19/09/2016
Si vous voyez quelque académicien, mettez-lui le cœur au ventre
... Et si vous voyez quelque politicien, mettez-lui le sens des réalités en tête .
Illustration du char de l'Etat tracté par un emplumé écervelé ?! On va surement progresser .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
3 octobre [1761] 1
Permettez-moi, mes anges, de vous demander si vous avez donné Polyeucte à M. Duclos. J’ai renvoyé deux fois Cinna et Pompée. L’Académie met ses observations en marge. Je rectifie en conséquence, ou je dispute ; et chaque pièce sera examinée deux fois avant de commencer l’édition. C’est le seul moyen de faire un ouvrage utile. Ce sera une grammaire et une poétique au bas des pages de Corneille ; mais il faut que l’Académie m’aide, et qu’elle prenne la chose à cœur. Je fatigue peut-être sa bonté ; mais n’est-ce pas un amusement pour elle de juger Corneille de petit commissaire 2 sur mon rapport ? Si vous voyez quelque académicien, mettez-lui le cœur au ventre. Je serai quitte de la grosse besogne avant qu’il soit un mois.
J’appelle grosse besogne le fond de mes observations ; ensuite il faudra non seulement être poli ; mais polir son style, et tâcher de répandre quelques poignées de fleurs sur la sécheresse du commentaire.
M. de Lauraguais, qui est ici, me paraît un grand serviteur des Grecs . Il veut surtout de l’action, de l’appareil. Vous voyez qu’il court après son argent, et qu’il ne veut pas avoir agrandi le théâtre pour qu’il ne s’y passe rien. Il dit qu’à présent Sémiramis et Mahomet font un effet prodigieux. Dieu soit loué ! On se défera enfin des conversations d’amour, des petites déclarations d’amour ; les passions seront tragiques, et auront des effets terribles ; mais tout dépend d’un acteur et d’une actrice. C’est là le grand mal ; cet art est trop avili.
Peut-on ne pas avoir en horreur le fanatisme insolent qui attache de l’infamie au cinquième acte de Rodogune ? Ah, barbares ! ah, chiens de chrétiens (chiens de chrétiens veut dire chiens qui faites les chrétiens) ! que je vous déteste ! que mon mépris et ma haine pour vous augmentent continuellement !
Madame de Sauvigny 3 dit que Clairon viendra me voir ; qu’elle y vienne, mon théâtre est fait ; il est très beau, et il n’y en a point de plus commode. Nous commençons par l’Ecossaise . Nous attendons qu’on joue à Paris le Droit du Seigneur pour nous en emparer.
Je suis bien vieux ; pourrai-je faire encore une tragédie ? qu’en pensez-vous ? Pour moi, je tremble. Vous m’avez furieusement remis au tripot, ayez pitié de moi. »
1 Date complétée par d'Argental .
2 Juger, travailler de petits commissaires, signifie juger de façon préliminaire, sans attendre la décision des chambres, quand les conseillers jugeaient et travaillaient chez le président ; Beuchot cite en note : « Nous jugions à huis clos de petits commissaires » voir : Regnard, Le Légataire universel, Ac. I, sc. 1 : vers 89-90 : http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/REGNARD_LEGATAIRE.xml#A1
3 Sur Mme de Sauvigny, voir lettre du 6 mai 1761 à Le Brun : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/06/12/des-lors-il-devint-ingrat-cela-est-dans-la-regle.html
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18/09/2016
Vous seriez bien étonné de trouver dans ce manuscrit quelques-unes de vos opinions, mais vous verriez que les anciens brachmanes qui pensaient comme vous et vos amis avaient plus de courage que vous .
... Variante du XXIè siècle : "Et vous verriez que les anciens gaullistes qui pensaient comme vous [et qui d'abord pensaient , tout simplement] avaient plus de courage que vous ."
Avis aux discoureurs de tout poil qui se disent inspirés par le grand Charles de * .
Trouvez-moi un rassembleur du peuple français dans cette meute de "Je suis le meilleur qu'il vous faut, votez pour moi, et les autres c'est de la m... !". Vous n'en trouvez pas ? étonnant ? non !
