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Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné

Je me sens beaucoup de tendresse pour les penseurs.

... Je dois avouer que je n'en dirai pas autant , ils n'ont pas l'exclusivité de ma tendresse . Bon nombre de "penseurs" me hérissent le poil, et mon plus cher voeu est qu'ils pensent librement mais qu'ils ne nous inondent pas de leurs élucubrations oiseuses (et pour certain.e.s, les miennes ).

Par contre, j'ai une infinie tendresse et respect pour les panseurs . Ils ont encore trop souvent à réparer les dégâts faits par les sus-nommés penseurs de bas étages .

 

 Expo] Les photos du "Chat déambule" de Geluck aux Champs-Élysées

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

[12 mars 1766]1

Mon très-cher philosophe, si vous vous étiez marié, vous auriez très-bien fait ; et, en ne vous mariant pas, vous ne faites pas mal ; mais, de façon ou d’autre, faites-nous des d’Alembert. C’est une chose infâme que les Fréron pullulent, et que les aigles n’aient point de petits. Je me doute bien que votre dioptrique ne ressemble pas à celle de l’abbé Molières 2 ; vous n’êtes pas fait pour voir les choses comme lui.

Si vous avez quelque air d’un Molière, c’est de Jean-Baptiste Poquelin ; vous en avez la bonne plaisanterie, et je crois qu’il y paraîtra dans le petit supplément 3 que vous préparez pour ces renards de jésuites, et pour ces loups de jansénistes.

C’est assurément un grand malentendu qu’un ministre qui a beaucoup d’esprit n’ait pas été au-devant de votre mérite, et qu’il ait laissé cet honneur aux étrangers. Je crois qu’il avait grande envie de se raccommoder avec vous ; mais vous n’êtes pas homme à faire les avances. Je sers actuellement mon quartier de Tirésie 4. Mes fluxions sur les yeux me mettent hors d’état d’écrire, et je pourrais bien être aveugle encore quelques semaines. Nous avons ici M. de Chabanon : il est musicien, poète, philosophe, et homme d’esprit ; il fait de vous le cas qu’il en doit faire. Nous avons tous été fort contents de la réponse de notre protecteur 5 à messieurs du parlement ; cette pièce nous a paru noblement pensée et noblement écrite ; et si l’auteur n’était pas notre protecteur, je le voudrais pour mon confrère.

Je me flatte que votre ami M. de La Chalotais sortira brillant comme un cygne de la bourbe où on l’a fourré ; il a trop d’esprit pour être coupable 6.

Vous savez que le parlement d’Angleterre a révoqué son timbre 7; je ne pense pas qu’il raccommode celui de Jean-Jacques. Adieu, mon très-cher philosophe ; je me flatte que la personne avec qui vous vivez est philosophe aussi, et je fais des vœux pour que le nombre s’en augmente. Ne m’oubliez pas auprès de M. Turgot, s’il est à Paris. Je me sens beaucoup de tendresse pour les penseurs. »

1L'édition de Kehl la date du 31 mars 1766 . La date choisie ici est donnée par Renouard qui l'a probablement trouvée dans le manuscrit original ; elle est confortée par la référence à Chabanon ; cependant, voir la note 6 suivante .

V* répond à la lettre du 3 mars de d'Alembert : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6284

3 D’Alembert ne publia qu’en 1767 la Lettre à M***, conseiller au parlement de ***, pour servir de supplément à l’ouvrage qui est dédié à ce même magistrat, et qui a pour titre : Sur la Destruction des jésuites en France, par un auteur désintéressé ; mais cette Lettre était faite dès 1765. Voir : https://play.google.com/store/books/details/D_Alembert_Lettre_a_Mr_conseiller_au_parlement_de?id=rkY3FWI3EcsC

et lettre du 2 mars 1764 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1764/Lettre_5580

4 Il est « aveugle » pour un trimestre .

5 Louis XV.

6 Louis-René de Caradeuc de La Chalotais a été emprisonné à la suite des démêlés entre le parlement de Bretagne et le roi ; il vient de publier ses Mémoires contenant deux mémorandums écrits de la forteresse-prison de Saint-Malo . Voir : http://www.wiki-rennes.fr/La_Chalotais

7 Le Stamp Act vient d'être repoussé le 11 mars après de longs débats . Il reste difficile que V* ait pu faire état si tôt de cette décision . Voir : https://www.history.com/this-day-in-history/parliament-repeals-the-stamp-act

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22/06/2021 | Lien permanent

Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre nation, qui donnait autrefois de grands exemples en tout

Cette note datée du 26 février a été en fait mise en ligne le 13 mars . Son titre confirmé par l'actualité à cette date, l'était aussi le 26 février .

Je l'ai écrit en écoutant d'une oreille (oui, une seule suffit pour certaines choses) à la limite de la distraction M. Coppé/Copain-de-qui-vous savez, qui brasse beaucoup de vent pour défendre son beau parti de l'Union des Mauvais Perdants .

Sachez qu'à cette heure-ci, je n'ai pas poursuivi l'écoute de ce débat, qui selon la vedette citée, est le principal sujet de préoccupation des Français .

Pas un mot sur tous ceux qui dès le 15 mars vont se retrouver sur le pavé, le droit à l'expulsion arrivant à échéance . Que n'avons-nous une loi d'expulsion pour périodiquement, annuellement,  éliminer des politiciens sans intérêt !

 

 

 

« A Catherine II ,impératrice de Russie



26è février 1769,à Ferney i



  Cette belle et noire pelisse

Est celle que perdit le pauvre Moustapha,

Quand notre brave impératrice

De ses musulmans triompha ;

Et ce beau portrait que voilà,

C’est celui de la bienfaitrice

Du genre humain qu’elle éclaira.

 

         Voilà ce que j’ai dit, Madame, en voyant le cafetan dont votre majesté impériale m’a honoré, par les mains de M. le prince Kouslowsky, capigi bachi de vos janissaires, et surtout cette boite tournée de vos belles et augustes mains, et ornée de votre portrait ii.

 

Qui le voit et qui le touche

Ne peut borner ses sens à le considérer ;

Il ose y porter une bouche

Qu’il n’ouvre désormais que pour vous admirer.

 

         Mais quand on a su que la boite était l’ouvrage de vos propres mains, ceux qui étaient dans ma chambre ont dit avec moi :

 

Ces mains, que le ciel a formées

Pour lancer les traits des Amours,

Ont préparé déjà ces flèches enflammées,

Ces tonnerres d’airain dont vos fières armées

Au monarque sarmate iii assurent des secours ;

Et la Gloire a crié, de la tour byzantine,

Aux peuples enchantés que votre nom soumet :

Victoire à Catherine !

