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26/04/2015

Je n'ai vu nulle part une telle situation

... Ce qui peut être envisagé favorablement ou au contraire détestation .

Ainsi en est-il du pays de Gex que je connais tout comme l'ami Voltaire et dont j'apprécie les paysages réellement remarquables . Youppie !

Le gros bémol, le défaut qui fait fuir : la cherté de l'immobilier due à ce cher, trop cher voisin suisse qui a fait briller des louis d'or dans les yeux des heureux propriétaires terriens gessiens. Si vous voulez acheter ou louer dans cette région au demeurant extraordinaire, PACSez-vous, mariez-vous, concubinez-vous, faites tout pour avoir deux salaires suisses, sinon vous ne serez pas dignes d'essuyer vos prolétaires semelles sur la moquette de votre banque . Si vous croyez que j'exagère, vérifiez, mes sources sont sures ça c'est certain ( à répéter dix fois ) ! Beurkh !

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 Pour la petite maison dans la prairie, regarde bien cet homme là, il n'est pas prêt à lâcher l'affaire . Paye ! paye encore ! paye beaucoup !

 

 

« A Claude-Henri Watelet

Aux Délices 25 avril 1760

Je ne sais, monsieur, si c'est par un amateur que vous m'avez fait parvenir le beau présent dont j'ai l'honneur de vous remercier . Mais cet amateur ne s'appelle pas il far presto 1. Je n'ai reçu que depuis trois jours ce poème instructif et agréable,2 ces leçons de maître données en prose avec modestie, ces belles estampes dessinées de votre main qui ajoutent un nouveau mérite à l'ouvrage, et qui font un des plus précieux monuments des beaux -arts .

Je ne sais pourquoi il y avait tant de grands peintres dans le seizième siècle, et que nous en avons aujourd'hui si peu . J'imagine que les manufactures de glace, les magots de la Chine et les tabatières de cent louis d'or ont nui à la peinture . Puisse votre ouvrage, monsieur, former autant de bons artistes qu'il vous attirera de louanges . Je voudrais trouver quelque Claude Lorrain qui peignit ce que je vois de mes fenêtres . C'est un vallon terminé en face par la ville de Genève qui s'élève en amphithéâtre . Le Rhône sort en cascade de la ville pour se joindre à la rivière d'Arve qui descend à gauche entre les Alpes . Au-delà de l'Arve est encore à gauche une autre rivière et au delà de cette rivière quatre lieues de paysage . A droite est le lac de Genève, au-delà du lac les plaines de Savoie ; tout l'horizon est terminé par des collines qui vont se joindre à des montagnes couvertes de glaces éternelles éloignées de vingt cinq lieues , et tout le territoire de Genève semé de maisons de plaisance et de jardins . Je n'ai vu nulle part une telle situation . Je doute que celle de Constantinople soit aussi agréable .

Si M. Hubert 3 voulait s'amuser à peindre ce beau site, j'en ferais encore plus de cas que de ma découpure en robe de chambre .

J'ai l'honneur d'être avec bien de la reconnaissance et l’estime la plus respectueuse

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire . »

1 Le faire vite .

2 L'Art de peindre , poeme avec des reflexions sur les differentes parties de la peinture, poème de C-H Watelet, 1760 ; http://visualiseur.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109815c.pdf

Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude-Henri_Watelet

et : http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/claude-henri-watelet

3 Jean Huber est l'auteur d'une série d'amusants tableaux ou esquisses représentant V* en toutes situations courantes de sa vie de seigneur rustique, en robe de chambre, aux prises avec un cheval rétif, … Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Huber

et : http://www.ville-ge.ch/bge/imv/voltaire_delices/visiteurs.html

 

25/04/2015

les honnêtes gens sont bien peu honnêtes: ils voient tranquillement assassiner les gens qu'ils estiment, et en disent seulement leur avis à souper

... Que ce soit à souper ou à déjeuner, nous avons eu une excellente démonstration, il y a quelques mois, des affirmations de Voltaire .

Sans effusion de sang, les chefs politiques de tous bords, -si, si, de tous bords-, candidats aux postes les plus élevés, se réjouissent en loucedé des peaux de bananes jetées sous les pas des rivaux dont ils se prétendent hypocritement alliés . Je ne pense pas qu'on puisse actuellement m'offrir un démenti à ce sujet, un exemple de franche coopération me comblerait . 

 

