23/04/2015
est-il vrai que de cet ouvrage immense, et de douze ans de travaux, il reviendra vingt-cinq mille francs à Diderot , tandis que ceux qui fournissent du pain à nos armées gagnent vingt mille francs par jour ?
... Et qui va toucher des ristournes fabuleuses/dessous de tables/pots de vin pour la vente de nos merveilleux Rafales ? Pas vous, pas moi , pas Diderot !
« A Jean Le Rond d'ALEMBERT.
25 d'avril [1760].
Mon cher et digne philosophe, j'avoue que je ne suis pas mort,1 mais je ne peux pas dire que je sois en vie. Berthier se porte bien, et je suis malade ; Abraham Chaumeix digère, et je ne digère point : aussi ma main ne vous écrit pas, mais mon cœur vous écrit; il vous dit qu'il est sensiblement affligé de voir les fanatiques réunis pour accabler les philosophes, tandis que les philosophes, divisés, se laissent tranquillement égorger les uns après les autres.
C'est grand dommage que Jean-Jacques se soit mis tout nu dans le tonneau de Diogène; c'est le sûr moyen d'être mangé des mouches. Est-il possible qu'on laisse jouer cette farce impudente dont on nous menace ?2 c'est ainsi qu'on s'y prit pour perdre Socrate. Je ne crois pas que la comédie des Nuées 3 approche des opéras-comiques de la Foire. Je crois Favart 4 et Vadé 5 fort supérieurs au Gilles d'Athènes, quoi qu'en dise Mme Dacier; mais enfin ce fut par là que les prêtres commencèrent à préparer la ruine des sages. La persécution éclate de tous côtés dans Paris ; les jansénistes et les jésuites se joignent pour égorger la raison, et se battent entre eux pour les dépouilles. Je vous avoue que je suis aussi en colère contre les philosophes qui se laissent faire que contre les marauds qui les oppriment. Puisque je suis en train de me fâcher, je passe à Luc; il fait le plongeon, il désavoue ses Œuvres, il les fait imprimer tronquées 6 : cela est bien plat, quand on a cent mille hommes; mais cet homme-là sera toujours incompréhensible. Il m'envoie tous les huit jours des paquets les plus outrecuidants, les plus terribles, de vers et de prose; des choses à faire coffrer le receveur, si le receveur était à Paris ; et il ne m'envoie point l'épître 7 qu'il vous a adressée 8, qui est, dit-on, son meilleur ouvrage. Il ne sait pas trop ce qu'il veut, et sait encore moins ce qu'il deviendra. Il serait bien à souhaiter qu'il se mît à devenir sage ; il eût été le plus heureux des hommes s'il avait voulu, et il valait cent fois mieux être le protecteur de la philosophie que le perturbateur de l'Europe. Il a manqué une belle vocation : vous devriez bien lui en dire deux mots, vous qui savez écrire, et qui osez écrire. Il est très-faux que l'abbé de Prades l'ait trahi ; il écrivait seulement au ministre de France pour avoir la permission de faire un voyage en France, et cela dans un temps où nous n'étions pas en guerre avec le Brandebourg. S'il avait en effet tramé une trahison contre son bienfaiteur, soyez très-persuadé qu'on ne se serait pas borné à lui donner un appartement dans la citadelle de Magdebourg.
Vous savez que Darget a mieux aimé un petit emploi subalterne à Paris que deux mille écus de gages, et le magnifique titre de secrétaire. Algarotti a préféré sa liberté à trois mille écus de gages, je dis trois mille écus d'empire. Vous savez que Chazot 9 a pris le même parti ; vous savez que Maupertuis, pour s'étourdir, s'était mis à boire de l'eau-de-vie 10, et en est mort. Vous savez bien d'autres choses; vous savez surtout que vous n'avez une pension de cinquante louis que comme un hameçon. Faites vos réflexions sur tout cela ; je me fie à votre probité, et je veux avoir votre amitié.
Mandez-moi, je vous en prie, à quoi en est la persécution contre les seuls hommes qui puissent éclairer le genre humain.
N'imitez pas le paresseux Diderot; consacrez une demi-heure de temps à me mettre un peu au fait. On prétend que la cabale dit : Oportet Diderot mori pro populo 11 .
