16/05/2020
Il me paraît qu'il sera plus aisé à guérir que votre république
... Le Français est effectivement guérissable puisqu'il pense déjà aux vacances, et, sans surprise, des mouvements de grève sont prévus . Déconfiné, vous avez dit déconfiné ? Oui . La république, elle attendra , rassurée car le CAC40 va progresser, c'est promis , malgré tout . A suivre .
« A Théodore Tronchin
Mon cher Esculape, la philosophie se met entre vos mains ; le meilleur ami que j'aie parmi les philosophes 1 vous supplie avec moi de vouloir bien donner vos avis . Il me paraît qu'il sera plus aisé à guérir que votre république . Étendez du moins vos bontés sur mon philosophe, et conservez-moi celles dont vous m'avez toujours comblé, et qui font le charme de ma vie .
V.
4è mars 1765 à Ferney
Je vous prie d'envoyer votre réponse chez M. Souchay rues Basses au Lion d'Or . »
1 Damilaville, voir lettre du 6 mars : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/09/correspondance-annee-1765-partie-7.html
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Je serai bien étonné s’il vous ordonne autre chose que des adoucissants et du régime ; mais ce qui est sûr, c’est qu’il s’intéressera bien vivement à votre santé
... Il y a les dires et il y a les faits président Macron . Pas facile ? On le sait bien, mais quand faut y'aller, faut y'aller ( pourvu que les syndicats ne mettent pas de bâtons dans les roues des ambulances ).
https://www.youtube.com/watch?v=uVOuQZZVH8c
Comment virer le virus sans se faire virer ?
« A Etienne-Noël Damilaville
4è mars 1765 au château de Ferney 1
Mon cher frère, je crois que je ne pourrai faire partir la réponse de M. Tronchin que mercredi 6è du mois. Je serai bien étonné s’il vous ordonne autre chose que des adoucissants et du régime ; mais ce qui est sûr, c’est qu’il s’intéressera bien vivement à votre santé. Il est philosophe, et il sait que vous l’êtes. Nous sommes tous frères. Saint Luc était le médecin des apôtres, et Tronchin est le nôtre. Il me semble toujours que c’est une extrême injustice, dans le meilleur des mondes possibles, que je ne vous connaisse que par lettres. Je vous assure que, si je pouvais m’échapper, je viendrais faire une petite course à Paris incognito, souper trois ou quatre fois avec vous et les plus discrets des gens de bien, et m’en retourner content.
J’ai vu quelques échantillons de la pièce dont vous me parlez 2 . Apparemment que l’on n’a pas choisi ce qu’il y a de meilleur, et que le nouvelliste n’est pas l’intime ami de l’auteur. Je m’intéresse fort à son succès : c’est un homme de mérite, et qui n’est pas à son aise.
J'abuse toujours de votre complaisance . Voici encore un petit mot pour Briasson . Je voudrais bien que pour réponse il m'envoyât l'Encyclopédie .
La Destruction doit arriver bientôt : faites bien mes compliments, je vous prie, au destructeur, encouragez-le à détruire.
On m’a parlé d’un manuscrit de feu l’abbé Bazin, intitulé la Philosophie de l’Histoire 3, dans lequel l’auteur prouve que les Égyptiens, et surtout les Juifs, sont un peuple très nouveau. On dit qu’il y a des recherches très curieuses dans cet ouvrage. Je crois qu’on achève actuellement de l’imprimer en Hollande, et que j’en aurai bientôt quelques exemplaires. Je vous prépare une petite cargaison pour le mois de mai.
N'ayez pas mal à la gorge, mon cher frère 4. Ecr. l’inf. »
1 L'édition de Kehl à la suite de la copie Beaumarchais omet le troisième paragraphe, ainsi que le dernier, lequel est remplacé par un morceau de la lettre du 2 mars 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/05/14/est-il-possible-grand-dieu-qu-on-soit-en-etat-de-faire-tant-de-bien-et-qu-o.html
2 Le Siège de Calais, de Belloy . Voir lettre du 6 mars à Buyrette de Belloy : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome43.djvu/492
3 Voir l’introduction à l'Essai sur les mœurs : https://fr.wikisource.org/wiki/Essai_sur_les_m%C5%93urs/Introduction
4On a , dans cette lettre et plus spécialement dans cette phrase, une première allusion au mal, cancer de la gorge semble-t-il, qui emportera Damilaville le 13 décembre 1768 ; voir aussi lettre du 4 mars 1765 à Théodore Tronchin et celle du 6 mars 1765 à Damilaville : voir http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/09/correspondance-annee-1765-partie-7.html
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15/05/2020
Il ne lui manquait que ce nouveau ridicule. Abandonnons ce malheureux à son opprobre
... Ah ! Donald, que vas-tu encore nous pondre ?