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« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'ÉPINAY 1
25 avril [1760].
Je ne vous ai point encore remerciée, ma belle philosophe, de votre jolie lettre et de votre pierre philosophale : car c'est la vraie pierre philosophale que la multiplication du blé dont vous m'avez envoyé le secret. J'irai présenter la première gerbe devant votre portrait, au temple d'Esculape 2, à Genève. Ce portrait sera mon tableau d'autel ; j'en fais bien plus de cas que de l'image de mon ami Confucius. Ce Confucius est, à la vérité, un très-bon homme, ami de la raison, ennemi de l'enthousiasme, respirant la douceur et la paix, et ne mêlant point le mensonge avec la vérité; mais vous avez tout cela comme lui, et vous possédez de plus deux grands yeux, très-préférables à ses yeux de chat et à sa barbe en pointe. Confucius est un bavard qui dit toujours la même chose, et vous êtes pleine d'imagination et de grâce. Vous êtes probablement, madame, aujourd'hui dans votre belle terre, où vous faites les délices de ceux qui ont l'honneur de vivre avec vous, et où vous ne voyez point les sottises de Paris ; elles me paraissent se multiplier tous les jours. On 3 m'a parlé d'une comédie contre les philosophes, dans laquelle Préville doit représenter Jean-Jacques marchant à quatre pattes. Il est vrai que Jean- Jacques a un peu mérité ces coups d'étrivières par sa bizarrerie, par son affectation de s'emparer du tonneau et des haillons de Diogène, et encore plus par son ingratitude envers la plus aimable des bienfaitrices 4 ; mais il ne faut pas accoutumer les singes d'Aristophane à rendre les singes de Socrate méprisables, et à préparer de loin la ciguë que maître Joly de Fleury voudrait faire broyer pour eux par les mains de maître Abraham Chaumeix.
On dit que Diderot, dont le caractère et la science méritent tant d'égards, est violemment attaqué dans cette farce. La petite coterie dévote de Versailles la trouve admirable ; tous les honnêtes gens de Paris devraient se réunir au moins pour la siffler; mais les honnêtes gens sont bien peu honnêtes: ils voient tranquillement assassiner les gens qu'ils estiment, et en disent seulement leur avis à souper. Les philosophes sont dispersés et désunis, tandis que les fanatiques forment des escadrons et des bataillons. Les serpents appelés jésuites, et les tigres appelés convulsionnaires, se réunissent tous contre la raison, et ne se battent que pour partager entre eux ses dépouilles. Il n'y a pas jusqu'au sieur Lefranc de Pompignan qui n'ait l'insolence de faire l'apôtre, après avoir fait le Pradon.5
Vous m'avouerez, ma belle philosophe, que voilà bien des raisons pour aimer la retraite. Nos frères du bord du lac ont reçu une douce consolation par les nouvelles qui nous sont venues de la bataille donnée au Paraguai, entre les troupes du roi de Portugal et celles des révérends pères jésuites 6. On parle de sept jésuites prisonniers de guerre, et de cinq tués dans le combat : cela fait douze martyrs, de compte fait. Je souhaite, pour l'honneur de la sainte Église, que la chose soit véritable. Je me crois né très humain , mais quand on étranglerait deux ou trois jésuites, avec les boyaux de deux ou trois jansénistes, le monde s'en trouverait-il plus mal ?7
Je ne vous écris point de ma main, ma belle philosophe, parce que Dieu m'afflige de quelques indispositions dans ma machine corporelle. Je ne suis pas précisément mort, comme on l'a dit, mais je ne me porte pas trop bien. Comment aurais-je le front d'avoir de la santé quand Esculape a la goutte ?
Adieu, ma belle philosophe ; vous êtes adorée aux Délices, vous êtes adorée à Paris, vous êtes adorée présente et absente. Nos hommages à tout ce qui vous appartient, à tout ce qui vous entoure. »

 

 

 

1 Manuscrit original avec date et dernier paragraphe autographes

 

 

 

4 Mme d'Epinay elle-même .

 

5 Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Pradon «  Ci-gît le Poëte Pradon,

Qui durant quarante ans, d’une ardeur sans pareille,
Fit à la barbe d’Apollon,
Le même métier que Corneille. »

 

6 Le 15 mai 1758, le cardinal Saldanha, visiteur et réformateur de la Société de Jésus ordonna aux jésuites du Paraguay de cesser leurs opérations commerciales ; mais ils refusèrent de s'incliner et résistèrent même aux troupes d'Espagne (et no du Portugal comme le dit V* ), et furent finalement chassés du pays en 1769 . on sait le parti que V* en a tiré dans Candide .

 

7 Cette phrase est omise dans toutes les éditions .

 

 

24/04/2015

Vous ne savez pas, madame, ce que c'est que d'être Français en pays étranger. On porte le fardeau de sa nation ; on l'entend continuellement maltraiter : cela est désagréable

... Dit François Hollande à Julie Gayet, qu'il a du mal à reconnaitre, au retour d'un de ses innombrables voyages présidentiels, en posant son casque .

A ce propos, je conçois parfaitement que notre Fanfoué ne puisse absolument pas sérieusement s'occuper des affaires intérieures nationales, il ne dispose , à mon avis , d'aucun temps de réflexion, en tournée à l'égal d'une pop star au sommet . Ses conseillers et ministres ont beau temps pour sortir toutes les idées possibles dont il devra se débrouiller , bien ou mal , souvent mal .

 

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« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du DEFFAND

25 avril [1760]