Nazarde à Mahomet !

 

         Qu’est devenu le temps où l’empereur d’Allemagne aurait, dans les mêmes circonstances, envoyé des armées à Belgrade, et où les Vénitiens auraient couvert de vaisseaux les mers du Péloponnèse ? Eh bien ! Madame, vous triompherez seule. Montrez-vous seulement à votre armée vers Kiovie, ou plus loin, et je vous réponds qu’il n’y a pas un de vos soldats qui ne soit un héros invincible. Que Moustapha se montre aux siens, il n’en fera que de gros cochons comme lui.

 

         Quelle fierté imbécile dans cette tête coiffée d’un turban à aigrette ! Tous les rois de l’Europe ne devraient-ils pas venger le droit des gens, que la Porte ottomane viole tous les jours avec un orgueil si grossier iv ?

 

         Ce n’est pas assez de faire une guerre heureuse contre ces barbares, pour la terminer par une paix telle quelle ; ce n’est pas assez de les humilier, il faudrait les détruire v. Un homme à idées neuves vi me disait il y a quelques jours qu'on pourrait aisément dans les vastes plaines où vos troupes vont marcher se servir avec succès des anciens chariots de guerre en les rectifiant . Il imaginait des chars à deux timons bordés à leur extrémité d'un large chanfrein qui couvrirait le poitrail des chevaux . Chaque char très léger serait conduit par deux fusiliers postés derrière le char sur une soupente . Ces chars précéderaient la cavalerie . Ce spectacle étonnerait les Turcs, et tout ce qui étonne subjugue . Ce qui ne vaudrait rien dans un pays entrecoupé ou montagneux pourrait être merveilleux en plaine, au moins pour une campagne . L'essai coûterait fort peu de chose . Il pourrait beaucoup servir sans nuire . Voila ce que me disait mon songe-creux . Et je le répète à l'héroïne de notre siècle . Elle en jugera d'un coup d'œil . Elle pourra en rire, mais elle pardonnera au zèle .



Pendant qu'elle se prépare contre le Turc elle forme un corps de loi . Je lis votre Instruction vii et je n'interromps ma lecture que pour achever ma lettre . Madame, Numa et Minos auraient signé viii votre ouvrage, et n'auraient pas été peut-être capable de le faire . Cela est net, précis, équitable, ferme, et humain. Soyez sûre que personne n’aura dans la postérité un plus grand nom que vous . Mais, au nom de Dieu, battez les Turcs, malgré le nonce du pape en Pologne, qui est si bien avec eux ix.

 

De tous les préjugés destructrice brillante,

Qui du vrai dans tout genre embrassez le parti,

Soyez à la fois triomphante

Et du saint-Père et du mufti.

 

         Eh ! Madame, quelle leçon Votre Majesté Impériale donne à nos petits-maîtres français, à nos sages maîtres de Sorbonne, à nos Esculapes des écoles de médecine x! Vous vous êtes fait inoculer, avec moins d’appareil qu’une religieuse ne prend un lavement. Le prince impérial a suivi votre exemple. M. le comte Orlof va à la chasse dans la neige, après s’être  fait donner la petite-vérole : voilà comme Scipion en aurait usé, si cette maladie, venue d’Arabie, avait existé de son temps.

 

         Pour nous autres, nous avons été sur le point de ne pouvoir être inoculés que par arrêt du parlement. Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre nation, qui donnait autrefois de grands exemples en tout ; mais nous sommes bien barbares en certains cas, et bien pusillanimes dans d’autres.

 

         Madame, je suis un vieux malade de soixante et quinze ans. Je radote peut-être, mais je vous dis au moins ce que je pense ; et cela est assez rare quand on parle à des personnes de votre espèce. La majesté impériale disparaît sur mon papier devant la personne. Mon enthousiasme l’emporte sur mon profond respect. Je révère la législatrice, la guerrière, la philosophe . Je prends la liberté de mettre dans ce paquet des niaiseries indignes d'elle . J'ai ramassé sur-le-champ ce que j'ai pu . S'il paraît quelque chose qui puisse l'amuser, comment pourrai-je l'envoyer ? Est-ce par la poste ? Mais je serai mort d'étisie xi avant d'avoir reçu vos ordres . Battez les Turcs , et je meurs content xii.



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26/02/2011 | Lien permanent

il faut rendre service aux hommes tant qu'on peut, quoiqu'ils n'en valent guère la peine

... Et après ça, il en est encore qui disent de mal de Voltaire !

 

Mis en ligne le 8/8/2017 pour le 10/10/2015

 

« A Marie de Vichy de Chamrond , marquise du Deffand

à Saint-Joseph

à Paris

10è octobre 1760

Vous n'êtes point un grand enfant, madame, vous n'êtes pas non plus une petite vieille ; je suis fort votre aîné 1, et je joue la comédie deux fois par semaine , et le bon de l'affaire c'est que nous jouons des pièces nouvelles de ma façon, que Paris ne verra pas, à moins qu’il ne soit bien sage et bien honnête . Comme je fais le théâtre, les pièces , et les acteurs , qu'en outre je bâtis une église et un château, et que je gouverne par moi-même tous ces tripots-là, et que pour m'achever de peindre il faut finir l'Histoire de Pierre le Grand, et que j'ai dix ou douze lettres à écrire par jour, tout cela fait que vous devez me pardonner, madame, si je ne vous ennuie pas aussi souvent que je le voudrais ; j'ai pourtant un plaisir extrême à m'entretenir avec vous ; vous savez que j'aime passionnément votre esprit, votre imagination, votre façon de penser ; vous aurez la moitié de Pierre incessamment ; il y a un paquet tout prêt pour vous et pour M. le président Hénault, mais on ne sait comment faire pour dépêcher ces paquets par la poste . Je vous avertis que la préface vous fera pouffer de rire, et vous serez tout étonnée de voir que la plaisanterie n'est point déplacée . J'y joins un chant de La Pucelle qui pourra vous faire rire aussi . Je vous promets encore de vous chercher des fariboles philosophiques dans ma bibliothèque; mais il faut que vous sachiez que je ne suis guère le maître d'entrer dans ma bibliothèque à présent , parce qu'elle est dans l'appartement qu'occupe M. le duc de Villars avec tout son monde ; il nous a joué à huis-clos, Gengis Kan, dans L'Orphelin de la Chine ; il vaut mieux que tous vos comédiens de Paris .

