Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/08/2023

il a parlé avec courage contre la finance, la prêtraille et le despotisme... Voilà du travail, c'est-à-dire du plaisir pour bien des années, et de la gloire pour jamais

... Connaitrai-je un jour celui/ celle qui fera cela ?

 

 

« A Joseph-Michel-Antoine Servan

13è janvier 1768 à Fer.

Vous m'avez prévenu, monsieur ; il y a longtemps que mon cœur me disait de vous remercier des deux discours que vous avez prononcés au Parlement, et qui ont été imprimés 1. Je me souviendrai toujours d'avoir répandu des larmes pour cette pauvre femme que son mari trahissait si pieusement en faveur de la religion catholique. Tout ce qui était à Ferney fut attendri comme l'avaient été tous ceux qui vous écoutèrent à Grenoble. Je regarde ce discours, et celui qui concerne les causes criminelles, non seulement comme des chefs-d'œuvre d'éloquence, mais comme les sources d'une nouvelle jurisprudence dont nous avons besoin.

Vous verrez, monsieur, par le petit fragment que j'ai l'honneur de vous envoyer 2, combien on vous rend déjà justice. On vous cite comme un ancien, tout jeune que vous êtes. L'ouvrage que vous entreprenez est digne de vous. Un vieux magistrat n'aurait jamais le temps de le faire et d'ailleurs un vieux magistrat aurait encore trop de préjugés. Il faut une âme vigoureuse, venue au monde précisément dans le temps où la raison commence à éclairer les hommes, et à se placer entre l'inutile fatras de Grotius et les saillies gasconnes de Montesquieu.

Je pense que vous aurez bien de la peine à rassembler les lois des autres nations, dont la plupart ne valent guère mieux que les nôtres 3. La jurisprudence d'Espagne est précisément comme celle de France ; on change de lois en changeant de chevaux de poste, et on perd à Séville le procès qu'on aurait gagné à Saragosse.

Les historiens, qui ne sont pour la plupart que de froids compilateurs de gazettes, ne savent pas un mot des lois des pays dont ils parlent. Celles d'Allemagne, dans ce qui regarde la justice distributive, sont encore un chaos affreux. Il n'y a que Mathusalem qui puisse prendre le parti de plaider devant la chambre de Wetzlar.. On dit que le despotisme en a fait d'assez bonnes en Danemark, et la liberté, de meilleures en Suède. Je ne sais rien de plus beau que les règlements pour l'éducation des enfants des rois, publiés par le sénat.

La meilleure loi peut-être qui fût au monde était celle de la grande charte d'Angleterre; mais de quoi a-t-elle servi sous des tyrans comme Richard III et Henri VIII ?

Il me semble que l'Angleterre n'a de véritablement bonnes lois que depuis que Jacques II alla toucher les écrouelles au couvent des Anglaises à Paris. Ce n'est du moins que depuis ce temps qu'on a entièrement aboli la torture, et ces supplices affreux prodigués encore chez notre nation, aussi atroce quelquefois que frivole, et composée de singes et de tigres.

Louis XIV rendit au moins un grand service à la France, en mettant de l'uniformité dans la procédure civile et criminelle. Cette uniformité était dès longtemps établie chez les Anglais, qui n'avaient, depuis six cents ans, qu'un poids et qu'une mesure . C'est à quoi nous n'avons jamais pu parvenir. Mais il me semble que les rédacteurs de notre procédure criminelle ont beaucoup plus songé à trouver des coupables qu'à trouver des innocents. En Angleterre, c'est précisément tout le contraire . L'accusé est favorisé par la loi . L'Anglais, qu'on croit féroce, est humain dans ses lois et le Français, qui passe pour si doux, est en effet très inhumain.

L'abominable aventure du chevalier de La Barre et du jeune Talonde en est bien la preuve. Ils ont été traités comme la Brinvilliers et la Voisin, pour une étourderie qui méritait un an de Saint-Lazare. Celui des deux qui échappa aux bourreaux est actuellement officier chez le roi de Prusse ; il a acquis beaucoup de mérite, et pourra bien un jour se venger, à la tête d'un régiment, de la barbarie qu'on a exercée envers lui. Il semble que cette aventure soit du temps des Albigeois.

