21/04/2010
On n’imprime point un livre comme on vend de la morue au marché.

« A Madame Nicolas-Bonaventure Duchesne
Celui qui a dicté la lettre de Mme Duchesne ne l’a pas trop bien servie. Quand le sieur, Duchesne imprima le recueil de théâtre en question [celui de 1764, privilège de 1763], il devait consulter l’auteur, qui aurait eu la complaisance de lui fournir de quoi faire une bonne édition. Il devait au moins prendre pour modèle l’édition des frères Cramer ; il devait surtout consulter quelque homme de lettres qui lui aurait épargné les fautes les plus grossières ; il ne devait pas imprimer sur des manuscrits informes d’un souffleur de la Comédie [on y trouve entre autres le texte de Zulime tel qu’il a été rapiécé et écourté pour les représentations]; il ne devait pas déshonorer la littérature et la librairie. On n’imprime point un livre comme on vend de la morue au marché. Un libraire doit être un homme instruit et attentif.
Si Mme Duchesne veut, en se conformant à la dernière édition de MM. Cramer, faire des cartons et corriger tant de sottises, elle fera très bien ; mais il faut choisir un homme versé dans cet art qui puisse la conduire ; elle peut s’adresser à M. Thiriot.
On lui envoya le tome de La Henriade in-4° il y a plus d’un an ; elle n’en a pas seulement accusé réception ; ce n’est pas avec cette négligence et cette ingratitude qu’on réussit. M. de Voltaire a les plus justes raisons de se plaindre. Ses ouvrages lui appartiennent. Le temps de tous les privilèges est expiré ; il en peut gratifier qui il voudra. Il favorisera Mme Duchesne s’il est content de sa conduite, sinon il fera présent de ses œuvres à d’autres qui le serviront mieux.
A Ferney, 22 avril 1767. »
08:19 | Lien permanent | Commentaires (0)
le malheureux plaisir que vous vous êtes toujours fait de vouloir humilier tous les autres hommes
Pour fêter à ma manière l'année franco-russe et la chute du mur de l'incompréhension :
http://www.myvideo.de/watch/5066050/Its_a_long_way_to_Tipperary
Soit dit en passant, mais ne le répétez à personne, pas de manifestation pour célébrer au château de Volti sa liaison (épistolaire) avec Catherine II !
Bast' ! N'épiloguons plus !!
Lettre dont le brouillon autographe porte de nombreuses corrections .
« A Frédéric II
Au château de Tournay par Genève
21 avril 1760
Sire,
Un petit moine de Saint-Just [couvent où s’était retiré Charles Quint] disait à Charles–Quint : Sacrée Majesté, n’êtes–vous pas lasse d’avoir troublé le monde ? faut-il encore désoler un pauvre moine dans sa cellule ? Je suis le moine, mais vous n’avez pas renoncé aux grandeurs et aux misères humaines comme Charles-Quint ? Quelle cruauté avez-vous de me dire que je calomnie Maupertuis [lettre du 3 avril ] quand je vous dis que le bruit a couru qu’après sa mort on avait trouvé les œuvres du philosophe de Sans-Souci dans sa cassette ?[rumeur, dont The Scots magazine s’est fait l’écho ; c’est sans doute le chevalier de Bonneville qui en avait vendu le manuscrit, éditées à Lyon chez Bruyset le 17 janvier 1760 ] Si en effet on les y avait trouvées cela ne prouverait-il pas au contraire qu’il les avait gardées fidèlement, qu’il ne les avait communiquées à personne, et qu’un libraire en aurait abusé, ce qui aurait disculpé des personnes qu’on a peut-être injustement accusées [J.-M. Bruyset et de Bonneville ont été emprisonnés à Pierre-Encise le 6 février]? Suis-je d’ailleurs obligé de savoir que Maupertuis les avait renvoyées ? Quel intérêt ai-je à parler mal de lui ? que m’importe sa personne et sa mémoire ? en quoi ai-je pu lui faire tort en disant à Votre Majesté qu’il avait gardé fidèlement votre dépôt jusqu’à sa mort ? Je ne songe moi-même qu’à mourir, et mon heure approche. Mais ne la troublez pas par des reproches injustes, et par des duretés qui sont d’autant plus sensibles que c’est de vous qu’elles viennent.
