Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné
Je me sens beaucoup de tendresse pour les penseurs.
... Je dois avouer que je n'en dirai pas autant , ils n'ont pas l'exclusivité de ma tendresse . Bon nombre de "penseurs" me hérissent le poil, et mon plus cher voeu est qu'ils pensent librement mais qu'ils ne nous inondent pas de leurs élucubrations oiseuses (et pour certain.e.s, les miennes ).
Par contre, j'ai une infinie tendresse et respect pour les panseurs . Ils ont encore trop souvent à réparer les dégâts faits par les sus-nommés penseurs de bas étages .
« A Jean Le Rond d'Alembert
[12 mars 1766]1
Mon très-cher philosophe, si vous vous étiez marié, vous auriez très-bien fait ; et, en ne vous mariant pas, vous ne faites pas mal ; mais, de façon ou d’autre, faites-nous des d’Alembert. C’est une chose infâme que les Fréron pullulent, et que les aigles n’aient point de petits. Je me doute bien que votre dioptrique ne ressemble pas à celle de l’abbé Molières 2 ; vous n’êtes pas fait pour voir les choses comme lui.
Si vous avez quelque air d’un Molière, c’est de Jean-Baptiste Poquelin ; vous en avez la bonne plaisanterie, et je crois qu’il y paraîtra dans le petit supplément 3 que vous préparez pour ces renards de jésuites, et pour ces loups de jansénistes.
C’est assurément un grand malentendu qu’un ministre qui a beaucoup d’esprit n’ait pas été au-devant de votre mérite, et qu’il ait laissé cet honneur aux étrangers. Je crois qu’il avait grande envie de se raccommoder avec vous ; mais vous n’êtes pas homme à faire les avances. Je sers actuellement mon quartier de Tirésie 4. Mes fluxions sur les yeux me mettent hors d’état d’écrire, et je pourrais bien être aveugle encore quelques semaines. Nous avons ici M. de Chabanon : il est musicien, poète, philosophe, et homme d’esprit ; il fait de vous le cas qu’il en doit faire. Nous avons tous été fort contents de la réponse de notre protecteur 5 à messieurs du parlement ; cette pièce nous a paru noblement pensée et noblement écrite ; et si l’auteur n’était pas notre protecteur, je le voudrais pour mon confrère.
Je me flatte que votre ami M. de La Chalotais sortira brillant comme un cygne de la bourbe où on l’a fourré ; il a trop d’esprit pour être coupable 6.
Vous savez que le parlement d’Angleterre a révoqué son timbre 7; je ne pense pas qu’il raccommode celui de Jean-Jacques. Adieu, mon très-cher philosophe ; je me flatte que la personne avec qui vous vivez est philosophe aussi, et je fais des vœux pour que le nombre s’en augmente. Ne m’oubliez pas auprès de M. Turgot, s’il est à Paris. Je me sens beaucoup de tendresse pour les penseurs. »
1L'édition de Kehl la date du 31 mars 1766 . La date choisie ici est donnée par Renouard qui l'a probablement trouvée dans le manuscrit original ; elle est confortée par la référence à Chabanon ; cependant, voir la note 6 suivante .
V* répond à la lettre du 3 mars de d'Alembert : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6284
2 De l'Académie des Sciences : https://www.academie-sciences.fr/pdf/eloges/molieres_p195_205_vol3540.pdf
3 D’Alembert ne publia qu’en 1767 la Lettre à M***, conseiller au parlement de ***, pour servir de supplément à l’ouvrage qui est dédié à ce même magistrat, et qui a pour titre : Sur la Destruction des jésuites en France, par un auteur désintéressé ; mais cette Lettre était faite dès 1765. Voir : https://play.google.com/store/books/details/D_Alembert_Lettre_a_Mr_conseiller_au_parlement_de?id=rkY3FWI3EcsC
et lettre du 2 mars 1764 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1764/Lettre_5580
4 Il est « aveugle » pour un trimestre .
5 Louis XV.
6 Louis-René de Caradeuc de La Chalotais a été emprisonné à la suite des démêlés entre le parlement de Bretagne et le roi ; il vient de publier ses Mémoires contenant deux mémorandums écrits de la forteresse-prison de Saint-Malo . Voir : http://www.wiki-rennes.fr/La_Chalotais
7 Le Stamp Act vient d'être repoussé le 11 mars après de longs débats . Il reste difficile que V* ait pu faire état si tôt de cette décision . Voir : https://www.history.com/this-day-in-history/parliament-repeals-the-stamp-act
22/06/2021 | Lien permanent
Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre nation, qui donnait autrefois de grands exemples en tout
Cette note datée du 26 février a été en fait mise en ligne le 13 mars . Son titre confirmé par l'actualité à cette date, l'était aussi le 26 février .
Je l'ai écrit en écoutant d'une oreille (oui, une seule suffit pour certaines choses) à la limite de la distraction M. Coppé/Copain-de-qui-vous savez, qui brasse beaucoup de vent pour défendre son beau parti de l'Union des Mauvais Perdants .
Sachez qu'à cette heure-ci, je n'ai pas poursuivi l'écoute de ce débat, qui selon la vedette citée, est le principal sujet de préoccupation des Français .
Pas un mot sur tous ceux qui dès le 15 mars vont se retrouver sur le pavé, le droit à l'expulsion arrivant à échéance . Que n'avons-nous une loi d'expulsion pour périodiquement, annuellement, éliminer des politiciens sans intérêt !
