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Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné

Quand il devrait un peu m’en coûter, je ne reculerai pas.

... Et c'est bien là une décision/intention/proposition qui fait long feu, ou plutôt un flop de première grandeur . 

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

28è juillet [1761]1

Les divins anges sauront que je reçus avant-hier leur dernière lettre, datée de je ne sais plus quand. J’étais aux Délices ; je les ai cédées à M. le duc de Villars, qui s’y établit avec tout son train J’ai laissé la lettre de mes anges aux Délices ; mais je me souviens des principaux articles. Il était question vraiment de quelques vers, qu’ils aiment mieux comme ils étaient autrefois dans l’ancienne Zulime. Mes anges ont raison, repentir, innocence, vaut mieux que repentir, arrogance . Je ne me souviens pas bien précisément des autres, mais j'ai une idée confuse, que mes anges m'ont persuadé .

Je me jette à leurs pieds pour que Zulime se tue ; car il ne faut pas que tragédie finisse comme comédie, et autant qu’on peut, il faut laisser le poignard dans le cœur des assistants. Si vous goûtez cette nouvelle façon de se tuer que je vous envoie, vous me ferez grand plaisir. Ne me dites pas que ce pauvre bonhomme de père sera affligé . Il est juste que sa fille coupable passe le pas, et que le bonhomme de père, qui l’a fort mal élevée, soit un peu affligé pour sa peine.

Venons à un plus grand objet, à Pierre Corneille. On ne pourra rien faire, rien commencer, rien même projeter, si l’on n’a pas d’abord les noms de ceux qui veulent bien souscrire. Il y a une petite anicroche. Les Œuvres du théâtre de Corneille contiendront cinq volumes in-4°. Ces cinq volumes, avec des estampes, reviendraient à dix louis d’or et les souscriptions ne seront que de deux : on ne pourra donc point donner ces inutiles estampes, et on se contentera des remarques utiles. L’ouvrage est moitié trop bon marché, j’en conviens ; mais avec les bontés du roi, et les secours des premiers de la nation, les Cramer pourront être honorablement payés de leurs peines, et il y aura encore assez d’avantages pour M. et Mlle Corneille. Quand il devrait un peu m’en coûter, je ne reculerai pas. J’ai déjà commenté à peu près le Cid, les Horace, Cinna 2, Pompée, Polyeucte, Rodogune,et j'en suis à Héraclius. Il me paraît que ce travail sera principalement utile aux étrangers qui apprennent notre langue ; chaque page est chargée de notes ; je suis un vrai Scaliger, Mme Scaliger 3, prenez-moi sous votre protection.

Quant à la drôlerie du petit Hurtaud 4, il en sera tout ce qui plaira à Dieu. Je suis résigné à tout depuis la mort du cardinal Passionnei, et depuis notre petite défaite auprès de Ham. J’espérais que le cardinal Passionei me ferait avoir d’admirables privilèges pour mon église savoyarde. J’ai peur d’échouer dans le sacré et dans le profane ; je me disais : on va signer la paix dans Hanovre, tout le monde sera gai et content, on ne songera plus qu’à aller à la comédie, on souscrira en foule pour Pierre Corneille, tous les billets royaux seront payés à l’échéance, tout le monde se prendra par la main pour danser, depuis Collioure jusqu’à Dunkerque ; voilà mon rêve fini , et le réveil est triste.

La divine et superbe Clairon augmentera-t-elle ma douleur, et sera-t-elle fâchée contre moi, parce que j’ai été poli avec M. le comte de Lauraguais 5 ? Mon cher ange lui fera entendre raison ; il me l’a fait entendre si souvent à moi, qui suis plus capricieux qu’une actrice !

Je voudrais bien vous envoyer une partie de mon Commentaire ; mais tout cela est sur de petits papiers comme les feuilles de la Sibylle ; et d’ailleurs rien n’est en vérité moins amusant.

Respect à tous les anges. Le malheur est sur les yeux . Les miens sont affligés aussi  mais je songe aux vôtres.

V. »

1 L'édition de Kehl supprime le dernier tiers du premier paragraphe, après Mes anges ont raison […] à la suite de la copie Beaumarchais . Date complétée sur le manuscrit par d'Argental .

2 Cinna ajouté par V* au dessus de la ligne .

3  Surnom donné à Mme d'Argental par V*.

 

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29/06/2016 | Lien permanent

Tout ce que je crains c’est d'acquérir de l'indifférence avec l'âge – l'indifférence glace les talents

... et rend con ! -- je me le dis tout net .

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« A Bernard-Louis Chauvelin

Dans les neiges , 5 janvier [1763]

Ma main n'a point suivi mon cœur . Tout ce que je souhaite, c'est que Votre Excellence daigne être fâchée de ma paresse . J'ai été malade, j'ai travaillé, j'ai voulu vous écrire de jour en jour et je ne l'ai point fait . Je suis très coupable envers moi car je me suis privé d'un très grand plaisir . Si vous étiez à Paris j'aurais bien plus 1 d’amitié pour Olympie et pour Le Droit du Seigneur . Les entrailles paternelles s’émouvraient bien davantage pour mes enfants quand vous en seriez le parrain . Tout ce que je crains c’est d'acquérir de l'indifférence avec l'âge – l'indifférence glace les talents . Qui voit les choses de sang-froid, n'est bon que pour votre illustre métier .

