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04/02/2013

la surdité devient un mal épidémique en France. Si j'osais, j'ajouterais qu'on y joint l'aveuglement

... Cette affirmation prussienne de 1757, sous la plume d'une margravine, peut en toute logique trotter dans la tête d'une chancelière d'Allemagne en 2013 sans accusation de médisance . Il n'est qu'à suivre un peu l'actualité riche en mouvements d'humeur et déclamations brouillonnes de tous bords .

Ne manquez pas "Les surdoués de la police" : Saison 10 épisode 3

d'après un script de journaliste malcomprenant

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« De Sophie-Frédérique-Wilhelmine de Prusse, margravine de Baireuth

Le 23 novembre [1757].

Mon corps a succombé sous les agitations de mon esprit, ce qui m'a empêchée de vous répondre. Je vous entretiendrai aujourd'hui de nouvelles bien plus intéressantes que celles de mon individu. Je vous avais mandé que l'armée des alliés bloquait Leipsick, je continue ma narration 1. Le 26, le roi se jeta dans la ville avec un corps de dix mille hommes; le maréchal Keith 2 y était déjà entré avec un pareil nombre de troupes. Il y eut une vive escarmouche entre les Autrichiens, ceux de l'empire, et les Prussiens; les derniers remportèrent tout l'avantage, et prirent cinq cents Autrichiens. L'armée alliée se retira à Mersbourg; elle brûla le pont de cette ville et celui de Weissenfeld; celui de Halle avait déjà été détruit. On prétend que cette subite retraite fut causée par les vives représentations de la reine de Pologne, qui prévit avec raison la ruine totale de Leipsick, si on continuait à l'assiéger. Le projet des Français était de se rendre maîtres de la Sale. Le roi marcha sur Mersbourg, où il tomba sur l'arrière-garde française, s'empara de la ville, où il fit cinq cents prisonniers français. Les Autrichiens pris à l'escarmouche devant Leipsick avaient été enfermés dans un vieux château sur les murs de la ville. Ils furent obligés de céder leur gîte aux cinq cents Français, parce qu'il était plus commode, et on les mit dans la maison de correction. C'est pour vous marquer les attentions qu'on a pour votre nation, que je vous fais part de ces bagatelles. Le maréchal Keith marcha à Halle, où il rétablit le pont. Le roi, n'ayant point de pontons, se servit de tréteaux sur lesquels on assura des planches, et releva de cette façon les deux ponts de Mersbourg et de Weissenfeld. Le corps qu'il commandait se réunit à celui du maréchal Keith, à Bornerode. Ce dernier avait tiré à lui huit mille
hommes commandés par le prince Ferdinand de Brunswick 3. On alla reconnaître, le 4, l'ennemi campé sur la hauteur de Saint-Michel, le poste n'étant pas attaquable, le roi fit dresser le camp à Rosbach, dans une plaine. Il avait une colline à dos, dont la pente était fort douce. Le 5, tandis que le roi dînait tranquillement avec ses généraux, deux patrouilles vinrent l'avertir que les ennemis faisaient un mouvement sur leur gauche. Le roi se leva de table; on rappela la cavalerie, qui était au fourrage, et on resta tranquille, croyant que l'ennemi marchait à Freibourg, petite ville qu'il avait à dos; mais on s'aperçut qu'il tirait sur le flanc gauche des Prussiens. Sur quoi le roi fit lever le camp, et défila par la gauche sur cette colline, ce qui se fit au galop, tant pour l'infanterie que pour la cavalerie. Cette manœuvre, selon toute apparence, a été faite pour donner le change aux Français. Aussitôt, comme par un coup de sifflet, cette armée en confusion fut rangée en ordre de bataille sur une ligne. Alors l'artillerie fit un feu si terrible que des Français auxquels j'ai parlé disent que chaque coup tuait ou blessait huit ou neuf personnes. La mousqueterie ne fit pas moins d'effet. Les
Français avançaient toujours en colonne, pour attaquer avec la baïonnette. Ils n'étaient plus qu'à cent pas des Prussiens, lorsque la cavalerie prussienne, prenant un détour, vint tomber en flanc sur la leur avec une furie incroyable. Les Français furent culbutés et mis en fuite. L'infanterie, attaquée en flanc, foudroyée par les canons, et chargée par six bataillons et le régiment des gendarmes, fut taillée en pièces et entièrement dispersée. Le prince Henri, qui commandait à la droite du roi, a eu la plus grande part à cette victoire, où il a reçu une légère blessure. La perte des Français est très-grande. Outre cinq mille prisonniers, et plus de trois cents officiers pris dans cette bataille, ils ont perdu presque toute l'artillerie. Au reste, je vous mande ce que j'ai appris de la bouche des fuyards, et de quelques rapports d'officiers prussiens. Le roi n'a eu que le temps de me notifier sa victoire, et n'a pu m'envoyer la relation. Le roi distingue et soigne les officiers français comme il pourrait faire les siens propres. Il a fait panser les blessés en sa présence, et a donné les ordres les plus précis pour qu'on ne leur laisse manquer de rien. Après avoir poursuivi l'ennemi jusqu'à Spielberg, il est retourné à Leipsick, d'où il est reparti, le 10, pour marcher à Torgau. Le général Marschall, des Autrichiens, faisant mine d'entrer dans le Brandebourg avec treize ou quatorze mille hommes, à l'approche des Prussiens ce corps a rétrogradé à Bautzen en Lusace. Le roi le poursuit pour l'attaquer, s'il le peut. Son dessein est d'entrer ensuite en Silésie. Malheureusement nous avons appris aujourd'hui la reddition de Schweidnitz, qui s'est rendu le 13, après avoir soutenu l'assaut; ce qui me rejette dans les plus violentes inquiétudes. Pour répondre aux articles de vos deux lettres, je vous dirai que la surdité devient un mal épidémique en France. Si j'osais, j'ajouterais qu'on y joint l'aveuglement. Je pourrais vous dire bien des choses de bouche, que je ne puis confier à la plume, par où vous seriez convaincu des bonnes intentions qu'on a eues. On les a encore. J'écrirai au
premier jour au cardinal 4. Assurez-le, je vous prie, de toute mon estime, et dites-lui que je persiste toujours dans mon système de Lyon, mais que je souhaiterais beaucoup que bien des gens eussent sa façon de penser; qu'en ce cas nous serions bientôt d'accord. Je suis bien folle de me mêler de politique. Mon esprit n'est plus bon qu'à être mis à l'hôpital. Vous me faites faire des efforts tant d'esprit que de corps pour écrire une si longue lettre. Je ne puis vous procurer que le plaisir des relations. Il faut bien que j'en profite, ne pouvant vous en procurer de plus grands, et tels que ma
reconnaissance les désire. Bien des compliments à Mme Denis, et comptez que vous n'avez pas de meilleure amie que