Nous verrons bientôt si le conseil voudra bien revoir et réformer le procès des Sirven. Il y a cinq ans que je poursuis cette affaire. J'ai trouvé chaque jour des obstacles, et je ne me suis jamais rebuté mais je ne suis qu'un citoyen inutile. C'est à vous, monsieur, qu'il appartient de faire le bien . Vous êtes en place, et vous êtes digne d'y être, ce qui n'est pas bien commun. Vous servirez votre patrie dans les fonctions de votre belle charge, et vous vous immortaliserez dans vos moments de loisir. Vous ferez voir combien la jurisprudence est incertaine en France . Vous détruirez les traces qui restent encore de l'ancien esclavage où l'Église a tenu l'État.

Concevez-vous rien de plus ridicule qu'un promoteur et un official ? Mais, en vérité, nous avons des juridictions encore plus étonnantes, des tribunaux pour les greniers à sel, des cours supérieures pour le vin et pour la bière, un auguste Sénat pour juger si les fermiers généraux doivent fouiller dans la poche des passants, Sénat qui fait presque autant de bien à la nation que les quatre-vingt mille commis qui la pillent.

Enfin, monsieur, dans les premiers corps de l'État, que de droits équivoques et que d'incertitudes! Les Pairs sont-ils admis dans le Parlement, ou le Parlement est-il admis dans la cour des pairs ? le Parlement est-il substitué aux états généraux ? le Conseil d'État est-il en droit de faire des lois sans le parlement ? le Parlement est-il en droit d'interpréter des lois anciennes et reconnues ? Est-il décidé par les exemples de Marie de Médicis, d'Anne d'Autriche et du duc d'Orléans, que le parlement de Paris ait seul la prérogative de donner la régence du royaume ? Et d'ailleurs, que disent les princes, les pairs et les généraux d'armée, quand ils voient des fils d'un commis des fermes acheter, pour quinze cents louis d'or le droit de conférer la puissance suprême ?4

Il semble que tout se soit fait chez nous au hasard et à l'aventure . Il faut avouer que le droit public est bien mieux établi en Angleterre et en Allemagne, quoique sur des fondements très différents . Du moins, chacun y connaît ses privilèges et en France, toutes les prérogatives sont usurpées ou contestées; on n'y jouit pas même des droits qu'on a reçus de la nature. Personne n'est parmi nous à l'abri d'une lettre de cachet et d'un jugement par commissaires.

Plus ces réflexions sont douloureuses, plus je vous exhorte, monsieur, à découvrir nos plaies quand vous n'aurez plus l'espérance de les guérir. Vous montrerez au moins à la nation tout ce qui lui manque et ce que le temps pourra lui donner un jour.

En vérité, M. de Montesquieu n'a fait que plaisanter ; il n'a écrit que pour montrer de l'esprit . D'ailleurs, il se trompe trop souvent; presque toutes ses citations sont fausses; mais il a parlé avec courage contre la finance, la prêtraille et le despotisme. Vous aurez le même courage, avec plus de lumières et de méthode . Voilà du travail, c'est-à-dire du plaisir pour bien des années, et de la gloire pour jamais.

Soyez persuadé, monsieur, de mon très sincère respect et d'un attachement aussi grand que mon estime . Je serai bien fâché de mourir sans avoir l'honneur de vous revoir.

V.»

 

1Discours dans la cause d'une femme protestante, 1767, in-12; et Discours sur l'administration de la justice criminelle en France, 1767, in-8°. Voir : https://books.google.fr/books?id=bAVDAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

et : https://ledroitcriminel.fr/la_science_criminelle/penalistes/introduction/servant_justice_criminelle.htm

L'un de ces discours a été rencontré (voir lettre du 9 mai 1766 à Servan : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/07/29/je-vous-avouerai-franchement-que-je-ne-connais-parmi-les-dis-6329538.html )

L'autre , intitulé Discours […] dans la cause d'une femme protestante, 1767 , Servan a dû les envoyer à V* en même temps que sa lettre écrite vers le 1er janvier 1768 .

2 V* devait avoir envoyé à son correspondant un passage de l'Homme aux quarante écus dans lequel il cite , au chapitre « Des promotions » un long extrait du Discours sur l'administration.

Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome21.djvu/376

3 Servan a annoncé à V* l'ambitieux projet d'un « ouvrage complet sur notre législation ».

4 Ce détail montre que V* songeait à l'Histoire du Parlement de Paris ou avait même commencé à la rédiger.

Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k37529c/f4.item

11/08/2023

Je souhaite des apoplexies aux Riballier, aux Larcher, aux Coger

... Pour Riballier, ses ossements ne bougent plus : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnair...

Coger n'est pas plus vaillant .

Reste Larcher ; ce pharmacien-sénateur , engoncé dans un fauteuil kingsize, me semble bien, lui , gras-à-lard, pouvoir être victime de la malédiction voltairienne, ce qui réjouirait grand monde et n'étonnerait personne .

Le Président Larcher téléphone à André At

 

 

« A Bernard-Joseph Saurin

13 janvier [1768]

Mon cher confrère, savez-vous bien que je n'ai point votre Joueur anglais1? Vos Mœurs du temps 2 ont été parfaitement exécutées sur notre petit théâtre. Nous tâcherons de ne pas gâter votre joueur. Envoyez-le-nous par le contre-seing de M. Jeannel, qui aura volontiers la bonté de s'en charger. Nous aimons fort les comédies intéressantes : Multae sunt mansiones in domo patris mei 3; mais il paraît que pater meus a une maison à la Comédie française dont les acteurs font bien mal les honneurs. Pater meus est mal en domestiques 4; il est servi à la Comédie comme en Sorbonne.

Je suis enchanté que vous m'aimiez toujours un peu; cela regaillardit ma vieillesse. Je présente mes respects à celle qui vous rend heureux 5, et qui vous a donné un enfant, lequel ne sera pas certainement un sot.

Vivez heureusement, gaiement, et longtemps. Je souhaite des apoplexies aux Riballier, aux Larcher, aux Coger; et à vous, mon cher confrère, une santé aussi inaltérable que l'est mon attachement pour vous.

Si M. Duclos se souvient encore de moi, mille amitiés pour lui, je vous prie. »

1 Voir lettre du même jour à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/08/06/comptez-qu-un-homme-en-place-peut-toujours-nuire-6455686.html

Beverley, tragédie bourgeoise, imitée de l'anglais, en cinq actes et en vers libres, par Saurin, fut joué le 7 mai 1768, et imprimé la même année in-8°

3 Il y a bien des demeures dans la maison de mon père ; évangile de Jean, XIV, 2 : https://www.aelf.org/bible/Jn/14

4 Allusion aux querelles d'acteurs qui ont retardé la représentation de la pièce de Saurin ; voir les Mémoires secrets à la date du 6 janvier 1768 .

5 Mme Saurin, bien sûr .

10/08/2023

Il n'y a rien que je ne fisse pour tâcher de rendre quelques petits services à un aussi digne magistrat

...Tel est le credo du désagréable Sarkozy qui joignit l'acte aux paroles : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-politique/20110920....

Ô piston béni, comment ne fus-tu pas usé après tant d'usage ! Inusable instrument qui traverse les siècles , astiqué , briqué , doré sur tranche pour les ministres, étamé pour les fonctionnaires aux concours truqués , éternellement dissonant .

Consolons-nous avec Bourvil :

https://www.youtube.com/watch?v=jIUFKYkQMGA&ab_channe...

 

 

 

« A Marie-Jeanne Pajot de Vaux, 1

Maîtresse des comptes à Lons-le-Saulnier

Franche-Comté

Madame, mon cher pâté ; je vous souhaite , à vous et à votre cher mari, une vie douce et sans orage . J'espère encore que dans deux ou trois ans, M. le duc de Choiseul pourra obtenir la vétérance pour M. de Vaux . Vous serez alors à votre aise, ce qui est très nécessaire quand on a un petit François à élever . Je vous assure que tant que je serai en vie je m’intéresserai à votre famille .

J'ignore si M. de Vaux est encore à Dôle . En cas qu'il y soit, je le prie de m'envoyer, s'il le peut, le discours prononcé par l'avocat général de la Chambre des comptes . On dit que ce discours est très éloquent, plein d'esprit, et d'une philosophie humaine . On dit que quelques faux dévots ont empoisonné cet ouvrage auprès de monsieur le vice-chancelier . On pourrait aisément faire parler à ce chef de la justice par Mme la duchesse d'Anville, son intime amie . Il n'y a rien que je ne fisse pour tâcher de rendre quelques petits services à un aussi digne magistrat que l'est cet avocat général dont on m'a fait les plus grands éloges .