Le ministère, à ce qu'on dit,

Veut une âme tranquille et sage,

Tandis que mon métier maudit

En veut une ardente et volage .

Vous n'employez que des raisons,
Quand il faut vous ouvrir, ou feindre,

Je ne peins que des passions :

Il faut les sentir pour les peindre .

Et les passions ! Il y a longtemps que je n'en ai plus . Vous monsieur qui en avez une si belle, et que la plus charmante ambassadrice du monde doit inspirer, c'est à vous de faire des vers .

Malgré mon âge décrépit

J'en ferais bien aussi pour elle

Si vous me donniez votre esprit

Et votre grâce naturelle .

J'aurai quelque chose à vous envoyer le mois prochain, mais comment m'y prendrai-je ? Ce mois-ci vous n'aurez rien . Je n'ai que des neiges ; j'en suis entouré, et elles passent dans ma tête . Peut-être en avez -vous autant à Turin ; et je ne sais si vous direz de la neige du Piémont ce que le cardinal de Polignac disait de la pluie de Marly 2. M. et Mme d'Argental ont cru que je plaisantais en vous suppliant de leur envoyer Le Droit du seigneur . Ils l'avaient en effet mais ils n'avaient pas une si bonne copie que la vôtre . Mes anges d'ailleurs me rendent la vie bien dure , ils me donnent des commissions comme on en donnait au diable de Papefiguière 3; et des corrections pour cette pièce-ci, et des changements pour cette pièce-là, et des additions, et des retranchements . Mes anges je ne suis pas de fer, ayez pitié de moi .

Je demande à Votre Excellence votre protection envers mes anges .

Je vous souhaite force années heureuses et je vous présente mon très tendre respect .

V. »

1 plus ajouté par V* au-dessus de la ligne .

2 Beuchot donne une explication en note dans son édition ; « Louis XIV lui faisait voir les jardins de Marly, et lui en faisait remarquer les beautés ; une averse survint ; le roi voulait interrompre la promenade : '' Sire , dit Polignac, la pluie de Marly ne mouille point.'' » Voir : https://books.google.fr/books?id=ejx_CgAAQBAJ&pg=PT1142&lpg=PT1142&dq=jardins+de+marly+polignac+louisXIV&source=bl&ots=uxPjpaSVe0&sig=EGosICfzo5tGrpRXzQtlgGC74VA&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiLtZrDkMHXAhWKzRoKHZcZC6gQ6AEISjAH#v=onepage&q=jardins%20de%20marly%20polignac%20louisXIV&f=false

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16/11/2017 | Lien permanent

Vous êtes, à Paris, à la source de tout, et nous ne sommes, dans les Alpes, qu’à la source des neiges

... Un peu de flatterie pour le microcosme parisien qui se croit nombril du monde , ça ne mange pas de pain . Le "tout" comprend bien sûr le bon et le mauvais , immanquablement , et quand un provincial évoque Paris le "mauvais" semble dominer , malheureusement pas toujours à tort .

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« A Pierre-Robert Le Cornier de Cideville

9è janvier 1763 au château de Ferney

par Genève 1

Oui, mon cher contemporain, mon cher confrère en Apollon, je compte sur votre amitié ; elle vous fascine les yeux en ma faveur, et je lui en sais le meilleur gré du monde. Plus vos lettres sont aimables, plus nous devons nous plaindre de leur rareté Mme Denis et moi. Vous êtes, à Paris, à la source de tout, et nous ne sommes, dans les Alpes, qu’à la source des neiges.

Vous me feriez grand plaisir de me mander si l’on a donné quelque pièce de Goldoni 2, et comment elle aura réussi. Je suis persuadé que l’évêque de Montrouge 3 fera un discours fort salé, et tout plein d’épigrammes à l’Académie : pour M. le duc de Saint-Aignan 4, je n’ai pas l’honneur de connaître son style.

Vous voyez donc quelquefois frère Thieriot ? Il me paraît qu’il fait plus d’usage d’une table à manger que d’une table à écrire. S’il fait jamais un ouvrage, ce sera en faveur de la paresse. Pour moi, quand je n’écris point, ce n’est pas à la paresse qu’il faut s’en prendre, c’est aux fardeaux dont je suis surchargé. Nous avons bientôt sept volumes de Corneille imprimés, et il y en aura peut-être quatorze . Il faut, avec cela, achever l’édition d’une Histoire générale, continuée jusqu’à ce temps-ci . Il faut achever celle du Czar, mettre la dernière main à cette Olympie, répondre à cent lettres dont aucune ne vaut les vôtres ; en voilà bien assez pour un vieux malade.

Vous m’aviez bien dit que la plupart de nos grands seigneurs ne donneraient que leur nom pour la souscription de Corneille. Les Anglais n’en ont pas usé ainsi, et vous saurez encore que ce sont les Anglais qui ont le plus puissamment secouru la veuve Calas ; le roi a rendu à cette infortunée ses deux filles, qu’on avait enfermées dans un couvent ; elles iront bientôt toutes trois montrer leur habit de deuil et leurs larmes à messieurs du Conseil d’État, que M. de Beaumont a si bien prévenus en faveur de l’innocence ; je soupire après le jugement, comme si j’étais parent du mort.

