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Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné

On envoie sa besogne dans son premier enthousiasme, le plus tôt qu’on peut ; ensuite on rabote, on lime, on polit, et on

... C'est bien vu, c'est tout à fait ce qui se passe à chaque projet de loi en France ; la folie des amendements de l'opposition serait risible si elle n'était pas tragique par les retards produits . Un certain crétinisme ou plus exactement un crétinisme certain semble bien le moteur de ces râleurs par principe . A leur décharge, les législateurs sont trop souvent brouillons . A l'heure où la guerre est proche, réfléchir et faire juste du premier coup est vital .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

Jeudi, 11è décembre 1766, à onze heures du matin

Cette honnête femme 1 vient d’arriver, et vous croyez bien qu’au nom de mes anges elle n’a pas été mal reçue. Nous avons sur-le-champ envoyé chercher à Genève son petit équipage de voyage ; nous l’avons tirée de l’hôtellerie la plus chère de l’Europe  où elle aurait été ruinée ; nous la logerons et nous aurons bien soin d’elle, jusqu’à ce qu’elle ait gagné son procès, et assurément elle le gagnera. Nous lui fournirons une voiture pour la reconduire en sûreté jusqu’à Dijon. Ce qui nous est recommandé par nos anges n’est-il pas sacré ? Je la reconduirais moi-même, si je pouvais sortir de mon appartement, dont il y a environ un an que je n’ai bougé.

Je n’ai point encore le mémoire pour les Sirven, cette toile de Pénélope qu’on me fait attendre depuis deux ans ; mais j’espère, mes anges, que vous l’aurez ce mois-ci, et que vous en serez satisfaits. Le canevas que je vis l’année passée promettait un excellent ouvrage. Damilaville, qui pense fortement et qui aide un peu notre avocat, me répond que ce mémoire fera un très grand effet. C’est alors que nous vous demanderons que vous embouchiez la trompette du jugement dernier pour effrayer la calomnie et l’injustice.

Un petit mot encore, je vous prie, des Scythes. On envoie sa besogne dans son premier enthousiasme, le plus tôt qu’on peut ; ensuite on rabote, on lime, on polit, et on met plus de temps à revoir qu’à faire. Je n’ai pas cessé un moment de travailler, et je vous avoue que je trouve cette pièce très neuve et très intéressante, écrite d’un bout à l’autre avec ce style de vérité qui est celui de la nature et qui dédaigne tous les ornements étrangers. Souvenez-vous que celle-là fera du bien aux comédiens, quand ils auront des acteurs et des actrices ; je vous en donne ma parole d’honneur .

Je suis dans le secret de La Harpe ; mais je ne lui dis pas mon secret. J’ai quelque honte de faire une tragédie à mon âge et de devenir l’émule de mon disciple. Cependant il faudra bien qu’à la fin je me confie à lui, comme il se confie à moi. Je lui rends toutes les sévérités dont vous m’accablez, je ne lui passe rien, et j’espère qu’à Pâques il vous donnera une tragédie très bonne. Vous voyez que je ne suis pas inutile au tripot, quoique je m’occupe quelquefois de choses plus sérieuses.

Avez-vous vu la pièce de M. de Chabanon 2 ? Je voudrais que tout le monde fît des tragédies, comme le père Lemoine voulait que tout le monde dît la messe.

Mon Dieu, que nous allons parler de vous avec votre ambassadrice !

Toute ma petite famille est à vos pieds.

Je vous envoie la lettre de M. Jeannel, que je reçois dans le moment . M. le duc de Praslin verra que la personne entre les mains de laquelle le paquet est tombé ne le rendra point, et qu’il fait cas de l’ouvrage. Il est ridicule d’ailleurs, que ce petit livre ne soit pas plus connu ; il ne peut faire que du bien.

Je fais mes compliments à Lejeune ; mais comme il orthographie très mal mon nom, je le prie de ne l’écrire jamais, ni de le prononcer, et surtout quand il écrira à Mme sa femme. Il faut être discret sur les affaires de famille, sans quoi il me serait absolument impossible de lui rendre service. »

1Cette « honnête femme », épouse du libraire parisien Lejeune est en réalité venue en Suisse pour organiser une opération de contrebande de livres prohibés ; elle se fait passer à cet effet pour la femme d'un domestique des d'Argental qui lui accordaient cette couverture . Voir lettre du 23 décembre 1766 à d'Argental : « Cette femme que vous m'avez recommandée fait un petit commerce de livres avec les libraires de Paris .[...] Les commis ont visité ses malles, ils y ont trouvé des imprimés, ils ont saisi les malles, la voiture, les chevaux .  […] Elle a pris la fuite […]. On ne sait où elle est [...]», et lettre du 27 décembre 1766 à d'Argental : « Elle m'a dit qu'elle est la sœur de ce célèbre capitaine Thurot qui est mort si glorieusement au service du roi . Quelle destinée pour la sœur d'un si brave homme ! ».

Voir la remarquable chronique de cet événement : « Voltaire contrebandier » : http://www.leschroniquesdemichelb.com/2010/10/voltaire-contrebandier-1ere-partie.html

et : http://www.leschroniquesdemichelb.com/2010/10/voltaire-contrebandier-2eme-partie.html

et : http://www.leschroniquesdemichelb.com/2010/10/voltaire-contrebandier-3eme-partie_07.html

et : http://www.leschroniquesdemichelb.com/2010/10/voltaire-contrebandier-4eme-partie.html

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11/03/2022 | Lien permanent

un grand homme qui n’avait de défaut que d’être femme

D'ici la réouverture du château de Volti au printemps, devrait paraître un ouvrage de la collection Itinéraires du Patrimoine descriptif d'icelui château .

Je sais que le texte est le fruit du labeur d'un voltairien engagé et les photos d'un photographe (tiens, comme c'est curieux ! James ! un photographe-des photos, Derrick n'aurait pas pu déduire mieux .- Je mets Derrick pour faire plaisir à quelqu'un qui en est fan au point de le regarder pendant le travail et qui ne me lira sans doute jamais ! -).

Photographe attentif, attentionné, perfectionniste et qui s'est donné un mal de chien pour donner des documents d'excellente qualité . Il a fini son reportage avec une bise noire (c'est un vent de chez nous , qui vient de Suisse sans déclaration en douane ) à décoller les pixels .

bise noire.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme Volti, et grâce à lui, moi aussi, j'ai trouvé un grand homme en jupon (non, ce n'est pas Jean-Paul Gaulthier, bien qu'il me plaise énormément !!... -dans son domaine de créateur évidemment !- qu'alliez -vous penser ? ).