https://www.20minutes.fr/monde/2779339-20200514-obamagate-crime-politique-obsede-donald-trump
« A Charles Bordes
4è mars 1765 à Ferney
Ah ! monsieur, vous voyez bien que Jean-Jacques ressemble à un philosophe comme un singe ressemble à l’homme . Il me paraît que ses livres et lui ont été reconnus sous le masque. On est revenu de ses sophismes, et sa personne est en horreur à tous les honnêtes gens qui ont approfondi son caractère. Quel philosophe qu’un brouillon et qu’un délateur ! Comment a-t-on pu imaginer que les Corses lui avaient écrit ? Je vous assure qu’il n’en est rien 1 . Il ne lui manquait que ce nouveau ridicule. Abandonnons ce malheureux à son opprobre. Les philosophes ne le comptent point parmi leurs frères.
Vous voyez bien que j’ai eu raison de détruire mon théâtre, puisque je n’ai point votre comédie. Je fais bâtir des chambres au lieu de loges. Ne serai-je jamais assez heureux pour vous en voir occuper une, et pour vous dire du fond de mon cœur à quel point je vous estime et je vous aime ?
Il me sera impossible d’aller à Lyon ce carême ; je suis entouré d’ouvriers. Ma petite colonie de Ferney demande tous mes soins, et ma misérable santé ne me permet plus les voyages.
Adieu, monsieur ; conservez-moi une amitié dont je sens bien vivement tout le prix.
V. »
1 Voltaire se trompe, Buttafuoco a eu une correspondance avec JJ Rousseau : https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_et_correspondance_in%C3%A9dites/IIb
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Est-il possible, grand Dieu ! qu'on soit en état de faire tant de bien, et qu'on en fasse si peu !
...
« A Etienne-Noël Damilaville
2è mars 1765
Mon cher frère est supplié de vouloir bien faire parvenir l'incluse à M. Du Molard au Gros-Caillou 1.
Je n'ai cette fois-ci rien à dire de nouveau . Je ne pourrais que répéter mes gémissements de voir les frères dispersés et désunis . Est-il possible, grand Dieu ! qu'on soit en état de faire tant de bien, et qu'on en fasse si peu ! J'ai quelque espérance dans l'Histoire de la destruction des jésuites ; mais on n'a coupé qu'une tête de l'hydre . Je lève les yeux au ciel, et je crie Ecrasez l'infâme. »
1 Voir lettre du 13 décembre 1761 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/12/13/la-raison-gagne-t-elle-un-peu-5886070.html
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14/05/2020
mon zèle devient tous les jours plus fort
... Enfin, ... j'essaie !...
« A Etienne-Noël Damilaville
1er mars 1765 1
Mon cher frère, peut-être la lettre que je vous envoie sur les Calas et sur les Sirven fera quelque effet sur les bonnes âmes . Je pense qu'on peut l'imprimer sans risque . Il est bon de faire voir combien la philosophie est utile aux hommes, et combien le fanatisme est dangereux .
Je me suis informé exactement des papiers qu'on vous avait envoyés de Franche-Comté . Je peux vous répondre par la poste sous l'enveloppe de M. de Raimond, directeur des postes de Franche-Comté à Besançon . Apparemment qu'il y a dans ce monde des harpies qui mangent le dîner des philosophes . Je deviens bien faible ; mais mon zèle devient tous les jours plus fort . Mon regret en mourant sera de n'avoir pu crier avec vous dans un souper Ecr l'inf ! »
1 L'édition de Kehl supprime le premier paragraphe ; voir lettre du 25 février 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/05/10/il-est-bien-etrange-que-ce-qui-est-dans-mon-coeur-ne-se-soit-pas-trouve-au.html
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On vit alors que s'il y a de grands crimes sur la terre, il y a autant de vertus
... Notre actualité le confirme, je crois , je le souhaite . Et même s'il y a davantage de vertus que de crimes, je ne serai pas fâché de cette inégalité rassurante .
J'aime particulièrement ce bonhomme / bon homme, même si je ne suis plus religieux du tout .
