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30/04/2015

Il court une maladie épidémique dont je suis attaqué, j'écris

... Sans trop de peine sous la dictée de Voltaire , avouons-le .

Par ailleurs je suis un détestable ami de la trempe d'un Thieriot qui n'usait pas trop sa plume, -j'entends celle qui sert à écrire,- pour correspondre . Mea culpa !

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« A Cosimo Alessandro Collini,

secrétaire

Intime de Son Altesse Sérénissime Électorale Mgr l’Électeur

palatin

à Manheim

[avril/mai 1760 ?]

Il court une maladie épidémique dont je suis attaqué, j'écris avec beaucoup de peine . Si vous voyez M. de Caux 1, je vous prie de lui dire mon état , et de m'excuser auprès de lui si je n'ai pu encore lui répondre .

Je vous embrasse de tout mon cœur .

V. »

 

je vous écris encore. Les gens qui aiment sont insupportables.

... Persiste et signe .

Aimer Voltaire et Mam'zelle Wagnière est un bien dont je ne peux me passer . Aussi, mon philosophe préféré sera encore et toujours votre/notre compagnon de route bloggueuse .

 

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 Insupportables !

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL

conseiller d'honneur du parlement

envoyé de Parme

rue de la Sourdière

à Paris
30 avril [1760].
O anges ! je mets tout sous vos ailes, tout retombera sur vous. Le nœud est bien mince ; Tamire est bien peu de chose. Madame, je suis son mari 1 . Eh! Nicodème, que ne le disais-tu plus tôt?
M. le duc de Choiseul semble avoir senti cela comme je le sens; il m'a écrit une lettre charmante 2. Mon divin ange, il paraît qu'il vous aime comme vous méritez d'être aimé. Dites-moi, en conscience, aurons-nous la paix ? Vous la voulez ; mais veut-on vous la donner ? est-ce tout de bon ? J'ai plus besoin de la paix que des sifflets. J'aime mieux les Chevaliers 3 que Ramire. Il n'y a que deux coups de rabot à donner aux Chevaliers, mais il manque à tout cela un peu de force. Je baisse, je baisse, je fonds; j'ai acquis de la gaieté, et j'ai perdu du robuste. Vous vous moquez de moi ; on peut faire quelque chose de Hurtaud. Ce petit drôle-là n'a mis que quinze jours à son œuvre 4. Nous allons jouer sur notre théâtre de Tournay, mais je ne peux plus même faire les pères; j'ai cédé mes rôles; je suis spectateur bénévole.
Mon cher ange, je deviens bien vieux; j'ai, je crois, cinq ou six ans plus que vous 5. Le temps va d'un tel pas qu'on a peine à le suivre.6
Je voudrais bien savoir si le chevalier d'Aydie, autre philosophe campagnard de mon âge, est à Paris, comme on me l'a mandé ; serait-il assez lâche pour se démentir à ce point ? au moins je me flatte que c'est pour peu de temps. Vous avez dû recevoir vingt pages 7 de moi l'ordinaire dernier, et je vous écris encore. Les gens qui aiment sont insupportables.

V. »

1 Parodie de ce que Ramire dit à Zulime, dans la tragédie qui porte ce titre, acte V, scène III, v. 61 :

« Madame, ainsi le veut la fortune jalouse,

Vengez-vous sur moi seul, Atide est mon épouse » .

Ces deux répliques résument le sujet de Zulime .