Si Dieu veut que nous restions amis vingt-cinq ans, je le veux aussi . Elle a toutes les vertus d'un honnête homme (comme moi  :-))  ) et celles d'un' honnêt' femm' , comme elle seule le peut.

 

 

« A Frédéric II, roi de Prusse

 

                            Sire,

                            Je viens de faire un effort dans l’état affreux où je  suis pour écrire à M. d’Argens [Frédéric écrivait le 16 septembre : « Vous avez bien affligé  le pauvre d’Argens en lui imputant des choses qu’il n’a jamais faites. Je ne sais où vous avez pu trouver des choses offensantes dans ses livres, où vous êtes loué à chaque page. »]. J’en ferai bien un autre pour me mettre aux pieds de Votre majesté.

 

                            J’ai perdu un ami de vingt-cinq années [Emilie du Châtelet], un grand homme qui n’avait de  défaut que d’être femme, et que tout Paris regrette et honore. On ne lui a peut-être pas rendu justice pendant sa vie, et vous n’avez peut-être pas jugé d’elle comme vous auriez fait si elle avait eu l’honneur d’être connue de Votre Majesté. Mais une femme qui a été capable de traduire Neuton et Virgile, et qui avait  toutes les vertus d’un honnête homme aura sans doute part à vos regrets.

 

                            L’état où je suis  depuis un mois ne me laisse guère d’espérance de vous revoir jamais, mais je vous dirai hardiment que si vous connaissiez mieux mon cœur, vous pourriez avoir aussi la bonté de regretter un homme qui certainement dans Votre Majesté n’avait aimé que votre personne.

 

                            Vous êtes roi, et par conséquent vous êtes accoutumé à vous défier des hommes. Vous avez pensé par ma dernière lettre, ou que je cherchais  une défaite pour ne pas venir à votre cour, ou que je cherchais un prétexte pour vous demander une légère faveur [le 31 août, il a écrit à Frédéric que le roi Stanislas chez qui il séjournait, était irrité d’être « traité un peu légèrement » dans un passage de l’Antimachiavel ; d’autre part que d’Argens avait imprimé que V* « étai(t) très mal dans (la) cour » de Frédéric. En  conséquence, il demandait à celui-ci de lui  « envoyer une demi-aune de ruban noir », c'est-à-dire l’ordre du mérite prussien : ainsi on «  ne pourrait l’empêcher de courir … remercier » ; « le souverain de Lunéville a besoin de ce prétexte pour n’être pas fâché … de ce voyage » . Frédéric avait répondu le 4 septembre que l’ordre pour le mérite est un ordre militaire qui ne peut se donner à des étrangers et qu’il s’étonnait qu’un philosophe comme V* pensât à de telles bagatelles, et d’autre part qu’il «  serait bien singulier que le roi Stanislas qui n’a jamais abusé de son pouvoir s’en avisât pour (le ) tyranniser ».]. Encore une fois vous ne me connaissez pas. Je vous ai dit la vérité, et la vérité la plus connue à Lunéville. Le roi de Pologne Stanislas est sensiblement affligé, et je vous conjure, Sire, de sa part et en son nom de permettre une nouvelle édition de l'Antimachiavel où l’on adoucira ce que vous avez dit de Charles XII et de lui. Il vous en sera très obligé. C’est le meilleur prince qui soit au monde, c’est le plus passionné de vos admirateurs et j’ose croire que Votre Majesté aura cette condescendance pour sa  sensibilité qui est extrême.

 

                            Il est encore très vrai que je n’aurais jamais pu le quitter pour venir vous faire ma cour dans le temps que vous l’affligiez et qu’il se plaignait de vous. J’imaginai le moyen que je proposai à Votre Majesté. Je crus et je crois encore ce moyen très décent et très convenable. J’ajoute encore que j’aurai dû attendre que Votre Majesté daignât me prévenir elle-même sur la chose dont je prenais la liberté de lui parler. Cette faveur était d’autant plus à sa place que j’ose vous répéter encore ce que je mande à M. d’Argens. Oui, Sire, M. d’Argens a constaté, relevé le bruit qui a couru que vous me retiriez vos bonnes grâces. Oui, il l’a imprimé. Je vous ai allégué cette raison, qu’il aurait dû appuyer lui-même. Il devait vous dire : « Sire, rien n’est plus vrai, ce bruit a couru, j’en ai parlé ; voici l’endroit de mon livre où je l’ai dit [dans les Lettres philosophiques et critiques par mademoiselle Co… avec les réponses de Mr. Ar…  La Haye 1744, où V*  « paraît sous le nom d’Euripide »] ; et il sera digne de la bonté de Votre Majesté de faire cesser ce bruit en appelant pour quelque temps à votre cour un homme qui m’aime et qui vous adore, et en l’honorant d’une marque de votre protection. »

 

                            Mais au lieu de lire attentivement l’endroit de ma lettre à Votre Majesté, où je le citais, au lieu de prendre cette occasion de m’appeler auprès de vous, il me fait un quiproquo où l’on n’entend rien, il me parle de libelles, de querelles d’auteurs, il dit que je me suis plaint à votre Majesté qu’il ait dit de moi des choses injurieuses, en un mot il se trompe et il me gronde et il a tort, car il sait bien, ce que je vous ai dit dans ma lettre [Le 31 août V* écrit : « Il a plu à mon cher Isaac Onis, fort aimable chambellan de Votre Majesté et que j’aime de tout mon cœur, d’imprimer que j’étais très mal dans votre cour. Je ne sais trop sur quoi fondé, mais la chose est moulée, et je le pardonne de tout mon cœur à un homme que je regarde comme le meilleur enfant du monde ; »], que je l’aime de tout mon cœur.

 

                            Mais vous, Sire, avez-vous raison avec moi ? Vous êtes un très grand roi, vous avez donné la paix dans Dresde, votre nom sera grand dans tous les siècles. Mais toute votre gloire et toute votre puissance ne vous mettent pas en droit d’affliger un cœur qui est tout à vous. Quand je me porterais aussi bien que je me porte mal, quand je serais à dix lieues de vos Etats, je ne ferai pas un pas pour aller à la cour d’un  grand homme qui ne m’aimerait point, et qui ne m’enverrait chercher que comme un souverain. Mais si vous me reconnaissiez et si vous aviez pour moi une vraie bonté, j’irais me mettre à vos pieds à Pékin. Je suis sensible, Sire,  et je ne  suis que cela. J’ai peut-être deux jours à vivre, je les passerai à vous admirer, mais à déplorer l’injustice que vous faites à une âme qui était si dévouée à la vôtre, et qui vous aime toujours, comme M. de Fénelon aimait Dieu, pour lui-même. Il ne faut pas que Dieu rebute celui qui lui offre un encens si rare.

