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07/06/2011

C'est un de mes plus violents chagrins qu'un homme que j'aime puisse avoir quelque chose à me reprocher

 

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

15 juin 1755

 

Mon cher ange, je vous demande toujours en grâce de montrer ce dernier chant 1 à M. de Thibouville, afin qu'il voie que les sottises qu'on y a insérées ne sont pas de moi . C'est un de mes plus violents chagrins qu'un homme que j'aime puisse avoir quelque chose à me reprocher, et il n'y a certainement d'autre remède que de lui faire voir le manuscrit que vous avez : tout cela est horrible . Comment puis-je, encore une fois, travailler à mes Chinois et à mes Tartares 2 dans cette crainte perpétuelle, dans les soins qu'il me faut prendre pour prévenir cette malheureuse édition et dans la douleur de voir que mes soins seront inutiles ? La personne qui m'avait juré que la copie qu'elle avait ne sortirait jamais de ses mains 3, l'a pourtant confiée à Darget dans le temps que j'étais en France, croyant que Darget ne manquerait pas de l'imprimer et qu'alors je serais forcé de lui demander un asile : voila sa conduite, voila le nœud de tout . Darget m'a avoué lui-même dans la lettre qu'il vient de m'écrire, que cette personne lui avait donné ce malheureux manuscrit 4. Il l'a lu publiquement à Vincennes et aurait fait tout aussi bien de ne le pas lire ; d'autant plus que si cet ouvrage est jamais imprimé, on serait en droit de s'en plaindre à lui . M. l'abbé Chauvelin voit quelquefois Darget ; je ne doute pas qu'il ne l'affermisse dans le dessein où il parait être de n'en point donner de copie . Je vous supplie d'engager M. l'abbé Chauvelin à faire cette bonne œuvre, il est si accoutumé à en faire ! Mais en prenant cette précaution, en défendant un côté de la place, empêcherons-nous qu'elle ne soit prise dans d'autres attaques ? Les copies se multiplient 5, les lettres de M. de Malesherbes et du président Hénault me font trembler 6. Tous les libraires de l’Europe sont aux aguets 7. Je vous jure que si j'avais du temps et encore un peu de génie je me remettrais à cet ouvrage, j'en ferais quelque chose dans le goût de l'Arioste, quelque chose d'amusant, de gai et d'assez innocent . J'empêcherais du moins par là le tort qu'on fera un jour à ma mémoire ; j'anéantirais les détestables copies qui courent, et un poème agréable résulterait de tout ce fracas . Mais je sens bien que vous demanderez la préférence pour nos cinq actes 8. Dieu veuille que je sois assez recueilli, assez tranquille pour vous bien obéir ! Nous verrons ce que je pourrai tirer d'une tête un peu embarrassée et si je pourrai conduire à la fois mes ouvriers, La Pucelle, l'Histoire générale et mes Tartares . Je ne vous réponds que de ma sensibilité pour vos bontés . Vous aimer de tout mon cœur est la seule chose que je fasse bien . Adieu mon cher et respectable ami .

 

V. »

1La Pucelle, le « chant de l'âne » en particulier ; voir lettre du 20 novembre 1754 :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/11/19/consolez-par-un-mot-une-ame-qui-en-a-besoin.html#more

et 2 décembre 1754 :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/30/feu-mme-du-chatelet-qui-n-a-fini-que-par-des-infidelites.html#more et 6 février 1755 :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/02/06/c... . V* a envoyé le 2 avril à d'Argental le manuscrit de La Pucelle.

2 L’Orphelin de la Chine .

3 Frédéric II . Le 13 juin, V* écrivit à Darget : « Tout le monde sait dans Paris ... » ; page 234 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f238.image.r=.langFR

Et le 23, aux d'Argental, il ajoute un post-scriptum : « Si ce n'est lui, c'est donc son frère, mais c'est lui qui est le loup » ; lui = Frédéric et son frère = le prince Henri .

4 Le 1er juin, Darget écrit à V* :  « La copie que j'ai lue à Vincennes devant le chevalier de Croismare ... » ; voir page 228 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f232.image.r=.langFR

5 Le 23, V* précise : « Ce Grasset a apporté un exemplaire de Paris . Un magistrat de Lausanne l'a vu ... L’Allemagne est pleine de copies . Vous savez qu'il y en a dans Paris . Vous n'ignorez pas que M. le duc de La Vallière en a marchandé une . »

6 Malesherbes a écrit à Mme Denis qu'il lui semble très difficile d'empêcher que les premiers chants de La Pucelle ne paraissent, et qu'il serait fâcheux pour V* qu'ils parussent .

7 Trois éditions pirates dans six états typographiques parurent en 1755 .Les démêlés de V* et Grasset (qui travailla à Genève puis à Lausanne) ont commencé ; voir lettre du 28 juillet : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/07/28/cela-est-a-la-verite-compose-par-de-la-canaille-et-fait-pour.html#more

8 L’Orphelin de la Chine.

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