« A Etienne-Noël Damilaville
Premier mars 1765, au château de Ferney 1
J'ai dévoré, mon cher ami, le nouveau mémoire de M. de Beaumont sur l'innocence des Calas; je l'ai admiré, j'ai répandu des larmes, mais il ne m'a rien appris; il y a longtemps que j'étais convaincu; et j'avais eu le bonheur de fournir les premières preuves.
Vous voulez savoir comment cette réclamation de toute l'Europe contre le meurtre juridique du malheureux Calas, roué à Toulouse, a pu venir d'un petit coin de terre ignoré, entre les Alpes et le Mont-Jura, à cent lieues du théâtre où se passa cette scène épouvantable.
Rien ne fera peut-être mieux voir la chaîne insensible qui lie tous les évènements de ce malheureux monde 2.
Sur la fin de mars 1762, un voyageur qui avait passé par le Languedoc, et qui vint dans ma retraite à deux lieues de Genève, m'apprit le supplice de Calas, et m'assura qu'il était innocent. Je lui répondis que son crime n'était pas vraisemblable, mais qu'il était moins vraisemblable encore que des juges eussent, sans aucun intérêt, fait périr un innocent par le supplice de la roue.
J'appris le lendemain qu'un des enfants de ce malheureux père s'était réfugié en Suisse, assez près de ma chaumière. Sa fuite me fit présumer que la famille était coupable. Cependant je fis réflexion que le père avait été condamné au supplice comme ayant seul assassiné son fils pour la religion, et que ce père était mort âgé de soixante-neuf ans. Je ne me souviens pas d'avoir jamais lu qu'aucun vieillard eût été possédé d'un si horrible fanatisme. J'avais toujours remarqué que cette rage n'attaquait d'ordinaire que la jeunesse, dont l'imagination ardente, tumultueuse, et faible s'enflamme par la superstition. Les fanatiques des Cévennes étaient des fous de vingt à trente ans, stylés à prophétiser dès l'enfance. Presque tous les convulsionnaires que j'avais vus à Paris en très grand nombre étaient de petites filles et de jeunes garçons. Les vieillards chez les moines sont moins emportés, et moins susceptibles des fureurs du zèle, que ceux qui sortent du noviciat. Les fameux assassins, armés par le fanatisme, ont tous été de jeunes gens, de même que tous ceux qui ont prétendu être possédés; jamais on n'a vu exorciser un vieillard. Cette idée me fit douter d'un crime qui d'ailleurs n'est guère dans la nature. J'en ignorais les circonstances.
Je fis venir le jeune Calas chez moi. Je m'attendais à voir un énergumène tel que son pays en a produit quelquefois. Je vis un enfant simple, ingénu, de la physionomie la plus douce et la plus intéressante, et qui, en me parlant, faisait des efforts inutiles pour retenir ses larmes. Il me dit qu'il était à Nîmes en apprentissage chez un fabricant, lorsque la voix publique lui avait appris qu'on allait condamner dans Toulouse toute sa famille au supplice, que presque tout le Languedoc la croyait coupable, et que, pour se dérober à des opprobres si affreux, il était venu se cacher en Suisse.
Je lui demandai si son père et sa mère étaient d'un caractère violent: il me dit qu'ils n'avaient jamais battu un seul de leurs enfants, et qu'il n'y avait point de parents plus indulgents et plus tendres.
J'avoue qu'il ne m'en fallut pas davantage pour présumer fortement l'innocence de la famille. Je pris de nouvelles informations de deux négociants de Genève, d'une probité reconnue, qui avaient logé à Toulouse chez Calas. Ils me confirmèrent dans mon opinion. Loin de croire la famille Calas fanatique et parricide, je crus voir que c'étaient des fanatiques qui l'avaient accusée et perdue. Je savais depuis longtemps de quoi l'esprit de parti et la calomnie sont capables.
Mais quel fut mon étonnement lorsque, ayant écrit en Languedoc sur cette étrange aventure, catholiques et protestants me répondirent qu'il ne fallait pas douter du crime des Calas ! Je ne me rebutai point. Je pris la liberté d'écrire à ceux mêmes qui avaient gouverné la province, à des commandants de provinces voisines, à des ministres d’État; tous me conseillèrent unanimement de ne me point mêler d'une si mauvaise affaire ; tout le monde me condamna, et je persistai: voici le parti que je pris.