Je suis fort aise, madame, qu'on ait imprimé ma lettre au roi de Pologne 2; trois ou quatre lettres par an dans ce goût-là, écrites aux puissances, ou soi-disant telles, ne laisseraient pas de faire du bien ; il faut rendre service aux hommes tant qu'on peut, quoiqu'ils n'en valent guère la peine . Mon petit parti, d'ailleurs m'amuse beaucoup ; j'avoue que tous mes complices n'ont pas sacrifié aux grâces ; mais s'ils étaient tous aimables ils ne seraient pas si attachés à la bonne cause ; les gens de bonne compagnie ne se font point prosélytes ; ils sont tièdes ; ils ne songent qu'à plaire ; Dieu leur demandera un jour compte de leurs talents .

Vous avez bien raison, madame, d'aimer l'histoire de mon ami Hume 3 . Il est , comme vous savez, le cousin de l'auteur de L’Écossaise . Vous voyez comme il rend dans cette histoire le fanatisme odieux . Ne croyez pas que l'Histoire de Pierre le Grand puisse vous amuser autant que celle des Stuarts . On ne peut guère lire Pierre qu'une carte géographique à la main ; on se trouve d'ailleurs dans un monde inconnu ; une Parisienne ne peut s'intéresser à des combats sur les Palus-Méotides 4, et se soucie fort peu de savoir des nouvelles de la grande Permie, et des Samoyèdes . Ce livre n'est point un amusement, c'est une étude . M. le président Hénault ne veut pas que je donne Pierre chiquette à chiquette 5; je ne le voudrais pas non plus , mais j'y suis forcé . On a un peu de peine avec ces Russes, et vous savez que je ne sacrifie la vérité à personne . Adieu, madame, si vous aviez des yeux je vous dirais, venez philosopher avec nous, parce que vos yeux seraient égayés pendant neuf mois par le plus agréable aspect qui soit sur terre ; mais ce qui fait le charme de la vie est perdu pour vous ; et je vous assure que cela me fait toujours saigner le cœur . J'ai chez moi un homme d'un mérite rare, un homme de grande condition, ancien officier, retiré dans ses terres . Il les a quittées pour venir à 150 lieues de chez lui, philosopher dans ma retraite . Je ne l'avais jamais vu, je ne savais pas même qu'il existât , il a voulu venir, il est venu, il fait de grands progrès, et il m'enchante; mais par malheur il me vient des intendants ; ces gens-là ne sont pas tous philosophes . Mon Dieu, madame, que je hais ce que vous savez 6!

Je vais être en relation avec un brahme des Indes par le moyen d'un officier 7 qui va commander sur la côte de Coromandel, et qui m'est venu voir en passant ; j'ai déjà grande envie de trouver mon brahme plus raisonnable que tous vos butors de la Sorbonne . Adieu encore une fois, madame, je vous aime beaucoup plus que vous ne pensez . »

1 V* a trois ans de plus qu'elle .

2 La lettre du 15 août 1760 à Stanislas :

Mme Du Deffand écrit à V* le 20 septembre 1760 : «  Votre lettre au roi de Pologne est imprimée, je ne crois pas que ce soit par l'ordre du frère Menoux. »

3 Il s'agit d'un ouvrage dont Mme du Deffand avait parlé à V* (lettre du 20 septembre 1760) : The History of Great Britain under the house of Stuart, 1754-1757, qui venait d'^tre traaduit en franàais par l'abbé Prévost sous le titre d'Histoire de la masion des Stuart sur le trône d'Angleterre, 1760 .

4 Palus Maeotis est le nom latin de la mer d'Azov .

5 L'expression se trouve ordinairement sous la forme chiquet à chiquet ; c'est familier et même populaire .

6 L'infâme .

7 C'est Maudave .

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10/10/2015 | Lien permanent

J'ai le cœur français ; j'aime à donner de bons exemples

... Et c'est pourquoi je continuerai tant que faire se peut à mettre en ligne ce cher Voltaire (ainsi que le fait Mam'zelle Wagnière avec un coeur admirable ) .

 Au demeurant, tout comme un mien grand-père paternel, je suis pour l'abolition des frontières , avec un coeur international ; la France n'a pas le monopole de ce qui se fait de meilleur .

bons exemples.jpg

Je vous en recommande la lecture

 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8595063v/f5.item

 

 

« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'ÉPINAY.
Aux Délices, 19 octobre.
Voici probablement, madame, la cinquantième lettre que vous recevez de Genève 1. Vous devez être excédée des regrets; cependant il faut bien que vous receviez les miens. Cela est d'autant plus juste que j'ai profité moins qu'un autre du bonheur de vous posséder. Ceux qui vous voyaient tous les jours ont de terribles avantages sur nous. Si vous aviez voulu leur donner encore un hiver, nous vous aurions joué la comédie une fois par semaine. Nous avons pris le parti de nous réjouir, de peur de périr de chagrin des mauvaises nouvelles qui viennent coup sur coup. J'ai le cœur français ; j'aime à donner de bons exemples; mais, en vérité, tous nos plaisirs sont bien corrompus par votre absence et par celle du Prophète de Bohême. Quelle spectatrice et quel juge nous perdons !
Je suis ravi, madame, que les gens tenant le parlement fassent accoucher des filles heureusement : c'est penser en bons citoyens. J'espère que l'archevêque en fera autant, et que les deux puissances se réuniront pour le bien du monde. C'est par le même esprit que je vous recommande l'infâme, à vous et à vos amis. On m'a dit que frère Berthier a été malade d'une humeur froide; je vous supplie, madame, de daigner m'informer de sa chère santé. Lui et ses semblables sont des gens précieux au monde. S'il est rétabli, je lui conseille de déjeuner comme Ézéchiel 2 : c'est le régime le plus convenable aux gens qui sont en si bonne odeur.
N'est-ce pas une chose honteuse que des Anglais, qui ne croient pas en Jésus-Christ, prennent Surate 3, et aillent prendre Québec 4; qu'ils dominent sur les mers des deux hémisphères, et que les troupes de Cassel et de Zell battent nos florissantes armées! Nos péchés en sont la cause ; c'est l'Encyclopédie qui attire visiblement la colère céleste sur nous. Il faut que le maréchal de Contades et M. de La Clue 5 aient fourni quelques articles à Diderot. Que de choses à dire, quand on sera à l'U consonne, à Vingtième 6! Le premier est-il vingtième?—Oui.— Le second aussi? — Oui. —Le troisième aussi ? — Oui. — Sont-ce trois choses différentes? — Non.— Le troisième procède-t-il des deux autres?— Oui.
Seriez-vous assez aimable, madame, pour me faire avoir tout le procès de M. Dupleix 7, le pour et le contre? Je m'intéresse à l'Inde; j'y ai la plus grande partie de mon bien, et j'ai grand'- peur que ces incrédules Anglais ne cassent incessamment le poignet du trésorier de la Compagnie; Abraham Chaumeix 8 ne le lui remettra pas. Il n'y a, au bout du compte, que Tronchin qui fasse des miracles. Je le canonise pour celui qu'il a opéré sur vous, et je prie Dieu, avec tout Genève, qu'il vous afflige incessamment de quelque petite maladie qui vous rende à nous.
Je vous supplie, madame, de ne me pas oublier auprès de M. d'Épinai et de monsieur votre fils. Permettez aussi que je fasse mes compliments à M. Linant. Adieu, madame. L'oncle et la nièce vous adorent. Nous allons répéter.