Je ne crois pas que je prenne fait et cause avec tant de chaleur que ce fou de Verberie 5 qu’on a pendu . On prétend que c’est un jésuite. Et que dites-vous, je vous prie, du fou à mortier, digne frère de d’Argens ? ne vaut-il pas mieux travailler pour l’Opéra-Comique, comme mon confrère l’abbé de Voisenon ?6

Mon cher ami, écrivez-moi tout ce que vous savez et tout ce que vous pensez ; vous nous direz que ce monde est fort ridicule ; mais un peu de détails, je vous prie, pour égayer nos neiges !

Je vais vous dire une nouvelle, moi ; c’est que nous avons été sur le point de marier mademoiselle Corneille. Si vous avez quelque parent de Racine, envoyez-le-nous ; cela produira peut-être quelque bonne pièce de théâtre, dont on dit que vous avez grand besoin dans votre capitale.

Adieu, mon cher ami ; je suis réduit à dicter, comme vous voyez ; car, quoique je sois aussi jeune que vous, je n’ai pas votre vigueur . Je vous embrasse de tout mon cœur.

V. »

 

1 V* répond à une lettre de Cideville du 29 décembre 1762 .

2 Le Théâtre Italien préparait la représentation de L’Amour paternel ou la Suivante reconnaissante, qui a eu lieu le 4 février 1763, c'était la première pièce de Goldoni jouée à Paris . Voir : https://books.google.fr/books?id=tubWCgAAQBAJ&pg=PT116&lpg=PT116&dq=l%27amour+paternel+goldoni+paris+1763&source=bl&ots=MnvbAC7EJT&sig=7W2SFWV1IYwSbndf0au405DnUWw&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj3mLzS49LXAhUN66QKHcplDgQQ6AEIWTAN#v=onepage&q=l'amour%20paternel%20goldoni%20paris%201763&f=false

3 L'abbé de Voisenon, élu à l'Académie française y sera reçu le 22 janvier 1763 . Voir : http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/claude-henri-de-fusee-de-voisenon

4 C'est lui qui devait répondre au discours du récipiendaire Voisenon ;Voir : http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/paul-hippolyte-de-beauvilliers-duc-de-saint-aignan

5 Le prêtre Jacques (ou Guillaume) Ringuet (ou Rinquet), devenu fou apparemment, a tenu des propos blasphématoires et calomniateurs à Verberie ; il a été exécuté en décembre 1762 . Voir page 347 et suiv. : https://books.google.fr/books?id=8dRCUMsq0O4C&pg=PA348&lpg=PA348&dq=verberie+1762&source=bl&ots=CTUHRxq1QK&sig=ch5dxKXqm-Hd6rlCgWbFNRXlrCM&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwie88Ky5dLXAhXJ4qQKHRruCKMQ6AEITjAH#v=onepage&q=verberie%201762&f=false

Voir l’article « Supplices I » du Dictionnaire philosophique, ainsi que La Méprise d'Arras . ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_philosophique/Garnier_(1878)/Supplices

et http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5626458f

6 Voisenon collabora souvent avec Favart pour des pièces destinées à l'Opéra-Comique .Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Simon_Favart

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23/11/2017 | Lien permanent

Si la loi était claire, tous les juges seraient du même avis ; mais quand elle ne l’est pas, quand il n’y a pas même de

... Je vous laisse juges !

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

Aux eaux de Rolle

en Suisse, par Genève, 14 juillet 1766

Mes chers anges, mettez-moi aux pieds de M. de Chauvelin ; dites-lui que je pense comme lui ; dites-lui que la pièce inspire je ne sais quoi d’atroce, mais qu’elle n’ennuie point ; qu’elle est un peu dans le goût anglais ; qu’on n’a eu d’autre intention que de dire ce qu’on pense d’Auguste et d’Antoine, et que d’ailleurs elle est assez fortement écrite.

Non vraiment je n’ai point ma minute . Je l’avais envoyée au libraire . Je ferai mon possible pour la retirer, et je vous conjure encore, par vos ailes, de me renvoyer ma copie, par la diligence de Lyon, à Meyrin, en belle toile cirée . C’est la façon dont il faut s’y prendre pour faire tenir tous les gros paquets. Vous verrez, par l’étrange lettre 1 que j’ai reçue d’un château près d’Abbeville, que vos dignes avocats ont encore bien plus fortement raison qu’ils ne pensaient. Il y a dans tout cela de quoi frémir d’horreur. Je suis persuadé que le roi aurait fait grâce, s’il avait su tout ce détail ; mais la tête avait tourné à ce pauvre chevalier de La Barre et à tout le monde ; on n’a pas su le défendre, on n’a pas su même récuser des témoins qu’on pouvait regarder comme subornés par Belleval 2. D’ailleurs, ce qui est bien singulier, c’est qu’il n’y a point de loi expresse pour un pareil délit. Il est abandonné, comme presque tout le reste, à la prudence ou au caprice du juge. Le lieutenant d’Abbeville a craint de n’en pas faire assez, et le parlement en a trop fait. Vous savez que des vingt-cinq juges il n’y en a eu que quinze qui ont opiné à la mort. Mais quand plus d’un tiers des opinants penche vers la clémence, les deux autres tiers sont bien cruels. De quoi dépend la vie des hommes ! Si la loi était claire, tous les juges seraient du même avis ; mais quand elle ne l’est pas, quand il n’y a pas même de loi, faut-il que cinq voix de plus suffisent pour faire périr, dans les plus horribles tourments, un jeune gentilhomme qui n’est coupable que de folie ? Que lui aurait-on fait de plus s’il avait tué son père ?