Je suis si touché de votre lettre 1, madame, que j'ai l'insolence de vous envoyer deux petits manuscrits très-indignes de vous 2 ; tant je compte sur vos bontés ! Lisez les vers quand vous serez dans un de ces moments de loisir où l'on s'amuserait d'un conte de Boccace ou de La Fontaine ; lisez la prose quand vous serez un peu de mauvaise humeur contre les misérables préjugés qui gouvernent le monde, et contre les fanatiques ; et, ensuite, jetez le paquet au feu. J'ai trouvé sous ma main ces deux sottises; il y a longtemps qu'elles sont faites, et elles n'en valent pas mieux.
Je n'ai jamais été moins mort que je le suis à présent. Je n'ai pas un moment de libre : les bœufs, les vaches, les moutons, les prairies, les bâtiments, les jardins, m'occupent le matin ; toute l'après-dînée est pour l'étude, et, après souper, on répète les pièces de théâtre qu'on joue dans ma petite salle de comédie.
Cette façon d'être donne envie de vivre ; mais j'en ai plus d'envie que jamais, depuis que vous daignez vous intéresser à moi avec tant de bonté. Vous avez raison, car, dans le fond, je suis un bon homme. Mes curés, mes vassaux, mes voisins, sont très contents de moi ; et il n'y a pas jusqu'aux fermiers généraux à qui je ne fasse entendre raison, quand j'ai quelques disputes avec eux sur les droits des frontières.
Je sais que la reine dit toujours que je suis un impie ; la reine a tort. Le roi de Prusse a bien plus grand tort de dire, dans son Épître au maréchal Keit 3 :
Allez, lâches chrétiens; que les feux éternels

Empêchent d'assouvir vos désirs criminels, etc.
Il ne faut dire d'injures à personne ; mais le plus grand tort est dans ceux qui ont trouvé le secret de ruiner la France en deux ans, dans une guerre auxiliaire.
J'ai reçu, ce matin, une lettre de change d'un banquier d'Allemagne sur M. de Montmartel. Les lettres de change sont numérotées, et vous remarquerez que mon numéro est le mille quarantième, à commencer du mois de janvier. Il est bien beau aux Français d'enrichir ainsi l'Allemagne.
Il me vient quelquefois des Anglais, des Russes ; tous s'accordent à se moquer de nous. Vous ne savez pas, madame, ce que c'est que d'être Français en pays étranger. On porte le fardeau de sa nation ; on l'entend continuellement maltraiter : cela est désagréable. On ressemble à celui qui voulait bien dire à sa femme qu'elle était une catin, mais qui ne voulait pas l'entendre dire aux autres.
Tâchez, madame, d'être payée de vos rentes, et de prendre en pitié toutes les misères dont vous êtes témoin. Accoutumez- vous à la disette des talents en tout genre, à l'esprit devenu commun, et au génie devenu rare : à une inondation de livres sur la guerre, pour être battus ; sur les finances, pour n'avoir pas un sou: sur la population, pour manquer de recrues et de cultivateurs, et sur tous les arts, pour ne réussir dans aucun.
Votre belle imagination, madame, et la bonne compagnie que vous avez chez vous, vous consoleront de tout cela : il ne s'agit, après tout, que de finir doucement sa carrière ; tout le reste est vanité des vanités, dit l'autre 4. Recevez mes tendres respects. »

2Ils ne parviennent apparemment pas à Mme du Deffand, si bien qu'on ne sait en quoi ils consistaient ; ce qu'en dit V* suggère des œuvres dans le genre de celles qu'on trouve dans les Contes de Guillaume Vadé . V* avait été touché de la réaction de Mme du Deffand à l'annonce de sa mort ; voir un passage de la lettre du 16 avril . Mais celle-ci ne reçut probablement pas la présente lettre , ce qui provoqua une rupture dans leur correspondance jusqu'au 5 juillet 1760 où elle en reprendra le fil : « Le président [Hénault] qui est aux Ormes chez M. d'Argenson, me mande qu'il vient de recevoir de vous une lettre charmante où […] vous vous plaignez de ce que je ne vous écris plus […] je vous boudais […] Vous ne répondez jamais [...] » ; voir page 445 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f461.image.r=5%20juillet

4 Salomon, auteur de l'Ecclésiaste, 1, 2.

 

 

23/04/2015

Les hommes sont nés partout à peu près les mêmes, du moins dans ce que nous connaissons de l'ancien monde. C'est le gouvernement qui change les mœurs, qui élève ou abaisse les nations.

...

 

 