V. »

1Elle était à Paris depuis le 8 octobre 1759, avec Grimm « le prophète de Bohème » ; Grimm vint à Genève vers le milieu de février 1759 et en partit avec Mme d'Epinay le 3 octobre .

2 Ézéchiel, IV, 12 ; http://saintebible.com/ezekiel/4-12.htm

V* fera grand usage, notamment dans le Taureau blanc, des fameuses « tartines de m... » que le prophète fut obligé de manger .

4 « Le Canada est pris ; M. de Montcalm est tué. » écrit Mme du Deffand le 28 octobre à V* ; Vainqueur et vaincu étaient tombés à la bataille des plaines d'Abraham le 12 septembre 1759 ; Wolfe fut tué sur le coup, Montcalm mourut de ses blessures deux jours plus tard . http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_des_plaines_d%27Abraham

Les Anglais prirent le Canada le 18 septembre .

5 La Clue-Sabran, vaincu à la bataille navale de Lagos le 7 août 1759 ; voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Fran%C3%A7ois_de_Bertet_de_La_Clue-Sabran

6 Allusion à l'impôt qui a doublé et dont il a déjà parlé dans la lettre du 6 octobre 1759 à Dupont : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/24/un-damne-ne-peut-avoir-la-place-d-un-elu.html

7 Joseph-François Dupleix, digne adversaire de Clive fut pourtant rappelé et mis en accusation . Persécuté il mourut dans la misère le 10 novembre 1763 . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Fran%C3%A7ois_Dupleix

et : http://museesavesnois.voila.net/museelandrecies/museedupleixlandrecies.htm

Voir aussi lettre du 26 septembre 1759 à Mme La Cour : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/12/j-ai-donne-la-preference-au-vainqueur-de-madras-parce-qu-il-5466678.html

 

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04/11/2014 | Lien permanent

notre évêque est savoyard, et refuse aux Savoyards la permission de faire leur devoir d'hommes les jours de fêtes, c'est

...  Travailler ! Devoir .

Travailler ! Droit aussi .

Je ne sais l'origine des dirigeants syndicaux, mais bon nombre sont de la trempe de ce détestable évêque savoyard du XVIIIè siècle .

Tout simplement, je les pense pantouflant dans leurs bureaux climatisés, bien planqués, à l'abri du besoin,  déniant le droit de travailler le dimanche, - bien souvent aussi au nom d'une opposition stérile au nom de tout et de rien -, et mettant la majorité des travailleurs dans la mouise en bloquant tous moyens de transport et ravitaillement . Que croyez-vous aussi que vont faire les entrepreneurs étrangers qui vont ne voir en France que des sources d'embrouilles ? il vont nous zapper ! et vive l'opposition imbécile !

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« A Son Excellence le cardinal Domenico Passionei

[23 juin] 1761, à Ferney 1

Monsignor,

Non voglio morire senza augurare a vostra Em. Gli anni di corn.2 Non posso imitare il vecchiorel canuto e bianco

che quanto po col bon voler s'aira

e vein a Roma seguendo il desio .3

Non vedero ne san Piero, ne il cardinale Passioneiche tutti due meritano il viaggio, ma e mi conforto nel coll augurare a v. Eminenza molti e felicissimi anni . Quando ella si degnara di scriver mi toccante le piccoline operette del frate Bouhours et la longa riposta dell Orsi 4 non credeva forte che io dovessi al fine ricorrere alla sua protezzione intorno alle cose divine .

Aedifico une chieza sopra le ravine d'une sordida stalla chiamata parochia . Ecco ni il disegno . Domando tre grazie al papa e tutte tre sono necessarie per me . Non demando un corpo santo . Sono indigno d'un tanto onore, basta per me un dito, un capelo, e se la sua santita lo concede, e lo manda al signor Monsignor il duca di Choiseuil , che ama molto i santi, et si degna d'amar me ancora un poco ; sublimi feriam sidera vertice 5.

L'indulgenza in articulo mortis non e come jo lo credo un negozio molto intricato .

Quello del cimetterio e necessario per la sanita . La licenza di cultivar la terra trenta feste dell anno non puo essere combattuta che da cauponibus malignis 6 qui putant melius esse cessare et bibere quam laborare .

Mi recomando alla vostra protezzione, come catholico, come benefattore della mia parocchia, ed especialmente in qualita di vostro ammitore .

Tutta la nobilita di Gex cantarebbe vostra Eminenzia se potesse conseguire cotale grazie, ma la domando per me , se non posso ottenerla per la provincia . Questo paese come sa l'eminenza sua, non e francese quanto alla relligione . Il est savoyard, notre évêque est savoyard, et refuse aux Savoyards la permission de faire leur devoir d'hommes les jours de fêtes, c'est à dire travailler .

J Svizzeri di Berne si burlano di me quando veggono che io non posso arare i miei campi di tre volte e che i loro sono lavorati quattro volte .

In fine la supplico di conceder me le grazie che io domando in qualita di agricoltore, d'architetto d'una chiesa, di benefattore d'un parocchia e specialmente in forma d'un povero ammalato il quale i funesti vapori d'un cimeterio manderrebero troppo presto sotto questo sacro terreno .

Je serai très obligé à Votre Eminence si elle veut bien me protéger dans tout ce que je demande à nostro signore pour la vie présente et future . 7»

1 Minute olographe, sauf la date et le nom du destinataire, par endroits fortement corrigé ; Fernand Caussy « Voltaire à Ferney », 1913, ne précise pas sa source .

2 L'édition Lyublinsky donne del cor di Cornaro , ce qui éclaire l'allusion . Luigi Alvise Cornaro, tombé malade après une vie de dissipations, se soumit à un régime strict, publia quatre ouvrages sur les vertus de la sobriété, écrits respectivement à l'âge de quatre-vingt-trois ans, quatre-vingt-onze et quatre-vingt-quinze ans, et mourut presque centenaire .