La veuve de Calas, à qui, pour comble de malheur et d'outrage, on avait enlevé ses filles, était retirée dans une solitude où elle se nourrissait de ses larmes, et où elle attendait la mort. Je ne m'informai point si elle était attachée ou non à la religion protestante, mais seulement si elle croyait [en] un Dieu rémunérateur de la vertu et vengeur des crimes. Je lui fis demander si elle signerait au nom de ce Dieu que son mari était mort innocent; elle n'hésita pas. Je n'hésitai pas non plus. Je priai M. Mariette de prendre au conseil du roi sa défense. Il fallait tirer madame Calas de sa retraite, et lui faire entreprendre le voyage de Paris.
On vit alors que s'il y a de grands crimes sur la terre, il y a autant de vertus; et que si la superstition produit d'horribles malheurs, la philosophie les répare.
Une dame dont la générosité égale la haute naissance, qui était alors à Genève pour faire inoculer ses filles 3, fut la première qui secourut cette famille infortunée ; des Français rentrés en ce pays la secondèrent. Des Anglais qui voyageaient se signalèrent; et, comme dit M. de Beaumont, il y eut un combat de générosité entre ces deux nations, à qui secourrait le mieux la vertu si cruellement opprimée.
Le reste, qui le sait mieux que vous? Qui a servi l'innocence avec un zèle plus constant et plus intrépide? Combien n'avez-vous pas encouragé la voix des orateurs, qui a été entendue de toute la France et de l'Europe attentive? Nous avons vu renouveler les temps où Cicéron justifiait, devant une assemblée de législateurs, Amerinus accusé de parricide. Quelques personnes, qu'on appelle dévotes, se sont élevées contre les Calas; mais, pour la première fois depuis l'établissement du fanatisme, la voix des sages les a fait taire.
La raison remporte donc de grandes victoires parmi nous! Mais croiriez-vous, mon cher ami que la famille des Calas, si bien secourue, si bien vengée, n'était pas la seule alors que la religion accusât d'un parricide, n'était pas la seule immolée aux fureurs du préjugé ? Il y en a une plus malheureuse encore, parce qu'éprouvant les mêmes horreurs, elle n'a pas eu les mêmes consolations; elle n'a point trouvé des Mariette, des Beaumont 4, et des Loyseau.
Il semble qu'il y ait dans le Languedoc une furie infernale amenée autrefois par les inquisiteurs à la suite de Simon de Montfort, et que depuis ce temps elle secoue quelquefois son flambeau.
Un feudiste de Castres, nommé Sirven, avait trois filles. Comme la religion de cette famille est la prétendue réformée, on enlève, entre les bras de sa femme, la plus jeune de leurs filles. On la met dans un couvent, on la fouette pour lui mieux apprendre son catéchisme; elle devient folle, elle va se jeter dans un puits, à une lieue de la maison de son père. Aussitôt les zélés ne doutent pas que le père, la mère et les sœurs n'aient noyé cette enfant. Il passait pour constant, chez les catholiques de la province, qu'un des points capitaux de la religion protestante est que les pères et mères sont tenus de pendre, d'égorger ou de noyer tous leurs enfants qu'ils soupçonneront avoir quelque penchant pour la religion romaine. C'était précisément le temps où les Calas étaient aux fers, et où l'on dressait leur échafaud.
L'aventure de la fille noyée parvient incontinent à Toulouse. Voilà un nouvel exemple, s'écrie-t-on, d'un père et d'une mère parricides. La fureur publique s'en augmente; on roue Calas, et on décrète Sirven, sa femme et ses filles. Sirven épouvanté n'a que le temps de fuir avec toute sa famille malade. Ils marchent à pied, dénués de tout secours, à travers des montagnes escarpées, alors couvertes de neige. Une de ses filles accouche parmi les glaçons ; et, mourante, elle emporte son enfant mourant dans ses bras : ils prennent enfin leur chemin vers la Suisse.
Le même hasard qui m'amena les enfants de Calas veut encore que les Sirven s'adressent à moi. Figurez-vous, mon ami, quatre moutons que des bouchers accusent d'avoir mangé un agneau; voilà ce que je vis ; il m'est impossible de vous peindre tant d'innocence et tant de malheurs. Que devais-je faire, et qu'eussiez-vous fait à ma place? faut-il s'en tenir à gémir sur la nature humaine? Je prends la liberté d'écrire à monsieur le premier président de Languedoc 5, homme vertueux et sage; mais il n'était point à Toulouse. Je fais présenter par un de vos amis un placet à monsieur le vice-chancelier 6. Pendant ce temps-là, on exécute vers Castres, en effigie, le père, la mère, les deux filles; leur bien est confisqué, dévasté, il n'en reste plus rien.