« A Maurice PILAVOINE,
à Pondichéry
Au château de Ferney,

le 23 avril [1760].
Mon cher et ancien camarade, vous ne sauriez croire le plaisir que m'a fait votre lettre 1. Il est doux de se voir aimé à quatre mille lieues de chez soi. Je saisis ardemment l'offre que vous me faites de cette histoire manuscrite de l'Inde. J'ai une vraie passion de connaître à fond le pays où Pythagore est venu s'instruire.
Je crois que les choses ont bien changé depuis lui, et que l'université de Jaganate 2 ne vaut point celles d'Oxford et de Cambridge. Les hommes sont nés partout à peu près les mêmes, du moins dans ce que nous connaissons de l'ancien monde. C'est le gouvernement qui change les mœurs, qui élève ou abaisse les nations.
Il y a aujourd'hui des récollets dans ce même Capitole où triompha Scipion, où Cicéron harangua.
Les Égyptiens, qui instruisirent autrefois les nations, sont aujourd'hui de vils esclaves des Turcs. Les Anglais, qui n'étaient, du temps de César, que des barbares allant tout nus, sont devenus les premiers philosophes de la terre, et, malheureusement pour nous, sont les maîtres du commerce et des mers. J'ai bien peur que dans quelque temps ils ne viennent vous faire une visite; mais M. Dupleix les a renvoyés, et j'espère que vous les renverrez de même. Je m'intéresse à la Compagnie, non-seulement à cause de vous, mais parce que je suis Français, et encore parce que j'ai une partie de mon bien sur elle. Voilà trois bonnes raisons qui m'affligent pour la perte de Masulipatan. 3
J'ai connu beaucoup MM. de Lally 4 et de Soupire 5; celui-ci est venu me voir à mon petit ermitage auprès de Genève avant de partir pour l'Inde ; c'est à lui que j'adressai ma lettre 6 pour vous à Surate. N'imputez cette méprise qu'au souvenir que j'ai toujours conservé de vous. Je pense toujours à Maurice Pilavoine, de Surate ; c'était ainsi qu'on vous appelait au collège, où nous avons appris ensemble à balbutier du latin, qui n'est pas, je crois, d'un fort grand secours dans l'Inde. Il vaut mieux savoir la langue du Malabar.
Je serais curieux de savoir s'il reste encore quelque trace de l'ancienne langue des brachmanes. Les bramines d'aujourd'hui se vantent de la savoir; mais entendent-ils leur Veidam?7 Est-il vrai que les naturels de ce pays sont naturellement doux et bienfaisants? Ils ont du moins sur nous un grand avantage, celui de , n'avoir aucun besoin de nous, tandis que nous allons leur demander du coton, des toiles peintes, des épiceries, des perles et des diamants, et que nous allons, par avarice, nous battre à coups de canon sur leurs côtes.
Pour moi, je n'ai point encore vu d'Indien qui soit venu livrer bataille à d'autres Indiens, en Bretagne et en Normandie, pour obtenir, le crisk 8 à la main, la préférence de nos draps d'Abbeville et de nos toiles de Laval.
Ce n'est pas assurément un grand malheur de manquer de pêches, de pain, et de vin, quand on a du riz, des ananas, des citrons, et des cocos 9. Un habitant de Siam et du Japon ne regrette point le vin de Bourgogne. J'imite tous ces gens-là ; je reste chez moi ; j'ai de belles terres, libres et indépendantes, sur la frontière de France. Le pays que j'habite est un bassin d'environ vingt lieues, entouré de tous côtés de montagnes ; cela ressemble en petit au royaume de Cachemire. Je ne suis seigneur que de deux paroisses, mais j'ai une étendue de terrain très-considérable. Les pêches, dont vous me paraissez faire tant de cas, sont excellentes chez moi ; mes vignes mêmes produisent d'assez bon vin. J'ai bâti dans une de mes terres un château qui n'est que trop magnifique pour ma fortune ; mais je n'ai pas eu la sottise de me ruiner pour avoir des colonnes et des architraves. J'ai auprès de moi une partie de ma famille, et des personnes aimables qui me sont attachées. Voilà ma situation, que je ne changerais pas contre les plus brillants emplois. Il est vrai que j'ai une santé très-faible, mais je la soutiens par le régime. Vous êtes né, autant qu'il m'en souvient, beaucoup plus robuste que moi, et je m'imagine que vous vivrez autant qu'Aurengzeb 10. Il me semble que la vie est assez longue dans l'Inde, quand on est accoutumé aux chaleurs du pays.
On m'a dit que plusieurs rajas et plusieurs omras 11 ont vécu près d'un siècle ; nos grands seigneurs et nos rois n'ont pas encore trouvé ce secret. Quoi qu'il en soit, je vous souhaite une vie longue et heureuse. Je présume que vos enfants vous procureront une vieillesse agréable. Vous devez sans doute vivre avec beaucoup d'aisance ; ce ne serait pas la peine d'être dans l'Inde pour n'y être pas riche. Il est vrai que la Compagnie ne l'est point : elle ne s'est pas enrichie par le commerce, et les guerres l'ont ruinée ; mais un membre du conseil 12 ne doit pas se sentir de ces infortunes.
Je vous prie de m'instruire de tout ce qui vous regarde, de la vie que vous menez, de vos occupations, de vos plaisirs, et de vos espérances. Je m'intéresse véritablement à vous, et je vous prie de croire que c'est du fond de mon cœur que je serai toute ma vie, monsieur, votre, etc. »


 

 



1 Elle ne nous est pas parvenue, mais voir la lettre du 25 septembre 1758 à Pilavoine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/04/tout-amoureux-que-je-suis-de-ma-liberte-cette-maitresse-ne-m.html

 

2 Jaganath ou Puti, dans la province d'Orissa est un sanctuaire fameux (Jaggernaur) ; V* mentionne son « université » dans la Lettre civile et honnête : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65298757

4 Thomas-Arthur, comte de Lally, né à Romans en 1702, décapité le 9 mai 1766; voir lettre du 15 février 1760 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/02/13/ces-occupations-sont-satisfaisantes-combien-elles-consolent-5558459.html

5 Maréchal de camp de Lally depuis le mois de novembre 1756; cité dans les Fragments historiques sur l'Inde, tome XXIX, page 139.

6 Lettre du 25 septembre 1758 à Pilavoine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/04/t... . Pilavoine résidait à Pondichéry .

7 Écrit en sanscrit védique, l'une des variétés de sanscrit . Sur l'intérêt grandissant de V* pour ces problèmes, voir notamment, dans les Romans et contes, la Notice relative aux Lettres d'Amabed

8 Criss ou crid, poignard dont se servent les Malais, sorte de coutelas ou épée ..

9 Le thème suivant lequel les richesses naturelles des Indes rendent leurs habitants pacifiques, à la différence des Européens, reviendra souvent chez V*, notamment dans La Princesse de Babylone et dans les Lettres d'Amabed ; on y verra que la conception spécifiquement « orientale » de ces deux contes doit beaucoup à la période 1760-1761 .