2 Lettre datée du 22 avril 1760, très drôle : « A Versailles, ce 22 avril [1760].

La lettre que vous me confiez datée de Frieberg du 25 mars [Ou plutôt du 26 ], mon cher solitaire me paraît d'autant plus extraordinaire que j'en ai vu une du même personnage et à peu près du même temps, qui n'avait pas le ton si fier . Quoi qu'il en soit, je vous prie d'assurer le roi de Prusse que je suis son humble serviteur, que je respecte profondément sa dignité de roi, mais qu'hors la personne de mon maître que j'aime, je ne me soucie pas plus des autres rois de la terre que des charriers de Touquin [Charretiers . Touquin est une petite ville de Seine et Marne . Choiseul a pu écrire aussi Tonquin .] , même de ceux de Berlin , s'il en reste dans ce petit et malheureux pays . Vous ajouterez à Sa Majesté prussienne, et je vous demande en grâce que je lui défie de jouer un tour approuvé des honnêtes gens à un ministre qui quitterait sa place avec le plus grand plaisir du monde, qui croit que la paix est un bien nécessaire et qui voudrait au prix de son sang la procurer, qui sert un maître qui ne veut pas acquérir un pouce de terrain sur le continent et qui consentira pour la tranquillité de son royaume de payer dans les autres parties du monde parce qu'il a été battu . Vous pouvez ajouter que je jure de bonne foi que je n'ai nulle ambition, mais en revanche j'aime mon plaisir à la folie,je suis riche ; j'ai une très belle et très commode maison à Paris ; ma femme a beaucoup d'esprit [Honorine Crozat du Chatel, aimable, dévote et vertueuse ] ; ce qui est fort extraordinaire elle ne me fait pas cocu ; ma famille et ma société me sont agréables infiniment ; j'aime à faire enrager d'Argental, à boire et à dire des folies jusqu'à 4 heures du matin avec M. de Richelieu . On a dit que j'avais des maîtresses passables , je les trouve, moi, délicieuses ; dites-moi , je vous prie,quand les soldats du roi de Prusse auraient douze pieds, ce que leur maitre peut faire à tout cela ; je ne lui connais que deux tours à me jouer, celui de me faire jeter un sort pour que je sois impuissant (si je m'en doute, j’irai à la messe de paroisse où, au prône,l'on exorcise les maléfices ) ou bien me faire ordonner par un article de la paix de lire une deuxième fois les Œuvres du philosophe de Sans Souci, sans goût, sans vers, etc., hors ceux qui sont pillés . Je vous avoue que véritablement ce serait un tour car je n'ai jamais rien lu de si ennuyeux . Au reste, votre réponse à la lettre de Luc est charmante,[Lettre du 15 avril 1760 au roi de Prusse : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/14/eh-qui-etes-vous-donc-vous-autres-maitres-de-la-terre-5603105.html] excepté ce que vous dites de moi, qui n'est pas juste et que je ne mérite point . Je crois qu'il n'y a pas de mal que vous continuiez le commerce ; nous aurons le plaisir de voir de temps en temps comment un roi chante dans la rue des impertinences quand il a peur ; mais prenez garde de ne rien mettre dans vos lettres qui puisse être communiqué ; car j'ai des certitudes physiques que cet honnête homme de Luc fait une gazette des des confidences les plus intimes qu'il cherche à se procurer . Il faut prendre son parti ; nous n’embellirons pas ce naturel pervers ; mais s'il aboie, morde ou lèche, il faut suivre son système, faire le bien et même le sien dès que l’occasion s'en présentera, sans humeur de notre part, mais avec honneur . Mme de Pompadour vous aime de tout son cœur, elle le dit sans cesse ; je suis cause qu'elle ne vous a pas répondu parce que j'ai oublié de lui rendre la lettre que vous lui avez écrite , à laquelle je m'étais chargé de vous répondre que l'on ne pouvait pas faire ce que vous désiriez pour M. de Langallerie par cent mille raisons [On n'a pas la lettre par laquelle V* demande cette faveur pour son protégé sur le marquis de langallerie ; voir la lettre du 27 février 1757 à Jacob Vernes , et celle du 5 avril 1760 à d'Hermenches : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/04/il-y-a-de-grands-hommes-qui-se-consolent-de-la-perte-de-leur-5596743.html] . On n'a pas encore épuisé la classe des fils de blessés à l’École militaire, M.M. de Langallerie ne pourront y entrer de vingt ans d'ici ; le père et la mère ne peuvent pas être reçus en France comme regnicoles [Comme citoyens de ce pays .], dont je suis bien fâché . L'on m'a montré une Médime [Zulime-Fanime.] dont je suis enchanté ; j'aime mieux cette femme que toutes celles que j'ai aimées ; la chère épouse du héros n'est pas mal, mais le mari, Dieu me pardonne, il est un peu trop blafard . En tout les deux premiers actes, et le cinquième m'enchantent ; les deux autres seront bien au milieu . J'ai vu aussi deux chants de La Pucelle ; je les ai trouvés si jolis que je les viens de prêter à ma femme . Allons je perds mon temps à bavarder avec vous ; l'écriture et la mauvaise diction de cette lettre vous mettront à la torture . Mon amitié tendre et véritable pour vous obtiendra mon pardon . »

3 Tancrède.

4 Le Droit du seigneur .

5 Ou six est ajouté au dessus de la ligne .D'Argental était né le 20 décembre 1700.

6 « Vous allez d'un tel pas qu'on a peine à vous suivre « : Tartuffe, acte I, scène 1.