Voilà toute une famille honnête, innocente, vertueuse, livrée à l'opprobre et à la mendicité chez les étrangers : ils trouvent de la pitié, sans doute; mais qu'il est dur d'être jusqu'au tombeau un objet de pitié! On me répond enfin qu'on pourra leur obtenir des lettres de grâce. Je crus d'abord que c'était de leurs juges qu'on me parlait, et que ces lettres étaient pour eux. Vous croyez bien que la famille aimerait mieux mendier son pain de porte en porte, et expirer de misère, que de demander une grâce qui supposerait un crime trop horrible pour être graciable ; mais aussi comment obtenir justice? comment s'aller remettre en prison dans sa patrie où la moitié du peuple dit encore que le meurtre de Calas était juste? ira-t-on une seconde fois demander une évocation au conseil? tentera-t-on d'émouvoir la pitié publique, que l'infortune des Calas a peut-être épuisée, et qui se lassera d'avoir des accusations de parricide à réfuter, des condamnés à réhabiliter, et à des juges à confondre?
Ces deux évènements tragiques, arrivés coup sur coup, ne sont-ils pas, mon ami, des preuves de cette fatalité inévitable à laquelle notre misérable espèce est soumise ?Vérité terrible, tant enseignée dans Homère et dans Sophocle ; mais vérité utile, puisqu'elle nous apprend à nous résigner et à savoir souffrir.
Vous dirai-je que, tandis que le désastre étonnant des Calas et des Sirven affligeait ma sensibilité, un homme, dont vous devinerez l'état 7 à ses discours, me reprocha l'intérêt que je prenais à deux familles qui m'étaient étrangères ! « De quoi vous mêlez-vous? me dit-il; laissez les morts ensevelir leurs morts 8. » Je lui répondis: « J'ai trouvé dans mes déserts l'Israélite baigné dans son sang, souffrez que je répande un peu d'huile et de vin sur ses blessures 9: vous êtes lévite, laissez-moi être Samaritain. »
Il est vrai que pour prix de mes peines on m'a bien traité en Samaritain; on a fait un libelle diffamatoire sous le nom d'Instruction pastorale et de Mandement 10; mais il faut l'oublier, c'est un jésuite qui l'a composé. Le malheureux ne savait pas alors que je donnais un asile à un jésuite. Pouvais-je mieux prouver que nous devons regarder nos ennemis comme nos frères.
Vos passions sont l'amour de la vérité, l'humanité, la haine de la calomnie. La conformité de nos caractères a produit notre amitié. J'ai passé ma vie à chercher, à publier cette vérité que j'aime. Quel autre des historiens modernes a défendu la mémoire d'un grand prince contre les impostures atroces de je ne sais quel écrivain 11 qu'on peut appeler le calomniateur des rois, des ministres, et des grands capitaines, et qui cependant aujourd'hui ne peut trouver un lecteur?
Je n'ai donc fait, dans les horribles désastres des Calas et des Sirven, que ce que font tous les hommes; j'ai suivi mon penchant. Celui d'un philosophe n'est pas de plaindre les malheureux, c'est de les servir.
Je sais avec quelle fureur le fanatisme s'élève contre la philosophie. Elle a deux filles qu'il voudrait faire périr comme Calas, ce sont la vérité et la tolérance; tandis que la philosophie ne veut que désarmer les enfants du fanatisme, le mensonge et la persécution.
Des gens qui ne raisonnent pas ont voulu décréditer ceux qui raisonnent : ils ont confondu le philosophe avec le sophiste; ils se sont bien trompés. Le vrai philosophe peut quelquefois s'irriter contre la calomnie, qui le poursuit lui-même; il peut couvrir d'un éternel mépris le vil mercenaire 12 qui outrage deux fois par mois la raison, le bon goût, et la vertu . Il peut même livrer, en passant, au ridicule ceux qui insultent à la littérature dans le sanctuaire où ils auraient dû l'honorer : mais il ne connaît ni les cabales, ni les sourdes pratiques, ni la vengeance. Il sait, comme le sage de Montbard 13, comme celui de Voré 14 rendre la terre plus fertile, et ses habitants plus heureux. Le vrai philosophe défriche les champs incultes, augmente le nombre des charrues, et par conséquent des habitants; occupe le pauvre et l'enrichit; encourage les mariages, établit l'orphelin; ne murmure point contre des impôts nécessaires, et met le cultivateur en état de les payer avec allégresse. Il n'attend rien des hommes, et il leur fait tout le bien dont il est capable. Il a l'hypocrite en horreur, mais il plaint le superstitieux; enfin il sait être ami.
