10/05/2023
Vous savez dans quelles fautes intolérables on est tombé pour n'avoir pas eu cette attention
...
« A Gabriel Cramer
[septembre-octobre 1767]
Au nom de Dieu, prenez bien garde mon cher ami. Il y a dans la liste des gouverneurs de Flandre : Le prince Eugène vicaire général des Pays-Bas en 1714, et non pas mort en 1714.
Il faut : Olivier Cromwell prêta serment de protecteur le 6 janvier 1658 . Plus puissant qu'un roi . Mort le 15è septembre 1658 1 ! Voilà comme cela est dans mon manuscrit .
Je garde toujours des doubles de tout . Envoyez, je vous prie, cette note à votre compositeur afin qu'il s'y conforme .
Faites-moi envoyer toutes les feuilles sans en excepter aucune, afin que je les conforme . Vous savez dans quelles fautes intolérables on est tombé pour n'avoir pas eu cette attention. Qu'importe que Pandore soit devant ou derrière 2. »
1 Ces phrases apparaissent pour,la première fois dans l'édition de 1768 du Siècle de Louis XIV dans les listes de gouverneurs de Flandre et de rois d'Angleterre . Dans le premier passage, l'année fut omise ; dans le second, le texte fut modifié en « Protecteur le 22 décembre 1653 » ; la date de la mort de Cromwell fut corrigée dans les éditions ultérieures . L'erreur provenait des confusions habituelles entre « vieux style » et « nouveau style » (de datation ; voir : https://francearchives.gouv.fr/fr/article/293787022 ) . La phrase qui suit est ajoutée par V* entre les lignes sur le manuscrit .
2 Cette phrase ajoutée par V* au-dessus de la ligne montre le peu d'importance qu'il attache à l'ordre des différents morceaux qui composent les recueils .
14:53 | Lien permanent | Commentaires (0)
regarder cette affaire comme très essentielle
...
« A Gabriel Cramer
[septembre-octobre 1767]
On a les trois fromages en cave . Mais on n'a point les deux premiers volumes des Mémoires de Du Plessis-Mornay dont on a plus besoin que de tous les fromages persillés . M. Cramer est prié de regarder cette affaire comme très essentielle . S'ils ne sont pas dans la bibliothèque de Genève, ils seront probablement dans celle de M. Turritin 1, qui est fort riche en pareils rogatons . Est-il possible que chez des hérétiques on ne puisse pas trouver les livres de leurs apôtres ! »
1 Marc Turrettini ; voir : https://gw.geneanet.org/rossellat?lang=fr&p=marc&n=turrettini&oc=2
et voir : https://humanities.unige.ch/turrettini/biographie/chronologie
14:50 | Lien permanent | Commentaires (0)
Il serait bon que nous raisonnassions ensemble avant de vous jeter dans l’embarras
... Paroles de ministres mis sur le banc des remplaçants par un président omnipotent (ou se croyant tel ) .
« A Gabriel Cramer
[septembre-octobre 1767]
Je vous donne avis mon cher éditeur qui si vous ne commencez votre second tome du Siècle de Louis XIV qu'au chapitre que vous m'avez envoyé, vous ne trouverez jamais votre compte . Je ne peux enfler l'ouvrage tout au plus que de deux ou trois feuilles ; quand il y en aurait quatre, vous n'aurez jamais trois volumes raisonnables . Il faudrait commencer le second volume à la bataille d'Hocsted .
Il faudrait de plus grands blancs, des lignes moins pressées, plus d’alinéas .
Je crois qu'il manque une feuille de manuscrit au dernier cahier que je vous ai envoyé .
Il serait bon que nous raisonnassions ensemble avant de vous jeter dans l’embarras . Je vous embrasse de tout mon cœur . »
11:43 | Lien permanent | Commentaires (0)
09/05/2023
Si bene vales, ego quldem valeo
... Bonne journée !
« A Nicolas-Claude Thieriot
30è septembre1767
Mon ancien ami, j'ai été fort occupé, et ensuite fort malade. Je n'ai pu vous remercier aussitôt que je l'aurais voulu des bons conseils que vous avez donnés à la Duchesne. J'ai chez moi un régiment entier que les tracasseries de Genève nous ont attiré. Aucun des officiers qui sont dans mon château ou dans mon village ne sait si le capitaine Bélisaire a des querelles avec la Sorbonne. Les officiers soupent chez moi pendant que je suis dans mon lit, et les soldats me font un beau chemin aux dépens de mes blés et de mes vignes, mais ils ne me défendront pas du vent du nord, qui va me désoler pendant six mois, ou qui va me tuer.
Tâchez de conserver votre santé, et que je puisse vous dire Si bene vales, ego quldem valeo 1.
Je ne sais plus où vous demeurez. J'envoie cette lettre à M. Damilaville, dont la santé m'inquiète beaucoup, et dont l'amitié, toujours égale, ardente et courageuse, est pour moi d'un prix inestimable.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
V. »
1 Si tu te portes bien, moi je me porte bien .
11:16 | Lien permanent | Commentaires (0)
Voilà les beaux jours de la Russie arrivés; toute l'Europe a les yeux sur ce grand exemple de la tolérance
.... E viva Ras-Poutine ? Que le diable le patafiole, le plus vite possible !