 

                            V.

 

Croyez encore, s’il vous plait, que je n’ai pas besoin des petites vanités, et que je ne cherchais que vous seul.

 

                            A Paris ce 15 octobre 1749. »

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15/10/2009 | Lien permanent

Paris est ivre , on craint qu'ayant cuvé son vin, il ne lui reste une grande pesanteur de tête

... Voici le remède pour ceux qui ont forcé la dose en fêtant le déconfinement : https://www.youtube.com/watch?v=jF06KtI3uZw&list=UU55...

Kestuf - Episode 10 - La gueule de bois - YouTube

Pour tous ceux qui croient qu'ARTE est trop sérieuse ( ou sérieux ?) et que nul n'est plus drôle que Cyril Hanouna

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

8è mars 1765

Mon cher frère, vous m'apprenez deux nouvelles bien intéressantes ; on juge les Calas 1, et le généreux Élie veut encore défendre l'innocence des Sirven . Cette seconde affaire me parait plus difficile à traiter que la première, parce que les Sirven se sont enfuis, et hors du royaume ; parce qu'ils ont condamnés par contumace ; parce qu'ils doivent se représenter en justice ; parce qu'enfin ayant été condamnés par un juge subalterne, la loi veut qu'ils en appellent au parlement de Toulouse . C'est au divin Élie à savoir si l'on peut intervertir l’ordre judiciaire, et si le Conseil a les bras assez longs pour donner cet énorme soufflet à un parlement . Je crois qu’en attendant il ne serait pas mal de lâcher quelques exemplaires d’une certaine lettre sur cette affaire 2.

Quand à celle que j'ai écrite à Cideville 3, il est discret, et je lui ai bien recommandé de se taire . Je dis ici à tout le monde que la Destruction est d'un génie supérieur, et que cependant elle n'est pas de M. d'Alembert . Quoi qu'il en soit, les nez fins le flaireront à la première page . Tout l 'ouvrage sent l'Archimède Protagoras d'une lieue de loin . Qu'il dorme en paix, la nation le remerciera avant qu'il soit peu .

J'ai reçu le paquet que vous avez eu la bonté de m'envoyer . Je vous remercie tendrement malgré vous et vos dents, de toutes les bontés que vous avez pour moi .

Vous me mandez que Paris est ivre , on craint qu'ayant cuvé son vin, il ne lui reste une grande pesanteur de tête .

Je lirai L'Homme éclairé par ses besoins 4. J'ai grand besoin qu'on m'éclaire, et j'espère que le livre ne sera pas un amas de lieux communs . Un livre n'est excusable qu'autant qu'il apprend quelque chose .

Bonsoir, mon cher frère . Avant de finir, il faut que je vous demande quel cas on fait du Pyrrhonien raisonnable qu'on attribue au marquis d'Autrey 5. Pourquoi emploie-t-il toute la sagacité de son esprit à défendre la plus détestable des causes ? Pourquoi s'est-il déclaré contre Platon Diderot ? J'ai toujours été affligé qu'un certain ton d'enthousiasme et de hauteur ait attiré des ennemis à la raison . Sachons souffrir, résignons-nous, et surtout écr l'inf. »

1 Quarante maîtres des requêtes sont en train d'examiner le dossier d el'affaire Calas, et vont réhabiliter Jean Calas et sa famille le lendemain, trois ans jour pour jour après la condamnation à mort de Jean Calas .

5 Henri-Jean-Baptiste Fabry de Moncault, comte d'Autrey : Le Pyrrhonien raisonnable, ou Méthode nouvelle, proposée aux incrédules par M. l'abbé de ***, 1765 ; voir : https://data.bnf.fr/fr/12074766/henri-jean-baptiste_fabry_de_moncault_autrey/

et https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6529152t.texteImage

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23/05/2020 | Lien permanent

je suis un homme exact, quoique les faiseurs de tragédies n’aient pas cette réputation

... Oui, effectivement Vlad tu es exact comme un tir de missile balistique les armes à la main , et faux comme un jeton à une table de négociations, Trump en est tout ému et t'encense ; ça sent le faisandé .

En attendant : https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/en-direct-guerre-en-ukraine-poutine-brandit-la-menace-nucleaire-le-rouble-chute_2168855.html

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

28è novembre 1766

Je reçois la lettre de mes anges datée du 22. J’envoie à M. le duc de Praslin un second exemplaire du livre de jurisprudence 1 qu’il m’a ordonné de lui faire parvenir. Je le mets dans un paquet à son adresse. J’envoie ce paquet à M. Jeannel avec un autre exemplaire du même livre en feuilles, que j’ai reçu de Franche-Comté, et dont je lui fais présent.

La perte du paquet de M. le duc de Praslin me fait craindre pour la tragédie que j’avais eu l’honneur de lui envoyer. Le manuscrit lui fut dépêché dans le paquet de M. le chevalier de Beauteville. Je vous ai envoyé des corrections depuis, les unes adressées à M. le duc de Praslin, les autres à M. Marin, sous le couvert de M. de Sartines. J’envoie aujourd’hui au même M. Marin l’avis sur le procès des Sirven, dont les exemplaires sont devenus très rares.

Vous voyez, mes chers anges, que je suis un homme exact, quoique les faiseurs de tragédies n’aient pas cette réputation. M. du Clairon, qui n’a fait que la moitié d’une tragédie 2 n’est point exact. Il ne serait pas mal que M. le duc de Praslin eût la bonté de l’engager à faire les recherches nécessaires. Je suis convaincu que c’est un nommé La Beaumelle qui a envoyé à Amsterdam, au libraire nommé Schneider, mes prétendues lettres, avec les additions et les notes les plus criminelles contre le roi et contre les ministres. Cela est si vrai que dans une édition d’Avignon, sous le nom de Lausanne, l’éditeur dit : Nous n’imprimons pas les autres lettres, parce que M. La Beaumelle les a déjà données au public.3

Ce La Beaumelle est un petit huguenot, autrefois réfugié, confiné actuellement en Languedoc, sa patrie. Il travaille toujours de son premier métier . Il avait falsifié ainsi le Siècle de Louis XIV ; il l’avait chargé de notes horribles contre la famille royale ; il fut enfermé à Bicêtre, où il devrait être encore. Le fou de Verberie 4 n’était pas assurément si coupable que lui.