Si votre mari est à Lons-le-Saulnier, il aura aisément peut-être ce discours par un ami . Sinon, je vous prie de lui envoyer ma lettre . Votre frère est à Paris . Tout ce qui est à Ferney vous embrasse de tout son cœur .

V. 2

13è janvier 1768. »

2 L'initiale est de la main de Wagnière, et une autre main a complété la signature en imitant celle de V*.

09/08/2023

Le nonce s'est enfui la queue entre les jambes, pour l'aller fourrer entre les fesses

... Diable !

Le XXIè siècle sait aussi mettre au jour de sales affaires impliquant des religieux de tous grades , y compris les nonces qui sont aussi pourris que le dernier des derniers obsédés sexuels : sous les ornements sacerdotaux, la charogne : https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/troisieme-pla...

 

 

 

« A Jean-François Marmontel

Il y a longtemps, mon cher confrère, que je connais l'origine de la querelle des conseillers Coré, Datan et Abiron , avec l'évêque du veau d'or 1; mais le bon de l'affaire, c'est qu'elle fut citée solennellement à un concile de Reims, à l'occasion d'un procès que les chanoines de Reims avaient contre la ville.

Où diable avez-vous trouvé le livre de Gaumin 2? savez-vous que rien n'est plus rare, et que j'ai été obligé de le faire venir de Hambourg? Je ne suis pas mal fourni de ces drogues-là. Il est bien triste qu'on joue encore sur les tréteaux de la Sorbonne, tandis que la Comédie est déserte. Voilà ce qu'a fait la retraite de Mlle Clairon. Elle a laissé le champ libre à Riballier et au singe de Nicolet 3.

J'ai lu hier le Vencelas que vous avez rajeuni 4. Il me semble que vous avez rendu un très grand service au théâtre. Mme Denis est bien sensible à votre souvenir et moi, très affligé d'être abandonné tout net par M. d'Alembert; mais s'il se porte bien, et s'il m'aime toujours un peu, je me console.

Présentez, je vous prie mes respects à madame de Geoffrin . Elle doit être fort contente des succès du roi son ami . C'est une grande joie dans tout le Nord. Le nonce 5 s'est enfui la queue entre les jambes, pour l'aller fourrer entre les fesses. Il santissimo padre ne sait plus où il en est. Il pourra bien, à la première sottise qu'il fera, perdre la suzeraineté du royaume de Naples. Le monde se déniaise furieusement, les beaux jours de la friponnerie et du fanatisme sont passés.

Mon cher confrère, bénissons l'être des êtres, et moquons-nous des sots.

V.

13è janvier 1768. 6

Voulez-vous bien donner cette lettre à M. Saurin . »

1 Dans les Nombres, chapitre xvi : https://www.aelf.org/bible/Nb/16

2 Voir la note, tome XXX, page 347 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome30.djvu/357

et lettre du 3 juin 1765 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/10/02/m-6267404.html

V* a sans doute acheté la nouvelle édition de Johann Albert Fabricius , De vita et morte Mosis libri tres, 1714 , qui contient les écrits de Gilbert Gaulmin et autres . L'original hébreu est une des sources de l'histoire de la rébellion de Korah, Dathan et Abiron .

Voir : https://books.google.fr/books?id=rVIdamUtsPUC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

3 Molé.

Sur ce « singe de Nicollet », voir lettre du 4 mars 1767 au marquis de Florian : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/08/12/en-verite-il-s-agit-dans-cette-affaire-de-l-honneur-de-la-fr-6396068.html

4 Venceslas, tragédie de Rotrou, rajeunie par M. de Marmontel, 1759 , figure dans le cinquième volume du Théâtre français ( voir lettre du 18 avril 1767 à Rieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/10/18/vous-me-ferez-un-plaisir-extreme-de-faire-depecher-les-feuil-6407183.html

6 L'édition de Kehl introduit des modifications et opère des coupures ; voir lettre 7134 de https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411361p/texteBrut

08/08/2023

Un homme qui aime autant que lui la comédie mérite assurément de grandes attentions

... Je pense que de nos jours Voltaire inclurait les femmes dans ses attentions . Hommes et femmes humoristes font notre joie, qu'on les laisse en paix et ne censure que les quelques racistes et haineux qui ne réjouissent que des malfaisants de leur acabit .