10 L'empereur mongol Aurengzeb était mort en 1707 à quatre-vingt-neuf ans ; V* lui en donné généreusement cent trois dans l'Essai sur les mœurs et plus de cent cinq sur sa lettre du 15 août 1760 au roi Stanislas . : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f528.image.r=4230

11 Le mot omrah désignant les hauts dignitaires indiens est d'origine ourdou ; V* le reprendra dans ses contes .

12 Le Conseil de la Compagnie des Indes, siégeant à Pondichéry ; sur ses origines et attributions, voir Robert Challe dans Journal de Voyage aux Indes (Mercure de France, 1979)

 

est-il vrai que de cet ouvrage immense, et de douze ans de travaux, il reviendra vingt-cinq mille francs à Diderot , tandis que ceux qui fournissent du pain à nos armées gagnent vingt mille francs par jour ?

... Et qui va toucher des ristournes fabuleuses/dessous de tables/pots de vin pour la vente de nos merveilleux Rafales ? Pas vous, pas moi , pas Diderot !

 

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« A Jean Le Rond d'ALEMBERT.
25 d'avril [1760].
Mon cher et digne philosophe, j'avoue que je ne suis pas mort,1 mais je ne peux pas dire que je sois en vie. Berthier se porte bien, et je suis malade ; Abraham Chaumeix digère, et je ne digère point : aussi ma main ne vous écrit pas, mais mon cœur vous écrit; il vous dit qu'il est sensiblement affligé de voir les fanatiques réunis pour accabler les philosophes, tandis que les philosophes, divisés, se laissent tranquillement égorger les uns après les autres.
C'est grand dommage que Jean-Jacques se soit mis tout nu dans le tonneau de Diogène; c'est le sûr moyen d'être mangé des mouches. Est-il possible qu'on laisse jouer cette farce impudente dont on nous menace ?2 c'est ainsi qu'on s'y prit pour perdre Socrate. Je ne crois pas que la comédie des Nuées 3 approche des opéras-comiques de la Foire. Je crois Favart 4 et Vadé 5 fort supérieurs au Gilles d'Athènes, quoi qu'en dise Mme Dacier; mais enfin ce fut par là que les prêtres commencèrent à préparer la ruine des sages. La persécution éclate de tous côtés dans Paris ; les jansénistes et les jésuites se joignent pour égorger la raison, et se battent entre eux pour les dépouilles. Je vous avoue que je suis aussi en colère contre les philosophes qui se laissent faire que contre les marauds qui les oppriment. Puisque je suis en train de me fâcher, je passe à Luc; il fait le plongeon, il désavoue ses Œuvres, il les fait imprimer tronquées 6 : cela est bien plat, quand on a cent mille hommes; mais cet homme-là sera toujours incompréhensible. Il m'envoie tous les huit jours des paquets les plus outrecuidants, les plus terribles, de vers et de prose; des choses à faire coffrer le receveur, si le receveur était à Paris ; et il ne m'envoie point l'épître 7 qu'il vous a adressée 8, qui est, dit-on, son meilleur ouvrage. Il ne sait pas trop ce qu'il veut, et sait encore moins ce qu'il deviendra. Il serait bien à souhaiter qu'il se mît à devenir sage ; il eût été le plus heureux des hommes s'il avait voulu, et il valait cent fois mieux être le protecteur de la philosophie que le perturbateur de l'Europe. Il a manqué une belle vocation : vous devriez bien lui en dire deux mots, vous qui savez écrire, et qui osez écrire. Il est très-faux que l'abbé de Prades l'ait trahi ; il écrivait seulement au ministre de France pour avoir la permission de faire un voyage en France, et cela dans un temps où nous n'étions pas en guerre avec le Brandebourg. S'il avait en effet tramé une trahison contre son bienfaiteur, soyez très-persuadé qu'on ne se serait pas borné à lui donner un appartement dans la citadelle de Magdebourg.
Vous savez que Darget a mieux aimé un petit emploi subalterne à Paris que deux mille écus de gages, et le magnifique titre de secrétaire. Algarotti a préféré sa liberté à trois mille écus de gages, je dis trois mille écus d'empire. Vous savez que Chazot 9 a pris le même parti ; vous savez que Maupertuis, pour s'étourdir, s'était mis à boire de l'eau-de-vie 10, et en est mort. Vous savez bien d'autres choses; vous savez surtout que vous n'avez une pension de cinquante louis que comme un hameçon. Faites vos réflexions sur tout cela ; je me fie à votre probité, et je veux avoir votre amitié.
Mandez-moi, je vous en prie, à quoi en est la persécution contre les seuls hommes qui puissent éclairer le genre humain.
N'imitez pas le paresseux Diderot; consacrez une demi-heure de temps à me mettre un peu au fait. On prétend que la cabale dit : Oportet Diderot mori pro populo 11 .
Le Dictionnaire encyclopédique continue-t-il ? sera-t-il défiguré et avili par de lâches complaisances pour des fanatiques ? ou bien sera-t-on assez hardi pour dire des vérités dangereuses ? est-il vrai que de cet ouvrage immense, et de douze ans de travaux, il reviendra vingt-cinq mille francs à Diderot 12, tandis que ceux qui fournissent du pain à nos armées gagnent vingt mille francs par jour ? Voyez vous Helvétius ? connaissez-vous Saurin ? qui est l'auteur de la farce contre les philosophes ? qui sont les faquins de grands seigneurs 13, et les vieilles p... dévotes de la cour 14 qui le protègent ? Écrivez-moi par la poste, et mettez hardiment : A Voltaire, gentilhomme ordinaire du roi, au château de Ferney, par Genève; car c'est à Ferney que je vais demeurer, dans quelques semaines.
Nous avons Tournay pour jouer la comédie, et les Délices sont la troisième corde à notre arc. Il faut toujours que les philosophes aient deux ou trois trous sous terre, contre les chiens qui courent après eux. Je vous avertis encore qu'on n'ouvre point mes lettres, et que, quand on les ouvrirait, il n'y a rien à craindre du ministre des affaires étrangères, qui méprise autant que nous le fanatisme moliniste, le fanatisme janséniste et le fanatisme parlementaire. Je m'unis à vous en Socrate, en Confucius, en Lucrèce, en Cicéron, et en tous les autres apôtres ; et j'embrasse vos frères, s'il y en a, et si vous vivez avec eux. »