Mais mon alibi 5 me tient bien plus au cœur. Je suis en peine de savoir si mes anges ont reçu tous mes paquets gros et petits.

Si d’ailleurs ils trouvent le nom de Smerdis trop désagréable pour des Français, il n’y a qu’à prononcer Serdis aux deux premières représentations ; après quoi on restituera au prince d’Ecbatane, fils de Cyrus, son nom propre.

J’écris en droiture à mes anges toutes ces petites lettres, afin qu’il n’y ait point de temps perdu. Je me recommande à mon ordinaire à leurs extrêmes bontés, qui font la consolation de ma vie.

V. »

1 Le Commentaire sur le livre des délits et des peines, de Beccaria.

2 Cromwell, que Morand, disait-on, avait commencé.

3 On lit dans un « Nota » à la fin de Monsieur de Voltaire peint par lui-même , II, 63 : « Nous aurions pu grossir cet ouvrage, si M. D. L.B. ne nous avait prévenu en publiant les Lettres secrètes de Voltaire, que nous avons retranchées de notre recueil , afin de ne le pas grossir . »La référence n'est donc pas aux Lettres […] à ses amis du Parnasse comme le dit V* . Du reste la formule même prouve que ce nouveau recueil n'est pas de La Beaumelle .

Voir page 63 : https://books.google.fr/books?id=fkjMznY8HmoC&pg=PA32&lpg=PA32&dq=Monsieur+de+Voltaire+peint+par+lui-m%C3%AAme+,+II,+63&source=bl&ots=2m3OqI61WF&sig=ACfU3U007APY8so2aXh07_GsCkDHWjLbkA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj-0Nj4oKL2AhXGzoUKHToJCV4Q6AF6BAgNEAM#v=onepage&q=Monsieur%20de%20Voltaire%20peint%20par%20lui-m%C3%AAme%20%2C%20II%2C%2063&f=false

Voir page 6 : https://voltaire-lire.msh-lse.fr/IMG/pdf/RV_11_1_4_CMervaud.pdf

4 J. Rinquet, condamné à mort en 1762 ; voir lettre du 9 janvier 1763 à Cideville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/11/22/vous-etes-a-paris-a-la-source-de-tout-et-nous-ne-sommes-dans-6001833.html

5 Les Scythes , bien sûr .

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28/02/2022 | Lien permanent

Ma pauvre Pucelle devient une p. infâme, à qui on fait dire des grossièretés insupportables

Pourquoi Carmina Burana me trotte-t-il dans la tête ? Autant vous en faire profiter ! Puisque je suis fan de cette oeuvre ... même si c'est dans une autre version que ma préférée, qui est presque inaudible sur une de ces vieilles cassettes audio du siècle dernier .

http://www.youtube.com/watch?v=QEllLECo4OM

En voici les paroles :

http://maddingue.free.fr/carmina-burana/cb-by-Orff.fr.html

 

klaus nomi.jpg


Et simultanément, Klaus Nomi refait surface -je l'associe à l'oeuvre précédente, je ne sais plus si c'est à juste titre -, et je m'offre un bon moment en compagnie de ce phénomène .

http://www.deezer.com/music/track/11056598

 

 


« A M. Henri Lambert d'Herbigny , marquis DE THIBOUVILLE.

Aux Délices, 21 mai [1755]

Ce n'est pas dégoût, c'est désespoir et impuissance. Comment voulez-vous que je polisse mes magots de la Chine quand on m'écorche, moi, quand on me déchire, quand cette maudite Pucelle passe toute défigurée de maison en maison, que quiconque se mêle de rimailler remplit les lacunes à sa fantaisie, qu'on y insère des morceaux tout entiers qui sont la honte de la poésie et de l'humanité ? Ma pauvre Pucelle devient une p. infâme, à qui on fait dire des grossièretés insupportables. On y mêle encore de la satire; on glisse, pour la commodité de la rime, des vers scandaleux contre les personnes i à qui je suis le plus attaché. Cette persécution d'une espèce si nouvelle, que j'essuie dans ma retraite, m'accable d'une douleur contre laquelle je n'ai point de ressource. Je m'attends chaque jour à voir cet indigne ouvrage imprimé. On m'égorge, on m'accuse de m'égorger moi-même. Cet avorton d'Histoire universelle, tronqué et plein d'erreurs à chaque page, ne m'a-t-il pas été imputé? et ne suis-je pas à la fois la victime du larcin et de la calomnie? Je m'étais retiré dans une solitude profonde, et j'y travaillais en paix à réparer tant d'injustices et d'impostures. J'aurais pu, en conservant la liberté d'esprit que donne la retraite, travailler à l'ouvrage ii que vous aimez, et auquel vousvoulez bien donner quelque attention, mais cette liberté d'esprit est détruite par toutes les nouvelles affligeantes que je reçois. Je ne me sens pas le courage de travailler à une tragédie quand je succombe moi-même très-tragiquement. Il faudrait, mon cher Catilina, me donner la sérénité de votre âme et celle de M. d'Argental, pour me remettre à l'ouvrage. Soit que je sois en état d'achever mes Chinois et mes Tartares, soit que je sois forcé de les abandonner, je vous supplie de remercier pour moi M. Richelet iii de ses offres obligeantes.
Plus je suis sensible son attention, plus je le prie de ne pas manquer de donner au public l'EROE CINESE, di Metastasio iv. La circonstance sera favorable au débit de son ouvrage, et ce ne sera pas ce qui fera tort au mien. Je n'ai de commun avec Metastasio que le titre. On ne se douterait pas que la scène soit, chez lui, à la Chine: elle peut être où l'on veut; c'est une intrigue d'opéra ordinaire. Point de mœurs étrangères, point de caractères semblables aux miens; un tout autre sujet et un tout autre pinceau.
Son ouvrage peut valoir infiniment mieux que le mien, mais il n'y a aucun rapport. J'ai encore à vous prier, aimable ami, de dire à M. Sonning combien je le remercie d'avoir favorisé de ses grâces mon parterre et mon potager. Je lui épargne une lettre inutile; mes remerciements ne peuvent mieux être présentés que par vous. »

 

i Thibouville était nommé dans un vers scabreux qui est dans les variantes .http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri-Lambert_de_Thibouville

iii Richelet, ancien conseiller au Châtelet, a fait imprimer les Tragédies-opéra de l'abbé Metastasio, traduites en français, 1751-56, douze volumes petit in-12.

iv Voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5784275j/f93.image.r=EROE+CINESE,+di+Metastasio.langFR

V* défend l'originalité de son sujet dans L'Orphelin de la Chine.

