieille et chétive figure. C'est ce qui m'a empêché, mon cher confrère, de répondre sur-le-champ à votre très bénigne lettre du 4 de janvier. Quoi ! lorsque vous travaillez à Eudoxie vous songez à ce paillard de Samson et à cette putain de Dalila et de plus, vous nous envoyez du beurre de Bretagne! Il faut que vous ayez une belle âme Savez-vous bien que Rameau avait fait une musique délicieuse sur ce Samson 1? Il y avait du terrible et du gracieux. Il en a mis une partie dans Castor et Pollux . Je doute que l'homme à qui vous vous êtes adressé 2 ait autant de bonne volonté que vous; et je serai bien étonné s'il ne fait pas tout le contraire de ce que vous l'avez prié de faire, le tout en douceur, et en cherchant les moyens de plaire. Je pense, ma foi, que vous vous êtes confessé au renard. Je ne sais pourquoi M. de La Borde m'abandonne obstinément. Il aurait bien dû m'accuser la réception de sa Pandore, et répondre au moins en deux lignes à deux de mes lettres. Sert-il à présent son quartier? couche-t-il dans la chambre du roi? est-ce par cette raison qu'il ne m'écrit point? est-ce parce qu'Amphion13 n'a pas été bien reçu des Amphions modernes? est-ce parce qu'il ne se soucie plus de Pandore? est-ce caprice de grand musicien, ou négligence de premier valet de chambre?
On dit que les acteurs et les pièces qui se présentent au tripot tombent également sur le nez. Jamais la nation n'a eu plus d'esprit, et jamais il n'y eut moins de grands talents.
Je crois que les beaux-arts vont se réfugier à Moscou. Ils y seraient appelés du moins par la tolérance singulière que ma Catherine a mise avec elle sur le trône de Thomiris 4. Elle me fait l'honneur de me mander qu'elle avait assemblé, dans la grande salle de son Kremlin, de fort honnêtes païens, des grecs instruits, des latins nés ennemis des grecs, des luthériens, des calvinistes ennemis des latins, de bons musulmans, les uns tenant pour Ali, les autres pour Omar; qu'ils avaient tous soupé ensemble, ce qui est le seul moyen de s'entendre et qu'elle les avait fait consentir à recevoir des lois moyennant lesquelles ils vivraient tous de bonne amitié. Avant ce temps-là un Grec jetait par la fenêtre un plat dans lequel un Latin avait mangé, quand il ne pouvait pas jeter le Latin lui-même. Notre Sorbonne ferait bien d'aller faire un tour à Moscou, et d'y rester.
Bonsoir, mon très cher confrère. Je suis à vous bien tendrement pour le reste de ma vie.
V. »
1 Sur le Samson de Jean-Philippe Rameau, voir lettre de décembre 1733 : https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwi0uZaZoe6AAxXkVqQEHV8eDBMQFnoECBIQAQ&url=https%3A%2F%2Fshs.hal.science%2Fhalshs-03974633%2Fdocument&usg=AOvVaw3hRZnMiG4GfCCqzwu6QAKr&opi=89978449
2 S'il faut en croire l'allusion aux « moyens de plaire », V* doit penser à Montcrif auteur d'un Essai sur la nécessité et sur les moyens de plaire : https://books.google.bj/books?id=ZLmz3XtsqbwC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
Voir lettre du 29 janvier 1768 à Chabanon : 7154 de https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411361p/texteBrut
3Amphion , d'Antoine-Léonard Thomas, musique de La Borde, représenté à l'Opéra le 13 octobre 1767 : https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwiBkcuZrO6AAxUhVqQEHcylBskQFnoECBwQAQ&url=https%3A%2F%2Fapp.lib.uliege.be%2Fetfe%2Ffichiers%2F1964-jongmansfrancine-unecrivainoublieanto-990010984060502321-706741036jongmans1964.pdf&usg=AOvVaw3k2n7JopXCUak8zle03gIi&opi=89978449
Voir lettre du 20 novembre 1767 à Chabanon : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/06/11/vous-etes-assurement-un-plus-aimable-enfant-que-je-ne-suis-u-6447108.html
4 La reine des Amazones, qui était allée voir Alexandre pour « en avoir de la graine ».
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21/08/2023
On accommodera plutôt cent affaires avec des princes qu'une seule avec des fanatiques
... Est-ce pourquoi on reçoit et honore ces princes (auto-proclamés) du pétrole moyen-orientaux ?
« A François-Louis-Henri Leriche
Ce 16 janvier 1768
Je vous suis très obligé, monsieur, de votre belle consultation sur la retenue du vingtième . Aucun avocat n'aurait mieux expliqué l'affaire.
Je me flatte que vous aurez fait parvenir à l'ami Nonotte la lettre d'un avocat 1 qui ne vous vaut pas. On accommodera plutôt cent affaires avec des princes qu'une seule avec des fanatiques. La ville de Besançon est pleine de ces monstres.