Je m'aperçois que je fais votre portrait, et qu'il n'y manquerait rien si vous étiez assez heureux pour habiter la campagne. »
1 Cette lettre appartient au type de lettres destinées à être publiées . Le plus ancien texte connu est sans doute celui de la première édition : « Lettre de M. de V... à M. Dam …, brochure de 16 pages au format grand in-8° . Une copie contemporaine est sans doute tirée de cette édition et donne le même texte . En revanche , une édition probablement pirate, aussi de 16 pages mais de format in-12, comporte un titre développé : Lettre M. de V... à M. Dam … sur deux évènements tragiques en France du même temps ; dans la persécution des deux familles de Calas et de Sirven . Pour cause de religion /Genève/ MDCCLXV. Elle est précédée de la note suivante : « Cette lettre a déjà paru dans le public . Nous la redonnons ici avec des additions , ou plutôt avec la restitution d'un long passage que le censeur n'avait pas voulu laisser subsister dans la première édition faite à paris . C’est le morceau qui concerne M. Rousseau de Genève . Nous imprimons d'autant plus volontiers ce morceau qu'il achève de peindre M. de Voltaire . » On verra plus loin ce qu’était cette addition et ce qu'on peut penser de son authenticité . La même édition donne la lettre comme adressée à « d'Amoureux » et l'édition de Kehl remplace ce nom par « d’Alembert », mais corrige ultérieurement . L'attribution à Damilaville est confirmée , si besoin était, par le premier paragraphe désormais restitué de la lettre du même jour à Damilaville .
2 Réminiscence de Candide, comme aime à faire V* dans sa correspondance .
3 La duchesse d'Anville .
4 Note en bas de page dans l'édition 1 et le manuscrit : « Nous devons dire à l'honneur de l'humanité, que M. de Beaumont se dispose à défendre l'innocence des Sirven, comme il a fait celle des Calas . Je le marquais à M. de Volt... en même temps qu'il m'écrivait cette lettre . »
5 François de Bastard, premier président du parlement de Toulouse
6 Maupéou .
7 Plus encore que d'après ses « discours » on peut deviner l'état de ce personnage d'après le tour d'esprit de V* ; il doit s'agir d'un prêtre, peut-être un jésuite ?
8 Évangile selon Matthieu, VIII, 22 : https://www.aelf.org/bible/Mt/8
9 Évangile selon Luc , X, 34 : https://www.aelf.org/bible/Lc/10
10 Voir lettre du 29 mai 1764 à Chatillard de Montillet-Grenaud : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/07/08/la-religion-et-la-probite-vous-engageront-sans-doute-a-reparer-sa-faute.html
11 Le « grand prince » est le régent Philippe d'Orléans, et les « impostures atroces » les imputations de La Beaumelle, qui, dans une note de son édition du Siècle de Louis XIV a rapporté des rumeurs suivant lesquelles le duc d'Orléans a fait empoisonner des membres de la famille royale .