 

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17/01/2012 | Lien permanent

Les soufflets dégoûteraient les voyageurs

... Sûrement ! *

Une quarantaine, de cinq jours, exigée par l'Italie à tous ceux qui entrent sur son territoire va-t-elle endiguer l'arrivée de ceux qui aiment les pâtes, les gelati et le soleil du Sud ? https://www.rtl.fr/actu/international/coronavirus-l-itali...

Que va-t-on pouvoir encore faire en France pour revenir à la vie normale ?

* Les soufflets du XVIIIè sont ordinairement rangés dans la boite à baffes au XXIè .( Le Petit Litré , 2021)

Site dédié au specimen Le Fou JD, ses motos, son métier, ses amours et plus  si affinités

Merci au gouvernement pour son évident bon sens de la prévention !

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

2è décembre 1765 à Ferney

Mes anges, je vous confirme que je me suis lassé de perdre mon temps à vouloir pacifier les Genevois. J’ai donné de longs dîners aux deux partis ; j’ai abouché M. Fabry avec eux. Cette noise, dont on fait du bruit, est très-peu de chose : elle se réduit à l’explication de quelques articles de la médiation. Il n’y a pas eu la moindre ombre de tumulte. C’est un procès de famille qui se plaide avec décence. Il n’est point vrai que le parti des citoyens ait mis opposition à l’élection des magistrats, comme l’a mandé M. Fabry, qui était alors peu instruit, et qui l’est mieux aujourd’hui. Les citoyens qui élisent ont seulement demandé de nouveaux candidats. Hennin trouvera peut-être le procès fini, ou le terminera aisément. Mon seul partage, comme je vous l’ai déjà dit1, a été de jeter de l’eau sur les charbons de Jean-Jacques Rousseau.

Ce qui m’a le plus déterminé encore à renvoyer les citoyens à M. Fabry, c’est un énorme soufflet donné en pleine rue à M. le président du Tillet, l’un des malades de M. Tronchin. C’est un homme languissant depuis trois ans, et dans l’état le plus triste. Un citoyen, qui apparemment était ivre, lui a fait cet affront. Le conseil, occupé de ses différends, n’a point pris connaissance de cet excès si punissable 2. Le docteur Tronchin, pour ne pas effaroucher les malades qui viennent de France, a traité le soufflet de maladie légère, et a voulu tout assoupir. Les soufflets dégoûteraient les voyageurs. Voilà pourtant la seconde insulte faite dans Genève à des Français. Le Conseil en pouvait faire justice d’autant plus aisément qu’il a mis aux fers un citoyen pour s’être rendu caution du droit de cité qu’un habitant réclamait sans montrer ses titres.

Il n’y a pas longtemps que M. le prince Camille fut condamné dans Genève à dix louis d’une espèce d’amende, pour avoir voulu séparer un de ses laquais qui se battait avec un citoyen 3. M. Hennin, encouragé par la protection de M. le duc de Praslin, mettra ordre à toutes ces étranges irrégularités. Pour moi, que mon âge et mes maladies retiennent dans la retraite, je fais de loin des vœux pour la concorde publique. J’aime tant la paix, et je l’inspire quelquefois avec tant de bonheur, que mon curé m’a donné un plein désistement du procès pour les dîmes. Ce désistement n’empêchera pas M. le duc de Praslin de persister dans ses bontés et de faire rendre un arrêt du Conseil qui confirmera les droits du pays de Gex et de Genève . Mais à présent des objets plus importants et plus intéressants doivent attirer son attention.

Je vous supplie, mes divins anges, de vouloir bien, quand vous le verrez, l’assurer de ma respectueuse reconnaissance. Le même sentiment m’anime pour vous avec l’amitié la plus tendre.

V. »

1 Voir lettre du 29 novembre 1765 :

2 Il n'en est effectivement pas fait état dans les archives de Genève .

3 Pas de trace non plus dans les archives .

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31/03/2021 | Lien permanent

Cette barbarie m’est toujours présente à l’esprit

... Ein Volk, ein Reich !! Zemmour Ier a parlé, ou plus exactement vociféré, et s'est fait applaudir, encenser, à Cannes par quatre mille haineux de son acabit . Mesmer fait figure de petit joueur, plus fort que lui un dictateur est à l'oeuvre . Le peu de temps que j'ai résisté à son écoute, je me suis rendu compte que le règne de la schlague nous est promis, et ce n'est pas cinquante nuances de Grey , mais plutôt l'unicolore des chemises brunes  . Zemmour , ta haine va te revenir en pleine gueule * ( tête * était trop faible ).

Eric Zemmour privé de direct sur CNews | Urtikan.net

 

 

 

« A Claude-Adrien Helvétius

27è octobre 1766 1

Vous me donnez, mon illustre philosophe, l’espérance la plus consolante et la plus chère. Quoi ! vous seriez assez bon pour venir dans mes déserts ?2 Ma fin approche, je m’affaiblis tous les jours ; ma mort sera douce, si je ne meurs point sans vous avoir vu.

Oui, sans doute, j’ai reçu votre réponse à la lettre que je vous avais écrite 3 par l’abbé Mords-les. Je n’ai pas actuellement un seul Philosophe ignorant 4. Toute l’édition que les Cramer avaient faite, et qu’ils avaient envoyée en France, leur a été renvoyée bien proprement par la Chambre syndicale ; elle est en chemin, et je n’en aurai que dans trois semaines. Ce petit livre est, comme vous savez, de l’abbé Tilladet 5; mais on m’impute tout ce que les Cramer impriment, et tout ce qui parait à Genève, en Suisse, et en Hollande. C’est un malheur attaché à cette célébrité fatale dont vous avez eu à vous plaindre aussi bien que moi. Il vaut mieux sans doute être ignoré et tranquille que d’être connu et persécuté. Ce que vous avez essuyé pour un livre 6 qui aurait été chéri des La Rochefoucauld doit faire frémir longtemps tous les gens de lettres. Cette barbarie m’est toujours présente à l’esprit, et je vous en aime toujours davantage.