En vérité, si le Parlement est le père du peuple, il ne l’est pas de la famille d’Ormesson 3. Je suis saisi d’horreur. Je prends actuellement des eaux minérales, mais sûrement elles me feront mal ; on ne digère rien après de pareilles aventures.

Je ne suis point surpris de la conduite de ce malheureux Jean-Jacques 4, mais j’en suis très-affligé. Il est affreux qu’il ait été donné à un pareil coquin de faire Le Vicaire savoyard. Ce malheureux fait trop de tort à la philosophie ; mais il ne ressemble aux philosophes que comme les singes ressemblent aux hommes.

Toute ma petite famille, mes anges, se met au bout de vos ailes, et moi surtout, qui vous adore autant que je hais, etc., etc., etc. , etc. , etc.

Je vous demande en grâce de m’envoyer la consultation des avocats ; il n’y a qu’à la mettre dans le paquet couvert de toile cirée, afin que les brûlés soient avec les roués. »

3 La Barre appartient à la famille d'Ormesson , par Le Febvre de La Barre en 1682 ; voir : https://www.geneastar.org/celebrite/lefebvrefra0/francois-jean-lefebvre-de-la-barre

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_Lef%C3%A8vre_d%27Ormesson

4 Voir lettre du même jour à Damilaville , et celle du celle du 16 juillet 1766 de d'Alembert : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/02/correspondance-avec-d-alembert-partie-41.html

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07/10/2021 | Lien permanent

Il en paraît tous les mois quelqu’un de cette espèce... chaque secte a ses fanatiques

... Désagréable, mais vrai .

La secte des adorateurs de volailles - Photos Humour

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet , comtesse d'Argental

22è octobre 1766

Mes divins anges, si mon état continue, adieu les tragédies. J’ai été vivement secoué, et j’ai la mine d’aller trouver Sophocle avant de faire, comme lui, des tragédies à quatre-vingts ans. Cependant je me sens un peu mieux, quand je songe que ma petite Durancy 1 est devenue une Clairon. J’eus très grande opinion d’elle lorsque je la vis débuter sur des tréteaux en Savoie, aux portes de Genève, et je vous prie, quand vous la verrez, de la faire souvenir de mes prophéties ; mais je vous avoue que je suis étonné qu’elle ait pris Pulchérie pour se faire valoir ; c’est ressusciter un mort après quatre-vingt-dix ans : Pulchérie est, à mon gré, un des plus mauvais ouvrages de Corneille. Je sens bien qu’elle a voulu prendre un rôle tout neuf ; mais quand on prend un habit neuf, il ne faut pas le prendre de bure.

Nous venons de perdre un homme bien médiocre à l’Académie française 2. On dit qu’il sera remplacé par Thomas 3; il aura besoin de toute son éloquence pour faire l’éloge d’un homme si mince.

Ne pourrais-je pas vous envoyer le Commentaire sur les Délits et les Peines 4 par la voie de M. Marin ? L’enveloppe de M. de Sartine n’est-elle pas, dans ces cas-là, une sauvegarde assurée ? On suppose alors, avec raison, que ces livres envoyés au secrétaire de la librairie lui sont adressés pour savoir si on en permettra l’introduction en France. Je ferai ce que vous me prescrirez. Je pourrais me servir de la voie de M. le chevalier de Beauteville, mais je ne l’emploierai qu’en cas que vous trouviez qu’il n’y a point d’inconvénient.

Le livre de Fréret 5 fait beaucoup de bruit. Il en paraît tous les mois quelqu’un de cette espèce. Il y a des gens acharnés contre les préjugés : on ne leur fera pas lâcher prise , chaque secte a ses fanatiques. Je n’ai pas, Dieu merci, ce zèle emporté ; j’attends paisiblement la mort entre mes montagnes, et je n’ai nulle envie de mourir martyr. Je ne veux pas non plus finir comme un citoyen de Genève, extrêmement riche, qui vient de se jeter dans le Rhône parce qu’avec son argent il n’avait pu acheter la santé . Je sais souffrir, et je n’irai dans le Rhône qu’à la dernière extrémité. Je suis assez de l’avis de Mécène 6, qui disait qu’un malade devait se trouver heureux d’être en vie.

Portez-vous bien, mes adorables anges ; il n’y a que cela de bon, parce que cela fait trouver tout bon.

Je voudrais bien savoir ce qu’on dit dans le public de la charlatanerie de Jean-Jacques ; j’ai vu un Thomas 7 sur le Pont-Neuf qui valait beaucoup mieux que lui, et dont on parlait moins. Ne m’oubliez pas, je vous en prie, auprès de M. de Chauvelin, quand vous le verrez.

Recevez mon tendre respect. »

1 Magdeleine-Céleste Fieuzal de Frossac, nommée Mlle Durancy, a fait ses débuts en 1759, est passée par l'Opéra, puis revenue à la Comédie quand Mlle Clairon se retira .