WILHELMINE. »

2 Jacques Keith, frère puiné de milord Maréchal.

3 Né le 11 janvier 1721; mort à Brunswick, en 1792, le 3 juillet. http://en.wikipedia.org/wiki/Duke_Ferdinand_of_Brunswick-Wolfenb%C3%BCttel

4 De Tencin.

 

Je ne sais si une âme exaltée prédit l'avenir

... Mais elle serait d'une grande utilité pour les prévisions météo et savoir où les bleus vont installer leurs postes de guet-apens . Le doute est encore permis , qu'on soit exalté ou non .

 Prédire l'avenir

 prédit l avenir 1584.JPG

 

« A FRÉDÉRIC II, roi de Prusse
Aux Délices [ 22 novembre 1757.]1

 
Vous devez, dites-vous, vivre et mourir en roi;
Je vois qu'en roi vous savez vivre
Quand partout on croit vous poursuivre,
Partout vous répandez l'effroi.
A revenir vers vous vous forcez la victoire;
Général et soldat, génie universel,
Si vous viviez autant que votre gloire,
Vous seriez immortel.

 
Sire, je dois remplir à la fois les devoirs d'un citoyen et ceux d'un cœur toujours attaché à Votre Majesté, être fâché du malheur des Français, et applaudir à vos admirables actions, plaindre les vaincus et vous féliciter.
Je supplie Votre Majesté de daigner me faire parvenir une relation. Vous savez que depuis plus de vingt ans votre gloire en tout genre a été ma passion. Vos grandes actions m'ont justifié. Souffrez que je sois instruit des détails. Accordez cette grâce à un homme aussi sensible à vos succès qu'il l'a été à vos malheurs, qui n'a jamais cessé un moment de vous être attaché, malgré tous les géants dont on disséquerait la cervelle, et malgré la poix résine dont on couvrirait les malades 2.
Je ne sais si une âme exaltée prédit l'avenir. Mais je prédis que vous serez heureux, puisque vous méritez si bien de l'être. »

1 On trouve aussi cette lettre à qui on attribue la date du 19 dans les Œuvres de Frédéric II ; il semble plutôt que c'est une lettre du 22, dont fait mention Frédéric dans sa lettre du 16 janvier 1758 .