1 Voir en note de la lettre du 21 avril 1760 à Collini, ce qu'en disait d'Alembert dans sa lettre du 14 avril à laquelle V* répond ici  : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/18/on-m-a-dit-mort-cela-n-est-pas-entierement-vrai-5605707.html

2 Les Philosophes, de Palissot ; d'Alembert, en post scriptum écrivait : « Il ne manquait plus à la philosophie que le coup de pied de l'âne . On va jouer sur le théâtre de la Comédie française une pièce intitulée Les Philosophes modernes . Préville doit y marcher à quatre pattes pour représenter Rousseau . Cette pièce est fort protégée . Versailles la trouve admirable . » Dans sa lettre du 6 mai, après trois représentations de la pièce qu'il n'a pas vue et ne veut pas voir, il précisera : « Nous n'y sommes attaqués personnellement ni l'un ni l'autre, les seuls maltraités sont Helvétius, Diderot, Rousseau, Duclos, Mme Geoffrin, et Mlle Clairon qui a tonné contre cette infamie […] Les producteurs femelles (déclarés) de cette pièce sont Mmes de Villeroy, de Robecq, et du Deffand votre amie, et ci-devant la mienne […] En hommes , il n'y a […] que maître Aliboron, dit Fréron […] elle ne peut avoir été jouée sans protecteurs puissants […] tous la désavouent . Les seuls qui soient un peu plus francs , sont Séguier et Joly de Flleury . » Choiseul dira laconiquement, en post scriptum de sa lettre du 8 mai : « Je n'ai point vue la pièce contre les philosophes, je l'ai lue ; le fond peut être mauvais, la diction en est bonne, les vers bien faits et la morale approuvable. »

3 Titre d'une pièce d'Aristophane que V* désigne plus loin sous le nom peu agréable de « Gilles d’Athènes »

4 Charles-Simon Favart qui écrivit de nombreuses pièces à succès destinées à l'Opéra-Comique et eu Théâtre des Italiens . Pur charmantes que soient souvent ses comédies elles ne peuvent être comparées avec celles d’Aristophane . Voir : http://blog.bnf.fr/gallica/index.php/2010/03/13/charles-simon-favart-1710-1792/

5 Jean-Joseph Vadé qui mit à la mode le genre « poissard » . il était mort depuis le 4 juillet 1757 et l'on voit souvent V* mentionner, dès la présente époque « Mlle Vadé » qui jouera encore un rôle involontaire dans les Contes de Guillaume Vadé, réellement écrits par V* en 1764 . Voir : http://www.paperblog.fr/1180887/jean-joseph-vade-ecrivain-chansonnier-poete-grivois-et-poissard/

et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Joseph_Vad%C3%A9

7 Il l'envoya le 1er mai ; voir la lettre de Frédéric II : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f388.texte.r=3485

8« Il faudrait imprimer à la suite du discours de notre nouveau confrère [Pompignan]une épître que je viens de recevoir du roi de Prusse contre les fanatiques . Les dévots, les jésuites, et notre saint-père le pape y sont bien traités » . Sur l4Epître à d'Alembert […] voir la lettre du 14 avril 1760à Mme de Fontaine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/10/mettez-nous-je-vous-en-prie-un-peu-au-fait-non-pas-de-ce-qui-5600503.html

9 Le chevalier François-Egmont de Chasot ; voir : http://friedrich.uni-trier.de/de/oeuvres/25/III/text/?h=C...|Egmont

10 Il y a là quelque exagération mais il est vrai que Maupertuis avait contracté à Berlin ,dans l'entourage du roi, certaines habitudes d'intempérance . Voici un billet adressé par Frédéric à Maupertuis, pendant que ce dernier
était encore à Berlin : « Je vous envoie le sieur Cothenius, un des plus grands charlatans de ce pays. Il a eu le bonheur de réussir quelquefois, par hasard, et je souhaite qu'il ait le même sort avec vous. Il vous ordonnera bien des remèdes; pour moi, je ne vous défends que les liqueurs; mais je vous les défends entièrement. » — Ce charlatan, médecin de Frédéric, est nommé Codénius, dans une lettre antérieure ..