Le Dictionnaire encyclopédique continue-t-il ? sera-t-il défiguré et avili par de lâches complaisances pour des fanatiques ? ou bien sera-t-on assez hardi pour dire des vérités dangereuses ? est-il vrai que de cet ouvrage immense, et de douze ans de travaux, il reviendra vingt-cinq mille francs à Diderot 12, tandis que ceux qui fournissent du pain à nos armées gagnent vingt mille francs par jour ? Voyez vous Helvétius ? connaissez-vous Saurin ? qui est l'auteur de la farce contre les philosophes ? qui sont les faquins de grands seigneurs 13, et les vieilles p... dévotes de la cour 14 qui le protègent ? Écrivez-moi par la poste, et mettez hardiment : A Voltaire, gentilhomme ordinaire du roi, au château de Ferney, par Genève; car c'est à Ferney que je vais demeurer, dans quelques semaines.
Nous avons Tournay pour jouer la comédie, et les Délices sont la troisième corde à notre arc. Il faut toujours que les philosophes aient deux ou trois trous sous terre, contre les chiens qui courent après eux. Je vous avertis encore qu'on n'ouvre point mes lettres, et que, quand on les ouvrirait, il n'y a rien à craindre du ministre des affaires étrangères, qui méprise autant que nous le fanatisme moliniste, le fanatisme janséniste et le fanatisme parlementaire. Je m'unis à vous en Socrate, en Confucius, en Lucrèce, en Cicéron, et en tous les autres apôtres ; et j'embrasse vos frères, s'il y en a, et si vous vivez avec eux. »
1 Voir en note de la lettre du 21 avril 1760 à Collini, ce qu'en disait d'Alembert dans sa lettre du 14 avril à laquelle V* répond ici : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/18/on-m-a-dit-mort-cela-n-est-pas-entierement-vrai-5605707.html
2 Les Philosophes, de Palissot ; d'Alembert, en post scriptum écrivait : « Il ne manquait plus à la philosophie que le coup de pied de l'âne . On va jouer sur le théâtre de la Comédie française une pièce intitulée Les Philosophes modernes . Préville doit y marcher à quatre pattes pour représenter Rousseau . Cette pièce est fort protégée . Versailles la trouve admirable . » Dans sa lettre du 6 mai, après trois représentations de la pièce qu'il n'a pas vue et ne veut pas voir, il précisera : « Nous n'y sommes attaqués personnellement ni l'un ni l'autre, les seuls maltraités sont Helvétius, Diderot, Rousseau, Duclos, Mme Geoffrin, et Mlle Clairon qui a tonné contre cette infamie […] Les producteurs femelles (déclarés) de cette pièce sont Mmes de Villeroy, de Robecq, et du Deffand votre amie, et ci-devant la mienne […] En hommes , il n'y a […] que maître Aliboron, dit Fréron […] elle ne peut avoir été jouée sans protecteurs puissants […] tous la désavouent . Les seuls qui soient un peu plus francs , sont Séguier et Joly de Flleury . » Choiseul dira laconiquement, en post scriptum de sa lettre du 8 mai : « Je n'ai point vue la pièce contre les philosophes, je l'ai lue ; le fond peut être mauvais, la diction en est bonne, les vers bien faits et la morale approuvable. »
3 Titre d'une pièce d'Aristophane que V* désigne plus loin sous le nom peu agréable de « Gilles d’Athènes »
4 Charles-Simon Favart qui écrivit de nombreuses pièces à succès destinées à l'Opéra-Comique et eu Théâtre des Italiens . Pur charmantes que soient souvent ses comédies elles ne peuvent être comparées avec celles d’Aristophane . Voir : http://blog.bnf.fr/gallica/index.php/2010/03/13/charles-simon-favart-1710-1792/
5 Jean-Joseph Vadé qui mit à la mode le genre « poissard » . il était mort depuis le 4 juillet 1757 et l'on voit souvent V* mentionner, dès la présente époque « Mlle Vadé » qui jouera encore un rôle involontaire dans les Contes de Guillaume Vadé, réellement écrits par V* en 1764 . Voir : http://www.paperblog.fr/1180887/jean-joseph-vade-ecrivain-chansonnier-poete-grivois-et-poissard/
6 Voir lettres du 7 janvier 1760 à Darget : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/01/15/mon-cher-camarade-je-peux-vous-repondre-que-vous-ne-serez-ja-5534290.html
et du 2 février 1760 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/02/06/corrigeons-limons-rabotons-polissons-vilain-travail-et-travaille-vilain.html
7 Il l'envoya le 1er mai ; voir la lettre de Frédéric II : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f388.texte.r=3485
8« Il faudrait imprimer à la suite du discours de notre nouveau confrère [Pompignan]une épître que je viens de recevoir du roi de Prusse contre les fanatiques . Les dévots, les jésuites, et notre saint-père le pape y sont bien traités » . Sur l4Epître à d'Alembert […] voir la lettre du 14 avril 1760à Mme de Fontaine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/10/mettez-nous-je-vous-en-prie-un-peu-au-fait-non-pas-de-ce-qui-5600503.html
9 Le chevalier François-Egmont de Chasot ; voir : http://friedrich.uni-trier.de/de/oeuvres/25/III/text/?h=C...|Egmont
10 Il y a là quelque exagération mais il est vrai que Maupertuis avait contracté à Berlin ,dans l'entourage du roi, certaines habitudes d'intempérance . Voici un billet adressé par Frédéric à Maupertuis, pendant que ce dernier
était encore à Berlin : « Je vous envoie le sieur Cothenius, un des plus grands charlatans de ce pays. Il a eu le bonheur de réussir quelquefois, par hasard, et je souhaite qu'il ait le même sort avec vous. Il vous ordonnera bien des remèdes; pour moi, je ne vous défends que les liqueurs; mais je vous les défends entièrement. » — Ce charlatan, médecin de Frédéric, est nommé Codénius, dans une lettre antérieure ..
