06/03/2021
Il ne m’appartient pas d’être conciliateur ; je me borne seulement à prendre la liberté d’offrir un repas où l’on pourrait s’entendre
... L'intention est louable , n'est-ce pas ? Difficile à mettre en oeuvre, de nos jours en France, si plus de six convives , mais sympa quand même . Il faut juste une table surdimensionnée et une voix qui porte . Bon appétit !
« À Jacob Tronchin 1
[13 novembre 1765].
Immédiatement après avoir lu, monsieur, le nouveau livre en faveur des représentants 2, la première chose que je fais est de vous en parler. Vous savez que M. Keat, gentilhomme anglais plein de mérite, me fit l’honneur de me dédier il y a quelques années, son ouvrage sur Genève 3. Celui qu’on me dédie aujourd’hui est d’une espèce différente, c’est un recueil de plaintes amères. L’auteur n’ignore pas combien je suis tolérant, impartial, et ami de la paix ; mais il doit savoir aussi combien je vous suis attaché à vous, à vos parents, à vos amis, et à la constitution du gouvernement.
Genève, d’ailleurs, n’a point de plus proche voisin que moi. L’auteur a senti peut-être que cet honneur d’être votre voisin, et mes sentiments, qui sont assez publics, pourraient me mettre en état de marquer mon zèle pour l’union et pour la félicité d’une ville que j’honore, que j’aime, et que je respecte. S’il a cru que je me déclarerais pour le parti mécontent, et que j’envenimerais les plaies, il ne m’a pas connu.
Vous savez, monsieur, combien votre ancien citoyen Rousseau se trompa quand il crut que j’avais sollicité le conseil d’État contre lui. On ne se tromperait pas moins, si l’on pensait que je veux animer les citoyens contre le Conseil.
J’ai eu l’honneur de recevoir chez moi quelques magistrats et quelques principaux citoyens qu’on dit du parti opposé. Je leur ai toujours tenu à tous le même langage ; je leur ai parlé comme j’ai écrit à Paris ; je leur ai dit que je regardais Genève comme une grande famille dont les magistrats sont les pères, et qu’après quelques dissensions cette famille doit se réunir.
Je n’ai point caché aux principaux citoyens que, s’ils étaient regardés en France comme les organes et les partisans d’un homme dont le ministère n’a pas une opinion avantageuse, ils indisposeraient certainement nos illustres médiateurs, et ils pourraient rendre leur cause odieuse. Je puis vous protester qu’ils m’ont tous assuré qu’ils avaient pris leur parti sans lui, et qu’il était plutôt de leur avis qu’ils ne s’étaient rangés du sien. Je vous dirai plus, ils n’ont vu les Lettres de la montagne qu’après qu’elles ont été imprimées . Cela peut vous surprendre, mais cela est vrai.
J’ai dit les mêmes choses à M. Lullin, le secrétaire d’État, quand il m’a fait l’honneur de venir à ma campagne. Je vois avec douleur les jalousies, les divisions, les inquiétudes s’accroître ; non que je craigne que ces petites émotions aillent jusqu’au trouble et au tumulte ; mais il est triste de voir une ville remplie d’hommes vertueux et instruits, et qui a tout ce qu’il faut pour être heureuse, ne pas jouir de sa prospérité.
Je suis bien loin de croire que je puisse être utile ; mais j’entrevois (en me trompant peut-être) qu’il n’est pas impossible de rapprocher les esprits. Il est venu chez moi des citoyens qui m’ont paru joindre de la modération et des lumières. Je ne vois pas que, dans les circonstances présentes, il fût mal à propos que deux de vos magistrats des plus conciliants me fissent l’honneur de venir dîner à Ferney, et qu’ils trouvassent bon que deux des plus sages citoyens s’y rencontrassent. On pourrait, sous votre bon plaisir, inviter un avocat en qui les deux partis auraient confiance.