Un maître ...

https://www.topito.com/top-meilleures-citations-guy-bedos...

 

 

« A Pierre-Michel Hennin

Vous savez, mon très cher résident, que la place de M. Camp 1 ne convient mieux à personne qu'à M. Rieu, qui est né Français, qui a servi le roi longtemps dans les îles, qui vous a été utile pour les passeports, et qui vous est attaché. Je suis bien persuadé que vous le protégerez auprès de monsieur le contrôleur général, et que vous écrirez fortement en sa faveur . Vous pouvez même engager M. le duc de Choiseul à dire un mot pour lui. Un homme qui aime autant que lui la comédie mérite assurément de grandes attentions.

Je viens de recevoir une lettre de M. le duc de Choiseul à faire mourir de rire. Je ne manquerai pas de saisir cette occasion pour joindre ma très humble requête aux recommandations que je vous demande. On a toujours grande envie de faire une ville à Versoix mais avec quoi la nourrira-t-on?

Si vous saviez à peu près le montant des dettes de ce petit polisson de Gallien de Salmorans, vous me feriez plaisir de m'en donner part.

On dit que la reine n'est pas bien 2 . En savez-vous des nouvelles ? Quand aurons-nous l'honneur de vous voir? On ne peut vous être plus tendrement attaché que

V.

13è janvier 1768 à Ferney. »





Lettre de Hennin du même jour :

« A Genève, le 13 janvier 1768.

Ce que vous désirez, monsieur, est fait. J'ai demandé la place vacante faiblement pour moi et mes successeurs, et fortement pour M. Rieu, comme je pourrais vous le prouver en vous envoyant l'extrait de ma dépêche. Je me suis contenté de dire à monsieur le duc qu'il avait été question de réunir cette place à la résidence, mais que peut-être il y trouverait des inconvénients. J'ai mis M le chevalier de Jaucourt en jeu pour M. Rieu, dont j'ai fait valoir les services, et la résolution de s'établir à Versoy. Voici, monsieur, les deux seuls mémoires des dettes de Galien. Je l'ai forcé à payer toutes les autres, à la vérité à mes dépens, mais je n'y veux plus penser. 11 m'avait dit qu'il allait à Paris, et je l'ai annoncé à monsieur le maréchal. Depuis il m'apprend qu'il va d'abord en Dauphiné. Je crois qu'il ne pirouette que pour tomber à l'hôpital.

On ne me dit rien de la santé de la reine, sinon qu'il n'y a aucun mieux.

Dès que les chemins seront libres, je vous assure bien, monsieur, que vous me verrez, et souvent. Genève m'ennuie à un point dont vous n'avez pas d'idée. Quelles gens!

Vous connaissez le tendre attachement que je vous ai voué. »

1 L'édition originale précise : « La place de commissaire des sels du Valais. »

07/08/2023

Comptez qu'un homme en place peut toujours nuire

... Tous.tes ceux.celles qui ont quelques places dite supérieures, humains lambda physiologiquement parlant, mélanges de qualités (parfois )  et défauts (toujours ), ne manquent pas , quand ça leur convient, de nuire sans remords .Ils comptent sur l'esprit de corps pour échapper aux sanctions méritées . Même dans la police ? me direz-vous ? Oui ! l'uniforme ne rend pas meilleur que vous ou moi (surtout moi ! ).

Nous sommes capables de nuire à la nature même, alors ...

Nuire pour le plaisir, c’est le propre de l’homme

https://www.europe1.fr/emissions/la-morale-de-linfo/nuire...