 

 

29/04/2015

Je vais vous dire une dure vérité

... "J'ai eu une très belle carrière politique, je veux maintenant me pencher sur une carrière dans les médias" comme dit Roselyne Bachelot . Il faut reconnaitre qu'elle est plus douée pour ceci et le grand guignol que pour la bonne tenue d'un ministère , l'improvisation et les à-peu-près dont elle nous avait gratifié nous reviendront moins chers que sa glorieuse période vaccinale .

Ah Roselyne ! éclatez-vous bien , "penchez vous" jusqu'à y tomber dans la carrière médiatique et pendant que vous y serez ramassez un gadin * que vous pourrez jeter dans le jardin des "Républicains" incultes/jardin inculte des "Républicains".

 * Gadin = caillou

 

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Aussi indigeste que les 86 millions de vaccins anti-grippaux jetés au feu

 

« A Ami Camp

J'ai l'honneur , monsieur, de vous envoyer six chevilles pour boucher une partie des trous que je vous ai faits, c'est à vous à voir ce que vous en voulez faire, si vous pouvez les négocier à Lyon sans y rien perdre, si vous voulez les envoyer à M. Tronchin 1 en cas qu'il ait des paiements à faire , enfin, disposez-en comme vous le jugerez à propos . Je vous enverrai encore un petit adjutorium 2 au mois de mai ; et je vous ferai probablement de larges saignées au mois de juin . Je vous donne plus d'affaires qu’aucun barbouilleur de ma sorte .

Ne m'avez-vous pas dit, mon,sieur, que vous aviez la bonté de m'envoyer quatre tonneaux de vin de Beaujolais ? Je vais vous dire une dure vérité, c'est qu'il n'y a qu'un cri à Genève contre le vin de Beaujolais cette année, il n'est point moelleux, il n'est point couvert, il est vert, il n'est point potable ; le deviendra-t-il ? Vous connaissez-vous en vins ? Dites-moi ce que vous en pensez .

Faites, je vous en prie, mes tendres compliments à votre cher associé et soyez persuadé des sentiments avec lesquels je serai toute ma vie, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur .

Voltaire

28è avril 1760 aux Délices »

1 Jean-Robert Tronchin qui se trouve encore à Paris pour quelque temps .

2 Un « secours »

 

 

28/04/2015

Les hommes sont des machines que la coutume pousse, comme le vent fait tourner les ailes d'un moulin.

... Et la coutume ne se contente plus d'être transmise oralement et par écrit, les médias télévisuels la renforcent sans trève . Redoutablement pernicieux ils sont , de la coutume obscure se défaire il faut , dit Maître Yoda .

Que la force soit avec nous , fuyons !

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« A François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence de Dirac 1
Aux Délices, 28 avril 1760.
Monsieur, si la chair n'était pas aussi infirme chez moi que l'esprit est prompt 2, quand il s'agit des sentiments d'estime que vous m'inspirez ; si j'avais un moment de santé, il aurait été employé depuis longtemps à vous remercier du souvenir dont vous m'honorez. Je ne me suis guère flatté que vous puissiez passer nos montagnes, et venir voir dans un petit coin du monde la philosophie libre et indépendante. Vous la porterez dans vos terres. Peu d'hommes savent vivre avec eux-mêmes, et jouir de leur liberté ; c'est un trésor dont ils sont tous embarrassés. Le paysan le vend pour quatre sous par jour, le lieutenant pour vingt, le capitaine pour un écu de six francs, le colonel pour avoir le droit de se ruiner. De cent personnes il y en a quatre-vingt- dix-neuf qui meurent sans avoir vécu pour eux. Les hommes sont des machines que la coutume pousse, comme le vent fait tourner les ailes d'un moulin. Ce Hume dont vous me parlez, monsieur, est un vrai philosophe ; il ne voit dans les choses que ce que la nature y a mis. Je doute qu'on ait osé traduire fidèlement les petites libertés qu'il prend avec les préjugés 3 de ce monde. Il n'est pas encore permis en France d'imprimer des vérités anglaises ; il en est de la philosophie de ce pays-là comme de l'attraction et de l'inoculation : il faut du temps pour les faire recevoir. Les 4 Anglais sont les premiers qui aient chassé les moines et les préjugés ; c'est dommage que nos maîtres d'école nous battent, et privent leurs écoliers de morue 5 ; nous sommes sur mer comme en philosophie des commençants. Pour moi, monsieur, je ne suis qu'une voix dans le désert 6. Je resterai tout le mois de mai dans ma petite cabane des Délices ; elle n'est éloignée de Genève que d'une portée de carabine ; il faut que le malade soit auprès du médecin. Mon Esculape-Tronchin est à Genève. Si, contre toute apparence, vous veniez dans ces quartiers 7, vous y verriez un Suisse qui vous recevrait avec toute la franchise et la pauvreté de son pays, mais avec les sentiments les plus respectueux. 