Quand cette entrevue ne servirait qu’à adoucir les aigreurs, et à faire souhaiter une conciliation nécessaire, ce serait beaucoup, et il n’en pourrait résulter que du bien. Il ne m’appartient pas d’être conciliateur ; je me borne seulement à prendre la liberté d’offrir un repas où l’on pourrait s’entendre 4 . Ce dîner n’aurait point l’air prémédité, personne ne serait compromis, et j’aurais l’avantage de vous prouver mes tendres et respectueux sentiments pour vous, monsieur, pour toute votre famille, et pour les magistrats qui m’honorent de leurs bontés.
Voltaire .
Si ma proposition ne peut avoir lieu, ayez la bonté de venir quelque jour avec M. Turretin.»
2 De Jean-Antoine Comparet : « La Vérité, ode à M. de Voltaire, suivie d'une dissertation historique et critique sur le gouvernement de Genève et ses révolutions » . En même temps qu'il répond à V*, le Conseil de Genève condamne cet ouvrage au feu (voir note suivante ) , non sans avoir reçu de Lullin l'assurance donnée par Mme Denis « que son oncle ne prenait aucun intérêt à cette brochure » (12 novembre 1765, archives de Genève, CCLXV) . Voir : https://books.google.fr/books?id=IX9YAAAAcAAJ&pg=PR1&lpg=PR1&dq=La+V%C3%A9rit%C3%A9,+ode+%C3%A0+M.+de+Voltaire,+suivie+d%27une+dissertation+historique+et+critique+sur+le+gouvernement+de+Gen%C3%A8ve+et+ses+r%C3%A9volutions&source=bl&ots=82vOV9oAzH&sig=ACfU3U2uaexLalpknGVrRonMRAN_i9PXYg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjYv8eJnprvAhVEgRoKHXMkB8EQ6AEwAnoECAYQAw#v=onepage&q=La%20V%C3%A9rit%C3%A9%2C%20ode%20%C3%A0%20M.%20de%20Voltaire%2C%20suivie%20d'une%20dissertation%20historique%20et%20critique%20sur%20le%20gouvernement%20de%20Gen%C3%A8ve%20et%20ses%20r%C3%A9volutions&f=false
et : https://data.bnf.fr/fr/11923211/jean-antoine_comparet/
3 Sur cet ouvrage de Keate, paru en 1761, voir : https://data.bnf.fr/fr/14062261/george_keate/
4 Les registres du Conseil de Genève rapportent à la date du 18 novembre 1765 que Jacob Tronchin a fait part aux conseillers de la lettre de V* . Après délibération , « l'avis a été que ledit noble Tronchin doit aller le plus tôt qu'il lui sera possible à Ferney, pour dire de bouche au sieur de Voltaire que le Conseil est sensible aux expressions de sa lettre mais que n'ayant pas le droit de transiger sur la constitution du gouvernement l'entrevue qu'il propose ne peut aboutir à rien, et qu'il tâche de l'en persuader le plus civilement qu'il lui sera possible . » Le 20 Jacob Tronchin rapporte au Conseil « qu'il s'[est ] acquitté auprès de Voltaire de la commission dont il fut chargé hier. »
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05/03/2021
l’Église n'a d'autre pouvoir que les prérogatives accordées par les rois et par les lois .
... Persiste et signe . Qu'on en soit bien conscient , rois ou pas rois, force reste à la loi , laïque et universelle .
« A Etienne-Noël Damilaville
[vers le 10 novembre 1765]1
On m'a dit qu'on allait faire une nouvelle édition de l'ouvrage attribué à Saint-Evremond 2, et de quelques autres pièces relatives au même objet . J’ai cherché en vain à Genève une lettre d'un évêque grec ; il n'y en a qu'un seul exemplaire, qui est, je crois entre les mains de Mme la duchesse d'Anville . On prétend que c'est un morceau assez instructif sur l'abus des deux puissances . L'auteur prouve, dit-on, que la seule véritable puissance est celle du souverain, et que l’Église n'a d'autre pouvoir que les prérogatives accordées par les rois et par les lois . Si cela est, l'ouvrage est très raisonnable . J'espère l'avoir incessamment […]. »
1 L'édition de Kehl suivant la copie Beaumarchais, et suivie par les éditions, amalgame cette lettre à celle du 13 novembre 1765 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/10/correspondance-annee-1766-partie-33.html
2 Sur cet ouvrage »attribué à Saint-Evremond », voir lettre du 30 décembre 1761 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/12/29/les-francais-commencent-a-se-former-5892505.html
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04/03/2021
pour les capucins, Votre Majesté a bien senti qu’il n’était pas en son pouvoir de les changer en hommes, depuis que saint François les a changés en bêtes
... Au XVIè et XVIIè siècle on disait : " « Si tu vas aux Amériques, confie ta femme à un Jésuite, et ton argent à un capucin, mais ne fait jamais le contraire ! » François d'Assise tes suiveurs ont été, et pour certains encore, sont de drôles de bougres .
