09/02/2010
je ne peux rendre ni les hommes, ni les filles raisonnables
Un peu d'auto-dérision pour commencer : http://www.youtube.com/watch?v=ip5m8xUdbE8
Un petit retour vers un conte, favori de ma dame favorite et que j'aime aussi (et la dame itou ! ) ...

« A Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d’Argental
9 février 1763
Madame ange,
Les lettres se croisent comme les conversations de Paris. Celle-ci est une action de grâce de la part de Mme Denis, qui a un érésipèle, un point de côté, la fièvre, etc. ; de la part de mon cornette de dragons [Dupuits, fiancé de Mlle Corneille], qui se jette à vos pieds, e t qui baise le bas de votre robe avec transport ; de la part de Marie Corneille, qui vous écrirait un volume si elle savait l’orthographe ; et enfin de la part de moi aveugle qui réunis tous leurs sentiments de respect et de reconnaissance. Il n’y a rien que vous n’ayez fait ; vous échauffez les Abbé de La Tour du Pin [V* dit que l’abbé de La Tour du Pin, considéré comme un parent de Marie Corneille, aurait cherché à empêcher son adoption par V*], vous allez exciter la générosité des fermiers généraux [le 26 janvier, V* écrit aux d’Argental : « … il doit être désagréable à un gentilhomme, à un officier d’avoir un beau-père facteur de la petite poste dans les rues de Paris . Il serait convenable qu’il se retirât à Evreux avec sa femme et qu’on lui donnât un entrepôt de tabac ou quelque dignité semblable qui n’exigeât ni une belle écriture ni l’esprit de Cinna. Je vous soumets ma lettre aux fermiers généraux… »] . Il n’y a qu’un point sur lequel j’ose me plaindre de vous, c’est que vous avez omis la permission de la signature d’honneur de mes deux anges. Je vous avertis que j’irai en avant, et que le contrat de Marie sera honoré de votre nom ; vous me désavouerez après, si vous voulez.
J’ai reçu aujourd’hui une lettre de Mme de Colmont Vaulgrenand. Elle demande pardon pour son dur mari ; elle me conjure de donner Mlle Corneille à son fils ; je lui réponds que la chose est difficile, attendu que Mlle Corneille est fiancée à un autre ; il y a de la destinée dans tout cela, et je crois fermement à la destinée, moi qui vous parle. Celle de M. Lefranc de Pompignan est de me faire toujours pouffer de rire (moi et le public s’entend). Oh ! la plaisante chose que son sermon [Discours prononcé dans l’église de Pompignan le jour de sa bénédiction (24 octobre 1762) écrit en réalité par Reyrac. V* répondit par la Lettre de M. de l’Ecluse… et l’Hymne chanté au village de Pompignan : Vive le roi et Simon Lefranc] et la relation de sa dédicace ! On est trop heureux qu’il y ait de pareilles gens dans le monde.
J’insiste pour que mon neveu d’Hornoy [Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre d’Hornoy, fils de sa nièce Mme de Fontaine] soit conseiller au parlement. Il ne fera jamais tant de bruit que l’abbé Chauvelin ; mais enfin il sera tuteur des rois, et fera brûler son oncle comme un autre. En vérité, Messieurs sont bien tendres aux mouches. S’ils criaient pour une particule conjonctive, je leur dirais : Messieurs, vous avez oublié la grammaire que les jésuites vous avaient enseignée.