« A monsieur le ministre Jacob Vernes
à Séligny
J'ai été malade, et de plus , très occupé, mon cher prêtre . Pardon si je vous réponds si tard sur le manuscrit indien ; ce sera le seul trésor qui nous restera de notre compagnie des Indes . M. de la Persillière n'a aucune part à cet ouvrage ; il a été réellement traduit à Bénarès, par un brame, correspondant de notre pauvre compagnie, qui entend assez bi[en]1 le français, et M. de Modave, commandant pour le roi, sur la côte de Coromandel, qui me vint voir il y a quelques mois, me fit présent de ce manuscrit . Il est assurément très authentique et doit avoir été fait longtemps avant l'expédition d'Alexandre, car aucun nom de fleuve, de montagne, ni de ville ne ressemble aux noms grecs que les compagnons d'Alexandre donnèrent à ces pays . Il faut un commentaire perpétuel pour savoir où l'on est, et à qui l'on a à faire .
Le manuscrit est intitulé Ezour Vedam, c'est-à-dire commentaire du Vedam . Il est d'autant plus ancien, qu'on y combat les commencements de l'idolâtrie . Je le crois de plusieurs siècles antérieur à Pythagore . Je l'ai envoyé à la bibliothèque du roi, et on l'y regarde comme un monument le plus précieux qu'elle possède . J'en ai une copie très informe, faite à la hâte, elle est aux Délices et vous savez que j'ai prêté les Délices à M. le duc de Villars .
Vous seriez bien étonné de trouver dans ce manuscrit quelques-unes de vos opinions, mais vous verriez que les anciens brachmanes qui pensaient comme vous et vos amis avaient plus de courage que vous .
Il est bien ridicule que vous ne puissiez consacrer mon église, et peut-être plus ridicule encore que je ne puisse la consacrer moi-même . Je vous embrasse au nom de Dieu seul .
Ferney 1er octobre 1761 . »
1 Le manuscrit est légèrement endommagé .
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17/09/2016
il y a longtemps que je ne danse plus
... Ailleurs que devant le buffet !
http://www.ambafrance-nl.org/MeliMelo-no10-Danser-devant-le
« A Jean-Robert Tronchin
Ferney 1er octobre 1761
J'ai dîné aujourd’hui, mon cher correspondant, avec le conseiller d’État François, et avec le beau-père Labat 1. Mme Denis et Mlle Corneille ont été au bal, mais il y a longtemps que je ne danse plus .
Voici deux petits billets de change dont j'ai l'honneur de vous faire part . Je vous souhaite la continuation d'une santé meilleure que la mienne . Je suis assez malade depuis quelques jours, mais j'espère que je ne mourrai pas avant que mon église soit bénite .
Voilà donc M. Stanley parti après avoir souscrit pour dix exemplaires 2 en faveur de Mlle Corneille ; voilà tout ce qu'il a fait en France .
Voudriez-vous avoir la bonté de donner ordre qu'on nous envoyât un tonneau d'huile ? Attendu que Mlle Corneille mange beaucoup de salade ?
Votre très humble et très obéissant serviteur
V. »
1 Jean-Armand Tronchin devait épouser , en premières noces, Jeanne-Louise Labat de Grandcour le 4 octobre 1761 ; voir : http://gw.geneanet.org/rossellat?lang=fr&p=jean%20armand&n=tronchin
2 En fait douze exemplaires ; voir lettre d'août 1761 à Hans Stanley : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/07/19/to-every-nation-and-especially-to-those-who-greatly-think-an-5827738.html
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16/09/2016
C’est un fardeau désagréable peut-être de relire deux fois la même chose
... Peut-être ? peut-être ! Mais le désagrément ne semble pas toucher l'homo politicus qui nous serine à qui mieux-mieux le même discours, non pas deux fois seulement , mais sans arrêt, jusqu'à la nausée de l'auditeur .
Plutôt que s'abrutir à écouter ces perroquets au beau plumage, je vous conseille de lire une fois, puis deux, et plus si affinité, Voltaire, et je vous défie de le trouver désagréable .
A relire deux fois, pas plus pour éviter l'overdose et faire comme si on avait compris !
« A Charles Pinot Duclos
Du 1er octobre 1761
Je vous réitère, monsieur, mes remerciements aussi bien qu’à l’Académie, et je la conjure de ne se point lasser de m’honorer de ses avis. C’est un fardeau désagréable peut-être de relire deux fois la même chose ; mais c’est, je crois, le seul moyen de rendre le commentaire sur Corneille digne de l’Académie, qui veut bien encourager cet ouvrage. Il ne s’agit d’ailleurs que de relire les endroits sur lesquels l’Académie a bien voulu faire des remarques, et de voir si je me suis conformé à ses idées.
J’ai donc l’honneur de vous renvoyer le commentaire sur Pompée, corrigé et augmenté, avec les observations de l’Académie en marge, et des nota bene à tous les endroits nouveaux . Ce sera l’affaire d’une séance.