« A Catherine II ,impératrice de Russie
26è février 1769,à Ferney i
Cette belle et noire pelisse
Est celle que perdit le pauvre Moustapha,
Quand notre brave impératrice
De ses musulmans triompha ;
Et ce beau portrait que voilà,
C’est celui de la bienfaitrice
Du genre humain qu’elle éclaira.
Voilà ce que j’ai dit, Madame, en voyant le cafetan dont votre majesté impériale m’a honoré, par les mains de M. le prince Kouslowsky, capigi bachi de vos janissaires, et surtout cette boite tournée de vos belles et augustes mains, et ornée de votre portrait ii.
Qui le voit et qui le touche
Ne peut borner ses sens à le considérer ;
Il ose y porter une bouche
Qu’il n’ouvre désormais que pour vous admirer.
Mais quand on a su que la boite était l’ouvrage de vos propres mains, ceux qui étaient dans ma chambre ont dit avec moi :
Ces mains, que le ciel a formées
Pour lancer les traits des Amours,
Ont préparé déjà ces flèches enflammées,
Ces tonnerres d’airain dont vos fières armées
Au monarque sarmate iii assurent des secours ;
Et la Gloire a crié, de la tour byzantine,
Aux peuples enchantés que votre nom soumet :
Victoire à Catherine !
Nazarde à Mahomet !
Qu’est devenu le temps où l’empereur d’Allemagne aurait, dans les mêmes circonstances, envoyé des armées à Belgrade, et où les Vénitiens auraient couvert de vaisseaux les mers du Péloponnèse ? Eh bien ! Madame, vous triompherez seule. Montrez-vous seulement à votre armée vers Kiovie, ou plus loin, et je vous réponds qu’il n’y a pas un de vos soldats qui ne soit un héros invincible. Que Moustapha se montre aux siens, il n’en fera que de gros cochons comme lui.
Quelle fierté imbécile dans cette tête coiffée d’un turban à aigrette ! Tous les rois de l’Europe ne devraient-ils pas venger le droit des gens, que la Porte ottomane viole tous les jours avec un orgueil si grossier iv ?
Ce n’est pas assez de faire une guerre heureuse contre ces barbares, pour la terminer par une paix telle quelle ; ce n’est pas assez de les humilier, il faudrait les détruire v. Un homme à idées neuves vi me disait il y a quelques jours qu'on pourrait aisément dans les vastes plaines où vos troupes vont marcher se servir avec succès des anciens chariots de guerre en les rectifiant . Il imaginait des chars à deux timons bordés à leur extrémité d'un large chanfrein qui couvrirait le poitrail des chevaux . Chaque char très léger serait conduit par deux fusiliers postés derrière le char sur une soupente . Ces chars précéderaient la cavalerie . Ce spectacle étonnerait les Turcs, et tout ce qui étonne subjugue . Ce qui ne vaudrait rien dans un pays entrecoupé ou montagneux pourrait être merveilleux en plaine, au moins pour une campagne . L'essai coûterait fort peu de chose . Il pourrait beaucoup servir sans nuire . Voila ce que me disait mon songe-creux . Et je le répète à l'héroïne de notre siècle . Elle en jugera d'un coup d'œil . Elle pourra en rire, mais elle pardonnera au zèle .
Pendant qu'elle se prépare contre le Turc elle forme un corps de loi . Je lis votre Instruction vii et je n'interromps ma lecture que pour achever ma lettre . Madame, Numa et Minos auraient signé viii votre ouvrage, et n'auraient pas été peut-être capable de le faire . Cela est net, précis, équitable, ferme, et humain. Soyez sûre que personne n’aura dans la postérité un plus grand nom que vous . Mais, au nom de Dieu, battez les Turcs, malgré le nonce du pape en Pologne, qui est si bien avec eux ix.
De tous les préjugés destructrice brillante,
Qui du vrai dans tout genre embrassez le parti,
Soyez à la fois triomphante
Et du saint-Père et du mufti.
Eh ! Madame, quelle leçon Votre Majesté Impériale donne à nos petits-maîtres français, à nos sages maîtres de Sorbonne, à nos Esculapes des écoles de médecine x! Vous vous êtes fait inoculer, avec moins d’appareil qu’une religieuse ne prend un lavement. Le prince impérial a suivi votre exemple. M. le comte Orlof va à la chasse dans la neige, après s’être fait donner la petite-vérole : voilà comme Scipion en aurait usé, si cette maladie, venue d’Arabie, avait existé de son temps.
Pour nous autres, nous avons été sur le point de ne pouvoir être inoculés que par arrêt du parlement. Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre nation, qui donnait autrefois de grands exemples en tout ; mais nous sommes bien barbares en certains cas, et bien pusillanimes dans d’autres.
Madame, je suis un vieux malade de soixante et quinze ans. Je radote peut-être, mais je vous dis au moins ce que je pense ; et cela est assez rare quand on parle à des personnes de votre espèce. La majesté impériale disparaît sur mon papier devant la personne. Mon enthousiasme l’emporte sur mon profond respect. Je révère la législatrice, la guerrière, la philosophe . Je prends la liberté de mettre dans ce paquet des niaiseries indignes d'elle . J'ai ramassé sur-le-champ ce que j'ai pu . S'il paraît quelque chose qui puisse l'amuser, comment pourrai-je l'envoyer ? Est-ce par la poste ? Mais je serai mort d'étisie xi avant d'avoir reçu vos ordres . Battez les Turcs , et je meurs content xii.