Je ne sais si vous avez apprivoisé ceux d'Orgelet. Je ne connaissais point un livre imprimé à Besançon, intitulé Histoire du christianisme, tirée des auteurs païens 2, par un Bullet, professeur en théologie . Je viens de l'acheter. Si quelque impie avait voulu rendre le christianisme ridicule et odieux, il ne s'y serait pas pris autrement. Il ramasse tous les traits de mépris et d'horreur que les Romains et les Grecs ont lancés contre les premiers chrétiens, pour prouver, dit-il, que ces chrétiens étaient fort connus des païens.
Puisse le pauvre Fantet 3 ne pas trouver en Flandre des gens plus superstitieux que les Comtois ! Je vous embrasse, etc. »
1 Voir : Lettre d'un avocat de Besançon au nommé Nonnotte, ex-jésuite : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvre...
Publiée d'abord dans L’Évangile du jour, 1769 . V* y répond à Claude-François Nonnotte « Lettre d'un ami à un ami sur les honnêtetés littéraires, 1767 » qui répliquait lui-même aux Honnêtetés littéraires .
2 Histoire de l'établissement du christianisme, tirée des seuls auteurs juifs et païens, où l'on trouve une preuve solide de la vérité de cette religion, 1764, in-4", seconde édition, 1814, in-8", de Jean-Baptiste Bullet .Voir : https://data.bnf.fr/15516505/jean-baptiste_bullet/
Cet ouvrage a été publié par Fantet .
3 Libraire à Besançon, dont l'affaire avait été renvoyée du parlement de Franche-Comté siégeant à Besançon au parlement des Flandres siégeant à Douai .
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20/08/2023
le clergé n'est qu'une compagnie, et non le premier corps de l'État
... Il n'est qu'à voir comment vivent, ou plutôt survivent, ceux qui sont sous la coupe de théocraties . Barbus, rasés, en toge ou en habits somptueux, tous sont des bavards, des emballeurs de foire qui vivent aux dépens de leurs naïfs fidèles et du peuple menacé, asservi .
« A Pierre-Michel Hennin
Savez-vous bien, monsieur, de qui est l'ouvrage que vous m'envoyez 1 ? De M. le duc de La Vallière. C'est une histoire du théâtre qui fera plaisir au Corsaire 2, grand amateur comme moi de ces coïonneries.
Il y a un livre 3 à Paris qui fait grand bruit, et qu'on dit fort bien fait. On y prouve que le clergé n'est qu'une compagnie, et non le premier corps de l'État . Je souhaite assurément que les finances des Welches se rétablissent; mais le commerce seul peut opérer notre guérison, et les Anglais sont les maîtres du commerce des quatre parties du monde.
Comptez que pour le petit pays de Gex, il restera toujours maudit de Dieu. Mais, en récompense, il bénit la Russie et la Pologne. Ma belle Catherine m'a mandé 4 qu'elle avait consulté dans la même salle des païens, des mahométans, des Grecs, des Latins, et cinq ou six autres menues sectes, qui ont bu ensemble largement et gaiement. Tout cela nous rend petits et ridicules.
Les ermites entourés de neige vous embrassent bien cordialement.
V.
17è janvier 1768 à Ferney.»
1 La Bibliothèque du Théâtre- Français depuis son origine, Dresde (Paris), 1768, trois volumes in-8°, dont les auteurs sont Marin, l'abbé Mercier de Saint-Léger, l'abbé Boudot, et quelques autres personnes, œuvre compilée, d'après les ouvrages collectés par le duc de La Vallière, par les soins de François-Louis-Claude Marin.
Voir : https://www.idref.fr/033840253
On en faisait honneur au duc de La Vallière. Voltaire, dans sa dédicace de Sophonisbe (voir : http://théâtre-documentation.com/content/sophonisbe-voltaire#A_MONSIEUR_LE_DUC_DE_LA_VALLIERE), dit que le duc présida à sa confection, après avoir fourni les matériaux de l'ouvrage. (Beuchot.)
2 Rieu .
Par erreur, M. Hennin fils pense que ce mot désigne l'imprimeur Cramer, grand amateur de l'art dramatique.
3 François-Jacques de Chastenet, marquis de Puységur , lieutenant général. Discussion intéressante sur la prétention du clergé d'être le premier ordre d'un État, 1767 , in-12 .
4 Lettre du 22 décembre 1767 à laquelle V* se référera plusieurs fois et qui aura une influence certaine sur sa pensée .
Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1765/Lettre_6059
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19/08/2023
croire que je me porte bien
... C'est le début de la bonne santé, méthode Coué oblige . Peut-être est-ce par manque de vocabulaire pathologique que je ne suis pas l'exemple du Patriarche, n'est pas atrabilaire qui veut !
« A Louise-Suzanne Gallatin Vaudenet
à Genève
16è janvier [1768] Ferney
Je suis dans mon lit, madame, et M. Micaut 1 me fait trop d'honneur de croire que je me porte bien . Je suis à vos ordres autant que je peux, et avec bien de l'empressement et du respect .