11 Parodie de l'évangile de Jean, XVIII, 14. : il convient que Diderot meure pour le peuple .
12 Davantage, puisqu'il recevait 2500 francs par volume .
13 Le duc de Choiseul en était un.
14 Parmi ces « dévotes de la cour » on peut citer Mme de Robecq qui fut une amie de V* et qui devait mourir le 4 juillet 1760, ce qui fera dire à Mme du Deffand , le 5 juillet 1760 : » […] elle a trop tardé, six mois plus tôt nous auraient épargné une immensité de mauvais ouvrages . »
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22/04/2015
C'est le gouvernement qui change les mœurs, qui élève ou abaisse les nations.
... Autant que possible, comme dirigeants, éviter les lapins-crétins
« A Maurice PILAVOINE,
à Pondichéry
Au château de Ferney,
le 23 avril [1760].
Mon cher et ancien camarade, vous ne sauriez croire le plaisir que m'a fait votre lettre 1. Il est doux de se voir aimé à quatre mille lieues de chez soi. Je saisis ardemment l'offre que vous me faites de cette histoire manuscrite de l'Inde. J'ai une vraie passion de connaître à fond le pays où Pythagore est venu s'instruire.
Je crois que les choses ont bien changé depuis lui, et que l'université de Jaganate 2 ne vaut point celles d'Oxford et de Cambridge. Les hommes sont nés partout à peu près les mêmes, du moins dans ce que nous connaissons de l'ancien monde. C'est le gouvernement qui change les mœurs, qui élève ou abaisse les nations.
Il y a aujourd'hui des récollets dans ce même Capitole où triompha Scipion, où Cicéron harangua.
Les Égyptiens, qui instruisirent autrefois les nations, sont aujourd'hui de vils esclaves des Turcs. Les Anglais, qui n'étaient, du temps de César, que des barbares allant tout nus, sont devenus les premiers philosophes de la terre, et, malheureusement pour nous, sont les maîtres du commerce et des mers. J'ai bien peur que dans quelque temps ils ne viennent vous faire une visite; mais M. Dupleix les a renvoyés, et j'espère que vous les renverrez de même. Je m'intéresse à la Compagnie, non-seulement à cause de vous, mais parce que je suis Français, et encore parce que j'ai une partie de mon bien sur elle. Voilà trois bonnes raisons qui m'affligent pour la perte de Masulipatan. 3
J'ai connu beaucoup MM. de Lally 4 et de Soupire 5; celui-ci est venu me voir à mon petit ermitage auprès de Genève avant de partir pour l'Inde ; c'est à lui que j'adressai ma lettre 6 pour vous à Surate. N'imputez cette méprise qu'au souvenir que j'ai toujours conservé de vous. Je pense toujours à Maurice Pilavoine, de Surate ; c'était ainsi qu'on vous appelait au collège, où nous avons appris ensemble à balbutier du latin, qui n'est pas, je crois, d'un fort grand secours dans l'Inde. Il vaut mieux savoir la langue du Malabar.