« À Catherine II, impératrice de Russie
[novembre 1765] 1
L’abeille est utile sans doute,
On la chérit, on la redoute,
Aux mortels elle fait du bien,
Son miel nourrit, sa cire éclaire ;
Mais, quand elle a le don de plaire,
Ce superflu ne gâte rien.
Minerve, propice à la terre,
Instruisit les grossiers humains,
Planta l’olivier de ses mains,
Et battit le dieu de la guerre.
Cependant elle disputa
La pomme due à la plus belle ;
Quelque temps Pâris hésita,
Mais Achille eût été pour elle.
Madame,
Que Votre Majesté impériale pardonne à ces mauvais vers . La reconnaissance n’est pas toujours éloquente . Si votre devise est une abeille 2, vous avez une terrible ruche ; c’est la plus grande qui soit au monde . Vous remplissez la terre de votre nom et de vos bienfaits. Les plus précieux pour moi sont les médailles qui vous représentent. Les traits de Votre Majesté me rappellent ceux de la princesse votre mère 3.
J’ai encore un autre bonheur, c’est que tous ceux qui ont été honorés des bontés de Votre Majesté sont mes amis ; je me tiens redevable de ce qu’elle a fait si généreusement pour les Diderot, les d’Alembert, et les Calas. Tous les gens de lettres de l’Europe doivent être à vos pieds.
C’est vous, madame, qui faites les miracles ; vous avez rendu Abraham Chaumeix tolérant 4, et s’il approche de Votre Majesté, il aura de l’esprit ; mais pour les capucins, Votre Majesté a bien senti qu’il n’était pas en son pouvoir de les changer en hommes, depuis que saint François les a changés en bêtes. Heureusement votre Académie va former des hommes qui n’auront pas affaire à saint François,
Je suis plus vieux, madame, que la ville où vous régnez, et que vous embellissez. J’ose même ajouter que je suis plus vieux que votre empire, en datant sa nouvelle fondation du créateur Pierre le Grand, dont vous perfectionnez l’ouvrage, Cependant je sens que je prendrais la liberté d’aller faire ma cour à cette étonnante abeille qui gouverne cette vaste ruche, si les maladies qui m’accablent me permettaient, à moi pauvre bourdon, de sortir de ma cellule.
Je me ferais présenter par M. le comte de Shouvalow et par madame sa femme, que j’ai eu l’honneur de posséder quelques jours dans mon petit ermitage. Votre Majesté impériale a été le sujet de nos entretiens, et jamais je n’ai tant éprouvé le chagrin de ne pouvoir voyager.
Oserais-je, madame, dire que je suis un peu fâché que vous vous appeliez Catherine ? les héroïnes d’autrefois ne prenaient point de nom de saintes . Homère, Virgile, auraient été bien embarrassés avec ces noms-là . Vous n’étiez pas faite pour le calendrier.
Mais, soit Junon, Minerve, ou Vénus, ou Cérès, qui s’ajustent bien mieux à la poésie en tout pays, je me mets aux pieds de Votre Majesté Impériale, avec reconnaissance et avec le plus profond respect.