Voltaire. »
1 Sans doute le Micault mentionné dans la lettre du 29 janvier 1763 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/01/28/1dae2645365e544823abefb6454be21a.html
et le 2 janvier 1763 à Mme d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/11/10/m-micaut-en-a-parle-en-secret-a-une-dame-qui-se-porte-bien-l-5997594.html
et le 10 janvier 1763 aux d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/11/24/nous-crumes-ne-pouvoir-mieux-faire-que-de-tacher-de-lui-proc-6002364.html#sdfootnote5anc
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nos agréments sont très modernes, et notre barbarie très ancienne
... Elle perdure inéluctablement grâce à ceux qui vivent en ne respectant que la sacro-sainte tradition , celle qui mène, entre autres, des millions d'ahuris à mutiler des femmes ou spolier ceux qui n'ont pas la même religion . Et si la tradition n'est pas assez coercitive, de modernes salopards se font fort de créer de nouvelles règles , voir pour mémoire le vice des talibans : https://www.lexpress.fr/monde/asie/voyage-au-coeur-de-la-...
Comme si le réchauffement climatique ne suffisait pas à nous rendre ce monde invivable !
« A Jean-Baptiste-Jacques Élie de Beaumont
Avocat en Parlement
rue Pavée-Saint-André
à Paris
Ainsi donc mon cher défenseur de l'innocence in propria revit, et sui eum non receperunt 1. Je vous croyais en pleine possession de Canon, et je vois, en jouant sur le mot, qu'il vous faudra du canon pour entrer chez vous. Il faudra cependant bien qu'à la fin Mme de Beaumont jouisse de la maison de ses pères. Il faut qu'elle soit habitée par l'éloquence et par l'esprit, après l'avoir été par la finance, afin qu'elle soit purifiée.
Notre ami M. Damilaville est actuellement plus embarrassé que vous. On lui conteste une place qui lui a été promise, et qu'il a méritée par vingt ans de travail assidu.
Je suis très fâché de la mort de M. Cassen. Il sera aisé de trouver un avocat au Conseil qui le remplace. M. Chardon n'attend que le moment de rapporter. Il est tout prêt. Je pense même que le petit orage que le parlement de Paris lui a fait essuyer ne ralentira pas son zèle contre le parlement de Toulouse.
J'attends avec grande impatience le mémoire que vous avez bien voulu faire pour les accusés de Sainte-Foy 2. Ils sont encore aux fers, et vous les briserez. Il est inconcevable que la jurisprudence soit si barbare dans une nation si légère et si gaie. C'est, je crois, parce que nos agréments sont très modernes, et notre barbarie très ancienne.
Je ne savais pas que l'honnête criminel existât en effet, et qu'il s'appelât Favre 3. Si la chose est comme le dit l'auteur de la pièce, le père est un grand misérable et l'ouvrage serait plus attendrissant si le père venait se présenter au bout d'un mois, au lieu d'attendre quelques années. Quoi qu'il en soit, il y a trop de fanatiques aux galères, conduits par d'autres fanatiques. La raison et la tolérance vous ont choisi pour leur avocat, elles avaient besoin d'un homme tel que vous. Je présente mes respects à Mme de Beaumont, et je partage entre vous deux mon attachement inviolable et ma sincère estime.
V.
16è janvier 1768. »
1Évangile de Jean, I, 11 : https://www.aelf.org/bible/Jn/1
Il est venu dans ses domaines et les siens ne l'ont pas accueilli.
2 Ce mémoire ne fut envoyé que le 22 février 1768 ; voir lettre du 4 mars 1768 à de Beaumont : lettre 7201 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411361p/texteBrut
3 Sur la pièce, voir la lettre du 1er décembre 1767 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/06/16/par-quelle-fatalite-deplorable-faut-il-que-des-ennemis-du-ge-6447905.html . Il paraît en effet que ce drame bourgeois repose sur une affaire authentique .
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18/08/2023
je veux ramener les hommes à l'amour de l'humanité par l'horreur de la barbarie
... "Vaste programme" comme aurait dit le général de Gaulle en paraphrasant sa réplique quand il envisagea d'éliminer les cons . Mais ici , Voltaire ne manque pas d'ambition, et certains peuvent dire qu'il n'est qu'un idéaliste, la réalité nous remettant illico face à l'horreur de l'humanité et l'amour de la barbarie
« A Gabriel Cramer
[Janvier 1768] 1
Mon cher ami, je veux crier la vérité à plein gosier ; je veux faire retentir le nom du chevalier de La Barre à Paris et à Moscou ; je veux ramener les hommes à l'amour de l'humanité par l'horreur de la barbarie . Je vous prie de me seconder . »
1 L'édition Gagnebin place la lettre en mars 1768 . L'allusion à la Relation de la mort du chevalier de La Barre dans la lettre du 27 janvier 1768 , à Damilaville ,à laquelle celle-ci est antérieure la fait reporter en janvier . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/07/correspondance-annee-1768-partie-5.html
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