Vous m’avez fait assez de mal. Vous m’avez brouillé pour jamais avec le roi de France, vous m’avez fait perdre mes emplois [historiographe] et mes pensions, vous m’avez maltraité à Francfort, moi et une femme innocente, une femme considérée qui a été trainée dans la boue et mise en prison [en 1753 ; cf. lettres du 20 juin et 7 juillet 1753], et ensuite en m’honorant de vos lettres vous corrompez la douceur de cette consolation par des reproches amers. Vous m’avez reproché au sujet du médecin Tronchin [V* avait écrit que Théodore Tronchin refusait d’aller soigner à domicile le prince Ferdinand , 29 juin 1759] que j’avais reçu de vous une pension. Est-il possible que ce soit vous qui me traitiez ainsi quand je ne suis occupé depuis trois ans qu’à tâcher quoique inutilement de vous servir sans aucune autre vue que celle de suivre ma façon de penser ? [en servant d’intermédiaire dans les négociations de paix, par l’entremise du cardinal de Tencin et de la margravine de Bayreuth fin 1757-début 1758, et avec l’aide de la duchesse de Saxe-Gotha]
Le plus grand mal qu’aient fait vos œuvres, c’est qu’elles ont fait dire aux ennemis de la philosophie répandus dans toute l’Europe : les philosophes ne peuvent vivre en paix, et ne peuvent vivre ensemble. Voici un roi qui ne croit pas en Jésus-Christ, il appelle à sa cour un homme qui n’y croit point, et il le maltraite. Il n’y a nulle humanité dans les prétendus philosophes, et Dieu les punit les uns par les autres. Voilà ce que l’on dit, voilà ce que l’on imprime de tous les côtés, et pendant que les fanatiques sont unis, les philosophes sont dispersés et malheureux, et tandis qu’à la cour de Versailles et ailleurs on m’accuse de vous avoir encouragé à écrire contre la religion chrétienne c’est vous qui me faites des reproches et qui ajoutez ce triomphe aux insultes des fanatiques. Cela me fait prendre le monde en horreur avec justice. J’en suis heureusement éloigné dans mes domaines solitaires. Je bénirai le jour où je cesserai en mourant d’avoir à souffrir par vous, mais ce sera en vous souhaitant un bonheur dont votre position n’est peut-être pas susceptible et que la philosophie seule pourrait vous procurer dans les orages de votre vie, si la fortune vous permet de vous borner à cultiver uniquement ce fond de sagesse que vous avez en vous, fond admirable mais altéré par les passions inséparables d’une grande imagination, un peu par l’humeur, et par des situations épineuses qui versent du fiel dans vôtre âme, enfin par le malheureux plaisir que vous vous êtes toujours fait de vouloir humilier tous les autres hommes, de leur dire, de leur écrire des choses piquantes d’autant plus indignes de vous que vous êtes plus élevé au-dessus d’eux par votre rang et par vos talents uniques. Pardonnez à ces vérités que vous dit un vieillard qui a peu de temps à vivre,[le 14 mai, V* écrit à la duchesse de Saxe-Gotha : « Je crois mon commerce fini avec le chevalier Pertrizet (= Frédéric). J’ai pris la liberté de lui dire tout ce que j’avais sur le cœur, mon âge, mon ancienne liberté, les malheurs auxquels je m’expose m’ont autorisé et m’ont peut-être conduit trop loin . »] et il vous les dit avec d’autant plus de confiance que convaincu lui-même de ses misères et de ses faiblesses infiniment plus grande que les vôtres. Il gémit des fautes que vous pouvez avoir faites autant que des siennes, et il ne veut plus songer qu’à réparer avant sa mort les écarts funestes d’une imagination trompeuse, en faisant des vœux sincères pour qu’un aussi grand homme que vous, soit aussi heureux et aussi grand en tout qu’il doit l’être. »
07:39 | Lien permanent | Commentaires (0)
20/04/2010
Je vous jure, mon cher ami, que si je ne peux exécuter cette charmante idée, c’est que la chose sera impossible
Qu'il me soit permis de parler de mon humble personne ...
"Voici au net, et en bref, ma situation,..." : ce jour, mardi 20 avril 2010, j'ai, selon la décision du DRH du CMN (traduction = directeur du personnel du centre des monuments nationaux) , terminé ma mission au sein de son établissement, et précisément au château de Volti .