Tout le public murmura, et le roi fut assassiné. [Après la peur des d’Argental, V*, le 3 février leur écrit : « Calmez-vous… Cette feuille n’a point été tirée, je l’ai bien empêché. Philibert Cramer a très mal fait de la coudre à son exemplaire. Je sentis bien que ces mots : cent quatre-vingts membres (du parlement) se démirent de leurs charges, les murmures furent grands dans la ville et le roi fut assassiné pourraient faire soupçonner à des grammairiens que cet assassinat fut le fruit immédiat du lit de justice, comme en effet Damiens l’avoua dans ses interrogatoires à Versailles et à Paris. Je sais bien qu’il est permis de dire une vérité que le parlement a fait imprimer lui-même ; mais j’ai bien senti que le parlement serait fâché qu’ion vit dans l’histoire ce qu’on voit dans le procès-verbal . Cette seule particule et est un coup mortel … Cette même particule, très mal expliquée par M. de Silhouette dans le traité d’Utrecht, a causé la dernière guerre … ; malgré mon juste ressentiment contre l’infâme condamnation de la Loi naturelle, je fis jeter au feu cette feuille ; je mis à la place : « ces émotions furent bientôt ensevelies dans une consternation générale, par l’accident le plus imprévu et le plus effroyable. Le roi fut assassiné le 5 janvier dans la cour de Versailles… » Finalement les deux faits furent relatés dans le Précis du Siècle de Louis XV, celui qui concerne le parlement à la fin du chapitre, celui qui concerne « l’assassinat » au début du chapitre suivant.] . Quel rapport cette phrase peut-elle avoir avec le parlement de Paris ? Je présenterais requête au roi et à son conseil, comme les Calas, mais ce serait avant d’être roué, et je ferais l’Europe juge entre le parlement et la grammaire. Je vous parle ainsi, mes anges, parce que je vous crois plutôt ministres d’un petit fils de Louis XIV [d’Argental est « ministre » du duc de Parme à Paris] que partisans de la Fronde. Il est doux de dire ce qu’on pense à ses anges. Je vous avoue que je suis comme Platon ; je n’aime pas la tyrannie de plusieurs. Je sais que le parlement ne m’aime guère, parce que j’ai dit dans le Siècle de Louis XIV des vérités que je ne pouvais taire. Ce motif d’animosité n’est pas trop honorable. Je vous ai dit tout ce que j’avais sur le cœur ; cela me pesait. Mais que vos bontés pour moi ne s’alarment point ; je vous réponds qu’il ne subsiste aucune particule qui puisse déplaire [V* leur enverra le 13 février « cette terrible feuille qui devait tant déplaire à Messieurs. »].
Parlons du tripot pour nous égayer.
On dit que la très sublime Clairon ne veut pas ôter le rôle de Mariamne à la très dépenaillée Gaussin. Que voulez-vous ! ce n’est pas ma faute, je ne peux rendre ni les hommes, ni les filles raisonnables ; qui est-ce qui se rend justice ? quel est le prédicateur de Saint-Roch qui ne croie surpasser Massillon ?
Je me rends justice, mes anges, en disant que mon cœur vous adore.
V. »

Ce qui suit n'est pas très XVIIIème siècle, mais bon , il faut se lacher parfois , c'est bon pour le coeur : http://www.dailymotion.com/video/x7f8zx_la-destinee-de-l-...
17:30 | Lien permanent | Commentaires (0)
08/02/2010
Ô pauvres cœurs que nous sommes, foutus Français !
Brut de décoffrage !
« A Sophie-Frédérique-Wilhelmine de Prusse, margravine de Bayreuth
A Montriond près de Lausanne pays de Vaud 8 février [1757]
Madame,
Je crois que la suite des nouvelles que j’ai eu l’honneur d’envoyer à Votre Altesse Royale lui paraîtra aussi curieuse qu’atroce, et que le Roi son frère en sera surpris. a[f1]
Il a eu la bonté de m’écrire une lettre où il daigne m’assurer de ses bonnes grâces. b[f2] Mon cœur l’a toujours aimé. Mon esprit l’a toujours admiré. Et je crois que je l’admirerai encore davantage.
L’impératrice de Russie me demande à Pétersbourg ; pour écrire l’histoire de Pierre Ier. Mais Pierre Ier n’est pas le plus grand homme de ce siècle. Et je n’irai point dans un pays dont le Roi votre frère battra l’armée.
Je ne sais si la nouvelle du changement de ministère en France est parvenue déjà à Votre Altesse Royale. On croit que l’abbé de Bernis aura le premier crédit. c[f3] Voilà ce que c’est que d’avoir fait de jolis vers.
Madame, Madame, le Roi de Prusse est un grand homme.
Que Votre Altesse Royale conserve sa santé. Qu’elle daigne ainsi que Monseigneur honorer de sa protection et de ses bontés ce vieux Suisse qui lui a été tendrement attaché avec le plus profond respect dès qu’il a eu l’honneur d’être admis à sa cour. Qu’elle n’oublie pas frère V…
[f1]Datées de Paris 30 janvier, elles concernent le procès de Damiens : il aurait des complices, on aurait envoyé du poison au dauphin, la Bastille est pleine. Il est question également du changement de ministres et que l’abbé de Bernis « qui a signé le traité de Vienne (alliance avec l’Autriche) a(it) les Affaires étrangères ». Ces informations seront transmises par la margravine à son frère.