3 Vers de Pétrarque dans le sonnet « Movesi il vecchierel »

4 Le 15 septembre 1745, le cardinal Passionei avait envoyé à V* une réponse du marquis Giovanni Gioseffo Orsi, Considerazioni […] sopra la maniere di bien pensare ne componimienti, gia pubblicato dal padre Domenico Bouhours, 1735 .

5 Horace, Odes, I, 1, 36 .

6 Horace, Satires, I, 1, 36 . La phrase qui suit est en latin de cuisine .

7 Je ne veux pas mourir sans souhaiter à Votre Éminence des année [d'abondance ?] . je ne puis imiter le petit vieillard chenu et blanc qui s'aide de toute sa bonne volonté et vient à Rome pour satisfaire son désir . Je ne verrai ni saint Pierre , ni le cardinal Passionei qui tous deux méritent le voyage, mais je me console en souhaitant à Votre Éminence de nombreuses et très heureuses années . Quand vous avez daigné m'écrire au sujet des œuvrettes de frère Bouhours et de la longue réponse d'Orsi vous ne pensiez pas sans doute que je devrais finalement recourir à votre protection concernant les choses divines . Je fais construire une église sur les ruines d'une étable sordide appelée paroisse . En voici le plan . Je demande trois grâces au pape et toutes trois sont nécessaires . Je ne demande pas un corps saint . Je suis indigne d'un tel honneur , il me suffit d'un doigt, d'un cheveu, et si Sa Sainteté me l'accorde, et l'envoie à Mgr le duc de Choiseul qui aime beaucoup les saints, et daigne m'aimer encore un peu ; de ma tête j’irai frapper les astres . L'indulgence à l'article de la mort n'est pas , à ce que je crois, une affaire très compliquée . L'article du cimetière est nécessaire pour la salubrité . La permission de cultiver la terre pendant les trente jours de fête de l'année ne peut trouver d'adversaires que parmi les fripons de cabaretiers qui pensent qu'il vaut mieux chômer et boire que travailler . Je me recommande à votre protection , comme catholique, comme bienfaiteur de ma paroisse, et surtout au titre de votre admirateur . Toute la noblesse de Gex ferait l'éloge de Votre Éminence si Elle pouvait obtenir de telles grâces, mais je la [sic] demande pour moi, si je ne puis l'obtenir pour la province . Ce pays comme le sait Votre Éminence n'est pas français quant à la religion […] Les Suisses de Berne se moquent de moi quand ils voient que je ne puis labourer mes champs plus de trois fois et que les leurs sont travaillés quatre fois . Enfin je vous supplie de m'accorder les grâces que je demande en qualité d'agriculteur, d'architecte d'une église, de bienfaiteur d'une paroisse et spécialement en tant que pauvre malade que les funestes exhalaisons d'un cimetière n'enverront que trop tôt sous cette terre sacrée . »

 

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22/05/2016 | Lien permanent

amoureux à l'excès d'une fille dont il est l'unique bienfaiteur, meurtrier de la mère, empoisonneur du père, adoré de la

... Que souhaiter à ce malheureux gaillard ?

-- Un bon avocat ? s'il en est !

-- Une corde pour se pendre ? le désespoir est désespérant !

-- La lecture de tous les programmes/discours de nos politicards ? trop cruel !

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« A Bernard-Louis Chauvelin

Aux Délices 19 janvier 1762

Il faut absolument que Votre Excellence soit du métier, vous ne pouvez en parler si bien sans en avoir tâté un peu . Pourceaugnac, à qui d'ailleurs vous ne ressemblez point, a beau dire qu'il a pris dans les romans qu'il doit être reçu à ses faits justificatifs 1; on voit bien qu'il a étudié le droit . Ce n'est ni en Corse ni à Turin 2 qu'on apprend toutes les finesses de l'art du théâtre . Vous avez mis la main à la pâte : avouez . Tout l'esprit que vous avez ne suffit pas pour entrer dans la profondeur de nos mystères .

Vos réflexions sont une excellente poétique . Soyez persuadé qu'il n'y a point ambassadeur ni de lieutenant général qui en puisse faire autant . Je suis fort aise à présent de ne vous avoir pas envoyé la bonne copie puisque le brouillon m'a valu une si bonne leçon .

Vous avez très grande raison monsieur de vouloir que Cassandre puisse n'avoir rien à se reprocher auprès d'Olympie . En toute tragédie comme en toute affaire il y a un point principal, un centre où toutes les lignes doivent aboutir . Ce centre est ici l'amour de Cassandre et d'Olympie . J'avais été assez heureux pour remplir votre objet ; ce n’est point Cassandre qui a enlevé Olympie à Babylone, c'est Antipatre son père . Antipatre vient de mourir, et le premier devoir dont s'acquitte Cassandre est de restituer à la fille d'Alexandre le royaume de son père dont il se trouve en possession . Il est à la fois innocent devant Dieu, et coupable devant Statira et devant Olympie . Il est vrai qu'il a présenté la coupe empoisonnée à Alexandre, mais il n'était pas dans le secret de la conspiration . Il est vrai qu'il a répandu le sang de Statira mais c'est dans la fureur d'un combat, c'est en défendant son père . Il se trouve enfin dans la situation la plus tragique, amoureux à l'excès d'une fille dont il est l'unique bienfaiteur, meurtrier de la mère, empoisonneur du père, adoré de la fille, exécrable à Statira, odieux à Olympie qui l'aime, pénétré de remords et de désespoir . Il n'y a personne qui ne souhaite ardemment qu'Olympie lui pardonne ; et Olympie n'ose lui pardonner . Voilà le fond, voilà le sujet de la pièce . Elle est bien autrement traitée que dans la malheureuse minute qu'on vous a envoyée par méprise ; je suis tout glorieux d'avoir prévenu presque toutes vos objections .

Il s'en faut bien par exemple que mon grand-prêtre puisse être soupçonné de prendre aucun parti, car lorsque Cassandre lui dit , Du parti d'Antigone êtes-vous contre moi ?, il répond

Me préservent les cieux de passer les limites

Que mon culte paisible à mon zèle a prescrites .

Les intrigues des cours, les cris des factions,

Des humains que je fuis les tristes passions,

Seigneur, ne troublent point nos retraites obscures .