V.»

2 « Spiritus quidem promptus est, caro vero infirma. » Evangile de Marc, XIV, 38.

3 Allusion à l'ouvrage publié par David Hume, sous le titre The Natural History of Religion, compris dans ses Four disesertations (1757) ; voir : http://en.wikipedia.org/wiki/Four_Dissertations

et : http://oll.libertyfund.org/titles/340

4 V* a d'abord écrit , puis rayé Ils .

5 Par la perte du Canada .

6 « Ego vox clamantis in deserto. » Evangile de Jean, 1, 23.

7 D'Argence alla philosopher aux Délices dans les mois de septembre et d'octobre suivants.

 

27/04/2015

la démence la plus ridicule est de s'aller faire esclave quand on est libre, et d'aller essuyer tous les mépris attachés au plat métier d'homme de lettres, quand on est chez soi maître absolu

... Oh que voilà une démence bien commune, si commune qu'il me semble que la vraie cause en est le fait que ces hommes, loin d'être maîtres chez eux, tentent compenser en écrivant tant bien que mal ou en s'essayant au métier politique . Ah que la recherche des bravos est d'un puissant attrait  , double attrait si la richesse s'y adjoint .

La parité hommes-femmes non respectée montre que l'ego masculin supporte plus mal le confinement, ou alors que les femmes se contentent de régner au sein du foyer, "l'esclave" n'étant pas toujours celui/celle qu'on croit , qui porte les chaines du mariage ?

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Re/lisez la fable de La Fontaine :  Le loup  et le chien