On est fichtrement loin du Patriarche : "rendre les soldats utiles pendant la paix, et de les faire servir à écarter la guerre, qui n'est bonne à rien qu'à rendre les peuples malheureux."
« Au comte Andrei Petrovitch Schouvalov 1
A Ferney, 30è septembre 1767
J'ai été longtemps malade, monsieur; c'est à ce triste métier que je consume les dernières années de ma vie. Une de mes plus grandes souffrances a été de ne pouvoir répondre à la lettre charmante dont vous m'honorâtes il y a quelques semaines 2. Vous faites toujours mon étonnement, vous êtes un des prodiges du règne de Catherine seconde . Les vers français que vous m'envoyez sont du meilleur ton, et d'une correction singulière; il n'y a pas la plus petite faute de langage on ne peut vous reprocher que le sujet que vous traitez 3. Je m'intéresse à la gloire de son beau règne, comme je m'intéressais autrefois au Siècle de Louis XIV. Voilà les beaux jours de la Russie arrivés; toute l'Europe a les yeux sur ce grand exemple de la tolérance que l'impératrice donne au monde. Les princes jusqu'ici ont été assez infortunés pour ne connaître que la persécution. L'Espagne s'est détruite elle-même en chassant les Juifs et les Maures. La plaie de la révocation de l'édit de Nantes saigne encore en France. Les prêtres désolent l'Italie. Les pays d'Allemagne, gouvernés par les prélats, sont pauvres et dépeuplés, tandis que l'Angleterre a doublé sa population depuis deux cents ans, et décuplé ses richesses. Vous savez que les querelles de religion, et l'horrible quantité de moines qui couraient comme des fous du fond de l'Égypte à Rome, ont été la vraie cause de la chute de l'empire romain et je crois fermement que la religion chrétienne a fait périr plus d'hommes depuis Constantin qu'il n'y en a aujourd'hui dans l'Europe.
Il est temps qu'on devienne sage mais il est beau que ce soit une femme qui nous apprenne à l'être. Le vrai système de la machine du monde nous est venu de Thorn 4, de cette ville où l'on a répandu le sang pour la cause des jésuites. Le vrai système de la morale et de la politique des princes nous viendra de Petersbourg, qui n'a été bâtie que de mon temps, et de Moscou, dont nous avions beaucoup moins de connaissance que de Pékin.
Pierre le Grand comparait les sciences et les arts au sang qui coule dans les veines mais Catherine, plus grande encore, y fait couler un nouveau sang. Non-seulement elle établit la tolérance dans son vaste empire, mais elle la protège chez ses voisins. Jusqu'ici on n'a fait marcher des armées que pour dévaster des villages, pour voler des bestiaux, et détruire des moissons. Voici la première fois qu'on déploie l'étendard de la guerre uniquement pour donner la paix, et pour rendre les hommes heureux. Cette époque est, sans contredit, ce que je connais de plus beau dans l'histoire du monde.
Nous avons aussi des troupes dans ce petit pays de Ferney, où vous n'avez vu que des fêtes, et où vous avez si bien joué le rôle du fils de Mérope. Ces troupes y sont envoyées à peu près comme les vôtres le sont en Pologne, pour faire du bien, pour nous construire de beaux grands chemins qui aillent jusqu'en Suisse, pour nous creuser un port sur notre lac Léman ; aussi nous les bénissons, et nous remercions M. le duc de Choiseul de rendre les soldats utiles pendant la paix, et de les faire servir à écarter la guerre, qui n'est bonne à rien qu'à rendre les peuples malheureux.
Si vous allez ambassadeur à la Chine, et si je suis en vie quand vous serez arrivé à Pékin, je ne doute pas que vous ne fassiez des vers chinois comme vous en faites de français. Je vous prierai de m'en envoyer la traduction. Si j'étais jeune, je ferais assurément le voyage de Petersbourg et de Pékin, j'aurais le plaisir de voir la plus nouvelle et la plus ancienne création. Nous ne sommes tous que des nouveaux venus, en comparaison de messieurs les Chinois mais je crois les Indiens encore plus anciens. Les premiers empires ont été sans doute établis dans les plus beaux pays. L'Occident n'est parvenu à être quelque chose qu'à force d'industrie. Nous devons respecter nos premiers maîtres.
Adieu, monsieur; je suis le plus grand bavard de l'Occident. Mille respects à Madame la comtesse de Schouvaloff. »
1 Le comte André Schouvalow est le neveu de Ivan : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivan_Chouvalov
2 Lettre du 12 juillet 1767 qui contient vingt-cinq vers octosyllabiques à la gloire de V* .
3 V* lui-même .
4 Thorn est la ville natale de Copernic . Voir page 534 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome14.djvu/554
08:31 | Lien permanent | Commentaires (0)
08/05/2023
vous êtes dans la force de l'âge, vous serez utile aux gens de bien qui pensent comme il faut
... Bonne nouvelle pour les séro-po (comme ils disent ), parole de ministre, ils ne sont plus mis au ban de certains corps publics : https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee...