Au dieu que nous servons nous devons des mains pures :

Les débats des grands rois prompts à se diviser,

Ne sont connus de nous que pour les apaiser ;

Et nous ignorerions leurs grandeurs passagères,

Sans le fatal besoin qu'ils ont de nos prières .3

Enfin il n'y a de compte fait que quatre cents vers dans la pièce qui la changent entièrement, et que vous ne connaissez pas . Encore une fois, j'en bénis Dieu puisque le quiproquo m'a valu vos bontés et vos lumières . Vous m'enchantez et vous m'éclairez . Venez donc voir jouer la pièce, madame l'ambassadrice embellissez donc Olympie . Je vais tâcher de rendre son rôle plus touchant pour le rendre moins indigne de vous 4. Je suis un bon diable d’hiérophante pénétré, reconnaissant, attaché pour ma pauvre vie à Vos Excellences etc. »

1 Monsieur de Pourceaugnac, II, 12 . ; de Molière .

2 Chauvelin a été ministre plénipotentiaire à Gênes (dont dépendait alors Corse) de décembre 1748 à mai 1753 .

3 Olympie, III, 2 .

4 Une lettre de Du Pan à Freudenreich du 19 janvier 1762 précise les projets de V* : « Voltaire ne sait pas encore comment et par qui il a eu sa pension, aucun de ses amis de Paris ne lui en a écrit, il a reçu sa patente du bureau de M. de Saint-Florentin et rien de plus . Il a encore retouché sa nouvelle tragédie qu'il regarde comme une de ses plus belles pièces, il veut la faire jouer à Ferney avant que de la donner au théâtre de Paris . »

 

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15/01/2017 | Lien permanent

Nous ne sommes d’ordinaire ni assez profonds ni assez hardis.

... Je ne sais si le discours du président peut être qualifié de profond et hardi, toujours est-il qu'il a donné un salutaire coup de pied occulte à mes chers concitoyens qui ont désormais la trouille de gâcher leurs sacro-saintes vacances faute d'être dûment vaccinés . Ce que le simple bon sens imposait, --la vaccination pour tous,--  était mis au pilori de la PERTE de la LIBERTE : la belle affaire que d'être simplement du côté raisonnable . Ne pas se faire vacciner, c'est entrer dans la Sainte-Barbe avec une torche de résine , jongler avec une grenade dégoupillée, risquer sa peau ( tant pis ! ) et celle des autres : assassin ! Voltaire a raison, les Français sont des Welches,  !

Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Texte entier - Wikisource

Têtus comme  ...

 

 

« A Joseph-Michel-Antoine Servan

Au château de Ferney 13è avril 1766 1 2

La lettre dont vous m’honorez, monsieur, m’est précieuse par plus d’une raison ; je vois les progrès que l’esprit, l’éloquence, et la philosophie, ont faits dans ce siècle. On n’écrivait point ainsi autrefois ; et à présent les avocats généraux des provinces laissent bien loin derrière eux ceux de la capitale. J’ai remarqué que, dans l’affaire des jésuites, ce n’est qu’en province qu’on a écrit éloquemment. C’est aussi en se formant le goût qu’on s’est défait des préjugés . Je ne parle pas de Toulouse, où le fanatisme règne encore, et où le bon goût est inconnu, malgré les jeux floraux ; mais l’esprit de la jeunesse commence à s’ouvrir à Toulouse même . La France arrive tard, mais elle arrive . Elle combat d’abord la circulation du sang, la gravitation, la réfrangibilité de la lumière, l’inoculation ; elle finit par les admettre. Nous ne sommes d’ordinaire ni assez profonds ni assez hardis. Notre magistrature a bien osé combattre quelques prétentions des papes, mais elle n’a jamais eu le courage de les attaquer dans leur source. Elle s’oppose à quelques irrégularités, mais elle souffre qu’on paye quatre-vingt mille francs à un prêtre italien pour épouser sa nièce 3; elle tolère les annates 4. Elle voit, sans réclamer, que des sujets du roi s’intitulent évêques par la permission du Saint-Siège . Enfin, elle a accepté une bulle qui n’est qu’un monument d’insolence et d’absurdité. Elle a été assez courageuse et assez heureuse pour saisir l’occasion de chasser les jésuites ; elle ne l’est pas assez pour empêcher les moines de recevoir des novices avant l’âge de trente ans. Elle souffre que les capucins et les récollets dépeuplent les campagnes, et enrôlent nos jeunes laboureurs.

Nous sommes bien au-dessous des Anglais, sur terre comme sur mer ; mais il faut avouer que nous nous formons. La philosophie fait luire un jour nouveau. Il paraît, monsieur, qu’elle vous a rempli de sa lumière. Comptez qu’elle fait beaucoup de bien aux hommes. Orphée, dites-vous, n’amollissait pas les pierres qu’il faisait danser ; non, mais il adoucissait les tigres : mulcentem tigres, et agentem carmine quercus 5. La philosophie fait aimer la vertu, en faisant détester le fanatisme ; et, si je l’ose dire, elle venge Dieu des insultes que lui fait la superstition.

J’attends avec impatience votre Moïse, dont je vous fais mes très-humbles remerciements. Je soupçonne que c’est un petit plagiat, un vol fait au livre de Gaumin 6, imprimé en Allemagne il y a cent ans ; mais il y aura sûrement des choses utiles. Plus on fouille dans l’antiquité, plus on y retrouve les matériaux avec lesquels on a bâti un étrange édifice. Depuis le bouc émissaire et la vache rousse, jusqu’à la confession et l’eau bénite, vous savez que tout est païen. Sursum corda, ite missa est 7, sont les formules des mystères de Cérès. Toute l’histoire de Moïse est prise, mot pour mot, de celle de Bacchus 8. Nous n’avons été que des fripiers qui avons retourné les habits des anciens.

Le petit livre de la prédication est de l’abbé Coyer, qui voulait 9 mettre dans des boutiques les Montmorencys et les Châtillons, et qui veut à présent que nous ayons des censeurs au lieu de prédicateurs, ou plutôt qui ne veut que s’amuser.

Je vous envoie, monsieur, un petit mot du roi de Prusse 10 qui ne plaira pas à la juridiction ecclésiastique. Si vous n’avez pas la Philosophie de l’Histoire 11, j’aurai l’honneur de vous la faire tenir, ainsi que tous les petits ouvrages qui pourront paraître.

Je suis pénétré de votre souvenir autant que je le suis de votre mérite. J’ignore si vous resterez sur le théâtre de Grenoble, mais vous rendrez toujours grand celui où vous paraîtrez. Je vous demande la continuation de vos bontés.

J’ai l’honneur d’être avec respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

V.