Voir : https://data.bnf.fr/atelier/14817975/magdelaine-celeste_fieuzal_de_frossac/

et : http://siefar.org/dictionnaire/fr/Madeleine-C%C3%A9leste_Fieuzal

5 L’Examen critique des Apologistes : voyez lettre du 1er avril 1766 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/07/06/m-6325583.html

7 C’était un célèbre et remarquable arracheur de dents, fin du XVIIe siècle et surtout XVIIIè  : https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1936_num_24_96_11433

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19/01/2022 | Lien permanent

Vous autres héros qui gouvernez le monde, vous ne vous laissez pas subjuguer par l'attendrissement

 

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« A Frédéric II, roi de Prusse

 

A Ferney, 22 septembre [1773]

 

Sire,

Il faut que je vous dise que j'ai bien senti ces jours-ci, malgré tous mes caprices passés, combien je suis attaché à Votre majesté et à votre maison . Mme la duchesse de Virtemberg, ayant eu comme tant d'autres la faiblesse de croire que la santé se trouve à Lausanne, et que le médecin Tissot la donne à qui la paye, a fait, comme vous savez, le voyage de Lausanne ; et moi, qui suis plus véritablement malade qu'elle, et que toutes les princesses qui ont pris Tissot pour Esculape, je n'ai pas eu la force de sortir de chez moi . Mme de Virtemberg, instruite de tous les sentiments que je conserve pour la mémoire de Mme la margrave de Bareith sa mère,1 a daigné venir dans mon ermitage et y passer deux jours . Je l'aurais reconnue quand même je n'aurais pas été averti ; elle a le tour du visage de sa mère, avec vos yeux 2. Vous autres héros qui gouvernez le monde, vous ne vous laissez pas subjuguer par l'attendrissement ; vous l'éprouvez tout comme nous , mais vous gardez votre décorum .

 

Pour nous autres chétifs mortels, nous cédons à toutes les impressions ; je me suis mis à pleurer en lui parlant de vous et de madame la princesse sa mère ; et quoiqu'elle soit la nièce du premier capitaine de l'Europe, elle ne put retenir ses larmes 3. Il me parait qu'elle a de l'esprit et les grâces de votre maison, et que surtout elle vous est plus attachée qu'à son mari . Elle s'en retourne, je crois , à Bareith, où elle trouvera une autre princesse d’un genre différent, c'est Mlle Clairon, qui cultive l'histoire naturelle 4, et qui est la philosophe de monsieur le Margrave 5.

 

Pour vous , Sire, je ne sais où vous êtes actuellement ; les gazettes vous font toujours courir . J'ignore si vous donnez des bénédictions dans un des évêchés de vos nouveaux États, ou dans votre abbaye d'Oliva 6: ce que je souhaite passionnément, c'est que les dissidents 7 se multiplient sous vos étendards . On dit que plusieurs jésuites se sont faits sociniens ; Dieu leur en fasse la grâce ! Il serait plaisant qu'ils bâtissent une église à St Servet ; il ne nous manque plus que cette révolution .

 

Je renonce à mes belles espérances de voir les mahométans chassés de l'Europe, et l'éloquence, la poésie, la musique, la peinture, la sculpture, renaissantes dans Athènes 8; ni vous , ni l’Empereur, ne voulez courir au Bosphore 9; vous laissez battre les Russes à Silistrie, et mon impératrice s'affermit pour quelque temps dans le pays de Thoas et d'Iphigénie 10. Enfin vous ne voulez point faire de croisade . Je vous crois très supérieur à Godefroy de Bouillon : vous auriez eu par dessus lui le plaisir de vous moquer des Turcs en jolis vers, tout aussi bien que des confédérés polonais 11; je vois bien que vous ne vous souciez d'aucune Jérusalem, ni de la terrestre, ni de la céleste : c'est bien dommage .

 

Le vieux malade de Ferney est toujours aux pieds de Votre Majesté ; il est bien fâché de ne plus s'entretenir de vous avec Mme la duchesse de Virtemberg qui vous adore . 

 

LE VIEUX MALADE .»


1 Wilhelmine, sœur ainée de Frédéric, « philosophe », que V* a vue au cours de ses voyages en Prusse et qu'il a rencontrée à Colmar et à Lyon, avec qui il a entretenu une correspondance, signée « frère Voltaire », même après la brouille de 1752-1753 avec Frédéric ; il a collaboré avec elle à des négociations secrètes de paix, et a composé une Ode après sa mort en 1758 .

Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Wilhelmine_de_Bayreuth

et : http://www.gutenberg.org/files/27808/27808-h/27808-h.htm

2 Ces yeux dont V* parla à plusieurs reprises .

3 Le conseiller Tronchin raconte qu'en partant, le 11 septembre, la princesse « sauta au cou » de V*, et que « tous deux sans se rien dire, se tenaient embrassés, fondant en larmes » . un autre témoin, Björnstahl, écrit que , dinant à Ferney le 7 septembre, la princesse dit à V* qui l'appelait « Votre altesse » : « Tu es mon papa, je suis ta fille, et je veux être appelée ta fille ».

4 Mlle Clairon eut un « cabinet d'histoire naturelle ».

5 Après avoir été quittée par le comte de Valbelle , elle s'est installée à Bayreuth, maîtresse de Christian Frédéric Charles de Brandenbourg, margrave d'Anspach , puis de Bayreuth, frère de la princesse de Wurtemberg .

Voir pages 40-41 : http://books.google.fr/books?id=orcmDxnlcKwC&pg=PA40&...