Je vous envoie une petite brochure d’un avocat de Besançon 7, dans laquelle vous verrez des choses relatives à une barbarie bien plus horrible. Je crains encore qu’on ne m’impute cette petite brochure. Les gens de lettres, et même nos meilleurs amis, se rendent les uns aux autres de bien mauvais services, par la fureur qu’ils ont de vouloir toujours deviner les auteurs de certains livres. De qui est cet ouvrage attribué à Bolingbroke, à Boulanger, à Fréret ? Eh ! mes amis, qu’importe l’auteur de l’ouvrage ! ne voyez-vous pas que le vain plaisir de deviner devient une accusation formelle dont les scélérats abusent ? Vous exposez l’auteur que vous soupçonnez ; vous le livrez à toute la rage des fanatiques ; vous perdez celui que vous voudriez sauver. Loin de vous piquer de deviner si cruellement, faites au contraire tous les efforts possibles pour détourner les soupçons. Aidons-nous les uns les autres dans la cruelle persécution élevée contre la philosophie. Est-il possible que cette philosophie ne nous réunisse pas ! Quoi ! de misérables moines n’auront qu’un même esprit, un même cœur ; ils défendront les intérêts du couvent jusqu’à la mort ; et ceux qui éclairent les hommes ne seront qu’un troupeau dispersé, tantôt dévorés par les loups, et tantôt se donnant les uns aux autres des coups de dents !

L’abominable conduite de Jean-Jacques fait plus de tort à la philosophie que des mandements d’évêque et des arrêts du Parlement ; mais ce Judas de la troupe sacrée ne doit point décourager les autres apôtres. Qui peut rendre plus de services que vous à la raison et à la vertu ? qui peut être plus utile au monde, sans se compromettre avec les pervers ? Que de choses j’aurais à vous dire, et que j’aurai de plaisir à vous ouvrir mon cœur et à lire dans le vôtre, si je ne meurs pas sans vous avoir embrassé ! Du moins je vous embrasse de loin, et c’est avec une amitié égale à mon estime.

V. »

1 L'édition Helvétius supprime et des arrêts du Parlement dans le dernier paragraphe .

2 La visite n'eut finalement pas lieu .

5 En 1879, dans l'édition Garnier, Beuchot note : « Je ne connais aucune édition du Philosophe ignorant, imprimée sous le nom de Tilladet. — C’est à deux autres opuscules que Voltaire a mis le nom de cet abbé ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/139

et : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k707904/f3.item.texteImage

V* a adopté ce pseudonyme pour le Dialogue du douteur et de l'adorateur, et va s'en servir encore pour Tout en Dieu . Il y avait eu un abbé Jean-Marie de La Marque du Tilladet mort en 1715 ; voir : https://books.google.fr/books?id=tCRPAAAAcAAJ&pg=RA1-PA150#v=onepage&q=tilladet&f=false

6 De l’Esprit.

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23/01/2022 | Lien permanent

en qualité de citoyen j'espère que votre protection me tiendra lieu de ces droits

 ... Car c'est l'piston qui fait marcher la machine !

http://www.youtube.com/watch?v=kNiTBihzP78

Rien de neuf sous les crânes des citoyens lambda, beta ou omega, qui fricotent, font du lèche-bottes, du lobbying pour s'attirer les bonnes grâces d'élus, de gens dits  bien placés, depuis le policier de quartier jusqu'au président de la république en passant par le curé, sa bonne , le bedeau et l'archevêque .

Le besoin de passe-droits est incommensurable en notre vénéré pays des droits de l'homme , qui a changé de régime un certain 14 juillet, mais qui a gardé le même yaourt dans les cervelles .

Est-ce parce qu'il y trop de lois coercitives qu'instinctivement on cherche un raccourci ?

Est-ce par méfiance (justifiée plus que souvent) envers la gent des fonctionnaires ? Ces fonctionnaires qu'en privé on vilipende et qu'on caresse lâchement en public , ceux là ont réellement le pouvoir de nous pourrir la vie, ceux-là sont courtisés mieux qu'une maitresse , avec des résultats  identiques : nous sommes cocus !

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NDLR.- Toute ressemblance avec des personnes et des situations  connues, présentes, passées ou à venir, ne peut être que fortuite , cela va sans dire . Quoique ...

 

 

 

 

 

 

 « A Jean-François Joly de Fleury

Aux Délices 11 octobre 1758 1

Monsieur, on me propose une terre dans votre intendance 2 . C'est un agrément dont je sens le prix mais je n'en peux jouir sans votre protection . C'est la terre de Ferney à deux lieues de Genève au pays de Gex . Cette terre n'est convenable pour moi qu'autant qu'elle peut défrayer en partie ma maison des Délices, et me délivrer du continuel embarras d'acheter les choses nécessaires à la vie . Je n'ai chez moi que des fleurs, de l'ombrage, et quelquefois quarante personnes à nourrir par jour . Je dois à vos bontés la permission d'acheter en Bourgogne soixante coupes de blé par an , ce qui n'est pas la moitié de mon nécessaire . J'ai auprès de moi une assez nombreuse famille . Elle vous aura la même obligation que moi, monsieur, si vous daignez faciliter par vos bontés l’acquisition qui se présente . La terre de Ferney appartient, comme vous le savez monsieur, à M. de Budée de Boisy 3, descendant de ce célèbre Budée qui fît naître en France sous François Ier les belles lettres que je voudrais cultiver mieux que je ne fais . Vous les favoriserez en honorant de votre approbation le marché que M. de Budée de Boisy me propose . Je sais qu'en qualité de Genevois il a dans sa terre quelques droits dont je serai privé, mais en qualité de citoyen j'espère que votre protection me tiendra lieu de ces droits . Je demande la permission de faire passer de ma terre de Ferney cent coupes par an à ma maison des Délices, en cas que la terre soit à moi, outre les soixante que vous m'avez déjà accordées . Ces 160 coupes serviront pour la consommation de cette maison et pour celle de Lausanne où je passe l'hiver .

Je demande aussi la permission de payer la même somme que M. de Boisy paye pour son dixième . Ces deux grâces me détermineront à signer le marché dont je suspends la conclusion jusqu'au moment où je vous devrai , monsieur les facilités que j'ose attendre de vos bontés .

On dit, monsieur que vous avez à Gex un subdélégué,4 homme de mérite . Un mot de vous suffirait pour terminer avec lui les petites choses que je demande .