Pardonnez, monsieur, à un pauvre malade qui n'a pu vous écrire de sa main . »

2 Il manque la ligne de la date sur l'édition de Kehl , supprimée sur la copie Beaumarchais .V* répond à la lettre de Servan du 7 avril 1766 , à la suite du voyage de celui-ci à Genève et son retour à Grenoble .

3 Thème cher à V* qu'il aborde dans la Défense de mon oncle, dans le Pot-pourri, dans les Noteboooks et autres ouvrages .

Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/La_D%C3%A9fense_de_mon_oncle/%C3%89dition_Garnier

et chapitre XXXIX Essai sur les Mœurs  : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k37524n/texteBrut

et : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/08/facetie-pot-pourri-partie-3.html

4 L'annate est une taxe versée au pape, équivalant à une année de revenu de certains bénéfices ecclésiastiques .

5 Adoucissant les tigres et faisant marcher le chêne avec ses chants , (Virgile, Georgiques., lib. IV, v. 510

6 Gilbert Gaulmin : voir la note 2 , page 180 de Dieu et les hommes : https://fr.wikisource.org/wiki/Dieu_et_les_hommes/%C3%89dition_Garnier/Chapitre_24

et voir lettre du 3 juin 1765 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/10/02/m-6267404.html

7 Haut les cœurs, allez la messe est dite, selon la liturgie de la messe .

11 Servant aujourd’hui de préface à l'Essai sur les mœurs .

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14/07/2021 | Lien permanent

Ce sera à vous de voir s’il vaut mieux vivre en philosophe que de donner des enfants à l’État . C’est une grande questio

... No comment .

 

« A Charles Michel, marquis de Villette

7 juin[1767] 1

Vous êtes encore plus aimable que je ne disais. M. de La Harpe vient de me donner votre paquet ; votre lettre me fait plus de plaisir que le testament que vous m’envoyez. Il se pourra bien faire que vous aspiriez un jour à l’honneur d’être père de famille, et que vous soyez docteur in utroque jure 2. Ce sera à vous de voir s’il vaut mieux vivre en philosophe que de donner des enfants à l’État . C’est une grande question qu’il ne m’appartient pas de décider.

Je suis infiniment touché de la bonté que vous avez eue de me confier le testament ; je le trouve furieusement noble.

Non, je ne me flatte pas de vous voir à Ferney ; c’est un bonheur qui passerait mes espérances. Comment pourrez-vous aller dans votre terre de Bourgogne, au milieu des affaires dont vous devez être surchargé ? J’ai peur que vous n’attendiez la tenue des États : car il faudra bien venir vous faire recevoir, et prendre séance. C’est alors que j’oserais compter sur une des plus grandes consolations 3 que je puisse recevoir en ma vie. M. de La Harpe partagerait bien ma joie. Je vous assure que je ferai votre paix avec M. de Ximenès ; cela ne sera pas difficile : il sait trop ce que vous valez, pour être longtemps fâché contre vous.

Le parlement de Besançon n’a point du tout envie de se démettre . Il n’a démis que nos vaches, auxquelles il a défendu, par un arrêt solennel, d’aller paître dans la Franche-Comté. Elles ont eu beau présenter leur requête, et faire valoir la maxime d’Aristote :  Que chacun se mêle de son métier, les vaches seront bien gardées,  on les a condamnées au bannissement du ressort du parlement.

Vous ne devez rien à M. D…4 . Tous vos comptes sont faits. Je souhaite que ceux de l’extraordinaire des guerres se rendent aussi promptement, et que vous soyez débarrassé au plus vite de tout ce tracas, qui n’est fait ni pour votre humeur ni pour vos grâces.

Il y aurait un gros livre à faire sur tout ce que vous m’avez écrit. Les fermiers généraux ne sont plus aujourd’hui les financiers de Molière ; les Patin et les Turcaret 5 ont disparu ; les Watelet, les Helvétius, ont pris leur place. Ce n’est pas de ces messieurs que je me plains ; je voudrais seulement qu’ils sussent, comme moi, de quels délits ils se rendent coupables.

Un jambon est confisqué à Auxonne, parce qu’il a été salé en Franche-Comté avec du sel blanc, et qu’il entre en Bourgogne, où l’on sale les jambons avec du sel gris.

Un chef-d’œuvre de mécanique destiné pour le roi, une sphère mouvante est saisie sur les confins de la Lorraine par les employés, parce que cette machine était l’exécution en horlogerie du système de Copernic, et que les montres y payent des droits.

Voilà pourtant ce qui se fait au nom de gens de fort bonne compagnie, dont plusieurs se fâcheraient, s'ils en étaient les témoins . Ils ne doivent donc pas trouver étrange que je travaille de toutes mes forces à repousser cette inquisition hors de ma banlieue . Le moyen que cela se passe à ma porte, et de rimer des tragédies 6.

Adieu , très aimable maréchal des logis . Puisse quelque jour mon heureuse destinée vous ramener 7 dans ma chaumière ! Tout ce qui est à Ferney vous est presque aussi tendrement attaché que le veux malade. »

1Copie Beaumarchais-Kehl ; copie ancienne (BNF) ; édition Oeuvres du marquis de Villette, 1782 ; édition Clogenson. La lettre a toujours été placée en juin 1765 ; les allusions à la présence de La Harpe à Ferney renvoient manifestement à 1767 . d'autre part on verra par la notes qu'un problème de texte se pose à son sujet .

2Dans l'un et l'autre droit ; Voltaire fait allusion aux goûts antiphysiques du marquis de Villette (bisexuel ) , et à l’épigramme :

Chaud de boisson, certain docteur en droit : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Cabinet_de_Lampsaque/95

3 L'édition Villette et la copie Beaumarchais-Kehl portent sur la plus grande consolation . L'hyperbole semble due au marquis de Villette lui-même.

4 Peut-être Damilaville ?

5 Patin et Turcaret, personnages de Dancourt et de Le Sage, symbolisent les banquiers du siècle précédent .

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Turcaret_ou_le_Financier

et : https://theses.hal.science/tel-01068484/document

6 Les quatre paragraphes qui précèdent ont été ajoutés par Clogenson . Ils sont certainement authentiques, mais pourraient avoir été pris d'une autre lettre .

7L'édition Clogenson donne amener pour ramener.

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28/12/2022 | Lien permanent

... la Chine. Je ne vois plus que ce pays où l'on puisse me rendre un peu de justice

 ... Comme pensait sans doute ce matin un certain Dirty Silly Keutard de triste renommée .