[f2]Lettre de Dresde le 19 janvier
[f3]Il était entré au Conseil le 2 janvier, mais c’est Rouillé qui va être nommé ministre des Affaires étrangères ; Rouillé sera obligé de démissionner le 15 juin et sera remplacé par Bernis qui prêtera serment le 29 juin.

« A Charles de Brosses, baron de Montfalcon
8 février [1760] aux Délices
Monsieur,
1° Il doit vous importer fort peu, ainsi qu’au parlement, qui paye les frais du beau procès Panchaud, Sa majesté ou moi. Ainsi, permettez que je vous recommande mon bon droit, comme Agnelet.a[f1] J’ai eu beau demander, chercher un titre, un exemple qui prouvât que la justice de Tournay s’étend sur le fief de Genève où est située la cabane près de laquelle on a volé des noix et donné un coup de sabre. Je n’ai eu nul éclaircissement. Je présente requête au parlement pour qu’il soit ordonné aux juges de Gex de faire apparoir comme quoi la justice appartient à Tournay ; et faute de ce, le procès fait à Panchaud sera aux frais de Sa Majesté : je ne vois rien de plus juste.
Je vous supplie donc, Monsieur, de faire donner au procureur qu’il vous plaira la mienne requête. Je vous serai très obligé de cette bonté. Il faut secourir les gens en détresse.
2° Un point plus important est l’objet de délivrer la province, grande comme une épître de Lacédémonien, de douze brigades d’alguazils, qui la dévastent sans que nosseigneurs les fermiers généraux tirent un sou de ces déprédations.
Un fermier général va venir pour traiter avec la province b[f2] ; la province avec la compagnie. Vos cent dix mille livres serviront à libérer le pays, et vous produiront dix pour cent. c[f3]
3° Une aventure de sbires contribue à la libération de la province ; la voici. Le pain manquant aux Délices, nous faisons venir de Ferney vingt-quatre coupes de blé (car du blé à Tournay ! néant d[f4] , grâce à l’administration de Chouet, qui meurt ivre et ruiné). Nous accompagnons nos voitures de Ferney d’un billet d’avis et de la permission du bacha de la province ; trois domestiques sont envoyés, l’un pour endosser la patente du bacha, les deux autres pour témoins. On nous saisit notre blé, nos équipages. Grandes plaintes, mémoires au contrôleur général, à Mgrs les fermiers généraux, à Sa majesté M. l’intendant ; procès, écritures ; enfin le contrôleur du bureau vient déclarer et signer aux Délices que les employés sont des fripons et qu’il les désavoue ; et le lendemain, le receveur vient déclarer et signer qu’ils ont fait un faux procès-verbal, et qu’ils l’ont antidaté. Leurs aveux, et copies figurées, envoyées vite en haut, comme disent les petits, et si haut même que copie en parvient à l’assemblée de nosseigneurs les fermiers généraux, le tout suivi de remontrances contre l’armée qu’ils entretiennent au pays de Gex et contre l’infernale administration de ce malheureux pays. Or, Monsieur, je vous demande sur tout cela votre protection immédiate.
4° Qu’est devenue votre Sallusterie ? e[f5] Les discours de Gordon en français viennent de paraître. Il y a deux chapitres contre la monarchie papale et contre la monarchie jésuitique, qui ne sont pas à l’eau de rose.
Ces Anglais pensent comme ils se battent. O noï poverini becchi, fututi francesi ! f[f6]
Mille respects.
V. »
[f1]Dans L’Avocat Patelin, comédie de David-Augustin Brueys, jouée en 1706 et rééditée en 1760.
[f2]V* a demandé à Mme d’Epinay d’envoyer son mari.
[f3]Il s’agit de fonder une compagnie qui rachète le droit de « fournir le sel au pays de Gex » et si possible à « Genève, à Versoy, et ua pays de Vaud …(et) à l’étranger ». V* faisait le compte des dépenses et bénéfices à Fabry le 4 janvier. Il a demandé à être le syndic : le 7 janvier à de Brosses : « Si la chose réussit, s’engage à payer (à de Brosses) une rente de dix pour cent pour la vente de Tournay », mais il ne lui versera « aucune somme comptant en signant le contrat… Les 110 000 livres, prix de Tournay seront placées dans la somme donnée au roi par la province. »
[f4]Les documents retrouvés montreront que ce n’est pas tout à fait exact.
[f5]Histoire de la République romaine par Salluste, en partie traduite du latin sur l’original, en partie rétablie et composée sur les fragments (1777) . V* a proposé en janvier 1759 de faire imprimer l’ouvrage à Genève
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