 http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Loup_et_le_Chien


 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL.
27 avril 1760.
Le malade, qui n'est pas mort, n'est pas assez abandonné de Dieu pour contredire son ange gardien. Il ne peut pas trop écrire de sa main, pour le présent; tout ce qu'il peut faire est de se conformer à la volonté céleste, et de dicter sa réponse à l'écrit intitulé petites remarques, mais qu'on croit cependant essentielles 1.
On demande grâce pour le reste, et surtout on insiste pour que Mlle Clairon entre armée sur le théâtre 2 ; parce qu'elle est à la tête de ses soldats, parce qu'elle est forcenée, parce qu'elle ne sait ce qu'elle veut, parce que j'ai vu ce moment faire un très- grand effet, parce que Mlle Clairon aura fort bonne grâce avec une cuirasse et une lance à la main.
L'ange est très-ardemment supplié de ne pas s'opposer à ce mouvement théâtral, sans quoi il agirait plutôt en démon incarné qu'en ange gardien.
On proteste au divin ange que, si la pièce est sifflée, on mettra tout sur son compte, et qu'il en sera responsable devant Dieu.
Au reste, faudra-t-il que les comédiens, qui, en qualité de compagnie ou de troupe, sont des ingrats, jouissent seuls de la part qui appartient à l'auteur, et qu'il ne puisse en gratifier quelqu'un qui en aurait de la reconnaissance ? Faudra-t-il qu'un libraire, tel que Michel Lambert, qui a l'insolence d'imprimer toutes les pauvretés que Fréron débite contre moi, gagne cent louis d'or à imprimer malgré moi mon ouvrage? Cela est-il juste ?
Nous ne trouvons point ici que la pièce 3 du petit Hurtaud ressemble à Nanine. Acanthe est une personne de condition, et Nanine est une paysanne ; Nanine a une rivale, et Acanthe n'en a point; et Mathurin est bien un autre personnage que Lucas; mais nous réservons à d'autres temps nos remontrances et nos plaintes.
Nous nous contentons de protester ici que nous n'avons jamais lu le discours 4 de M. Lefranc de Pompignan ; que nous mettons monseigneur 5 son frère au-dessus de saint Ambroise; sa Didon, au- dessus de celle de Virgile; ses Cantiques sacrés, au-dessus de ceux de David, et d'autant plus sacrés que personne n'y touche 6. Nous prêtons serment que nous n'ayons jamais lu ni ne lirons jamais le Journal 7 du révérend frère Berthier; et nous certifions à maître Joly de Fleury que nous trouvons son Discours 8 contre l'Encyclopédie un ouvrage unique en son genre. Nous lui en avons même fait de très-sincères remerciements qui paraîtront un jour, soit avant notre mort, soit après notre mort, et qui le couvriront de la gloire immortelle qu'il mérite.
Nous déclarons plus sérieusement que nous ne serons jamais assez fou pour quitter notre charmante retraite; que, quand on est bien, il faut y rester; que la vie frelatée de Paris n'approche assurément pas de la vie pure, tranquille, et doucement occupée, qu'on mène à la campagne ; que nous faisons cent fois plus de cas de nos bœufs et de nos charrues que des persécuteurs de la philosophie et des belles-lettres; que, de toutes les démences, la démence la plus ridicule est de s'aller faire esclave quand on est libre, et d'aller essuyer tous les mépris attachés au plat métier d'homme de lettres, quand on est chez soi maître absolu ; enfin, d'aller ramper ailleurs, quand on n'a personne au-dessus de soi dans le coin du monde qu'on habite.
Plus j'approche de ma fin, mon cher ange, plus je chéris ma liberté; et, si je ne la trouvais pas au pied des Alpes, j'irais la chercher au pied du mont Caucase. J'ai sous ma fenêtre un aigle qui ne bouge depuis cinq ans, et qui n'a nulle envie d'aller dans le pays des aigles ; je suis comme lui. Mais vous savez, mon divin ange, combien mon bonheur est empoisonné par l'idée que je mourrai sans vous avoir revu. Comptez que cela seul répand une amertume continuelle sur le destin heureux que je me suis fait.
Je vous prie, pour ma consolation, de vouloir bien me mander ce que vous faites de Zulime, à qui vous faites donner les rôles, qui est premier gentilhomme 9 du tripot; s'il est vrai qu'on joue une pièce contre les philosophes dans laquelle on représente Jean- Jacques marchant à quatre pattes, et si le premier gentilhomme du tripot souffre une telle indécence ? Jean-Jacques Rousseau, s'étant mis tout nu dans le tonneau de Diogène, s'est exposé, à la vérité, à être mangé des mouches ; mais il me semble que c'est assez de persécuter les philosophes à la cour, dans la Sorbonne, et dans le parlement, et que c'en serait trop de les jouer sur le théâtre. Je n'aime pas d'ailleurs qu'on fasse un batelage de la foire du temple de Corneille.
Mon cher ange, j'arrache la plume à mon clerc pour vous dire avec la mienne combien je vous aime. Vous m'avez presque fait aimer Zulime, que je viens de relire. A propos, j'ai toujours peur d'avoir fait quelque sottise entre M. le duc de Choiseul et Luc. Je tâche cependant de ne me point brûler avec des charbons ardents. Je me flatte que M. le duc de Choiseul n'est pas mécontent de ma conduite, et qu'il n'a que des preuves de mon zèle et de ma tendre reconnaissance pour ses bontés. Seriez-vous assez aimable pour m'assurer qu'il me les continue ? On parle ici beaucoup de paix. J'ai eu chez moi le fils 10 de M. Fox, jadis premier ministre, qui n'en croit rien.
Je vous demande pardon de cette énorme lettre, et je me mets aux pieds de Mme Scaliger. »

1 Il y avait ici quatre pages de corrections pour la tragédie de Zulime.

2 Dans le rôle de Zulime. V* avait envoyé Tancrède et Médime/Zulime le 17 mars 1760 : voir lettre du 17 mars à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/03/16/pour-le-roi-je-ne-lui-ferai-point-de-grace-il-aura-affaire-a-5583802.html