Pourquoi tant de haine ?? Plus sérieusement, sachez que tel un vieux yaourt, ma date de péremption arrive dans deux jours, à savoir 65 ans . Grâce à ce que l'on nomme un accord de branche, 65 ans est la limite fatidique à partir de laquelle on ne vaut plus un clou, on se fait jeter.
Détail croustillant de l'affaire, cette charmante nouvelle m'a été communiquée il y a un mois par lettre recommandée bien sûr et auparavant par radio-couloir !
Jugez de ma surprise, moi qui ai en poche un superbe contrat , signé du président du CMN, m'engageant jusqu'à fin 2011 !! Oui, oui, fin 2011 !
Que dit-on habituellement de celui qui rompt un contrat ? Je n'ose écrire ce qui me passe par la tête comme épithètes, mais vous vous doutez que ça doit être assez malsonnant .
Je n'ai bien évidemment eu aucune réponse à ma lettre d'il y a trois semaines à M. le président du CMN, m'étonnant du peu de respect d'une signature et engagement. Je ne l'ai pourtant pas obligée (Mme Lemesle) à mettre 31 décembre 2011 pour ce contrat de trois ans, signé début 2009. Oseront-ils affirmer qu'ils ont oublié ma date de naissance, ou se sont trompés dans leurs calculs ? Que vont-ils trouver comme arguments ?
Je leur ai donné deux options : je travaille jusqu'au terme de mon contrat et je suis payé pour cela, je suis mis dehors et je demande une indemnité pour rupture de contrat et je suis payé pour ne pas travailler . Quelle est l'option que vous adopteriez ?
A suivre ...
Il se peut qu'il y ait un hiatus dans la parution de mes notes, vous comprendrez pourquoi, mais je reviendrai blogger avec vous :"si je ne peux exécuter cette charmante idée, c’est que la chose sera impossible."
http://www.youtube.com/watch?v=AMKCF2n-gJk#
« A Pierre-Robert Le Cornier de Cideville
Voici au net, et en bref, ma situation, mon très cher ami. On a tant clabaudé contre Le Temple du goût que ceux qui s’y intéressent ont pris le parti de le faire imprimer avec approbation et privilège sous les yeux de M. Rouillé [ministre chargé de la Librairie] qui verra les feuilles . Ainsi Jore ne peut être chargé de cette impression.
Mais voici de quoi il peut se charger :
1° Des Lettres anglaises, qu’on a commencé à imprimer à Londres [en réalité, Thiriot fera deux éditions en Angleterre : une en anglais (24 avril – 17 juillet) selon Bowyer qui travaille pour le libraire Davis sortira en août, une en français (19 mai – 28 juillet) sortira en mars 1734, localisée à Bâle, peu avant celle de Jore qui porte la localisation Amsterdam] à trois mille exemplaires et dont il faut qu’il tire ici deux mille cinq cents, car nous ne pouvons aller en rien aussi loin que les Anglais [les Letters sont en fait imprimées à 2000 exemplaires, l’édition dite « de Basle » à 1500, et celle de Jore sera de 2500].
2° D’Eriphyle que j’ai retravaillée, et dont on demande à force une édition.
3° Du Roi de Suède,[Histoire de Charles XII dont La Mottraye avait contesté l’exactitude] revu, corrigé et augmenté avec la réponse au sieur de La Mottraye.
Il faudrait aussi qu’il me donnât une réponse positive au sujet de La Henriade car il n’y en a plus du tout à Paris. M. Rouillé ferme les yeux sur l’entrée et le débit de La Henriade, mais il ne peut à ce qu’il dit en permettre juridiquement l’entrée. C’est donc à Jore à voir s’il veut s’en charger pour son compte, ou me la faire tenir incessamment chez moi comme il me l’avait promis [ La Henriade avec les variantes et les notes. Et l’Essai sur le Poème épique. Nouvelle édition. A Londres. Chez Innis MDCCXXVIII . En réalité chez Jore !].