Voltaire . »
1 Voltaire a porté sur la copie : « A l'impératrice de Russie 1765 » . La lettre a toujours été placée en septembre, mais comme elle répond à la lettre du 2 septembre 1765 de Catherine II, qui a dû parvenir fin octobre ou début novembre, et que l'impératrice y fit réponse le 9 décembre, on a la date proposée avec le plus de vraisemblance .Voir lettre du 5 novembre 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/27/nous-sommes-tres-etonnes-d-un-cote-de-lire-des-productions-q-6300322.html
et du 6 novembre 1765 à Mme Du Deffand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/27/il-faut-bien-pourtant-que-les-francais-valent-quelque-chose-puisque-des-etr.html
2 Voir lettre de Catherine II du 11-22 août 1765 : « Ma devise est une abeille qui, volant de plante en plante, amasse son miel pour le porter dans sa ruche, et l’inscription en est l’Utile » : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1765/Lettre_6089
3 La princesse d’Anhalt-Zerbst ; voir https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1749/Lettre_1975
4 Voir lettre du 11-22 août 1765 de Catherine II .
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03/03/2021
comme dit fort bien Arlequin, le lavement trop chaud rejaillit au nez de celui qui le donne
... Nico, souviens-toi de ce que tu disais aux magistrats il y a dix ans :
"Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute", a déclaré jeudi à Orléans le chef de l’État, promettant des sanctions."
N'est pas Napoléon qui veut .
Qu'en dis-tu ô politicard retors de ce retour de clystère ?
« A Etienne-Noël Damilaville 1
À Ferney, 9 novembre.
Vous avez dû recevoir la lettre où je vous parlais de la souscription des Calas ; on m’a envoyé de plusieurs endroits le discours prétendu de M. de Castillon. Je ne peux croire qu’un magistrat ait prononcé un discours si peu mesuré. Il y a des choses vraies et aura sans doute brodé le fond. Trop de véhémence nuit quelquefois à la meilleure cause ; et, comme dit fort bien Arlequin, le lavement trop chaud rejaillit au nez de celui qui le donne.
M. Tronchin n’a point reçu de courrier de Fontainebleau, comme on le disait, et je vois toujours qu’on fait monsieur le Dauphin plus malade qu’il ne l’est. Le public est exagérateur, et ne voit jamais en aucun genre les choses comme elles sont. Il est vrai que les médecins en usent de même, ainsi que les théologiens. La plupart de ces messieurs ne voient la vérité, ni ne la disent.
Si vous voyez M. Thomas, je vous prie de l’assurer que je lui ai dit la vérité quand je lui ai écrit 2. Mme la duchesse d’Anville m’a fait l’honneur de me parler de la lettre d’un évêque grec 3; je ne l’ai point encore vue ; c’est apparemment quelque plaisanterie, car tout est à la grecque à présent. L’impératrice de Russie m’a envoyé une belle boîte d’or tout à la grecque.
Adieu, mon cher ami : je suis accablé de lettres cette poste. »
1 L'édition Garnier donne à tort d'Alembert comme destinataire .
2 Lettre du 22 septembre 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/01/20/il-est-plaisant-qu-a-la-suite-d-un-ecrit-si-sublime-il-se-tr-6292186.html
3 Mandement du révérendissime Père en Dieu Alexis ; voir lettre du 25 septembre 1765 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/01/22/aussi-bien-dans-le-comique-que-dans-le-tragique-6292671.html
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02/03/2021
Le mieux qu’on puisse faire, en plus d’un genre, est d’attendre le boiteux , et de ne rien croire du tout
... C'est vrai qu'aujourd'hui, on entend tout et son contraire, en particulier à propos du Covid-19 , tout autant qu'à propos de Nicolas Sarkozy and Co, délinquants condamnés qui s'en fichent complètement, leurs fortunes leur permettant de faire jouer à fond tous les recours de la machine judiciaire . Trois ans de prison ! il faut entendre la clameur du choeur des pleureuses politicardes qui certainement ont tout à gagner à soutenir cet ex-président corrupteur/corruptible . Faux jetons !
https://www.facebook.com/Rirechansons/videos/le-vrai-du-f...
Oui , Pinocchio, tu as menti , et le Fée Bleue ne peut plus rien pour toi ( juste ton avocat en robe noire ).
« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian
A Ferney 8è novembre 1765
Vous croiriez peut-être, ma chère nièce, que je ne vous ai point écrit, et vous auriez tort avec toute l’apparence d’avoir raison, attendu qu’il y a un gros paquet pour vous chez Mme la duchesse d’Anville (depuis quelques jours), qui a la bonté de s’en charger ; elle devait partir demain ; mais toutes les rivières sont débordées, toutes les montagnes sont éboulées, tous les carrosses sont noyés, et personne ne part. Il est même fort douteux que M. Tronchin aille à Paris cet hiver. Je vous mandais que Mme la comtesse d’Harcourt se faisait transporter dans un tiroir, mais il n’en est plus rien.
On disait aussi dans votre grande ville qu’on avait envoyé un courrier à M. Tronchin, et qu’il allait à Fontainebleau ; il n’y a pas un mot de vrai. Il se pourrait bien aussi qu’il ne fût pas vrai que M. de Castillon, avocat général au parlement d’Aix, eût prononcé le discours qu’on débite à Paris sous son nom 1. Le mieux qu’on puisse faire, en plus d’un genre, est d’attendre le boiteux 2, et de ne rien croire du tout . Croyez cependant très-fermement que je vous aime de tout mon cœur, vous, le grand écuyer de Cyrus, et vos deux conseillers.
Voltaire.»
1 Le Monitoire à publier dans la capitale de la Provence, consiste essentiellement en un long extrait du discours d'ouverture prononcé par Françis-André Le Blanc de Castillon devant le parlement d'Aix le 1er octobre 1765 . Cet extrait fut désavoué lors de l’impression du discours par ordre du parlement de Provence. Malgré le désaveu, on s’obstinait à croire Castillon auteur des phrases mal sonnantes aux oreilles de quelques personnes. Le fait qu'on le débita effectivement à Paris est attesté par la mention qui en est faite dans les Mémoires secrets de Bachaumont en date du 10 octobre 1765 . Voir : https://books.google.fr/books?id=Te_PrLMRlTIC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
et voir page 448 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63368345/f468.image.r=castillon
2 Sur l'expression attendre le boiteux, voir lettre du 6 juillet 1757 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/11/18/ce-n-est-point-avoir-vaincu-que-de-ne-pas-poursuivre-vivemen.html
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01/03/2021
Les nouvelles de cette maladie varient tous les jours ; mais je m’imagine toujours que le péril n’est pas pressant, puisque les spectacles continuent
... Nos gouvernants font le même raisonnement : puisque le péril est grand, --ô grand méchant Covid assassin,-- point de spectacles (hors celui de ces imbéciles et dangereux moutons de Panurge qui sous prétexte d'un rayon de soleil sortent en masse, postillonnent sans retenue , puis vont râler qu'on les opprime ).
« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian
7 novembre [1765]
Ma chère nièce, voici un gros paquet que Mme la duchesse d’Anville a bien voulu vous faire parvenir 1. Vous y trouverez d’abord une lettre de M. le comte de Schouvalof pour M. de Florian, et un paquet pour Mme du Deffant, que je vous supplie de lui faire tenir comme vous pourrez, et le plus tôt que vous pourrez.
Je ne sais pas trop quand vous recevrez tout cela, car nous sommes inondés ; les ponts sont emportés, les coches de Lyon se noient dans la rivière d’Ain 2 ; nous voilà séparés du reste du monde, mais je m’aperçois seulement que je suis séparé de vous. Vous m’aviez accoutumé à une vie fort douce.
On ne sait point encore quand M. Tronchin ira s’établir à Paris ; il semble qu’il redoute d’y être consulté sur la maladie de M[gr] le dauphin. Les nouvelles de cette maladie varient tous les jours ; mais je m’imagine toujours que le péril n’est pas pressant, puisque les spectacles continuent à Fontainebleau.
Je n’ai point vu Mlle Clairon sur la liste des plaisirs ; il semble qu’on ait voulu lui faire croire qu’on pouvait se passer d’elle. Vous allez avoir, à la Saint-Martin, l’opéra-comique, le parlement et le clergé. Tout cela sera fort amusant ; mais si vous êtes un peu philosophe, vous vous plairez davantage à la conversation de MM. Diderot et Damilaville.