Vous avez dû recevoir le commentaire sur Cinna, revu et corrigé, avec l’esquisse du commentaire sur Polyeucte. Il n’y en aura aucun que je ne corrige d’après les observations que l’Académie voudra bien faire. Dès que vous aurez eu la bonté de me renvoyer Cinna, Pompée et Polyeucte, vous aurez incontinent les pièces suivantes. Je suis bien malade ; mais je ne ménagerai ni mon temps ni mes peines.
Je vous prie de présenter mes respects à la compagnie. »
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15/09/2016
venir dîner avec ses amis
... A ce moment, je ne pense pas qu'on doive ajouter plus d'un couvert pour accueillir le candidat Sarkozy .
Belle brochette de faire-valoir .
« A Jacob Vernes
[septembre-octobre 1761]1
Monsieur Vernes devrait bien venir dîner avec ses amis ; il est prié de renvoyer le petit cahier de M. de La Persillière qui doit lui être très inutile, puisqu'il ne contient que des choses que monsieur Vernes sait mieux que M. de La Persillière . »
1 La date proposée s'appuie sur la mention de La Persillière dans la lettre de septembre à Vernes : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/08/25/interim-vale-deum-adora-superstitionem-fuge-amicos-ama-et-vi-5839852.html
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Il est bien cruel que nous ne nous soyons pas entendus
... Dira Fanfoué, au soir de son éviction (prévisible) des primaires, à Emmanuel Macron . Bon , il faut que j'arrête mon délire avant eux, ne serait-ce que pour leur donner le bon exemple (NDLR : bel exemple de modestie blogger James ! ) .
« A Gabriel Cramer
[septembre-octobre 1761]
Le public se soucie bien de l'enlèvement de Clarice 1! On veut Le Cid, les Horaces, Cinna, Pompée, Rodogune .
J'ai toujours dit et toujours écrit que je commencerais par ces pièces . J'ai travaillé en conséquence . Il est bien cruel que nous ne nous soyons pas entendus avec M. Gravelot pour qui j'ai une estime singulière . Je ne peux prendre à présent . »
1 La Veuve, acte III, sc. 9 ; de Corneille ; voir : http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/CORNEILLEP_VEUVE.xml#A3
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14/09/2016
Ceci, monsieur, n'est pas académique, c’est chicane, mais le tout pourra vous amuser
...
Le ton du thon de tonton tinte faux .
« A Germain-Gilles-Richard de Ruffey
A Ferney par Genève 30 septembre [1761]
Ceci, monsieur, n'est pas académique, c’est chicane, mais le tout pourra vous amuser . Je prends pour arbitres monsieur le premier président, monsieur le procureur général et M. Le Bault . Le fétiche en veut-il faire autant .
Je consens à lui rendre Tournay et à lui donner Ferney si dans toute la province de Bourgogne il se trouve un seul homme qui approuve son procédé .
Je vous quitte pour Corneille . Quand vous voudrez venir nous voir avec madame de Ruffey nous vous donnerons la comédie .
Je vous embrasse très tendrement et sans compliment.
V.
FAIT
Quand M. le président De Brosses vendit la terre de Tournay à vie, à François de Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, âgé alors de soixante et six ans 1, l'acquéreur qui ne connaissait point cette terre s'en remit entièrement à la probité et à la noblesse des sentiments de M. le président De Brosses . M. le président avait fait ci-devant un bail de trois mille livres par année de cette même terre avec le sieur Chouet, fils du premier syndic de Genève, qui était son fermier . Mais le sieur Chouet y avait perdu de notoriété publique vingt-deux mille francs, et la terre ne rapporte pas douze cents livres dans les meilleurs années . Monsieur le président exigea de l'acquéreur à vie âgé de 66 ans trente cinq mille six cents livres , argent comptant, et douze mille francs en réparations à faire au château et à la terre en trois années de temps ; l'acquéreur fit en trois mois pour dix-huit mille livres de réparations dont il a les quittances .
Il y a dans cette petite terre de Tournay un bois que monsieur le président lui donna pour un bois de cent arpents 2 dans l'estimation de la terre . Les ingénieurs qui sont venus mesurer, par ordre du roi, toutes les terres de France, ont trouvé que ce bois mesuré géométriquement, ne contient pas quarante arpents , et l’acquéreur a entre les mains le plan des ingénieurs du roi .