Je vous prie de lui lire tous ces articles et vouloir bien me mander sa réponse positive sur tout cela. Voilà pour tout ce qui regarde notre féal ami Jore. Vous avez perdu votre archevêque,[Louis de La Vergne de Tressan, grand-oncle de Louis-Elisabeth de La Vergne, comte de Tressan] mon cher ami, et vous en êtes sans doute bien fâché pour son neveu qui va être réduit à faire sa fortune tout seul. Vous n’aurez un archevêque de plus de dix mois, car le très sage cardinal de Fleury voudra que le roi jouisse de l’annate aussi longtemps que faire se pourra. Mais quoique votre ville soit privée si longtemps d’un pasteur, cela ne m’empêcherait point du tout de venir y philosopher et poétiser avec vous une partie de l’été. Je vais m’arranger pour cela. Ma santé est affreuse mais un petit voyage ne l’altèrera pas davantage, et je souffrirai moins auprès de vous. Je vous jure, mon cher ami, que si je ne peux exécuter cette charmante idée, c’est que la chose sera impossible. Savez-vous bien que j’ai en tête un opéra,[Tanis et Zélide, qui ne plût pas à Brassac –musicien de Montcrif- et ne fut jamais représenté] et que nous nous y amuserions ensemble pendant qu’on imprimerait Charles XII et Eriphyle ? Notre ami Formont ne serait peut-être pas des nôtres. Il a bien l’air de rester longtemps à Paris, car il y est reçu et fêté à peu près comme vous le serez quand vous y viendrez. J’ai peur qu’il ne vous ait mandé bien du mal de l’opéra du chevalier de Brassac [L’Empire de l’amour ( ?) paroles de Montcrif et musique de Brassac, représenté le 14 avril et qui déçût Formont]. Nous le raccommodons à force et j’espère vous en dire beaucoup de bien au premier jour. J’ai toujours grande opinion du vôtre, et je compte que vous l’achèverez quand nous nous verrons à Rouen. Vale.
Ce mardi [21 avril 1733]. »
21:24 | Lien permanent | Commentaires (1)
19/04/2010
ces moments de faveur qui passent si vite n’éblouissent pas
http://www.youtube.com/watch?v=KygohWPaY7U&feature=related
Et sans transition :
http://www.youtube.com/watch?v=ZNWOWwkTB3s&feature=related
« A Claire Cramer Dellon
à Genève
18è avril 1778, à Paris
Le vieux malade, madame, est bien consolé par vos bontés toujours constantes. Il est arrivé à Paris toujours souffrant comme à Ferney. Il y a vu de très brillants Genevois [Théodore Tronchin, médecin et Mme Necker, épouse de Jacques Necker né à Genève], mais aucun de plus aimable que vous et votre mari [Gabriel Cramer]. Il a éprouvé des Parisiens [cf. lettres à Florian, Octavie de Meynières, Saint-Marc. Mme d’Epinay écrira le 3 mai : «Il partage toujours avec Franklin les applaudissements et les acclamations du public. Dès qu’ils paraissent aux spectacles, soit aux promenades, aux académies, les cris, les battements de mains ne finissent plus. Les princes paraissent, point de nouvelles ; Voltaire éternue, Franklin dit : « Dieu vous bénisse », et le train recommence. »] une humanité et une bonté qui approche, si je l’ose dire, de l’enthousiasme qu’inspira le sage Jean-Jacques quand il fit d’un marquis un bon menuisier ; et qu’il proposa à monsieur le Dauphin d’épouser la fille du bourreau [dans l’Emile]. Mais comptez, Madame, que ces moments de faveur qui passent si vite n’éblouissent pas [« ne m’éblouissent » semble corrigé sur le manuscrit en « n’éblouissent »]. On revole à la tranquillité et à l’amitié, et si sa détestable santé le lui permet, il partira après nos dernières fêtes catholiques de Pâques [le 20, à d’Argental : « Il faut que je parte dans quinze jours, sans quoi tout périt à Ferney. », mais aussi : « J’espère au mois de septembre, ne plus sortir de dessous les ailes de mon ange. ». Il achète en effet une maison à vie sur sa tête et celle de Mme Denis à Paris, rue Richelieu (lettre à Mme Denis du 14), marché conclu le 27 avril.]; et il espère vous voir incessamment dans votre palais de Sécheron.
V. »
http://www.youtube.com/watch?v=UXrpNXIbXZg&feature=re...
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