6 Près de Dantzig, dans une province polonaise annexée par la Russie ;

voir lettre du 6 décembre 1771 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/03/plus-vous-serez-gai-plus-longtemps-vous-vivrez.html

7 Les Dissidents polonais, révoltés contre les évêques, donnèrent l'occasion à Catherine II d'intervenir en Pologne et s'allièrent aux Russes .

8 Suite à la réponse du roi, V* précisera, le 28 octobre : « Quand je vous suppliais d'être le restaurateur des beaux arts de la Grèce, ma prière n'allait pas jusqu'à vous conjurer de rétablir la démocratie athénienne . Je n'aime point le gouvernement de la canaille . »

Voir page 474 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411364t/f477.image.r=octobre+.langFR

et page 487 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411364t/f490.image....

9 Frédéric dans sa lettre du 9 octobre déclare qu'il « renonce à la guerre de crainte d'encourir l'excommunication des philosophes » et cite l'article « Guerre » de l'Encyclopédie .

10 A savoir en Tauride, c'est à dire en Crimée .

11 Allusion au poème de Frédéric, La Guerre des Confédérés ; voir lettre à Frédéric du 6 décembre 1771 : réf. note 6 .

La Guerre des confédérés : page 329 : http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-201484&...

 

 

 

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22/09/2011 | Lien permanent

Je ne cherche dans la terre de Ferney qu'un tombeau dans ma patrie

 ... Point de dépouille de Voltaire à Ferney, de toute façon il est immortel, ... et son esprit est partout .

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« A Louis-Gaspard Fabry

Aux Délices près de Genève

6 novembre [1758]

Monsieur, j'ai eu l'honneur de voir monsieur votre frère à Ornex . Je lui ai témoigné combien j'étais affligé que ma mauvaise santé m'eût empêché de venir vous rendre mes devoirs . C'est tout ce que j'ai pu faire d 'aller chez M. de Boisy deux ou trois fois . Le régime où me tient M. Tronchin me condamne à des assujettissements bien tristes . Je ne cherche dans la terre de Ferney qu'un tombeau dans ma patrie .

On m'a parlé d'abord des lods et ventes de ce tombeau sur le pied du cinquantième denier, ensuite on m'a dit que c'était le huitième puis le sixième, et enfin le quart . J'écrivis d'abord à Mme la princesse de Conti . Elle m'a mandé qu'il n'était point du tout sûr que Mgr le comte de La Marche son petit-fils eût la seigneurie de Gex 1 dont dépend la terre de Ferney . J'écrivis en même temps à Mgr le comte de La Marche et à son intendant pour demander que la moitié des lods me fût remise , et je n'ai point encore eu de réponse .

J'eus l'honneur de vous écrire en ce temps-là mais j'étais fort peu instruit de tout ce que 2 on m'a remis le mémoire ci-joint que j'ai l'honneur de vous envoyer . Il peut servir ou auprès de Mgr le comte de La Marche ou auprès de celui qui sera possesseur de Gex . Il ne s'agit dans ce mémoire que des 2 tiers des lods que le seigneur dominant s'est réservé . Quant à votre tiers, monsieur, c'est un autre article sur lequel vous n'éprouverez de ma part que beaucoup d'envie de vous plaire , si je parviens à consommer entièrement cette affaire qui n'est pas sans difficultés et sans épines .

Si je peux coucher quelqu'un de ces jours chez M. de Boisy, j'irai avec beaucoup d'empressement à Gex vous demander vos lumières et vos bontés . Monsieur, votre frère m'a flatté que vous pourriez en attendant venir avec lui dans ma petite retraite dont je ne sors presque jamais , et où je dîne tous les jours à deux heures et demie . Je n'ose espérer que vos affaires vous permettent de faire ce voyage , mais je serais enchanté de vous recevoir et de vous dire avec quels sentiments j'ai l'honneur d'être,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur .

Voltaire . »

1 Louise-Elisabeth de Bourbon-Condé écrivait à V* le 23 octobre 1758 : « J'ai envoyé votre lettre , monsieur, à mon petit-fils qui est à l'armée mais je puis toujours vous y répondre qu'il ne peut rien dire à présent les affaires de la successsion n'étant pas décidées . Il ne sait si il aura la terre de Gex ou s'il ne l'aura pas . J'aurais été fort aise qu'il put faire ce que vous souhaitez . »

2 Sauf erreur de déchiffrement, V* fait ici un lapsus difficile à corriger .

 

 

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04/12/2013 | Lien permanent

Vous avez le droit de vous élever contre eux; c'est à la vertu d'être intrépide

 EUX ! "... [s'] élever contre eux" , contre ces amuseurs tristes qui nous promettent tout et son contraire, qui ne rêvent que d'assurer leur avenir historiquement (et matériellement ), si ce n'est honorablement .

Eux, ces candidats qui se bagarrent au lieu de s'unir en gardant les meilleures voies de chaque parti ( plutôt que seulement les voix des électeurs abusés ! ).

Intrépide , "LA" vertu ! c'est encore au genre féminin d'intervenir !

Reste-t-il des vertus masculines ?

4_vertus_cardinales.jpg

 

 

« A M. le comte d'ARGENTAL.