Non seulement l'acquéreur essuya ces pertes considérables, qui ruinent sa fortune, mais monsieur le président lui persuada, avant de lui faire signer le contrat, qu'il avait vendu en dernier lieu à un négociant de Genève, une partie de sa forêt qui était abattue, et qu'il ne pouvait rompre ce marché . Il fut stipulé dans la contrat passé au mois de novembre 1758, que M. de Voltaire aurait la jouissance entière de la terre de Tournay, et des bois qui sont sur pied, et non vendus . L’acquéreur ne pouvant pas douter sur la parole de monsieur le président qu'il y eût une vente véritable, signa le contrat de sa ruine .
Ayant bientôt vu à quel excès il était lésé dans son marché, il s'en plaignit modestement à monsieur le président, et lui demanda par ses lettres pourquoi il avait vendu ces bois qui devaient appartenir à l'acquéreur ; monsieur le président lui répondit par sa lettre du 12 janvier 1759 : Il est vrai qu'on a mis un certain nombre de chênes au niveau des herbes, pour certaines rasons à moi connues ; mais à quoi la faim de l'or ne contraint-elle pas les poitrines mortelles ?
L'acquéreur fut bien surpris quelque temps après, quand toute la province lui appris que monsieur le président n'avait point du tout vendu ces bois . Il les faisait vendre, exploiter en détail, pour son compte, par un paysan du village de Chambésy, nommé Charles Baudy, lequel Charles Baudy son commissionnaire, compta avec lui de clerc à maître . Il est triste d'être obligé de dire que l'acquéreur manquant de bois de chauffage, lorsqu'il acheta la terre de Tournay, eut en présence de toute sa famille, parole de monsieur le président qu'il lui serait loisible de prendre douze moules de ces bois prétendus vendus, pour se chauffer . Il en prit quatre, ou cinq, tout au plus .
Enfin au bout de trois années, monsieur le président lui intente un procès au bailliage de Gex sous le nom de Charles Baudy son commissionnaire, pour paiement de deux cent quatre-ving[t] et une livres de bois ; et voici comme il s'y prend .
Il assigne Charles Baudy son commissionnaire qu'il fait passer pour son marchand, et il dit dans cette assignation du 2 juin que Charles Baudy lui retient 281 livres de bois, parce qu'il a fourni à M. de Voltaire pour 281 livres de bois, et Charles Baudy au bas de cet exploit assigne François de Voltaire .
Le défendeur ne veut pour preuve de l'injustice qu'il essuie que l'exploit même de monsieur le président . Il est clair par l’assignation donnée par lui à Charles Baudy, que ce Charles Baudy compte avec lui de clerc à maître, comme toute la province le sait . Monsieur le président dit dans son exploit que Charles Baudy et lui firent un marché ensemble en l'année 1756. est-ce ainsi qu'on s'explique sur un marché véritable ? n'exprime-t-on pas la date et le prix du marché ?
Ladite assignation porte en général une certaine quantité d'arbres . Ne devait-on pas spécifier cette quantité ? ladite assignation porte que ces bois furent marqués . Mais s'ils avaient été marqués juridiquement , n'en saurait-on pas le nombre ? N'est-ce pas un garde-marteau qui devrait avoir marqué ces bois ? Peut-on les avoir marqués sans la permission du grand maître des Eaux et Forêts ? On ne produit ni permission, ni marque de bois, ni acte passé avec ledit Baudy .
Il est donc clair comme le jour que monsieur le président n'a point fait de vente réelle, que par conséquent tous lesdits bois injustement distraits du forestal 3, sous prétexte d'une vente simulée, appartiennent légitimement à l'acquéreur de la terre . Baudy en a vendu pour 4800 livres .
Partant, François de Voltaire est bien fondé à demander la restitution de la valeur de quatre mille huit cents livres de bois .
Plus l'indemnisation des dommages causés par l'enlèvement de ces bois , au mois de mai 1759, contre les ordonnances, comme il est même spécifié dans l’exploit de monsieur le président qui porte que Baudy exploita et tira ces bois de la forêt jusqu'au mois de mai 1759 .
le défendeur se réservant ses autres droits sur la lésion de plus de moitié qu’il a essuyée quand monsieur le président lui a vendu quarante arpents pour cent arpents . »
1 En fait soixante quatre ans en 1758 .
2 Voir lettre du 16 juillet 1760 à De Brosses : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/09/11/j-ai-fait-le-bien-pour-l-amour-du-bien-meme-et-le-ciel-m-en-5846552.html
3 Mot ancien , donné par Godefroy, variante de forestel, diminutif de forêt ; il existe encore comme nom propre .
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