Je serais curieux de savoir s'il reste encore quelque trace de l'ancienne langue des brachmanes. Les bramines d'aujourd'hui se vantent de la savoir; mais entendent-ils leur Veidam?7 Est-il vrai que les naturels de ce pays sont naturellement doux et bienfaisants? Ils ont du moins sur nous un grand avantage, celui de , n'avoir aucun besoin de nous, tandis que nous allons leur demander du coton, des toiles peintes, des épiceries, des perles et des diamants, et que nous allons, par avarice, nous battre à coups de canon sur leurs côtes.
Pour moi, je n'ai point encore vu d'Indien qui soit venu livrer bataille à d'autres Indiens, en Bretagne et en Normandie, pour obtenir, le crisk 8 à la main, la préférence de nos draps d'Abbeville et de nos toiles de Laval.
Ce n'est pas assurément un grand malheur de manquer de pêches, de pain, et de vin, quand on a du riz, des ananas, des citrons, et des cocos 9. Un habitant de Siam et du Japon ne regrette point le vin de Bourgogne. J'imite tous ces gens-là ; je reste chez moi ; j'ai de belles terres, libres et indépendantes, sur la frontière de France. Le pays que j'habite est un bassin d'environ vingt lieues, entouré de tous côtés de montagnes ; cela ressemble en petit au royaume de Cachemire. Je ne suis seigneur que de deux paroisses, mais j'ai une étendue de terrain très-considérable. Les pêches, dont vous me paraissez faire tant de cas, sont excellentes chez moi ; mes vignes mêmes produisent d'assez bon vin. J'ai bâti dans une de mes terres un château qui n'est que trop magnifique pour ma fortune ; mais je n'ai pas eu la sottise de me ruiner pour avoir des colonnes et des architraves. J'ai auprès de moi une partie de ma famille, et des personnes aimables qui me sont attachées. Voilà ma situation, que je ne changerais pas contre les plus brillants emplois. Il est vrai que j'ai une santé très-faible, mais je la soutiens par le régime. Vous êtes né, autant qu'il m'en souvient, beaucoup plus robuste que moi, et je m'imagine que vous vivrez autant qu'Aurengzeb 10. Il me semble que la vie est assez longue dans l'Inde, quand on est accoutumé aux chaleurs du pays.
On m'a dit que plusieurs rajas et plusieurs omras 11 ont vécu près d'un siècle ; nos grands seigneurs et nos rois n'ont pas encore trouvé ce secret. Quoi qu'il en soit, je vous souhaite une vie longue et heureuse. Je présume que vos enfants vous procureront une vieillesse agréable. Vous devez sans doute vivre avec beaucoup d'aisance ; ce ne serait pas la peine d'être dans l'Inde pour n'y être pas riche. Il est vrai que la Compagnie ne l'est point : elle ne s'est pas enrichie par le commerce, et les guerres l'ont ruinée ; mais un membre du conseil 12 ne doit pas se sentir de ces infortunes.
Je vous prie de m'instruire de tout ce qui vous regarde, de la vie que vous menez, de vos occupations, de vos plaisirs, et de vos espérances. Je m'intéresse véritablement à vous, et je vous prie de croire que c'est du fond de mon cœur que je serai toute ma vie, monsieur, votre, etc. »
1 Elle ne nous est pas parvenue, mais voir la lettre du 25 septembre 1758 à Pilavoine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/04/tout-amoureux-que-je-suis-de-ma-liberte-cette-maitresse-ne-m.html
2 Jaganath ou Puti, dans la province d'Orissa est un sanctuaire fameux (Jaggernaur) ; V* mentionne son « université » dans la Lettre civile et honnête : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65298757
3 Voir lettre du 26 mars 1760 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/03/24/voila-comme-nous-sommes-faits-nous-autres-provinciaux-nous-p-5589982.html
4 Thomas-Arthur, comte de Lally, né à Romans en 1702, décapité le 9 mai 1766; voir lettre du 15 février 1760 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/02/13/ces-occupations-sont-satisfaisantes-combien-elles-consolent-5558459.html
5 Maréchal de camp de Lally depuis le mois de novembre 1756; cité dans les Fragments historiques sur l'Inde, tome XXIX, page 139.
6 Lettre du 25 septembre 1758 à Pilavoine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/04/t... . Pilavoine résidait à Pondichéry .
7 Écrit en sanscrit védique, l'une des variétés de sanscrit . Sur l'intérêt grandissant de V* pour ces problèmes, voir notamment, dans les Romans et contes, la Notice relative aux Lettres d'Amabed
8 Criss ou crid, poignard dont se servent les Malais, sorte de coutelas ou épée ..
9 Le thème suivant lequel les richesses naturelles des Indes rendent leurs habitants pacifiques, à la différence des Européens, reviendra souvent chez V*, notamment dans La Princesse de Babylone et dans les Lettres d'Amabed ; on y verra que la conception spécifiquement « orientale » de ces deux contes doit beaucoup à la période 1760-1761 .
10 L'empereur mongol Aurengzeb était mort en 1707 à quatre-vingt-neuf ans ; V* lui en donné généreusement cent trois dans l'Essai sur les mœurs et plus de cent cinq sur sa lettre du 15 août 1760 au roi Stanislas . : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f528.image.r=4230
11 Le mot omrah désignant les hauts dignitaires indiens est d'origine ourdou ; V* le reprendra dans ses contes .
12 Le Conseil de la Compagnie des Indes, siégeant à Pondichéry ; sur ses origines et attributions, voir Robert Challe dans Journal de Voyage aux Indes (Mercure de France, 1979)
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21/04/2015
Je ne puis souffrir les ricanements des étrangers quand ils parlent de flottes et d'armées
... Certes, nous ne sommes pas le pays le mieux doté quantitativement dans ces domaines délicats, mais qualitativement nous tenons le choc . Loin de moi l'idée d'une France-foudre de guerre, mais comme Voltaire je la préfère vainqueur que vaincue .
Ah ! chat m'ira, chat m'ira, chat m'ira !....
« A François de CHENNEVIÈRES
Du 23 avril 1760 aux Délices
Il est bien vrai, mon cher ami, que je ne suis pas mort 1; mais je ne puis pas non plus assurer absolument que je suis en vie.
Je suis tout juste dans un honnête milieu, et la retraite contribue à soutenir ma machine chancelante. Il faut qu'un vieillard malade soit entièrement à lui : pour peu qu'il soit gêné, il est mort ; mais tant que je respirerai un peu, vous aurez un ami aussi inutile qu'attaché sur les bords fleuris du lac de Genève.
Tout ce que vous me dites de M. le duc de Bourgogne 2 fait grand plaisir à un cœur français. J'attends avec impatience la paix ou quelque victoire, et je vous avoue que j'aimerais encore mieux, pour notre nation, des lauriers que des olives. Je ne puis souffrir les ricanements des étrangers quand ils parlent de flottes et d'armées. J'ai fait vœu de n'aller habiter le château de Ferney que quand je pourrai y faire la dédicace par un feu de joie.
C'est, par parenthèse, un fort joli château. Colonnades, pilastres, péristyle, tout le fin de l'architecture s'y trouve 3; mais je fais encore plus de cas des blés et des prairies. Nous sommes de l'âge d'or dans notre petit coin du monde, où toutes les Délices vous embrassent. »
1 Voir lettre du 21 avril 1760 à Collini : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/18/on-m-a-dit-mort-cela-n-est-pas-entierement-vrai-5605707.html
2 Louis-Joseph-Xavier, alors dans sa neuvième année, frère ainé de celui qui sera Louis XVI. Il mourut le 22 mars 1761 .
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20/04/2015
La multitude épouvantable de livres qui s'accumulent de tous côtés ne permet peut-être pas qu'on entre dans beaucoup de détails
... Pas plus par écrits que par paroles . Qui pourrait encore se vanter d'être un Pic de La Mirandole sans le secours du Net ? personne bien sûr .
« A Ivan Ivanovitch SCHOUVALOV.
22 avril 1760 , par Genève
aux Délices.
Monsieur, la personne qui est allée à Francfort-sur-le-Mein, et qui s'est chargée de s'informer de l'aventure du paquet du mois de septembre ou octobre dernier, me mande qu'on attend de Hambourg, tous les jours, une édition de l'Histoire de Pierre le Grand, sous le nom des libraires de Genève. Cette nouvelle est assez vraisemblable vu le rapport ci-joint du directeur des postes de Strasbourg 1; les libraires de Genève ont tiré à grands frais huit mille exemplaires de leur édition, qui leur restent entre les mains. Je fais l'impossible depuis quatre mois pour les apaiser. Je suis toujours entièrement aux ordres de Votre Excellence. Le plus grand de mes plaisirs, dans ma vieillesse, est de travailler au monument que vous érigez au plus grand homme du siècle passé. La multitude épouvantable de livres qui s'accumulent de tous côtés ne permet peut-être pas qu'on entre dans beaucoup de détails. L'esprit philosophique qui règne de nos jours permet encore moins un fade panégyrique. Le milieu entre ces deux extrémités est difficile à garder ; mais je ne désespère de rien, monsieur, quand je serai aidé de vos conseils et de vos lumières. Ce sera par votre seul moyen que je pourrai parvenir à ne blesser ni la vérité, ni la délicatesse de votre cœur, ni le goût des gens de lettres, qui seuls décident, à la longue, de la bonté d'un ouvrage. Je souhaite surtout que votre Histoire de Pierre le Grand, dans laquelle je ne suis que votre copiste, puisse servir de réponse aux calomnies répandues contre votre nation et contre votre auguste souveraine, dans le recueil qui vient de paraitre. J'ai l'honneur d'être, avec le plus respectueux dévouement,
monsieur,
de Votre Excellence
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire."
1 François-Louis Dufresnoy avait écrit à V* à ce sujet le 14 avril 1760 : « Je suis désolé des inquiétudes que vous occasionne le paquet que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser pour M. le comte de Keizerling . J'ai tout lieu d'espérer qu'il n'est pas perdu . J'écris à Vienne à M. de Sainte-Foix, secrétaire de l'ambassade pour en avoir des nouvelles . Vous me dites, monsieur, que le paquet n'est pas parvenu à Vienne ; je suis cependant assuré qu'il est parti à l'adresse de M. le comte de Choiseul ; mais il m'est impossible de m'en rappeler l'époque […] . Je me rappelle que je l'ai accompagné d'une lettre à M. de Sainte-Foix . Je lui mandais de quoi il était question […] si l'on vous mande vrai lorsqu'on vous assure que l'ouvrage s'imprime en Allemagne, le paquet a été volé , il ne sera pas impossible en ce cas de se faire rendre raison de cet attentat . La dépêche était adressée à M. de Choiseul . Si monsieur l'ambassadeur ne l'a pas reçue, le soupçon ne peut tomber que sur le bureau de Nuremberg . J'attends, monsieur, avec autant d'impatience que vous même , la réponse de monsieur de Sainte-Foix. ».
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19/04/2015
Je vous prie de vouloir bien lui dire quand vous lui écrirez qu'il y a dans ce petit coin du monde un homme moitié français, moitié suisse
... Nom d'une pipe en bois ! à mon tour de faire des révélations ![sic]
Voici ci-dessus une note de François Hollande au ministre des Affaires étrangères [si je me/vous trompe, que le grand Nanabozo m'oublie dans ses prières ! ] avant son discours de louanges envers la présidente helvète Simonetta Sommaruga, qui ne manquera pas de souligner son amour de la France .
http://www.rts.ch/play/tv/focus/video/fran%C3%A7ois-hollande-le-nouvel-ami-de-la-suisse?id=6709949
« A Louis-Gaspard Fabry
22 avril 1760
M.Vuaillet, monsieur, m'alerte un peu sur votre santé à laquelle nous nous intéressons également . Vous avez un beau-frère qui est un très habile homme, et dont je souhaite beaucoup le retour . Je vous prie de vouloir bien lui dire quand vous lui écrirez qu'il y a dans ce petit coin du monde un homme moitié français, moitié suisse qui lui est très attaché .
J'ai l'honneur de vous envoyer un petit mémoire sur la grande province de La Perrière 1. Je vous supplie de vouloir bien appuyer la vérité de ces savantes recherches auprès de M. l'intendant de Bourgogne . Vous avez dû recevoir le paquet que j'ai eu l'honneur de vous envoyer ces jours passés . J'ai celui d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur .
Voltaire. »
1 Voir : « NOUVEAU MÉMOIRE SUR LE PETIT MORCEAU DE TERRE NOMMÉ LA PERRIÈRE,
DE LA JURIDICTION DU ROI, SITUÉ PRÈS DU LAC DE GENÈVE, AUX CONFINS DU PAYS DE GEX ET DU TERRITOIRE DE GENÈVE
L'inspection de la carte du pays de Gex, déjà envoyée **, a fait voir que la Perrière, et spécialement le pré où se commit le délit pour lequel le Suisse Panchaud a été condamné, sont situés au delà du grand chemin appartenant à Sa Majesté.
On sait déjà que la Perrière ne peut relever de la seigneurie de Prégny et de Chambésy, puisque les seigneurs de Tournay ont acheté Prégny et Chambésy des seigneurs de la Bâtie ; que Prégny et Chambésy sont un démembrement de la Bâtie, et que la juridiction de la Bâtie se terminait au grand chemin. C'est un fait connu et dont on n'a jamais douté.
La pièce ci-jointe achève de prouver sans réplique que la Perrière n'a jamais été de la juridiction ni de la Bâtie, ni de Tournay ; elle est tirée des archives de Genève. On voit que la juridiction de cet endroit appartenait à Genève, qui la tenait du chapitre de Saint-Victor.
La république de Genève a cédé cette juridiction au roi en 1749, par un traité solennel.
On ne voit pas par quelle raison les officiers du bailliage de Gex, qui doivent être instruits de ce traité, ont attribué la haute justice de la Perrière aux seigneurs de Tournay.
Il est démontré qu'elle appartient à Sa Majesté. »
**. A ce mémoire est annexée une carte manuscrite des environs de Genève, sur laquelle des points à l'encre rouge tracent la frontière de France et de Suisse.
On n'a pu retrouver dans les archives de Bourgogne où ces pièces sont déposées le premier mémoire produit par Voltaire pour établir que la Perrière appartenait au roi.
Voltaire avait constitué près du parlement de Dijon un procureur nommé Finot, qui était chargé de transmettre toutes ces pièces à l'intendant. » (H. Beuchot.)
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18/04/2015
On m'a dit mort ; cela n'est pas entièrement vrai
... Car tout comme en politique , il y a loin de la parole aux actes . Mais c'est promis, un de ces jours ce sera mon dernier, aber heile mit weile !
En attendant, je reste pantois quand notre gouvernement trouve d'un coup de baguette magique cent millions d'euros répartis sur trois ans pour lutter contre les activités racistes de toutes tonalités .
M. Valls vous brassez du vent, et si "les Français juifs n'ont plus à avoir peur d'être juifs" pas plus que les "Français musulmans ne devraient avoir honte d'être musulmans", je pense que vous êtes complètement à côté de la plaque et que vous ne connaissez ni les uns ni les autres qui ne sont ni des trouillards ni des sujets à la honte facile .
Quelle urgence !? au moment où des milliers de gens viennent de se faire mettre à la rue, que les "sans dents" tristement mis en lumière ne sont pas près de se gaver . J'en ai marre de ce fric si facile à trouver pour manier le bâton et si difficile à débloquer pour faire du bien immédiat et concret . Marre de voir naitre des commissions, des bureaux, des tribunaux sursaturés, des traine-patins opportunistes qui vont nous pondre le énième alinéa de la loi contre tout ce qu'on n'oserait jamais faire si cette loi ne l'interdisait pas . Combien de fonctionnaires en plus ? de coupeurs de cheveux en six-quatre-douze ? Ah, le bel avenir avec des oeillères et le licol !
Marre !
Muré !
Mort !
« A Cosimo Alessandro COLLINI,
à Manheim.
Au château de Tournay par Genève 21 avril [1760].
Sono stato sul punto di fare come il povero Pierron 1. On m'a dit mort ; cela n'est pas entièrement vrai. Je compte, mon cher Colini, que vous deviendrez nécessaire à Son Altesse électorale. Plus vous l'approcherez, plus elle vous goûtera. Je vous adresse ma lettre pour lui 2. Je suis encore bien mal; si mes forces reviennent, j'irai à Schwetzingen. Je ne veux pas mourir sans avoir encore vu le plus aimable et le meilleur des souverains. Il y a un Français, nommé M. de Caux 3, qui a écrit de
Manheim à ma nièce. Je porterai, si je peux, la réponse.
Je vous embrasse.