2 Ces deux allusions se rapportent aux travaux de Maupertuis dont s'est déjà moqué V*.

 

03/02/2013

Je suis tous les jours tenté de m'habiller

... Et , dois-je l'avouer, je cède à la tentation, comme des millions de mes concitoyens . Ma sympathie pour la nudité ne résiste pas à la lâcheté devant les rigueurs hivernales et les foudres de la justice . Mon rêve, comme celui de bien des gens, une île sous les tropiques, sans moustiques (sales bêtes ! suceurs de sang à l'égal des percepteurs ), et liberté , attendra le jackpot du loto .

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« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay

[vers le 20 novembre 1757]

Madame, je suis malade et garde-malade . Ces deux belles fonctions n'empêchent pas que je sois rongé de remords de ne vous point faire ma cour . Je suis tous les jours tenté de m'habiller (ce que je n'ai fait qu'une fois pour vous depuis trois mois) et d'entreprendre le voyage de Genève .

Je ferai ce voyage pour vous , madame, dès que ma nièce sera mieux . Je vous demande des nouvelles de votre santé et je vous présente mes profonds respects .

Le Suisse V. »

 

 

 

on ne sait malheureusement ce qu'est devenu le cuisinier de M. de Soubise

... Permettez-moi de verser quelques pleurs !

Soubise lors de la bataille de Rossbach s'y est pris comme un manche (de cuillère à pot ) et fit pleurer la France . Je ne verrai plus cette sauce à l'oignon du même oeil désormais .

 

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« A François Tronchin

[vers le 21 novembre 1757]

La nièce va mieux, elle et l'oncle remercient tendrement monsieur et madame Tronchin . Je ne sais encore que la nouvelle que vous savez 1: un lieutenant général tué, quatre blessés et prisonniers, le duc de Brissac blessé dangereusement, toute l'artillerie perdue, toute l'armée dispersée et poursuivie ; on ne sait malheureusement ce qu'est devenu le cuisinier de M. de Soubise 2. »

1 Défaite française contre les Prussiens à Rossbach le 5 novembre 1757 .Ils étaient dirigés par Charles de Rohan, prince de Soubise .

2 Qui est sans doute l'inventeur de la sauce éponyme : Soubise : Cette fameuse sauce à l’oignon nous vient d’un homme d ‘état gastronome  (ou de son chef cuisinier) qui en fit sa gloire en accompagnant des canetons ; il s’ agi de Charles de Rohan, prince de Soubise, maréchal de France, dit le maréchal de Soubise, né en  1715 et  mort en 1787, homme de guerre et un ministre français du XVIIIe siècle .

 

Il ne fait pas bon à présent pour les Français dans les pays étrangers. On nous rit au nez, comme si nous avions été les aides de camp de M. de Soubise

... Et je crains bien que cette affirmation de 1757 ne soit réactualisée en disant que tout comme au Mali, nous sommes de puissants enfonceurs de portes ouvertes .

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« A M. Nicols-Claude THIERIOT.
Chez Mme la comtesse de Montmorency

rue Vivienne à Paris
Aux Délices, 20 novembre [1757].
Je vois par vos lettres, mon ancien ami, que la rivière d'Ain 1 en a englouti une vers le temps de la mort de Mme de Sandwich 2: car je n'ai jamais reçu celle par laquelle vous me parliez de la mort et du testament de cette philosophe anglaise, de votre pension remise, etc. Je vous répète qu'il se noya dans ce temps-là un courrier, et que jamais on n'a retrouvé sa malle.
Je crois qu'on serait moins affligé à Paris et à Versailles si les courriers qui ont apporté la nouvelle de la dernière bataille s'étaient noyés en chemin. Je n'ai point encore de détails, mais on dit le désastre fort grand, et la terreur plus grande encore. Le roi de Prusse se croyait perdu, anéanti sans ressource, quinze jours auparavant, et le voilà triomphant aujourd'hui , c'est un de ces événements qui doivent confondre toute la politique. La postérité s'étonnera toujours qu'un électeur de Brandebourg, après une grande bataille perdue contre les Autrichiens, après la ruine totale de ses alliés, poursuivi en Prusse par cent mille Russes vainqueurs, resserré par deux armées françaises qui pouvaient tomber sur lui à la fois, ait pu résister à tout, conserver ses conquêtes, et gagner une des plus mémorables batailles qu'on ait données dans ce siècle. Je vous réponds qu'il va substituer les épigrammes aux épîtres chagrines. Il ne fait pas bon à présent pour les Français dans les pays étrangers. On nous rit au nez, comme si nous avions été les aides de camp de M. de Soubise. Que faire? Ce n'est pas ma faute. Je suis un pauvre philosophe qui n'y prends ni n'y mets et cela ne m'empêchera pas de passer mon hiver à Lausanne, dans une maison charmante, où il faudra bien que ceux qui se moquent de nous viennent dîner,
Tros Rutulus ve fuat, nullo discrimine habebo. 3
Ce qui me console, c'est que nous avons pris dans la Méditerranée un vaisseau anglais chargé de tapis de Turquie, et que j'en aurai à fort bon compte. Cela tient les pieds chauds, et il est doux de voir de sa chambre vingt lieues de pays, et de n'avoir pas froid. S'il y a quelque chose de nouveau à Paris, mandez-le-moi, je vous en prie; mais vous n'écrivez que par boutades. Ayez vite la boutade d'écrire à votre ancien ami, qui vous aime. »