J'ai l'honneur d'être avec une reconnaissance respectueuse

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

gentilhomme ordinaire

du roi. »

1 Joly de Fleury répondra favorablement le 16 octobre 1758 en précisant : « Il ne m'est pas possible de vous donner une parole positive ni de prendre un engagement par écrit sur la permission de sortir 16 coupes de grain par chaque année, mais je vous prie de compter que vous n'éprouverez jamais de ma part aucune mauvaise difficulté ; en ce qui concerne les 10ès ou du moins les 2 10ès , ces impositions étant abonnées vous devez plutôt espérer de la diminution que de craindre la moindre augmentation à moins qu'il n'y eût quelque portion de l'ancien dénombrement . »

2 Joly de Fleury était l'intendant du Pays de l’État de Bourgogne, incluant Gex . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Fran%C3%A7ois_Joly_de_Fleury

 

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17/11/2013 | Lien permanent

Introduire dans la pièce de Sophocle une partie carrée d'amants transis est une sottise

http://www.deezer.com/listen-5113351

 

 

« A Claire-Josèphe-Hippolyte Léris de Latude Clairon

A Ferney, 7 aug[us]te 1761



Je crois, Mademoiselle, que votre zèle pour l'art tragique est égal à vos grands talents. J'ai beaucoup de choses à vous dire sur ce zèle qui est aussi noble que votre jeu.



J'ai été très affligé que vos amis aient souffert qu'on ait fait un si pitoyable ouvrage en faveur du théâtre [%]. Si on s'était adressé à moi, j'avais en main des pièces un peu plus décisives que tous les différents ordres dont l'ordre des avocats, des fanatiques, et des sots a tant abusé contre ce pauvre Huerne . J'ai en main la décision du confesseur du pape Clément XII [%%], décision fondée sur des témoignages plus authentiques que ceux qui ont été allégués dans ce malheureux mémoire. Cette décision du confesseur du pape me fut envoyée il y a plus de vingt ans ; je l'ai heureusement conservée, et j'en ferai usage dans l'édition que j'entreprends de Corneille [%%%]. Elle sera chargée à chaque page de remarques utiles sur l'art en général, sur la langue, sur la décence de notre spectacle, sur la déclamation, et je n'oublierai pas mademoiselle Clairon en parlant de Cornélie.



Vous avez été très effarouchée d'une lettre que j'ai écrite au sujet d'Electre [%%%%]. J'ai du l'écrire dans la situation où j'étais, et ne rien prendre sur moi ; et je me flatte que vous avez pardonné à mon embarras.



Vous voulez jouer Zulime. J'ai envoyé la pièce après avoir consumé un temps très précieux à la travailler avec le plus grand soin [%%%%%]. Je vous prie très instamment de la jouer comme je l'ai faite, et d'empêcher qu'on ne gâte mon ouvrage. Les acteurs sont intéressés à cette complaisance.



Vous vous apercevrez aisément, Mademoiselle, de l'excès du ridicule de l'édition de Tancrède faite à Paris. Vous verrez qu'on a tâché de faire tomber la pièce en l'imprimant ; et que si on la joue suivant cette leçon absurde, il est impossible qu'à la longue elle soit soufferte, malgré toute la supériorité de vos talents.



Vous voyez d'un coup d'œil quelle sottise fait Orbassan en répétant en quatre mauvais vers (page 32), ce qu'il a déjà dit, et en le répétant, pour comble de ridicule, sur les mêmes rimes déjà employées au commencement de ce couplet.

Si vous récitez ce mauvais vers :



On croit qu'à Solamir mon cœur se sacrifie,



vous gâtez toute la pièce. Il ne faut pas que vous imaginiez que Solamir ait part à votre condamnation. D'où pouvez-vous savoir qu'on croit vous immoler à Solamir ? Que veut dire mon cœur se sacrifie ? Il s'agit bien ici de cœur, il s'agit d'être exécutée à mort. Vous craignez qu'on n'impute à Tancrède la trahison pour laquelle vous êtes arrêtée, et c'est pour cela que jusqu'au 3è acte vous êtes prête d'avouer tout, croyant Tancrède à Messine, vous n'osez plus prononcer son nom dès que vous le voyez à Syracuse. Mais vous ne devez pas penser à Solamir. On a fait un tort irréparable à la pièce en la donnant de la manière dont elle est si ridiculement imprimée.



La 2è scène du 2è acte est tronquée et d'une sécheresse insupportable. Si votre père ne vous parle que pour vous condamner, s'il n'est pas désespéré, qui pourra être touché? Qui pourra vous plaindre quand un père ne vous plaint pas ? Sa douleur, la vôtre, ses doutes, vos réponses entrecoupées, ce père infortuné qui vous tend les bras, votre reproche sur sa faiblesse, votre aveu noble que vous avez écrit une lettre, et que vous avez dû l'écrire, tout cela est théâtral et touchant. Il y a plus, cela justifie les chevaliers qui vous condamnent ; si on ne joue pas ainsi la pièce, elle est perdue, elle est au rang de toutes les mauvaises pièces qu'on a données depuis quatre-vingts ans, que le jeu des acteurs fait supporter quelquefois au théâtre, et que tous les connaisseurs méprisent à la lecture. En un mot l'édition de Prault est ridicule et me couvre de ridicule. Je serai obligé de la désavouer puisqu'elle a été faite malgré mes instructions précises. Je vous prie très instamment, Mademoiselle, de garder cette lettre et de la montrer aux acteurs quand on jouera Tancrède.



Je vous fais mon compliment sur la manière dont vous avez joué Electre. Vous avez rendu à l'Europe le théâtre d'Athènes. Vous avez fait voir qu'on peut porter la terreur et la pitié dans l'âme des Français, sans le secours d'un amour impertinent et d'une galanterie de ruelle, aussi déplacés dans Electre qu'ils le seraient dans Cornélie. Introduire dans la pièce de Sophocle une partie carrée d'amants transis est une sottise [%%%%%%] que tous les gens sensés de l'Europe nous reprochent assez. Tout amour qui n'est pas une passion furieuse et tragique doit être banni du théâtre ; et un amour, quel qu'il soit, serait aussi mal dans Electre que dans Athalie. Vous avez réformé la déclamation ; il est temps de réformer la tragédie, et de la purger des amours insipides comme on a purgé le théâtre des petits-maîtres [%%%%%%%].



 

 

On m'a flatté que vous pourriez venir dans nos retraites. On dit que votre santé a besoin de M. Tronchin. Vous seriez reçue comme vous méritez de l'être, et vous verriez chez moi [ à Ferney ]un assez joli théâtre que peut-être vous honoreriez de vos talents sublimes, en faveur de l'admiration et de tous les sentiments que ma nièce et moi nous conservons pour vous. Mlle Corneille ne dit pas mal les vers. Ce serait un beau jour pour moi que celui où je verrai la petite fille [ plutôt une parente, petite-nièce peut-être] du grand Corneille confidente de l'illustre mademoiselle Clairon.