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

13 janvier 1768

Je reçois votre lettre du 7 janvier, mon cher ami. Ne soyez point étonné de l'extrême ignorance d'un homme qui n'a pas vu Paris depuis vingt ans. J'ai connu autrefois un M. d'Ormesson 1, qui était conseiller d'État, chargé du département de Saint-Cyr. Il n'était pas jeune; je ne sais si c'est lui ou son fils 2 de qui dépend votre place. Il y a deux ou trois ans qu'un homme de lettres, qui était précepteur dans la maison, m'envoya des ouvrages de sa façon, dédiés à un M. d'Ormesson, lequel me faisait toujours faire des compliments par cet auteur, et à qui je les rendais bien. J'ai oublié tout net le nom de cet auteur et celui de ses livres; j'ai seulement quelque idée que nous nous aimions beaucoup quand nous nous écrivions. Il me passe par les mains cinq ou six douzaines d'auteurs par an ; il faut me pardonner d'en oublier quelques-uns. Mettez-vous au fait de celui-ci. Il avait, autant qu'il m'en souvient, une teinture de bonne philosophie. Il pourrait nous aider très efficacement dans notre affaire. Mandez-moi à quel d'Ormesson il faut que j'écrive ; je vous assure que je ne serai pas honteux. Mais surtout, mon cher ami, ne vous brouillez point avec l'intendant de Paris 3. Comptez qu'un homme en place peut toujours nuire. Mme de Sauvigny a de très bonnes intentions, et quoiqu'elle protège M. Mabille, je peux vous répondre qu'elle n'a nulle envie de vous faire tort ; sa seule idée est de faire du bien à M. Mabille et à vous.

Encore une fois, n'irritez point une famille puissante . J'ai reçu aujourd'hui une lettre de M. le duc de Choiseul 4 . Il ne parle point de votre affaire ; tout roule sur le pays de Gex et sur Genève.

M. d'Alembert ne m'a point accusé la réception du paquet d'Italie 5. Je voudrais bien avoir Le Joueur de Saurin 6, qu'on va représenter ; mais je serais bien plus curieux de lire le rapport que M. Chardon doit faire au Conseil. Je compte lui écrire pour lui faire mon compliment de la victoire remportée sur le parlement de Paris. J'espère qu'il battra aussi le parlement de Toulouse à plate couture. J'espère que vous triompherez comme lui, et je vous embrasse dans cette douce idée. »

1 Henri-François de Paule Le Fèvre d'Ormesson , 1681-1756 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Fran%C3%A7ois_de_Paule_Lef%C3%A8vre_d%27Ormesson

2 Le plus jeune fils Louis-François de Paule Le Fèvre d'Ormesson, 1718-1789 , que l'on confond souvent avec Marie-François de Paule Le Fèvre, marquis d'Ormesson, 1710-1774, qui occupa des postes du même ordre que lui, mais professait des idées bien différentes .

3 Berthier de Sauvigny, intendant à Paris, a succédé à Courteilles et a refusé de travailler avec Damilaville si celui-ci est nommé directeur du vingtième de la généralité de Paris ( voir lettre de d'Alembert à V* du 14 novembre 1767 : http://dalembert.academie-sciences.fr/Correspondance/oeuv... ) en remplacement du titulaire , malade .

4 Elle est conservée .

6 Il s'agit de Beverley, tragédie bourgeoise, en cinq actes et en vers libres, que Saurin annonce à V* le 3 janvier 1768, primitivement intitulée Le Joueur anglais, adaptée de The Gamester d'Edward Moore . Cette pièce fut représentée pour la première fois en public à la Comédie-Française le 7 mai 1768 .

Voir : https://data.bnf.fr/fr/12002643/bernard-joseph_saurin/

et : https://www.gutenberg.org/files/16267/16267-h/16267-h.htm

J’ai trouvé toujours des obstacles : mais quand on sert l'innocence et la vérité, il ne faut se rebuter jamais

... Belle profession de foi .

 

 

« A Anne-Rose Calas

chez monsieur de Voisin

à l'hôtel de monsieur l'ambassadeur

de Hollande

à Paris

12è janvier 1768

Je suis bien sensiblement attaché de votre souvenir, madame, et très affligé que vous ne soyez pas grand-mère 1. J'espère que Mme Duvoisin réparera la perte qu’elle a essuyée . Je lui présente mes obéissances aussi bien qu'à son mari, et je veux absolument qu'il y ait de leur race dans le monde .

Je crois que Sirven a quelquefois l'honneur de vous voir . Je me flatte qu'enfin sa triste affaire va être rapportée . Il y a cinq ans que je la poursuis . J’ai trouvé toujours des obstacles : mais quand on sert l'innocence et la vérité, il ne faut se rebuter jamais .

J'ai l'honneur d'être, madame, avec tous les sentiments que vous méritez, votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »