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14/11/2012

Qui! moi, que je me donne avec mon héros le ridicule de parler de ce qui n'est pas de mon métier ? Non assurément, je n'en ferai rien

 ... Aussi ne dirai-je pas un mot sur l'oeuvre poétique de Voltaire, si ce n'est pour dire que si tout ne m'emballe pas, tout me plait .

 Et comme il me plairait de voir ces drôles de machines de l'Île à Nantes

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« A M. le maréchal duc de RICHELIEU.

Aux Délices, 2 juillet [1757].

Qui ! moi, que je me donne avec mon héros le ridicule de parler de ce qui n'est pas de mon métier ? Non assurément, je n'en ferai rien. Si vous avez envie d'avoir le modèle en question, envoyez vos ordres. Faites prier de votre part, ou Florian 1, ou Montigny 2, de l'Académie des sciences, de venir chez vous. Tous deux ont travaillé à cette machine. Elle est toute prête. C'est à mon héros à en juger, et ce n'est pas à moi chétif à l'ennuyer par des explications qui ne donnent jamais une idée nette. Il n'y a que les yeux qui puissent bien comprendre les machines.
Vous avez sans doute, monseigneur, tous les détails de la bataille donnée le 18 en Bohême 3, et de la sortie exécutée le 21 par le prince Charles 4. Il paraît qu'on peut battre les Prussiens sans le secours d'une nouvelle machine. Mais, malgré les vingt- deux postillons sonnant du cor à Vienne, et malgré les cent bouches de la Renommée, on ne voit pas encore que les Prussiens aient évacué la Bohême. Ils paraissent encore être en force au camp de Kollin et auprès de Prague.
Je voudrais, pour bien des raisons, que ce fût mon héros qui les battit complètement. Ah! quelle consolation charmante ce serait pour votre ancien courtisan, pour votre vieux idolâtre, de vous voir avant et après vos triomphes . Je ne sais pas trop ce que pourra mon corps malingre mais je réponds bien de mon âme. Où ne me conduirait-elle pas pour vous faire ma cour ? J'irais partout, hors à Paris. J'imagine que vous ferez plus d'un tour au delà du Rhin que vous verrez l'électeur palatin; que vous passerez quelquefois dans la maison de campagne 5 qu'il achève. Il m'honore de beaucoup de bontés. Ce ne sont pas les caresses du roi de Prusse, il ne me baise pas la main, et il ne met pas de soldats, la baïonnette au bout du fusil, au chevet du lit de ma nièce mais il daigne me témoigner quelque confiance. Je ne sais s'il ne serait pas mieux que j'allasse vous faire ma cour dans ce pays-là que dans Strasbourg, où vous n'aurez pas un moment à vous. J'aimerais mieux vous tenir un jour à la campagne, que quatre dans une ville bruyante. Mais où ne voudrais-je pas vous voir, vous entendre, vous renouveler mon tendre et profond respect  »

1  Voir lettre du 1er novembre 1756 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/08/29/j...

2  Voir lettre du 8 janvier 1756 à Mme de Fontaine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/05/04/t...

3  Celle de Kollin, perdue par Frédéric le 18 juin.

4  Sortie de Prague assiégée .

5  Celle de Schwetzingen, où Voltaire ira voir Charles-Théodore, en juillet 1758.

 

13/11/2012

Il y a de belles imaginations, madame, que le repos effarouche, et cela me fait trembler

... Ce bourreau de travail, Voltaire, tremble devant le repos .

Alors que je connais une majorité de mes concitoyens (j'espère me tromper dans mes estimations ) qui fuit devant le travail et n'aspire qu'à la retraite, ne plus rien faire . Il n'est pas même besoin de leur souhaiter une vieillesse tristounette, ils sont vieux dans leur tête dès à présent .

Il sera toujours temps, pour ça

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« A Charlotte-Sophie von ALTENBURG, comtesse BENTINCK

 

Aux Délices près de Genève 30 juin [1757] [part le 2 juillet par Strasbourg]

Il y avait une demi-heure madame que ma nièce et moi nous sautions de joie dans notre ermitage quand votre belle lettre nous a confirmé  la nouvelle du gain d'une partie du procès de votre adorable duchesse 1. Ce n'est pas assez de gagner un incident il faut que votre chicaneur soit condamné aux dépens et à l'amende . J'espère beaucoup dans ce célèbre avocat de la meilleure cause du monde que vous avez l'avantage de voir quelquefois . Il est éloquent, il est actif, il est plein de ressources comme j'avais eu l'honneur de vous le mander . Il nous rendra bon compte de la partie adverse, et la manière dont il conduit ce procès le comblera de gloire .

J'ai envoyé votre proposition de louer pour l'année qui vient et je n'ai point encore eu de réponse . Vous aurez tout le temps de changer d'avis d'ici à un an mais moi je ne changerai jamais . Je souhaiterai toujours de partager avec vous la douceur de ma retraite . Je croirai qu'après avoir vu les cours les plus brillantes, après avoir essuyé les amertumes d'une vie agitée, il faut bien jouir enfin du repos . Mais c'est un bonheur qui n'est pas fait pour tout le monde . Il y a de belles imaginations, madame, que le repos effarouche, et cela me fait trembler .

Enfin vous viendrez être tranquille et heureuse quand vous pourrez : plût à Dieu que vous pussiez faire un accommodement stable et solide ! quel qu'il fût vous y gagneriez . Il n'est pas possible qu'un mari qui est retenu par l'amour de la réputation, que des enfants qui commencent à être grands, laissent une femme, une mère dans la peine et le besoin . Il y a des devoirs qu'il faut absolument remplir . Je ne vois vos affaire qu'à travers un nuage mais je les vois avec intérêt et avec douleur . Je fais peut-être inutilement des vœux pour votre bonheur, le mien serait de vivre avec vous et de vous renouveler tous les jours mon tendre respect .

V. »

 

 

12/11/2012

En attendant, ils montrent leur cul au roi de Prusse mais il y a cul, et cul

 ... Exact ! Tout dépend de ce qu'on en fait ... No comment !

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« A M. Charles-Augustin FERRIOL, comte d'ARGENTAL.

Aux Délices, 25 juin [1757].

Mon cher ange, je serais bien homme à courir à Plombières pour y faire ma cour à la moitié de mon ange; mais pourquoi Mme d'Argental met-elle son salut dans des eaux? Le grand Tronchin prétend qu'elles ne valent rien, et que la nature n'a point fait nos corps pour s'inonder d'eaux minérales. Mme de Muy 1, qui était mourante, est venue dans notre temple d'Épidaure, et s'en est retournée jeune et fraîche. C'est le lac qui est la fontaine de Jouvence; ce n'est pas le précipice de Plombières.
Vous n'allez donc point aux eaux ! Vous jugez à Paris, vous y voyez des Iphigénie 2 et des Astarbé 3 mais, je vous en conjure, mettez au cabinet les Fanime, ou du moins ne donnez cette nourriture légère qu'en temps de disette.
Je doute fort que mon héros 4 passe par Plombières pour aller se battre en Allemagne cela n'aurait pas bon air pour un général d'armée. Il faut qu'un héros se porte bien, et ne prenne ni ne fasse semblant de prendre les eaux mais, s'il y va, il sera le second objet de mon voyage. Ce sera apparemment sur la fin d'août, à la seconde saison, que Mme d'Argental ira boire. Je me flatte que ma santé, toute faible qu'elle est, mes travaux qui ne sont que petits, et les soins de la campagne, me permettront cette excursion hors de ma douce retraite.
Je n'ai point encore reçu la Vie de monsieur Damiens dont vous m'aviez flatté, mais je viens d'en lire un exemplaire qu'on m'a prêté. L'ouvrage est bien ennuyeux mais il y a une douzaine de traits singuliers qui sont assez curieux au bout du compte, cet abominable homme n'était qu'un fou.
Vous n'êtes pas trop curieux, je crois, de nouvelles allemandes; et comme vous ne m'en dites jamais de françaises, je devrais vous épargner mes rogatons tudesques. Cependant je veux bien que vous sachiez que, dans la pauvre armée du comte de Daun, il y a treize mille hommes qui n'ont ni culottes ni fusils, et que l'impératrice leur en fait faire à Vienne. En attendant, ils montrent leur cul au roi de Prusse mais il y a cul, et cul. A l'égard de ceux qui sont dans Prague, mal nourris de chair de cheval, je ne sais pas ce qu'on en fera. Il n'y a pas d'apparence que le prince Charles imite la retraite des dix mille du maréchal de Belle-Isle. Le pain n'est pas à bon marché dans votre armée de Vestphalie. Vous me croyiez un auteur tragique 5, et je ne suis qu'un gazetier. Mon très-cher ange, je vous aime de tout mon cœur, et je me dépite bien souvent d'être si loin de vous. »

Iphigénie en Tauride, jouée avec un grand succès le 4 juin, est de Claude Guimond de La Touche, né en 1723, mort en 1760. Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Guimond_de_La_Touche

3 Tragédie de Colardeau, représentée le 27 février 1758, retardée à cause de l''attentat de Damiens . D'Argental devait avoir lu la pièce en manuscrit . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Pierre_Colardeau

4  Le maréchal duc de Richelieu .

5  La Correspondance littéraire de Grimm et Diderot, en mai 1757, parle d'une tragédie de Saladin, dont s'occupait, disait-on, Voltaire; mais il n'en existe aucune trace.

 

11/11/2012

La réputation a toujours été comptée parmi les forces véritables des royaumes

... Et des républiques, les vrais royaumes étant minoritaires .Cette affirmation est si vraie qu'elle a un écho particulier en notre temps .

Aujourd'hui on s'intéresse surtout aux finances, au PIB, à la dette des pays, avant de se soucier des qualités de leurs habitants . On supprime (ou non) les notes à l'école, mais toutes les banques ont les yeux rivés sur le stylo rouge  qui peut biffer un A . Ô vexation ! ô angoisse ! Mon dieu, je sens que je vais défaillir, n'en plus dormir, faire un caca nerveux, me fier à mon horoscope, lire le dernier roman à la mode, jouer au foot !

Il est à croire que tous les gouvernants sont encore des gosses craignant le maître ( pardon , professeur des écoles ) et les parents indignés par leur cancre . Assez de coups de bâton, ils ne soignent pas . Place aux décisions, pas à la trouille !

Individellement, craignons davantage les réputations désastreuses sur le Net

 

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« A M. Ivan Ivanovitch SCHOUVALOW 1
chambellan de l'impératrice Élisabeth de Russie, à Moscou.

Aux Délices, 24 juin.

Monsieur, j'ai reçu les cartes que Votre Excellence a eu la bonté de m'envoyer. Vous prévenez mes désirs, en me facilitant les moyens d'écrire une Histoire de Pierre le Grand 2, et de faire connaître l'empire russe. La lettre dont vous m'honorez redouble mon zèle. La manière dont vous parlez notre langue me fait croire que je travaillerai pour mes compatriotes, en travaillant pour vous et pour votre cour. Je ne doute pas que Sa Majesté l'impératrice n'agrée et n'encourage le dessein que vous avez formé pour la gloire de son père.
Je vois avec satisfaction, monsieur, que vous jugez comme moi que ce n'est pas assez d'écrire les actions et les entreprises en tout genre de Pierre le Grand, lesquelles, pour la plupart, sont connues l'esprit éclairé, qui règne aujourd'hui dans les principales nations de l'Europe demande qu'on approfondisse ce que les historiens effleuraient autrefois à peine.
On veut savoir de combien une nation s'est accrue quelle était sa population avant l'époque dont on parle, quel est, depuis cette époque, le nombre de troupes régulières qu'elle entretenait, et celui qu'elle entretient; quel a été son commerce, et comment il s'est étendu, quels arts sont nés dans le pays quels arts y ont été appelés d'ailleurs, et s'y sont perfectionnés; quel était à peu près le revenu ordinaire de l'État, et à quoi il monte aujourd'hui; quelle a été la naissance et le progrès de la marine quelle est la proportion du nombre des nobles avec celui des ecclésiastiques et des moines, et quelle est celle de ceux-ci avec les cultivateurs, etc.
On a des notions assez exactes de toutes ces parties qui composent l'État, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Espagne; mais un tel tableau de la Russie serait bien plus intéressant, parce qu'il serait plus nouveau, parce qu'il ferait connaître une monarchie dont les autres nations n'ont pas des idées bien justes, parce que enfin ces détails pourraient servir à rendre Pierre le Grand, l'impératrice sa fille, et votre nation, et votre gouvernement, plus respectables. La réputation a toujours été comptée parmi les forces véritables des royaumes. Je suis bien loin de me flatter d'ajouter à cette réputation ce sera vous, monsieur, qui ferez tout en m'envoyant les mémoires que vous voulez bien me faire espérer, et je ne serai que l'instrument dont vous vous servirez pour travailler à la gloire d'un grand homme et d'un grand empire.
Je vous avoue, monsieur, que les médailles sont de trop 3. Je suis confus de votre générosité, et je ne sais comment m'y prendre pour vous en témoigner ma reconnaissance. Je sens tout le prix de votre présent; mais un présent non moins cher sera celui des mémoires qui me mettront nécessairement en état de travailler à un ouvrage qui sera le vôtre. 

J'ai l'honneur d'être avec des sentiments véritables de respect et de reconnaissance

de Votre Excellence

Monsieur

le très humble et très obéissant serviteur,

Voltaire

gentilhomme ordinaire de la chambre du roi »

1 Il y a deux Schowalow, ou plutôt Schouvalow, également correspondants de Voltaire, qu'ils sont allés tous deux voir à Ferney l'oncle Jean Schouvalow, et le comte André Schouvalow, le neveu, auteur de l’Épître à Ninon. Il s'agit, dans toute la partie de la correspondance qui va suivre, de Ivan (Jean) Schouvalow, qui fut le favori d'Élisabeth, et non de Catherine II. Voir l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, du 30 septembre 1864, page 240 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k61439k/f253.image.langFR

Voir aussi : http://www.cosmovisions.com/Schouvalov.htm

2 Qui deviendra , compte tenu de la délicatesse du sujet ( la vie de Pierre Ier n'étant pas totalement exemplaire ! ) l'Histoire de la Russie sous Pierre le Grand : http://books.google.fr/books?id=4i8HAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false

 

Je ne sais cependant, madame, qui je dois féliciter davantage, ou ceux qui sont écrasés par des bombes avec leur femme et leurs enfants, ou ceux que la nature condamne à souffrir toute leur vie

... Humour noir!

Pour accompagner la célèbration de l'armistice du 11 novembre 1918, fin de la première grande boucherie du XXè siècle, et que Voltaire pressentait ( pas la date mais ce type d'horreur ) : "avec le temps on pourra parvenir à égaler toutes les misères et toutes les horreurs des temps les plus héroïques" . La Guerre de Sept Ans lui donnera raison . On l'a faite", refaite, et ça continue .

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« A Louise-Dorothée von MEININGEN, duchesse de SAXE-GOTHA

Aux Délices, près de Genève, 24 juin [1757], par Lyon et Strasbourg,
chemin un peu long.

Madame, ce sont les lettres dont Votre Altesse sérénissime m'honore, qui sont charmantes. Vous ressemblez aux déesses d'Homère qui, selon Mme Dacier 1, adoucissent le ton sévère des combats. Il me semble que votre esprit est, comme vos États, tranquille au milieu des agitations publiques.
Le meilleur des mondes possibles est bien vilain depuis deux ans mais il y a longtemps qu'il est sur ce pied-là. Cette nouvelle secousse n'approche pas encore de celles des siècles passés mais avec le temps on pourra parvenir à égaler toutes les misères et toutes les horreurs des temps les plus héroïques. Il y aurait bien du malheur si des armées prussiennes, autrichiennes, russiennes, hanovriennes, françaises, etc., ne ruinaient pas au moins une cinquantaine de villes, ne réduisaient à la mendicité quelque cinquante mille familles, et ne faisaient périr quatre ou cinq cent mille hommes. Voilà déjà le quart de Prague en cendres. On ne peut pas dire encore Tout est bien ; mais cela ne va pas mal, et avec le temps l'optimisme sera démontré. Je ne sais cependant, madame, qui je dois féliciter davantage, ou ceux qui sont écrasés par des bombes avec leur femme et leurs enfants, ou ceux que la nature condamne à souffrir toute leur vie, et qui sont entre les mains des médecins pour achever leur belle destinée. J'ai l'honneur d'être du nombre des derniers, et sans cela j'aurais la consolation d'écrire plus souvent à Votre Altesse sérénissime.
J'ai quelque envie de vivre, madame, pour voir le dénoûment de toute cette grande tragédie, qui n'en est encore qu'au second acte. Mais je voudrais vivre surtout pour me mettre à vos pieds car, quand même ce monde ne serait pas le meilleur des mondes, votre cour est assurément pour moi la meilleure des cours possibles. Je ne sais, madame, aucune nouvelle dans ma retraite, tant mieux quand il n'y en a point, car la plupart des nouvelles publiques sont des malheurs. Je suis toujours dans cette maison de campagne qui m'est chère par le nom du prince qui l'a occupée 2. J'y fais des vœux pour la prospérité de Votre Altesse sérénissime, et pour toute votre auguste maison. Je pense
souvent à la grande maîtresse des cœurs, et, faute de papier, je finis avec un profond respect. 

V.»

1Née Anne Le Febvre . Traductrice de l'Odyssée d'Homère .Voir : Éloge de Mme Dacier : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8603853c.r=madame+dacier.langFR

et : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1081559/f3.image.r=madame%20dacier.langFR

2 Un des fils de la duchesse a séjourné aux futures Délices avant que V* en fasse l'acquisition .

 

10/11/2012

Ces gros petits crapoussins-là s'imaginent qu'il n'y a qu'à boire et manger; ils crèvent comme des mouches, et nous maigrelets, nous vivons.

 ... Et moi, moins maigrelet que certains l'assurent, je suis allé trainer une dernière fois mes guètres dans le parc du château de Voltaire, sous la pluie, avant sa fermeture au grand public . Trempé . Un petit copain et une grande amie étaient dans mes pensées . Nostalgie . 

Le château rouvrira fin mars-début avril 2013, et d'ici là les travaux de réfection et modification de l'orangerie et de la chapelle devraient être bien avancés . Il y a six ans bien comptés que celà aurait dû être fait, mais je ne vous apprendrai plus rien sur les lenteurs administratives que tous nous connaissons au quotidien, sauf peut-être une exception : le fisc, autre race de crapoussins . 

Cette photo n'est pas en noir et blanc ...

 Croisée du destin ?

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« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine

à Paris
[juin 1757]

Votre idée, ma chère nièce, de faire peindre de belles nudités d'après Natoire 1 et Boucher 2 pour ragaillardir ma vieillesse, est d'une âme compatissante, et je suis reconnaissant de cette belle invention. On peut aisément, en effet, faire copier à peu de frais on peut aussi faire copier, au Palais-Royal, ce qu'on trouvera de plus beau et de plus immodeste 3. M. le duc d'Orléans accorde cette liberté. On peut prendre deux copistes au lieu d'un. Si par hasard quelque brocanteur de vos amis avait deux tableaux, je vous prierais de les prendre, ce serait autant d'assuré. Quand ces tableaux feraient cinq pieds, il ne m'importe . Deux d'une dimension et deux d'une autre feront encore mon affaire . Des tableaux de 3 pieds à 3 pieds et 1/2 sur 4 à 4 pieds 1/2 de haut sont ce qu'il me faut . Je ne vous gêne en rien . Vous avez le temps et je vous serai très obligé . Je m'en rapporte absolument à vos bontés .
Vous ornerez ma maison du Chêne 4 comme vous avez orné celle des Délices. La maison du Chêne est plus grande, plus régulière elle a même un plus bel aspect; mais c'est le palais d'hiver, c'est pour le temps de nos spectacles, les Délices sont pour le temps des fleurs et des fruits. Ce n'est pas mal partager sa vie pour un malingre.
M. Tronchin dit que vous êtes fort contente de votre santé, et se vante toujours de la mienne; mais c'est une gasconnade.
Votre sœur est actuellement tout occupée des meubles pour la maison du Chêne. Elle insiste beaucoup sur une boule de lustre qu'elle prétend vous avoir demandée. Elle sera occupée en hiver de ses habits de théâtre. Nous espérons que vous viendrez voir encore nos douces retraites elles valent bien la vie de Paris, quand on a passé le temps des premières illusions; et, en vérité,Paris n'a jamais été moins regrettable qu'aujourd'hui.
Je suis toujours en peine des succès du char assyrien 5. Il y a certaines plaines dans le monde où il ferait un effet merveilleux. Je m'y intéresse plus qu'à Fanime 6.
Si vous voulez vous amuser, conduisez cette Fanime avec le fidèle d'Argental. Encore une fois, tout ce que je souhaite, c'est que Mlle Clairon soit aussi touchante dans ce rôle que l'a été Mme Denis. Si la pièce est bien jouée, elle pourra amuser votre Paris, tout autant que l'histoire de monsieur Damiens, que le parlement va donner au public en trois4 volumes in-4° 7.
Vous ferez comme il vous plaira avec Lekain et Clairon pour l'impression, si on imprime cette élégie amoureuse en dialogues: car, après tout, Fanime n'est que cela; mais de l'amour est quelque chose.
Il y a donc un Pagnon 8 de moins sur le globe. Ces gros petits crapoussins9 -là s'imaginent qu'il n'y a qu'à boire et manger; ils crèvent comme des mouches, et nous maigrelets, nous vivons.
Vivez, aimez-moi. Mille compliments à frère, à fils, au conducteur du char d'Assyrie.
Bonjour. »

1 Né à Nîmes en 1700, mort en 1777 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Joseph_Natoire

2 Né en 1703 à Paris, mort en 1770 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Boucher

3 Les nus féminins que V* aime à voir . On notera qu'il se soucie presque plus de la taille des tableaux, adaptée en fonction des pièces qui les recevront, que du sujet . Il tient également à avoir de « beaux cadres bien dorés ».On peut en voir encore quelques-uns dans son château de Ferney .

4 Rue du Grand Chêne à Lausanne, sa récente acquisition en abandonnant Monrion .

6 Suite à de multiples remaniements Zulime fut nommée Fanime ,et Médime . Voir :http://www.monsieurdevoltaire.com/article-zulime---avertissement-81729398.html

7 Les Pièces originales et procédures du procès fait à François Damiens, publiées en 1757, par Le Breton, greffier criminel du parlement de Paris, sont en un vol. in-4°, et en quatre vol. in-12. Voir : http://books.google.fr/books?id=optBAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

8 Son vrai nom était sans doute Paignon. Ce membre de la famille, dont il est question était secrétaire du roi depuis 1722. Il est nommé dans l'Almanach royal de 1757 , mais n'y est plus en 1758 .

9 Personne dont l'allure rappelle celle du crapaud ; terme familier datant de 1752 .

 

 

09/11/2012

les grandes passions, qui font faire de grands efforts, me donneront du courage

... Et me soutiendront dans la rédaction de ce blogounet !

 Ce jour, nous avons un appel du 18 juin un peu particulier, puisque c'est celui de Voltaire, qui bien qu'un peu rétro (on ne l'a pas attendu pour utiliser des chars sur les champs de bataille depuis l'antiquité ) a un point commun avec le général de Gaulle : les chars ! N'oublions pas que notre général préféré était dans les blindés lorsque faute de carburant nous avons pris la pâtée en 39-40 .

Voltaire, nouveau Léonard de Vinci ? heureusement, non ! Génial, seulement !

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 Une de mes B. D. préférées: http://leonard.bd.free.fr/albums_collections.php

 

« A M. le maréchal duc de RICHELIEU.

Aux Délices, 18 juin [1757].

Il est bien vrai que mon cher d'Argental, le grand amateur du tripot, devait montrer à mon héros certain histrionage; mais vraiment, monseigneur, vous avez d'autres troupes à gouverner que celle de Paris, et ce n'est pas le temps de vous parler de niaiseries.
Je voudrais bien pouvoir faire incessamment un petit voyage vers l'Alsace ou dans le Palatinat. Je n'aime plus à voyager que pour avoir la consolation de voir mon héros; mais vous ne sauriez croire combien je suis devenu vieux. Toutes mes misères ont augmenté, et un apothicaire est beaucoup plus nécessaire à mon être qu'un général d'armée. J'espère cependant que les grandes passions, qui font faire de grands efforts, me donneront du courage.
Donnez-vous le plaisir, je vous en prie, de vous faire rendre compte par Florian 1 de la machine dont je lui ai confié le dessin. Il l'a exécutée il est convaincu qu'avec six cents hommes et six cents chevaux on détruirait en plaine une armée de dix mille hommes.
Je lui dis mon secret au voyage qu'il fit aux Délices l'année passée. Il en parla à M. d'Argenson, qui fit sur-le-champ exécuter le modèle. Si cette invention est utile, comme je le crois, à qui peut-on la confier qu'à vous ? Un homme à routine, un homme à vieux préjugés, accoutumé à la tiraillerie et au train ordinaire, n'est pas notre fait. Il nous faut un homme d'imagination et de génie, et le voilà tout trouvé. Je sais très-bien que ce n'est pas à moi de me mêler de la manière la plus commode de tuer des hommes. Je me confesse ridicule mais enfin, si un moine 2, avec du charbon, du soufre, et du salpêtre, a changé l'art de la guerre dans tout ce vilain globe, pourquoi un barbouilleur de papier
comme moi ne pourrait-il pas rendre quelque petit service incognito? Je m'imagine que Florian vous a déjà communiqué cette nouvelle cuisine. J'en ai parlé à un excellent officier qui se meurt, et qui ne sera pas par conséquent à portée d'en faire usage. Il ne doute pas du succès il dit qu'il n'y a que cinquante canons, tirés bien juste, qui puissent empêcher l'effet de ma petite drôlerie, et qu'on n'a pas toujours cinquante canons à la fois sous sa main dans une bataille.
Enfin j'ai dans la tête que cent mille Romains et cent mille Prussiens ne résisteraient pas. Le malheur est que ma machine n'est bonne que pour une campagne, et que le secret connu devient inutile; mais quel plaisir de renverser à coup sûr ce qu'on rencontre dans une campagne ! Sérieusement, je crois que c'est la seule ressource contre les Vandales victorieux. Essayez, pour voir, seulement deux de ces machines contre un bataillon ou un escadron. J'engage ma vie qu'ils ne tiendront pas. Le papier me manque; ne vous moquez point de moi ne voyez que mon tendre respect et mon zèle pour votre gloire, et non mon outrecuidance, et que mon héros pardonne à ma folie. »