11 Parodie de l'évangile de Jean, XVIII, 14. : il convient que Diderot meure pour le peuple .

12 Davantage, puisqu'il recevait 2500 francs par volume .

13 Le duc de Choiseul en était un.

14 Parmi ces « dévotes de la cour » on peut citer Mme de Robecq qui fut une amie de V* et qui devait mourir le 4 juillet 1760, ce qui fera dire à Mme du Deffand , le 5 juillet 1760 : » […] elle a trop tardé, six mois plus tôt nous auraient épargné une immensité de mauvais ouvrages . »

 

22/04/2015

C'est le gouvernement qui change les mœurs, qui élève ou abaisse les nations.

... Autant que possible, comme dirigeants, éviter les lapins-crétins

 

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« A Maurice PILAVOINE,
à Pondichéry
Au château de Ferney,

le 23 avril [1760].
Mon cher et ancien camarade, vous ne sauriez croire le plaisir que m'a fait votre lettre 1. Il est doux de se voir aimé à quatre mille lieues de chez soi. Je saisis ardemment l'offre que vous me faites de cette histoire manuscrite de l'Inde. J'ai une vraie passion de connaître à fond le pays où Pythagore est venu s'instruire.
Je crois que les choses ont bien changé depuis lui, et que l'université de Jaganate 2 ne vaut point celles d'Oxford et de Cambridge. Les hommes sont nés partout à peu près les mêmes, du moins dans ce que nous connaissons de l'ancien monde. C'est le gouvernement qui change les mœurs, qui élève ou abaisse les nations.
Il y a aujourd'hui des récollets dans ce même Capitole où triompha Scipion, où Cicéron harangua.
Les Égyptiens, qui instruisirent autrefois les nations, sont aujourd'hui de vils esclaves des Turcs. Les Anglais, qui n'étaient, du temps de César, que des barbares allant tout nus, sont devenus les premiers philosophes de la terre, et, malheureusement pour nous, sont les maîtres du commerce et des mers. J'ai bien peur que dans quelque temps ils ne viennent vous faire une visite; mais M. Dupleix les a renvoyés, et j'espère que vous les renverrez de même. Je m'intéresse à la Compagnie, non-seulement à cause de vous, mais parce que je suis Français, et encore parce que j'ai une partie de mon bien sur elle. Voilà trois bonnes raisons qui m'affligent pour la perte de Masulipatan. 3
J'ai connu beaucoup MM. de Lally 4 et de Soupire 5; celui-ci est venu me voir à mon petit ermitage auprès de Genève avant de partir pour l'Inde ; c'est à lui que j'adressai ma lettre 6 pour vous à Surate. N'imputez cette méprise qu'au souvenir que j'ai toujours conservé de vous. Je pense toujours à Maurice Pilavoine, de Surate ; c'était ainsi qu'on vous appelait au collège, où nous avons appris ensemble à balbutier du latin, qui n'est pas, je crois, d'un fort grand secours dans l'Inde. Il vaut mieux savoir la langue du Malabar.
Je serais curieux de savoir s'il reste encore quelque trace de l'ancienne langue des brachmanes. Les bramines d'aujourd'hui se vantent de la savoir; mais entendent-ils leur Veidam?7 Est-il vrai que les naturels de ce pays sont naturellement doux et bienfaisants? Ils ont du moins sur nous un grand avantage, celui de , n'avoir aucun besoin de nous, tandis que nous allons leur demander du coton, des toiles peintes, des épiceries, des perles et des diamants, et que nous allons, par avarice, nous battre à coups de canon sur leurs côtes.
Pour moi, je n'ai point encore vu d'Indien qui soit venu livrer bataille à d'autres Indiens, en Bretagne et en Normandie, pour obtenir, le crisk 8 à la main, la préférence de nos draps d'Abbeville et de nos toiles de Laval.
Ce n'est pas assurément un grand malheur de manquer de pêches, de pain, et de vin, quand on a du riz, des ananas, des citrons, et des cocos 9. Un habitant de Siam et du Japon ne regrette point le vin de Bourgogne. J'imite tous ces gens-là ; je reste chez moi ; j'ai de belles terres, libres et indépendantes, sur la frontière de France. Le pays que j'habite est un bassin d'environ vingt lieues, entouré de tous côtés de montagnes ; cela ressemble en petit au royaume de Cachemire. Je ne suis seigneur que de deux paroisses, mais j'ai une étendue de terrain très-considérable. Les pêches, dont vous me paraissez faire tant de cas, sont excellentes chez moi ; mes vignes mêmes produisent d'assez bon vin. J'ai bâti dans une de mes terres un château qui n'est que trop magnifique pour ma fortune ; mais je n'ai pas eu la sottise de me ruiner pour avoir des colonnes et des architraves. J'ai auprès de moi une partie de ma famille, et des personnes aimables qui me sont attachées. Voilà ma situation, que je ne changerais pas contre les plus brillants emplois. Il est vrai que j'ai une santé très-faible, mais je la soutiens par le régime. Vous êtes né, autant qu'il m'en souvient, beaucoup plus robuste que moi, et je m'imagine que vous vivrez autant qu'Aurengzeb 10. Il me semble que la vie est assez longue dans l'Inde, quand on est accoutumé aux chaleurs du pays.
On m'a dit que plusieurs rajas et plusieurs omras 11 ont vécu près d'un siècle ; nos grands seigneurs et nos rois n'ont pas encore trouvé ce secret. Quoi qu'il en soit, je vous souhaite une vie longue et heureuse. Je présume que vos enfants vous procureront une vieillesse agréable. Vous devez sans doute vivre avec beaucoup d'aisance ; ce ne serait pas la peine d'être dans l'Inde pour n'y être pas riche. Il est vrai que la Compagnie ne l'est point : elle ne s'est pas enrichie par le commerce, et les guerres l'ont ruinée ; mais un membre du conseil 12 ne doit pas se sentir de ces infortunes.
Je vous prie de m'instruire de tout ce qui vous regarde, de la vie que vous menez, de vos occupations, de vos plaisirs, et de vos espérances. Je m'intéresse véritablement à vous, et je vous prie de croire que c'est du fond de mon cœur que je serai toute ma vie, monsieur, votre, etc. »