Je ne sais si vous savez que J.-J. Rousseau a été lapidé 3comme saint Étienne, par des prêtres et des petits garçons de Môtiers-Travers, Il me semble qu’on en parlait déjà quand tous étiez dans l’enceinte de nos montagnes ; mais le bruit de ce martyre n’était pas encore confirmé. Heureusement les pierres n’ont pas porté sur lui. Il s’est enfui comme les apôtres, et a secoué la poussière de ses pieds 4.
Nous verrons si le clergé de France lapidera les parlements. Il me semble que celui de Paris a perdu son procès au sujet des nonnes de Saint-Cloud. Cela est bien juste ; l’archevêque est duc de Saint-Cloud, et il faut que le charbonnier soit maître chez lui, surtout quand il a la foi du charbonnier.
Je vous prie, quand il y aura quelque chose de nouveau, de donner au grand écuyer de Cyrus la charge de votre secrétaire des commandements. Vous ferez une bonne action, dont je vous saurai beaucoup de gré, si vous donnez à dîner à M. de Beaumont, non pas à Beaumont l’archevêque, mais à Beaumont le philosophe, le protecteur de l’innocence, et le défenseur des Calas et des Sirven. L’affaire des Sirven me tient au cœur ; elle n’aura pas l’éclat de celle des Calas : il n’y a eu malheureusement personne de roué ; ainsi nous avons besoin que Beaumont répare par son éloquence ce qui manque à la catastrophe. Il faut qu’il fasse un mémoire excellent. Je voudrais bien le voir avant qu’il fût imprimé, et je voudrais surtout que les avocats se défissent un peu du style des avocats.
Adieu, ma chère nièce ; vous devez recevoir ou avoir reçu une lettre de votre sœur. Nous faisons mille compliments à tout ce qui vous entoure, mari, fils, et frère, et nous vous souhaitons autant de plaisir qu’on en peut goûter quand on est détrompé des illusions de Paris. »
1 Cette lettre avait été remise à Mme la duchesse d'Anville, dont le départ fut retardé de jour en jour ; voyez lettre du 16 octobre 1765 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/13/y-a-t-il-rien-de-plus-tyrannique-par-exemple-que-d-oter-la-l-6297342.html
2 La copie du manuscrit portait In, erreur amplifiée par les éditeurs qui ont mis Inn.
Voir : file:///C:/Users/james/AppData/Local/Temp/201112_EPRI_RMed_Historique_Inondations_0.pdf
3 Le 1er septembre et dans la nuit du 5 au 6 septembre 1765.
4 Évangile de Matthieu X, 14 : https://www.aelf.org/bible/mt/10
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28/02/2021
Il faut bien pourtant que les Français valent quelque chose, puisque des étrangers si supérieurs viennent encore s’instruire chez nous.
... Merci ami Voltaire de flatter un peu mon égo de Français !
« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
[vers le 6 novembre 1765]1
Vous m’avez écrit, madame, une lettre tout animée de l’enthousiasme de l’amitié. Jugez si elle a échauffé mon cœur, qui vous est attaché depuis si longtemps. Je n’ai point voulu vous écrire par la poste ; ce n’est pas que je craigne que ma passion pour vous déplaise à M. Jeannel, je le prendrais volontiers pour mon confident ; mais je ne veux pas qu’il sache à quel point je suis éloigné de mériter tout le bien que vous pensez de moi. Mme la duchesse d’Anville veut bien avoir la bonté de se charger de mon paquet ; vous y trouverez cette Philosophie de l’Histoire de l’abbé Bazin ; je souhaite que vous en soyez aussi contente que l’impératrice Catherine seconde, à qui le neveu de l’abbé Bazin l’a dédiée. Vous remarquerez que cet abbé Bazin, que son neveu croyait mort, ne l’est point du tout ; qu’il est chanoine de Saint-Honoré, et qu’il m’a écrit pour me prier de lui envoyer son ouvrage posthume. Je n’en ai trouvé que deux exemplaires à Genève, l’un relié, l’autre qui ne l’est pas ; ils seront pour vous et pour M. le président Hénault, et l’abbé Bazin n’en aura point.