V. »
1 J'ai été sur le point de faire comme le pauvre Pierron . Le 13 avril, 1760 , Collini avait écrit : « Mon cher bienfaiteur, M. Pierron est mort hier d'une pleurésie […] Cette perte au moment où je comptais pouvoir rendre ma situation plus douce, me fait une peine infinie . » Le bruit de la mort de V* avait couru à Paris . D'Alembert lui en écrivait le 14 avril 1760 : « […] depuis quatre jours tout le monde ici veut que vous soyez mort ; on vous désignait même à quatre lieues d'ici [Versailles] l'ancien évêque de Limoges pour successeur [à l’Académie française] ; votre éloge aurait été fait par un prêtre, et cela eut été plaisant ; j'aime pourtant mieux ne pas entendre votre éloge sitôt , dût-il être fait par le frère Berthier ou par M. de Pompignan. »; voir page 351 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f365.texte.r=3485
Et le 16 ; Mme du Deffand : « Vous ne savez pas monsieur pourquoi j'ai l'honneur de vous écrire aujourd'hui, c'est pour vous dire que je suis transportée de joie de ce que vous êtes en vie . Jamais on n'a été plus affligée que je le fus samedi dernier à l'ouverture d'une lettre où l'on m'apprenait que vous étiez mort subitement [...] » ; voir page 355 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f369.texte.r=3485
2 Elle est perdue, mais la réponse de l’Électeur palatin donne quelques indications sur son contenu : V* a envoyé à l'électeur deux chants de La Pucelle ; il est heureux d'apprendre que sa santé et Tronchin permettront au « petit Suisse » de lui rendre visite dans un proche avenir .
3 N. de Caux de Cappeval, un des éditeurs du Journal des journaux, publié à Mannheim . Voir : http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/152-n-caux-de-cappeval
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17/04/2015
ceux qui m'ont paru les moins fatigués d'eux-mêmes sont ceux qui vivent dans la retraite
... "Le curé de Camaret * a acheté un âne,
Le curé de Camaret a acheté un âne,
Un âne républicain
Qui se tape tous les scrutins ..."
* Très très saint père Nicolas Sarkozy point fatigué de lui-même .
Quel exploit, quel cerveau génial, quelle créativité !
Ah ! vraiment très original comme dénomination "Les Républicains" !
Quelle couillonnade , oui !
Je suppose qu'on va mettre au pilon des tonnes de papier à en tête payé par les gogos affiliés et , effet qui me plait davantage, faire travailler des infographistes et imprimeurs , ce qui est un minuscule effort contre le chômage quand même .
Note : A ceux qui me feront remarquer que l'âne est le symbole des démocrates aux USA, l'éléphant étant républicain, je répondrai qu'un UMP qui se dit républicain n'est pas moins étrange .
« A César-Gabriel de Choiseul, comte de Choiseul
Au château de Tournay, par Genève
pays de Gex, 21 avril 1760
Je prends la liberté, monsieur, de recourir à vos bontés . Votre Excellence verra de quoi il s'agit dans ma lettre à votre secrétaire 1. Il peut aisément me dire si le paquet a été remis ou non à M. de Keizerling . Je vous demande pardon et à lui aussi de mon importunité . J'aurais souhaité que le chemin de Vienne eût pu tourner du côté de Genève comme le chemin d Turin ; vous m'auriez fait le même honneur que M. de Chauvelin . J'ai du moins la consolation de parler souvent de vous et même de me flatter que Votre Excellence ne m'a pas entièrement oublié . Je ne sais si les œuvres du philosophe de sans Souci sont parvenues à Vienne, et si on a été bien content des injures que le philosophe y dit de ses ennemis . Il fait une autre édition dans laquelle les injures sont supprimées . Quand les philosophes cessent d'être cyniques, il est probable qu'ils veulent vivre en paix .
M. d'ArgentaI beaucoup plus philosophe et qui ne dit d'injures à personne est toujours passionné pour le tripot , il veut toujours que moi qui ne suis plus que jardinier je sois encore tragédier 2. Mais je suis bien las de me tuer pour le public . Il vient un temps où il faut vivre pour soi, et où ce qu'on appelle affaires et plaisirs n'est plus qu'un songe . Je n'ai connu jusqu'à présent aucun homme heureux, et ceux qui m'ont paru les moins fatigués d'eux-mêmes sont ceux qui vivent dans la retraite .
Je n'entends parler de nos pertes sur mer et sur terre, de l'anéantissement de nos finances, etc. etc. etc. , que comme on entend de loin les vagues de la mer . Ma retraite cependant ne me rend point insensible, elle me laisse surtout le même dévouement, le même attachement et le respect avec lequel je serai toute ma vie , de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur .
La marmotte du Mont Jura
ou le Suisse V. »
1 Cette lettre ne nous est pas connue . mais vu le rapport de Dufresnoy, directeur des postes à Strasbourg, cité dans la lettre du 22 avril 1760 à Schouvalov, il s'agit de l'exemplaire de l'Histoire [...] de Pierre le Grand, dont V* craint la contrefaçon . Voir page 358 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f372.texte.r=3485
2 Invention plaisante de V* sur le modèle de jardinier d'une part et fablier de La Fontaine d'autre part .
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