Je vous présente mon respect.



V. »



%Ouvrage de Huerne de La Mothe, avocat de Mlle Clairon ; cf. lettre du 6 mai à Le Brun, 31 mai à Damilaville et Thiriot, 21 juin à d'Argental.

 

%% Cerati, à qui il demanda le 6 avril 1746 s'il était vrai que les artistes n'étaient pas excommuniés à Rome et Florence. Cerati n'était pas le confesseur du pape, mais celui du conclave qui avait élu le pape. V* reconnaitra son erreur le 27 novembre 1761 auprès de Richelieu.

V* signale aussi une ordonnance du roi de 1641 à Mlle Clairon le 27 août 1761.

 

 

%%% A voir dans les notes de l'Épitre dédicatoire de Théodore.

 

 

%%%% Lettre dont une copie partielle est conservée à la Comédie française , de V*, adressée au comte de Lauraguais en juillet . Le comte lui ayant demandé de laisser sa chance à la Zarucma du « pauvre diable » de Cordier et ayant lui-même une Clitemnestre à faire jouer, V* a rejeté sur les comédiens la responsabilité de la reprise de son Oreste. CF. Lettre du 1er avril à d'Argental et 14 septembre.

 

%%%%% Aux d'Argental, le 26 juin, il écrivit que l'impression pirate de Zulime l'avait « fait apercevoir d'un défaut capital qui régnait dans cette pièce : c'était l'uniformité des sentiments de l'héroïne qui disait toujours : j'aime ; … il faut quelquefois dire : je hais » Le 28 juillet il se « jette à leur pieds pour que Zulime se tue » et il leur envoie « cette nouvelle façon de se tuer ».

 

%%%%%% Critique de l'Electre de Crébillon.

 

%%%%%%% Grâce au don généreux du comte de Lauraguais, il n'y a plus de spectateurs sur la scène du théâtre ; cf. lettre du 6 avril 1759 à d'Argental.

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07/08/2010 | Lien permanent

perdre une somme considérable que M. le Contrôleur général m'a fait l'honneur de me prendre dans ma poche pour le servic

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

17è janv[ier] 1774, à Ferney

 

 

Je vous remercie infiniment, mon cher ange, de la bonté que vous avez eue pour La Harpe i. C'est une petite goutte de baume versée sur la blessure que je lui fais malgré moi en passant devant lui supposé qu'en effet cette Sophonisbe de Mairet ii soit jouée avant les Barmécides iii. La Harpe m'avait demandé avec beaucoup d'adresse ce petit plaisir que vous lui avez fait . Il m'avait écrit que j'avais un prodigieux crédit auprès du Contrôleur général, et que je pouvais aisément lui faire obtenir une gratification. J'ai mieux aimé la lui faire que d'user de mon grand crédit, lequel a consisté jusqu'à présent à perdre une somme considérable que M. le Contrôleur général m'a fait l'honneur de me prendre dans ma poche pour le service de la patrie iv.

Je connais fort L'Épine v, horloger du roi, qui a dans Ferney un établissement, et même à mes dépens ; mais je ne connais point Caron Beaumarchais, quoiqu'il m'ait envoyé ses très comique Mémoires vi, dans lesquels il a fourré notre ami l'hippopotame vii, et Baculard le conseiller d'ambassade ; Caron est si plaisant, sur les ordinaires de la dame Goësmann viii, il est si impétueux, si extravagant et si drôle, que je mettrais ma main au feu qu'il n'a jamais empoisonné ses femmes ix. Les empoisonneurs ne font pas pouffer de rire ; ce sont d'ordinaire des chimistes très sérieux, et très peu amusants ; et il faut songer que Beaumarchais n'est pas médecin. D'ailleurs Beaumarchais n'avait nul intérêt à purger si violemment ses femmes, il n'héritait point d'elles et les vingt mille écus dont vous me parlez sont l'argent de la dot qu'il rendit à la famille en gardant pour lui tout ce qu'il put, qui n'était pas grand chose. Je crois qu'il est assez aisé à une femme d'empoisonner son mari, et à Monsieur d'empoisonner Madame ; il y en a eu des exemples dans les siècles passés ; mais Beaumarchais est trop étourdi pour être empoisonneur. C'est un art qui demande une prudence infinie.

 

Pour la plupart de vos comédiens de Paris, ce sont des meurtriers qui massacrent mes vers ; il n'y a que Lekain qui les fasse vivre.

 

Vous êtes-vous jamais donné la peine de lire la Sophonisbe de Corneille tant louée par Saint-Evremond ? C'est à mon gré le plus ridicule ouvrage qui soit jamais sorti du bec inégal de la plume de ce grand homme.

 

Le temps est fort doux au mont Jura. Je me flatte qu'il en est de même à Paris près de Montmartre ; et que la santé de Mme d'Argental va mieux. Jouissez de la vie, mes deux anges. Je me mets toujours à l'ombre de vos ailes, quoique de bien loin. Votre culte est établi à Ferney. »

 

i V* lui avait demandé de lui donner vingt-cinq louis, à valoir sur ce que d'Argental devait à V*.CF. Lettre du 30 décembre 1773 :

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/29/j...

 

iii Sophonisbe a été jouée le 15 janvier sans succès, ce qui fait que V* parlera de cabale. Les Barmécides, tragédie, sera créée à la Comédie Française le 11 juillet 1778.

Les Barmécides, historiquement parlant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Barmécides

Tragédie de La Harpe : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6124677v.r=.langFR

 

iv Rappel des actions de l'abbé Terray et des rescriptions.

 

v Beau-frère de Beaumarchais.

 

vi Les mémoires Goësmann sur son procès ; cf. lettre du 30 décembre 1773 à d'Argental.

 

vii Marin, appelé «animal marin » dans les Mémoires Goësmann ; Beaumarchais rajoute dans l'Addition au supplément du mémloire ...: « Qui sait si l'éclaircissement de ce fait ne nous montrera pas le noeud caché de toute l'intrigue, entre Bertrand, marin et consorts : Tel qui croyait n'avoir harponné qu'un marsouin / Amène quelquefois un lourd hippopotame » Sur le soi-disant « ami » Marin voir lettre à d'Argental du 30 décembre 1773. et voir Page 206 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5452641z/f229.image...

 

viii Beaumarchais l'accusait d'avoir reçu des épices.

 

ix Cette opinion de V* n'est pas partagée dans Paris et provoque des réactions ; Beaumarchais racontera une scène amusante à ce propos.

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17/01/2011 | Lien permanent

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