« A Etienne-Noël Damilaville
30 septembre 1767
Guérissez-donc, mon cher et digne ami, vous êtes dans la force de l'âge, vous serez utile aux gens de bien qui pensent comme il faut, et moi, je ne suis plus bon à rien. Je suis actuellement obligé de me coucher à sept heures du soir ; je ne peux plus travailler . J'avais encor un reste de vie lorsque je brochai en cinq jours cette petite pièce qui nous a beaucoup amusés à Ferney et qui n'amusera guère Paris . Je souhaite que ce brimborion soit utile à Paris mais je ne l'espère pas . Je vous recommande les changements que vous avez dû recevoir ; ils sont absolument nécessaires . Merlin d'ailleurs doit user de la plus grande diligence , s'il ne veut pas être prévenu par les libraires de province .
Voici un petit écrit sur les dissidents qui m'a été envoyé de Hollande . Je commence à bien augurer de l'affaire des Sirven . Vous en viendrez à votre honneur, surtout si si M. d'Aguesseau s'adoucit .
Bonsoir mon cher ami, je me couche et je ferme mon paquet .
Voici deux lettres, l'une pour Protagoras et l'autre pour l’exact et empressé Thieriot. »
10:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
La discorde et l'envie sont faites pour la médiocrité
... Choses abondantes dans le monde des politicards .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
30 septembre 1767
Je ne comprends pas, mon cher ange, ni votre lettre ni vous. J'ai suivi de point en point la distribution que Lekain m'avait indiquée comme, par exemple, de donner Alzire à Mlle Durancy, et Zaïre à Mlle Dubois, etc.
Comme je ne connais les talents ni de l'une ni de l'autre, je m'en suis tenu uniquement à la décision de Lekain, que j'ai confirmée deux fois.
Mlle Dubois m'a écrit en dernier lieu une lettre lamentable, à laquelle j'ai répondu par une lettre polie. Je lui ai marqué que j'avais partagé les rôles de mes médiocres ouvrages entre elle et Mlle Durancy; que si elles n'étaient pas contentes, il ne tiendrait qu'à elles de s'arranger ensemble comme elles voudraient. Voilà le précis de ma lettre , vous ne l'avez pas vue sans doute . Si vous l'aviez vue, vous ne me feriez pas les reproches que vous me faites.
M. de Richelieu m'en fait, de son côté, de beaucoup plus vifs, s'il est possible. Il est de fort mauvaise humeur. Voilà, entre nous, la seule récompense d'avoir soutenu le théâtre pendant près de cinquante années, et d'avoir fait des largesses de mes ouvrages depuis environ quinze ans .
Je ne me plains pas qu'on m'ôte une pension que j'avais, dans le temps qu'on en donne une à Arlequin 1 . Je ne me plains pas du peu d'égard que M. de Richelieu me témoigne sur des choses plus essentielles; je ne me plains pas d'avoir sur les bras un régiment, sans qu'on me sache le moindre gré de ce que j'ai fait pour lui ; je ne me plains que de vous, mon cher ange, parce que plus on aime, plus on est blessé.
Il est plaisant que, presque dans le même temps, je reçoive des plaintes de M. de Richelieu et de vous. Il y a sûrement une étoile sur ceux qui cultivent les lettres, et cette étoile n'est pas bénigne. Les tracasseries viennent me chercher dans mes déserts ; que serait-ce si j'étais à Paris? Heureusement notre théâtre de Ferney n'éprouve point de ces orages . Plus les talents de nos acteurs sont admirables, plus l'union règne parmi eux . La discorde et l'envie sont faites pour la médiocrité. Je dois me renfermer dans les plaisirs purs et tranquilles que mes maladies cruelles me laissent encore goûter quelquefois. Je me flatte que celui qui a le plus contribué à ces consolations ne les mêlera pas d'amertume, et qu'une tracasserie entre deux comédiennes ne troublera pas le repos d'un homme de votre considération et de votre âge, et n'empoisonnera pas les derniers jours qui me restent à vivre.
Vous ne m'avez point parlé de Mme de Grosley; vous croyez qu'il n'y a que les spectacles qui me touchent. Vous ne savez pas qu'ils sont mon plus léger souci, qu'ils ne servent qu'à remplir le vide de mes moments inutiles, et que je préfère infiniment votre amitié à la vaine et ridicule gloire des belles-lettres, qui périssent dans ce malheureux siècle.
V.»
1 Beuchot pense qu'Arlequin désigne Bergier , à cause du commencement de la lettre du 22 janvier 1768 à Morellet ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/07/correspondance-annee-1768-partie-4.html
Cette interprétation est fausse ; « Arlequin » est l’acteur Carlin de la Comédie-Italienne, reçu en 1741, et qui vient d'atteindre cinquante-quatre ans ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Carlo_Antonio_Bertinazzi
00:14 | Lien permanent | Commentaires (0)