Aux Délices, 12 septembre [1755]

Je vous ai déjà mandé, mon cher ange, que j'ai envoyé la pièce à Lambert que la seule chose importante pour moi, dans le triste état où je suis, c'est qu'elle paraisse avec les petits boucliers qui repoussent les coups qu'on me porte.

J'ai pris, sur les occupations cruelles, sur les maux qui m'accablent, sur le sommeil que je ne connais guère, un peu de temps à la hâte, pour corriger, pour arrondir ce que j'ai pu. Si la pièce était malheureusement imprimée de la manière dont les comédiens la jouent, elle me ferait d'autant plus de peine que les copies en seraient très-incorrectes, et c'est ce que j'ai craint; c'est ce qui est arrivé à Rome sauvée, transcrite aux représentations. Il n'y a nulle liaison dans les choses qu'on a été obligé de substituer pour faire taire des critiques très- injustes. Ces critiques disparaissent bientôt, et il ne faut pas qu'il reste de vestige de la précipitation avec laquelle on a été forcé d'adoucir les ennemis d'un ouvrage passable, avec des vers nécessairement faibles, par lesquels on a cru les désarmer. S'il reste quelques longueurs, si l'impatience française ne veut pas que le dialogue ait sa juste étendue, on peut, aux représentations, sacrifier des vers mais les yeux jugent autrement. Le lecteur exige que tout ait sa proportion, que rien ne soit tronqué, que le dialogue ait toute sa justesse. Je ne parle point de certains vers énergiques, tels que

Les lois vivent encore, et l'emportent sur vous .1 ( Acte IV, scène IV.)

vers que Mme de Pompadour a approuvés, vers qui donnent quelque prix à mon ouvrage. Me les ôter sans aucune raison, c'est jeter une bouteille d'encre sur le tableau d'un peintre. Ne joignez pas, je vous en conjure, aux désagréments qui m'environnent, celui de laisser paraître mon ouvrage défiguré. Je serai peut-être dans la nécessité d'employer plus de soins à faire jouer ma pièce à Fontainebleau, comme elle doit l'être, qu'on en a mis à satisfaire les murmures inévitables à une première représentation dans Paris. Un peu de fermeté, quelques vers retranchés, suffiront pour faire passer la pièce au tribunal de ce parterre si indocile; mais, au nom de Dieu, que mon ouvrage soit imprimé comme je l'ai fait. Mon cher ange, j'exige cette justice de votre amitié.

Quant à M. de Malesherbes, il a tort, et il faut avoir le courage de lui faire sentir qu'il a tort, il n'y a que votre esprit aimable et conciliant qui puisse réussir dans cette affaire. N'y êtes-vous pas intéressé? Quoi! un Ximenès vole des manuscrits, et ce lâche insulte! et il vous traite d'espèce! et M. de Malesherbes a protégé ce vol! Contre qui? contre celui que ce vol pouvait perdre. Parlez, parlez avec le courage de votre probité, de votre honneur, de votre amitié. Les hommes sont bien méchants! Vous avez le droit de vous élever contre eux; c'est à la vertu d'être intrépide. Je vous embrasse mille fois. Comment va le pied de madame d'Argental? Je vous envoie, par M. de Malesherbes même, l'édition de Genève. Prault n'aura rien. Lambert aura la France, les comédiens auront mon travail. Il ne me reste que les tracasseries, mon cher ange vos bontés l'emportent sur tout. »

 



 

1 La crainte que la police ne vit une allusion dans ce beau vers avait engagé un des amis de Voltaire à y substituer un vers insignifiant. Voir lettre du 8 octobre à Mlle Clairon : page 478 :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411354g/f481.image.r=oeuvres+completes+voltaire.langFR

 

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29/03/2012 | Lien permanent

il n'était pas cardinal ; s'il avait eu l'honneur de l'être, il aurait pu voler l’État aussi impunément que le cardinal

 Un cardinal du nord ..., emplumé .

Cardinal du nord.jpg

 Un cardinal , coléoptère susceptible de se faire dévorer par l'emplumé .

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Cardinal , "prince de l'Eglise" , à la triste figure , qui bouffa ses adversaires .

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Et "LA CARDINALE", souriante , bel oiseau aussi .

Claudia+Cardinale.jpg

 

 

« A M. de Brenles

 

 

 

Prangins, le 12 janvier [1755]

 

 

 

J'envoie à Monrion, monsieur, étant trop malade pour y aller moi-même . Je fais visiter mon tombeau ,

 

Ut molliter ossa quiescant . Virgile i

 

Dieu vous préserve, vous et Mme de Brenles, de venir voir un malade dans ce beau château qui n'est pas encore meublé, et où il n'y a presque d'appartements que ceux que nous occupons ! On travaille au reste , mais tout ne sera prêt qu'au printemps, et j'espère qu'alors ce sera à Monrion où j'aurai l'honneur de vous recevoir .

 

Je n'ai jamais lu Machiavel en français,ii ainsi je ne peux vous en dire de nouvelles . Pour cause de la disgrâce du surintendant Fouquet,iii je suis persuadé qu'elle ne vint que de ce qu'il n'était pas cardinal ; s'il avait eu l'honneur de l'être, il aurait pu voler l’État aussi impunément que le cardinal Mazarin ; mais n'étant que surintendant, et n'étant coupable que de la vingtième partie des déprédations de Son Éminence, il fut perdu . Je n'ai vu nulle part qu'il se fût flatté de devenir premier ministre . Colbert , qui avait été recommandé au roi par le cardinal, voulut perdre Fouquet pour avoir sa place , et il y réussit . Cette mauvaise manœuvre valut du moins à la France un bon ministre . Je ne sais pas si les ministres d'aujourd'hui seront aussi favorables à mon ami Dupont iv que je le désire ; j'ai fait tout ce que j'ai pu, et je serais fort étonné de réussir .