1 Elle ne nous est pas parvenue, mais voir la lettre du 25 septembre 1758 à Pilavoine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/04/tout-amoureux-que-je-suis-de-ma-liberte-cette-maitresse-ne-m.html

2 Jaganath ou Puti, dans la province d'Orissa est un sanctuaire fameux (Jaggernaur) ; V* mentionne son « université » dans la Lettre civile et honnête : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65298757

4 Thomas-Arthur, comte de Lally, né à Romans en 1702, décapité le 9 mai 1766; voir lettre du 15 février 1760 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/02/13/ces-occupations-sont-satisfaisantes-combien-elles-consolent-5558459.html

5 Maréchal de camp de Lally depuis le mois de novembre 1756; cité dans les Fragments historiques sur l'Inde, tome XXIX, page 139.

6 Lettre du 25 septembre 1758 à Pilavoine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/04/t... . Pilavoine résidait à Pondichéry .

7 Écrit en sanscrit védique, l'une des variétés de sanscrit . Sur l'intérêt grandissant de V* pour ces problèmes, voir notamment, dans les Romans et contes, la Notice relative aux Lettres d'Amabed

8 Criss ou crid, poignard dont se servent les Malais, sorte de coutelas ou épée ..

9 Le thème suivant lequel les richesses naturelles des Indes rendent leurs habitants pacifiques, à la différence des Européens, reviendra souvent chez V*, notamment dans La Princesse de Babylone et dans les Lettres d'Amabed ; on y verra que la conception spécifiquement « orientale » de ces deux contes doit beaucoup à la période 1760-1761 .

10 L'empereur mongol Aurengzeb était mort en 1707 à quatre-vingt-neuf ans ; V* lui en donné généreusement cent trois dans l'Essai sur les mœurs et plus de cent cinq sur sa lettre du 15 août 1760 au roi Stanislas . : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f528.image.r=4230

11 Le mot omrah désignant les hauts dignitaires indiens est d'origine ourdou ; V* le reprendra dans ses contes .

12 Le Conseil de la Compagnie des Indes, siégeant à Pondichéry ; sur ses origines et attributions, voir Robert Challe dans Journal de Voyage aux Indes (Mercure de France, 1979)

 

21/04/2015

Je ne puis souffrir les ricanements des étrangers quand ils parlent de flottes et d'armées

... Certes, nous ne sommes pas le pays le mieux doté quantitativement dans ces domaines délicats, mais qualitativement nous tenons le choc . Loin de moi l'idée d'une France-foudre de guerre, mais comme Voltaire je la préfère vainqueur que vaincue .

 Ah ! chat m'ira, chat m'ira, chat m'ira !....

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« A François de CHENNEVIÈRES
Du 23 avril 1760 aux Délices
Il est bien vrai, mon cher ami, que je ne suis pas mort 1; mais je ne puis pas non plus assurer absolument que je suis en vie.
Je suis tout juste dans un honnête milieu, et la retraite contribue à soutenir ma machine chancelante. Il faut qu'un vieillard malade soit entièrement à lui : pour peu qu'il soit gêné, il est mort ; mais tant que je respirerai un peu, vous aurez un ami aussi inutile qu'attaché sur les bords fleuris du lac de Genève.
Tout ce que vous me dites de M. le duc de Bourgogne 2 fait grand plaisir à un cœur français. J'attends avec impatience la paix ou quelque victoire, et je vous avoue que j'aimerais encore mieux, pour notre nation, des lauriers que des olives. Je ne puis souffrir les ricanements des étrangers quand ils parlent de flottes et d'armées. J'ai fait vœu de n'aller habiter le château de Ferney que quand je pourrai y faire la dédicace par un feu de joie.
C'est, par parenthèse, un fort joli château. Colonnades, pilastres, péristyle, tout le fin de l'architecture s'y trouve 3; mais je fais encore plus de cas des blés et des prairies. Nous sommes de l'âge d'or dans notre petit coin du monde, où toutes les Délices vous embrassent. »

 

 

 

2 Louis-Joseph-Xavier, alors dans sa neuvième année, frère ainé de celui qui sera Louis XVI. Il mourut le 22 mars 1761 .