Si vous voulez vous faire lire cet ouvrage, faites provision, madame, de courage et de patience. Il y a là une fanfaronnade continuelle d’érudition orientale qui pourra vous effrayer et vous ennuyer ; mais votre ami 2, en qualité d’historien, vous rassurera, et peut-être, dans le fond de son cœur, il ne sera choqué ni des recherches par lesquelles toutes nos anciennes histoires sont combattues, ni des conséquences qu’on en peut tirer ; quelque âge qu’on puisse avoir, et à quelque bienséance qu’on soit asservi, on n’aime point à avoir été trompé, et on déteste en secret des préjugés ridicules que les hommes sont convenus de respecter en public. Le plaisir d’en secouer le joug console de l’avoir porté, et il est agréable d’avoir devant les yeux les raisons qui vous désabusent des erreurs où la plupart des hommes sont plongés depuis leur enfance jusqu’à leur mort. Ils passent leur vie à recevoir de bonne foi des contes de Peau d’Âne, comme on reçoit tous les jours de la monnaie sans en examiner ni le poids ni le titre.
L’abbé Bazin a examiné pour eux, et, tout respectueux qu’il paraît envers les faiseurs de fausse monnaie, il ne laisse pas de décrier leurs espèces.
Vous me parlez de mes passions, madame ; je vous avoue que celle d’examiner une chose aussi importante a été ma passion la plus forte. Plus ma vieillesse et la faiblesse de mon tempérament m’approchent du terme, plus j’ai cru de mon devoir de savoir si tant de gens célèbres, depuis Jérôme et Augustin jusqu’à Pascal, ne pourraient point avoir quelque raison ; j’ai vu clairement qu’ils n’en avaient aucune, et qu’ils n’étaient que des avocats subtils et véhéments de la plus mauvaise de toutes les causes. Vous voyez avec quelle sincérité je vous parle ; l’amitié que vous me témoignez m’enhardit ; je suis bien sûr que vous n’en abuserez pas. Je vous avouerai même que mon amour extrême pour la vérité, et mon horreur pour des esprits impérieux qui ont voulu subjuguer notre raison, sont les principaux liens qui m’attachent à certains hommes, que vous aimeriez si vous les connaissiez. Feu l’abbé Bazin n’aurait point écrit sur ces matières si les maîtres de l’erreur s’étaient contentés de dire : nous savons bien que nous n’enseignons que des sottises, mais nos fables valent bien les fables des autres peuples ; laissez-nous enchaîner les sots, et rions ensemble ; alors on pourrait se taire, mais ils ont joint l’arrogance au mensonge ; ils ont voulu dominer sur les esprits, et on se révolte contre cette tyrannie.
Quel lecteur sensé, par exemple, n’est pas indigné de voir un abbé d’Houteville qui, après avoir fourni vingt ans des filles à Laugeois, fermier général, et étant devenu secrétaire de l’athée cardinal Dubois, dédie un livre sur la religion chrétienne3 à un cardinal d’Auvergne, auquel on ne devait dédier que des livres imprimés à Sodome ?4
Et quel ouvrage encore que celui de cet abbé d’Houteville ! quelle éloquence fastidieuse ! quelle mauvaise foi ! que de faibles réponses à de fortes objections ! Quel peut avoir été le but de ce prêtre ? Le but de l’abbé Bazin était de détromper les hommes, celui de l’abbé d’Houteville n’était donc que de les abuser.
Je crois que j’ai vu plus de cinq cents personnes de tout état et de tout pays dans ma retraite, et je ne crois pas en avoir vu une demi-douzaine qui ne pensent comme mon abbé Bazin 5. La consolation de la vie est de dire ce qu’on pense. Je vous le dis une bonne fois.
Je vous demande en grâce de brûler ma lettre quand vous l'aurez lue . Il est bon de se remettre devant les yeux ces vérités,mais il est encore mieux de les jeter au feu .6
Ne doutez pas, madame, que je n’aie été fort content de M. le chevalier de Magdonal 7 ; j’ai la vanité de croire que je suis fait pour aimer toutes les personnes qui vous plaisent. Il n’y a point de Français de son âge qu’on pût lui comparer ; mais ce qui vous surprendra, c’est que j’ai vu des Russes de vingt-deux ans qui ont autant de mérite, autant de connaissances, et qui parlent aussi bien notre langue.