 1 Sur le manuscrit V* écrit Dain tout comme dans la lettre du 27 janvier 1757 à Jean-Robert Tronchin .

2  Certaine source la déclare morte le 27 juillet 1757 , y a-t-il erreur ou alors a-ton fait courir prématurément l'annonce de ce décès ? Voir lettre du 23 janvier 1755 à Thieriot , où V* se soucie de la santé de la comtesse : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/01/25/une-sandwich-pour-thiriot-avec-ou-sans-beurre.html

Et voir lettre du 26 octobre 1757 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/16/je-n-en-suis-pas-moins-persuade-que-le-commerce-est-l-ame-d.html

3 Virgile, Enéïde, X, 108 : Qu'il soit Troyen ou Rutule, je n'y ferai aucune différence.

 

02/02/2013

vous savez qu'une femme qui souffre sur sa chaise longue, au pied des Alpes, a peu de choses à mander

... Et que c'est à peu près la seule chose qui puisse la faire taire . Hélas !

 

 

 

« A M. Henri LAMBERT d'HERBIGNY, marquis de THIBOUVILLE.

Aux Délices, 20 novembre [1757].

Mme Denis est malade, mon cher ami je lui lis, d'une voix un peu cassée, vos histoires amoureuses d'Égypte et de Syrie 1. Vous faites nos plaisirs dans notre retraite. Mme Denis est, à la vérité, un peu paresseuse mais vous savez qu'une femme qui souffre sur sa chaise longue, au pied des Alpes, a peu de choses à mander, c'est à vous, qui êtes au milieu du fracas de Paris, au centre des nouvelles et des tracasseries, à consoler les malades solitaires par vos lettres. Nous avons renoncé au monde mais nous l'aimerions si vous nous en parliez. Nous pensons qu'un homme qui écrit si bien les aventures syriaques et égyptiennes pourrait nous égayer beaucoup avec les parisiennes mais vous ne nous en dites jamais un mot. Cela refroidit le zèle de Mme Denis; elle dit qu'elle s'intéresse presque autant à ce qui se passe entre Mersbourg 2 et Weissenfeld 3 qu'à ce qui s'est fait à Memphis. Nous sommes consternés de la dernière aventure 4. Ma nièce croyait que cinquante mille Français pourraient la venger des quatre baïonnettes de Francfort . Elle s'est trompée.
Elle vous fait mille tendres compliments et je vous renouvelle, du fond de mon cœur, les sentiments qui m'attachent à vous depuis si longtemps.
Nous avons une comédie nouvelle, que nous jouerons à Lausanne. Y voulez-vous un rôle ? »

1 Le danger des passions ou Anecdotes syriennes et égyptiennes, d'Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville . Voir : http://thesaurus.cerl.org/record/cnp00878828

3 La bataille de Rossbach ne fut pas nommée ainsi tout de suite ; Rossbach est siué à l'est de la rivière Saale entre Merseboug et Weissenfels .

4 La défaite des troupes françaises face aux Prussiens à Rossbach : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Rossbach

 

 

31/01/2013

Pardon d'écrire si peu . Je répare cela en aimant beaucoup .

... En vous aimant beaucoup Mam'zelle Wagnière, je vous l'assure .

 

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« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg

19 novembre [1757] aux Délices

Je n'ai que le temps et à peine la force madame de vous dire en deux mots combien je suis affligé du dernier malheur 1 . On doit le sentir plus vivement à Strasbourg qu'ailleurs . Je ne sais si monsieur votre fils était dans cette armée . En ce cas je tremble pour lui . Si vous avez une relation je vous supplie de vouloir bien me l’envoyer .

Mme Denis est très malade . Je la garde . Pardon d'écrire si peu . Je répare cela en aimant beaucoup .

Vous connaissez mon tendre respect .

V. »

1 Défaite des troupes françaises à Rossbach face aux Prussiens .