Le 10 avril, d'Argental écrivait à ce sujet à Palissot, auteur des Philosophes, la lettre qui suit :  « J'ai appris hier au soir, monsieur, que vous regardiez l'annonce des deux pièces de monsieur de Voltaire comme un obstacle au temps où vous désirez qu'on joue la vôtre . Cette opinion est sûrement fondée sur un malentendu qu'il est bon d'éclaircir . Il est vrai, monsieur que M. de Voltaire m'a envoyé deux tragédies, l'une nouvelle, l'autre raccommodée pour mieux dire refaite presque en entier . La première est réservée pour l'hiver, l'autre doit être jouée plus tôt ; mais je peux vous assurer que je remplirais bien mal les intentions de l'auteur si je voulais la faire passer avant aucune pièce pièce reçus, et s'il savait que c'est d'un ouvrage de vous dont il est question il ne ferait que se confirmer davantage dans sa façon de penser, et il serait très éloigné de vouloir vous disputer le rang qui vous est acquis . Comme les principaux acteurs dont il a besoin ne jouent point dans votre comédie, il serait possible d’étudier les deux pièces en même temps (bien entendu cependant que la vôtre passerait la première) . Mais si cet arrangement peut vous retarder le moins du monde, on diffèrera de donner les rôles jusqu'à ce que votre comédie soit entièrement prête [...] »

Les Philosophes sera jouée le 2 mai 1760 .

4 Lu à l'Académie française le 10 mars précédent.

5 L'évêque du Puy-en-Velay.

6 Le Pauvre Diable, vers 173 : « Sacrés ils sont , car personne n'y touche. » ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/07/satire-le-pauvre-diable-partie-1.html

7 Le Journal de Trévoux.

8 Le réquisitoire du 23 février 1759. Voir lettre du 7 février 1759 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/02/26/ce-qui-est-neuf-n-est-pas-toujours-vrai-5308752.html

9 Le duc de Fleury, l'un des premiers gentilshommes de la chambre, chargé des spectacles, était d'année en 1760.

10 Stephen Fox, plus tard baron Holland, frère aîné du très-célèbre orateur Charles James Fox qui est mort en 1806. Voir : http://en.wikipedia.org/wiki/Stephen_Fox,_2nd_Baron_Holland

et : http://en.wikipedia.org/wiki/Charles_James_Fox

 

 

 

26/04/2015

Qui terre a, et qui plume a, guerre a

... Deux motifs de guerres, l'un n'excluant pas l'autre il est difficile de faire front, et il faut être un Voltaire pour en être capable .

Notre XXIè siècle , dans la suite de l'histoire éternelle, ne nous étonne pas en continuant à donner moult exemples de meurtres pour la conquête/vol de terres qui rapportent, mais est aussi en progrès pour accumuler le meurtre de ceux dont la plume déplait à des fanatiques/trouillards incultes .

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« A Nicolas-Claude THIERIOT.
26 avril 1760
Je ne vous ai point encore remercié, mon cher et ancien ami, du beau calendrier des crimes des jésuites 1 ; ce n'est pas que je sois mort, comme on l'a dit au roi, mais je suis toujours faible et languissant. Si vous voulez me procurer guérison entière, envoyez-moi aussi le calendrier des insolences janséniennes 2: car encore faut-il avoir son almanach complet. Je tiens les uns et les autres également méchants; mais les jésuites ont des troupes régulières, et les jansénistes ne sont encore que des housards sans discipline. On m'a mandé qu'on avait mis à Bicêtre deux troupes d'énergumènes qui faisaient des miracles 3; il faudrait faire travailler aux grands chemins tous ces animaux-là, jésuites, jansénistes, avec un collier de fer au cou, et qu'on donnât l'intendance de l'ouvrage à quelque brave et honnête déiste, bon serviteur de Dieu et du roi. Vous me demanderez pourquoi je veux faire travailler ainsi jésuites et jansénistes : c'est que je fais actuellement une belle terrasse sur le grand chemin de Lyon, et que je manque d'ouvriers.
M. de Paulmy est-il parti avec M. Hennin, pour aller faire la Saint-Hubert avec le roi de Pologne? Il verra là vraiment une cour bien gaie et bien opulente, et un roi qui a bravement défendu son État.
On parle beaucoup de paix, à ce que je vois ; mais les Anglais envoient dix-huit mille négociateurs en Allemagne pour rédiger les articles, et arment une forte escadre pour en aller porter la nouvelle à Pondichéry.
Le roi de Prusse mettra en vers l'histoire du congrès, et la dédiera à Gresset ou à Baculard; en attendant, il est un peu pressé par les Russes et les Autrichiens. On prépare cependant de beaux divertissements à Vienne, pour le mariage de l'archiduc 4. Il est bien digne de la majesté autrichienne de donner des fêtes, au lieu d'envoyer l'héritier des césars à l'armée du maréchal Daun s'abaisser à voir tirer du canon. Cela est bon pour un petit marquis de Brandebourg, mais non pour le petit-fils de Charles VI.
Il me vient quelquefois des Russes, des Anglais, des Allemands; ils se moquent tous prodigieusement de nous, de nos vaisseaux, de notre vaisselle 5, de nos sottises en tout genre. Cela me fait d'autant plus de peine, à moi qui suis bon Français, que l'on ne me paye point mes rentes. Plaignez-moi, car, depuis quelque temps, je suis en guerre pour des droits de terre : Qui terre a, et qui plume a, guerre a. Cela ne m'empêche ni de planter, ni de bâtir, ni de faire jouer la comédie, ni de faire bonne chère. Je suis seulement fâché que mon ami Falkener 6 soit mort; je perds tous mes anciens amis. Restez-moi, et, puisque vous n'êtes pas homme à venir aux Délices, consolez-moi de votre absence en me disant tout ce que vous pensez, tout ce que vous voyez, tout ce que vous croyez, tout ce que vous ne croyez pas ; et, sur ce, je vous embrasse de tout mon cœur. »