 

Mme Denis et moi, nous vous faisons, aussi bien qu'à Mme de Brenles les plus sincères compliments . Nous n'avons point eu encore le bonheur de vous voir, mais nous avons pour vous les mêmes sentiments que ceux qui vous voient tous les jours .

 

Voilà un rude hiver pour un malade ; mes beaux jours viendront quand je sera votre voisin .

 

Voltaire.»


 

i ce serait le doux repos de mes cendres .

 

ii Il l'a lu en italien , ce qui lui permit de corriger l'Anti-Machiavel de Frédéric II de Prusse en 1740 ; voir page 72 et suivantes : http://books.google.fr/books?id=-6GoSfht3g0C&pg=PA86&...

 

iii Voir page 310 et suivantes du Siècle de Louis XIV : http://books.google.fr/books?id=1dQaAAAAYAAJ&pg=PA313...

 

iv V* a fait appel à ses relations pour appuyer la demande de la place de prévôt de Munster pour Dupont; ce sera effectivement en vain .

 

 

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07/11/2011 | Lien permanent

Celui qui vous amusera le plus en quelque genre que ce soit aura toujours raison avec vous

Ce n'est pas à soixante-seize ans que Volti va se laisser impressionner par une femme, fût-elle la marquise du Deffand à la langue acérée. Il la connait comme sa poche .

Mais, Le chat a toujours raison !: http://www.deezer.com/listen-3040151

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Et sans transition, revenons à l'actualité politique française , qui me semble se répéter depuis des siècles .

 "Il y a actuellement entre les souverains chrétiens une cordialité qui ne se trouve pas entre les ministres"

Que je traduis par ... exactement la même chose ! 

Souverains sont les présidents des différents états, chrétiens quand ça les arrange (chanoine Sarko), cordiaux comme des larrons en foire (pouvoir et fric sont reconnus bons ), maîtres de ministres qui se détestent (- Qui va gicler ? -Lui/Elle ! mais pas moi, je suis le/la meilleur(e) !).

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« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

 

 

2è septembre 1770

 

 

Je vous envoie, Madame, par votre grand-maman [i] la petite drôlerie en faveur de la divinité contre le volume énorme du Système de la nature [ii], que sûrement vous n'avez pas lu. Car la matière a beau être intéressante ; je vous connais, vous ne voulez vous ennuyer pour rien au monde ; et ce terrible livre est trop plein de longueurs et de répétitions pour que vous pussiez en soutenir la lecture. Le goût chez vous marche avant tout. Celui qui vous amusera le plus en quelque genre que ce soit aura toujours raison avec vous . Si je ne vous amuse pas, du moins je ne vous ennuierai guère. Car je réponds en vingt pages à deux gros volumes.

 

Je me flatte que votre grand-maman s'est enfin réconciliée avec Catherine seconde ; tant de sang ottoman doit effacer celui d'un ivrogne qui l'aurait mise dans un couvent [iii] . Et après tout ma Catau vaut beaucoup mieux que Moustapha . Avouez, Madame, que dans le fond du cœur vous êtes pour elle. Des lettres de Venise disent que la canaille musulmane a tué l'ambassadeur de France et presque toute sa suite, que l'ambassadeur d'Angleterre s'est sauvé déguisé en matelot [iv] et que Moustapha a donné une garde de mille janissaires au baile de Venise ; je veux ne point croire ces étranges nouvelles. Mais si malheureusement elles étaient vraies, votre grand-maman elle-même ferait des vœux pour que Catherine fût couronnée à Constantinople.

 

Le Roi de Prusse est allé en Moravie rendre à l'Empereur [v] sa visite familière. Il y a actuellement entre les souverains chrétiens une cordialité qui ne se trouve pas entre les ministres.[vi]

 

Voilà, Madame, tout ce que sait un vieux solitaire qui voit avec horreur les jours s'accourcir et l'hiver s'approcher. Conservez votre santé, votre gaieté, votre imagination et votre bonté, pour votre très vieux et très malingre serviteur, qui vous est bien tendrement attaché pour le reste de ses jours. »

i La duchesse de Choiseul qui a quarante ans de moins .

ii Dieu, réponse au Système de la nature ; le Système de la nature ou les lois du monde physique et du monde moral présenté explicitement comme étant de M. Mirabeau était en fait du baron d'Holbach ; cf. lettre à Cramer du 5 juin 1770.

iii Son mari Pierre III qu'on lui reprochait d'avoir fait tuer.

iv Ces nouvelles , fausses, concernaient François-Emmanuel Guignard, comte de Saint-Priest, et John Murray.

v Joseph II (fils de Marie-Thérèse) dont Frédéric fait un grand éloge.

 

vi Ministres des cultes.

  

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   Moustapha d'hier, Moustapha de nos jours, toujours les mêmes guignols escrocs :

moustapha.gif

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02/09/2010 | Lien permanent

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