You Tube avale l'information !youtube avale l info .JPG

Dans un autre domaine, la radio Rires et Chansons sanctionne Gérald Dahan, en le limogeant, pour avoir piègé Dupont-Aignan et l'avoir fait savoir via le net :

http://www.youtube.com/watch?v=00BzOkG2Fvo

Les dirigeants de cette radio sont de fieffés hypocrites doublés de lâches imbéciles .

Il est habituel de dire qu'un petit dessin vaut mieux qu'un grand discours, on peut ajouter qu'une petite bande son éclaire sur la malveillance et l'égo surdimensionné d'un certain candidat . Allez ! à la trappe le Dupont-gnan-gnan !! ( je ne dis pas: la Trappe, car je ne veux aucun mal à ces moines qui préfèrent le silence ) .

 

Côté féminin, Eva Joly et Corinne Lepage : un petit moment de grâce :

http://www.20minutes.fr/politique/884475-presidentielle-e...

Mme Joly, vous avez cent fois raison, il faut savoir être brève et précise face à une outre enflée donneuse de leçons ; pour résumer : tournons le page ! (qui a dit "chic ! chic !!" ?)

 

 

 

 

 

« A M. le comte d'ARGENTAL.

Aux Délices, 21 juillet [1755]

Mon cher ange, vous avez dû recevoir les cinq Chinois par M. de Chauvelin, et une petite correction au quatrième acte, par la poste1. Il est juste que je vous rende compte des moindres particularités de la Chine. Celles qui regardent l'ouvrage 2 que Darget et bien d'autres personnes ont entre les mains sont bien tristes. Il n'est que trop vrai que ce Grasset, dont vous aviez eu la bonté de me parler, en avait un exemplaire mais ce qu'il y a de plus cruel, c'est le bruit qui court3, et dont M. le maréchal de Richelieu m'a instruit. Cette idée est aussi funeste qu'elle est mal fondée. Comment avez-vous pu croire que je songeasse à me priver de l'asile que j'ai choisi, et qui m'a tant coûté? comment avez-vous pensé que je voulusse publier moi-même ce que j'ai envoyé à Mme de Pompadour, et perdre ainsi tout d'un coup le mérite de ma petite confiance? J'ai embelli assurément l'ouvrage, au lieu de le gâter et je suis d'autant plus en droit de condamner les éditions défigurées qui pourraient paraître de l'ancienne leçon. J'ai soigné cet ouvrage; je l'ai regardé comme un pendant de l'Arioste; j'ai songé à la postérité, et je fais l'impossible pour écarter les dangers du temps présent. Je vous conjure, mon cher et respectable ami, de détruire de toutes vos forces le bruit affreux qui n'est point du tout fondé, et qui m'achèverait. Vous avez confié vos craintes à M. de Richelieu et à Mme de Fontaine. L'un et l'autre ont pris pour certain l'événement que votre amitié redoutait. Ils l'ont dit, la chose est devenue publique; mais c'est le contraire qui doit être public.
Ma consolation sera à la Chine. Je ne vois plus que ce pays où l'on puisse me rendre un peu de justice. Adieu, mon cher ange. »

 

2 La Pucelle .

3 V* est soupçonné de faire éditer sa Pucelle à Genève .

 

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22/02/2012 | Lien permanent

je vous demande en grâce de lui faire recommander la vertu de l'exactitude .

La vertu de l'exactitude, celle-là même que je demande instamment à nos hommes / femmes politiques, si posssible étayée de la vérité et réciproquement.

 Fière allure , n'est-ce pas ?

Son sablier n'est plus guère utile que dans une cuisine ou pour le temps de réflexion d'un quelconque quizz . Avantage cependant sur l'horloge atomique : pas de panne ...

exactitude.jpg

L'exactitude est l'une des vertus recommandée par les Charitables de Béthune ( à ne pas confondre avec Le Bourreau de Béthune, raccourcisseur de milady, cher à Alexandre Dumas . Sans oublier celui qui fit les beaux soirs des rings de catch dans les années 50-60, méchant parmi les méchants , que toute la famille adorait huer ! )

 http://beuvry.unblog.fr/2009/10/08/384/

 http://www.leparisien.fr/sports/le-celebre-catcheur...

 

 

 

 

« A M. le comte d'Argental

Prangins, près de Nion,pays de Vaud, janvier [1755]


Mon cher et respectable ami,j'ai reçu votre lettre du 27 décembre et toutes vos lettres en leur temps . Toute lettre arrive, et Lambert i se moque du monde . Malgré les douleurs intolérables d'un rhumatisme goutteux qui me tient perclus, j'ai songé, dans les petits intervalles de mes maux, à cette tragédie en trois actes ii, que je n'ai pas l'esprit à faire en cinq . J'y ai retranché, j'y ai ajouté, j'y ai corrigé . J'ai tellement appuyé sur les raisons du parti que prend Idamé de préférer sa mort, et celle de son mari, à l'amour de Gengis-kan ; ces raisons sont si clairement fondées sur l'expiation qu'elle croit devoir faire de la faiblesse d'avoir accusé son mari ; ces raisons sont si justes et si naturelles, qu'elles éloignent absolument toutes les allusions ridicules que la malignité est toujours prête à trouver . Je ne crains donc que les trois actes ; mais je craindrais les cinq bien davantage ; ils seraient froids iii. Il ne faut demander ni d'un sujet , ni d'un auteur, que ce qu'ils peuvent donner .

J'aimerai jusqu'au dernier moment les arts que vous aimez ; mais comment les cultiver avec succès, au milieu de tous les maux que la nature et la fortune peuvent faire ?

Mandez-moi comment je dois vous adresser le troisième acte, que j'ai arrondi, et que j'ai tâché de rendre un peu moins indigne de vos bontés .

Je vous demande pardon de vous avoir importuné de lettres pour Lambert iv; mais en vérité, cet homme est bien irrégulier dans ses procédés, et je vous demande en grâce de lui faire recommander la vertu de l'exactitude .

Mille tendres respects à tous les anges . Mme Denis se voue au désert avec un grand courage ; elle vous fait les plus tendres compliments . »


 

i Imprimeur indélicat d'une édition erronée des Œuvres de V*.

ii L'Orphelin de la Chine.

iii NDLR – V* a raison , malheureusement il se rendra à l'avis de d'Argental ; la pièce que j'ai vue, interprétée dans ces redoutés cinq actes, traine en longueurs pénibles et lasse par le sentiment de délayage de texte qui n'apporte rien, ni à l'action ,ni à la réflexion .Son envie de faire plaisir à quelques amis nous prive d'un plaisir attendu .

 

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16/11/2011 | Lien permanent

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