3 Une recrudescence de l'activité des convulsionnaires venait d'être enregistrée à l'époque et cinq personnes avaient été envoyées à la Bastille . On sait que V* a mis en œuvre ces incidents au chapitre XXII de Candide, tout au moins dans la version du manuscrit de la bibliothèque de l'Arsenal .

4 Joseph-Benoit-Auguste, futur empereur, en 1765, sous le nom de Joseph II. Le 6 octobre 1760, il épousa Élisabeth de Parme, petite-fille de Louis XV qui mourut le 17 novembre 1763 ..

6 Sir Everard Fawkener , mort le 16 novembre 1758 .Voir lettre à Keate du 20 juin 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/08/07/il-me-parait-que-la-derniere-comete-n-a-pas-fait-grand-bruit-5424461.html

 

Peu de paroles aux personnes occupées

... Aussi, je ne vous retarde pas plus dans votre lecture de la correspondance de Voltaire . Vale .

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« A François de Bussy

de Voltaire et Marie-Louise Denis

[vers le 25 avril 1760]1

Peu de paroles aux personnes occupées .

L'oncle et la nièce, monsieur, vous supplient , monsieur, de vouloir bien faire renvoyer le mémoire ci-joint 2 apostillé à M. de Montpéroux . Nous lui remettrons les pièces probantes . Mgr le duc de Choiseul ne souffrira pas que les Genevois jugent les causes qui n'appartiennent qu'aux juges du roi . Nous sommes avec la plus vive reconnaissance et tous les sentiments que vous méritez, mon cher monsieur

vos très humbles et obéissants serviteurs

l'oncle V.

la nièce Denis. »

1 Mentions portées sur le manuscrit : « A M. de Bussy » et « M. de Volt[air]e et Mme Denis . R[épon]du le 10 mai 1760 »

2 « La dame Denis a acheté d'un Genevois nommé Choudens un bien de campagne situé au pays de Gex territoire de France, contrat passé en France, dans mon château de Ferney . Le Genevois a fait un stellionat * à la dame Denis, et lui a vendu ce qui ne lui appartenait point .

Le Genevois ose assigner une sujette du roi, veuve d'un officier du roi, par-devant les juges de Genève, parce que si ce Genevois stellionnaire était traduit devant les juges de France il serait puni et qu'il se flatte d'être ménagé à Genève attendu qu'étant maître horloger et bourgeois il est au nombre des quinze cents souverains seigneurs égaux au roi .

Il prend prétexte sur ce que le notaire de Gex a eu la sottise en dressant le contrat, de mettre que la dame Denis demeure au territoire de Genève, mais la dame Denis a protesté contre cette inadvertance .

Les fonds ressortissent à la juridiction dans laquelle ils sont situés; le fonds vendu par le stellionnaire est en France . La dame Denis ne peut reconnaître que les juges royaux .

La chambre de Genève qui juge en première instance a jugé que la compétence lui appartient .

C'est manquer au roi, c’est violer le traité de 1579 par lequel il est dit qu'en cas pareil les sujets du roi doivent être jugés en France . La dame Denis qui n'est point du tout domiciliée à Genève, qui a transigé en France, qui ne reconnaît que les juges de France, implore la protection du ministère de France contre la violation des traités que nos rois ont daigné faire avec Genève . »

*Ce mot désigne une fraude consistant à présenter comme libres des biens hypothéqués pour les vendre ou les hypothéquer .