Il faut bien pourtant que les Français valent quelque chose, puisque des étrangers si supérieurs viennent encore s’instruire chez nous.
Non-seulement, madame, je suis pénétré d’estime pour M. Crafford, mais je vous supplie de lui dire combien je lui suis attaché. J’ai eu le bonheur de le voir assez longtemps, et je l’aimerai toute ma vie. J’ai encore une bonne raison de l’aimer, c’est qu’il a à peu près la même maladie qui m’a toujours tourmenté . Les conformités plaisent. Voici le temps où je vais en avoir une bien forte avec vous : des fluxions horribles m’ôtent la vue dès que la neige est sur nos montagnes . Ces fluxions ne diminuent qu’au printemps, mais à la fin le printemps perd de son influence, et l’hiver augmente la sienne. Sain ou malade, clairvoyant ou aveugle, j’aurai toujours, madame, un cœur qui sera à vous, soyez-en bien sûre. Je ne regarde la vie que comme un songe ; mais, de toutes les idées flatteuses qui peuvent nous bercer dans ce rêve d’un moment, comptez que l’idée de votre mérite, de votre belle imagination, et de la vérité de votre caractère, est ce qui fait sur moi le plus d’impression. J’aurai pour vous la plus respectueuse amitié jusqu’à l’instant où l’on s’endort véritablement pour n’avoir plus d’idées du tout.
Ne dites point, je vous prie, que je vous aie envoyé aucun imprimé. »
1 Quoique V* ait noté « A Mme du Deffand , mars 1765 » sur la copie, cette date ne peut être retenue ; elle a été écrite près de l'hiver et non fin du printemps . Elle prend place entre la lettre de Mme Du Deffand du 26 octobre ( avec mention de Mac Donald, etc.) et la lettre de V* à celle-ci du 20 novembre 1765 . La date exacte peut être établie par le premier paragraphe de la lettre du 7 novembre 1765 à la marquise de Florian : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/10/correspondance-annee-1765-partie-32.html
et voir : https://www.arllfb.be/ebibliotheque/communications/mortier14112009.pdf
2 Le président Hénault .
3 La Vérité sur la religion chrétienne prouvée par les faits, 1722 ; voir : https://data.bnf.fr/fr/10692411/claude_francois_houtteville/
et https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6545451r.texteImage
4 D'après Saint-Simon, les mœurs d'Henri-Oswald de La Tour d'Auvergne « étaient publiquement connues pour être celles des Grecs » : page 426 https://books.google.fr/books?id=WIWU0phQsFYC&pg=PA429&lpg=PA429&dq=%C2%A0%C3%A9taient+publiquement+connues+pour+%C3%AAtre+celles+des+Grecs+Saint-Simon&source=bl&ots=8SrmADa34O&sig=ACfU3U3FfY5ITw9_5uvE69Ld96ySY3hcZg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwinzr_M2IrvAhWo3OAKHSCFCI4Q6AEwBHoECBIQAw#v=onepage&q=%C2%A0%C3%A9taient%20publiquement%20connues%20pour%20%C3%AAtre%20celles%20des%20Grecs%20Saint-Simon&f=false
( c'est aussi appliqué à propos de l'abbé Serroni : http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/126-serroni-hyacinthe )
Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri-Oswald_de_La_Tour_d%27Auvergne
5 Certains s'étonnent qu'une demi-douzaine de personnes aient eu le courage de soutenir leurs opinions religieuses face aux sarcasmes de V*.
6 Paragraphe rayé sur le manuscrit manque sur toutes les éditions ; il est pris sur la copie Wyart .
7 James Mac-Donald, baronnet, mort à Frescati en Italie le 26 juillet 1766, âgé d’environ vingt-quatre ans ; voir lettre du 16 octobre 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/14/les-exceptions-rares-n-otent-rien-a-la-force-des-lois-generales.html
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