12 Fréron , ce mot de « mercenaire », péjoratif, donne bien le ressenti de V* .
13 Buffon, châtelain de Montbard : https://www.montbard.fr/index.php/personnalites/georges-louis-leclerc-comte-de-buffon
14 Helvétius : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_de_Vor%C3%A9
La seconde édition insère dans ce paragraphe l'addition suivante : « Ce fou triste, ci-devant petit citoyen ignoré à Genève , clabaude éternellement contre moi et dans ses fréquentes convulsions il s'écrie que je le persécute, que je le poursuis partout, que je parviendrais à la fin à le faire prendre ; tant j'ai ameuté les ministres de l’Évangile et les magistrats de son pays contre sa personne et ses écrits . Il écrit toutes ces belles choses à une grande dame de Paris, qui aime son éloquence bien plus que celle de Cicéron et de Bossuet, et qui aime son Jean-Jacques comme son toutou . Cette bonne dame fait croire ces enfantillages à d'autres bonnes dames de la cour, et insensiblement toutes ces agréables commères me haïssent cordialement sur sa parole et par oisiveté . Moi grand Dieu ! Qui n'ai pas prononcé le nom de Jean-Jacques quatre fois en ma vie ; moi qui ne lis jamais aucune de ses affligeantes rêveries , parce que je tiens que pour vivre longtemps il faut toujours rire ; moi qui ai ignoré dix ans que cet Hercule Allobroge existât, moi qui le croyais depuis quelque temps détenu dans quelque loge d'hôpital, ou tapi dans un tronc d'arbre, dans les sublimes forêts de la Suisse philosophe . »
Ce passage produit une impression étrange . Il paraît tout à fait exclu que V* l'ait fait figurer dans une lettre à publier . On peut imaginer que c'est un écho de propos qu'il aurait pu tenir et notés par un témoin . Trois jours plus tard, le 4 mars 1765, Rousseau écrit : « Dans des lettres que M. de Voltaire écrit à Paris et dont il ne s'imagine pas que je puisse avoir connaissance, il se vante d'étranges choses que, s'il plait au ciel, il n’exécutera pas . »
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Je vous prie de considérer que je puis avoir besoin avant ma mort de faire un petit voyage à Paris, pour mettre ordre aux affaires de ma famille
... En remplaçant "Paris" par la ville qui vous arrange le mieux, je vous suggère de mettre la formule ci-dessus pour remplir correctement votre "déclaration de déplacement etc., etc." . Enfin , c'est vous qui voyez ! Si ça ne marche pas, vous pourrez chanter " On m'arrête en auto, /c'est la faute à Rousseau * ! "
https://media.interieur.gouv.fr/deplacement-covid-19/
*Petite référence au fameux code Rousseau, bien connu des vétérans du permis de conduire .
Contrairement aux apparences, ça ne présage rien de bon pour notre matricule .
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
27è février 1765 1
Mon héros, si vous êtes assez sûr de votre fait pour qu’on hasarde de vous envoyer le livre diabolique que vous demandez, les gens que j’ai consultés disent qu’ils vous en feront tenir un exemplaire par la voie de Lyon . Cela est très rare, mais on en trouvera pour vous. Je serais bien fâché d’ailleurs qu’on me soupçonnât d’avoir la moindre part au Philosophique portatif. M. le duc de Praslin, qui connaît parfaitement mon innocence, a assuré le roi que je n’étais point l’auteur de ce pieux ouvrage ; ainsi n’allez pas, s’il vous plaît, me défendre comme Scaramouche défendait Arlequin, en avouant qu’il était un ivrogne, un gourmand, un débauché attaqué de maladies honteuses, et s’excusant envers Arlequin en lui disant que c’était des fleurs de rhétorique.
Je n’entends rien aux plaintes que les Bretons font de moi ; elles sont apparemment aussi bien fondées que leurs griefs contre M. le duc d’Aiguillon 2. Je n’ai jamais rien écrit de particulier sur la Bretagne, dans mes bavarderies historiques . Les Périgourdins et les Basques seraient aussi bien fondés à se plaindre.
A l’égard du tripot, il est vrai que j’ai demandé mon congé, attendu que je suis entré dans ma soixante et douzième année, en dépit de mes estampes, qui, par un mensonge imprimé, me font naître le 20 de novembre, quand je suis né le 20 de février 3. Il est vrai que la faction ennemie du Conseil de Genève trouva mauvais, il y a quelques années, que les enfants des magistrats de la plus illustre et de la plus puissante république du monde se déshonorassent au point de venir jouer quelquefois la comédie chez moi, dans le petit et profane royaume de France ; mais on se moqua de ces polissons. Ce n’est pas assurément pour eux que j’ai détruit mon théâtre ; c’est pour avoir des chambres de plus à donner, et pour loger votre suite, si jamais vous accompagnez madame la comtesse d’Egmont sur les frontières d’Italie. Je me défais de mes Délices pour une autre raison ; c’est qu’ayant la plus grande partie de mon bien sur M. le duc de Virtemberg, et mes affaires n’étant pas absolument arrangées avec lui, j’ai craint de mourir de faim aussi bien que de vieillesse. Pardonnez, mon héros, la naïveté avec laquelle je prends la liberté de vous exposer toutes mes pauvres petites misères.
Je vous dirai toujours très véritablement que je m’adressai à Grandval, que c’est à lui seul que j’écrivis, en vertu du privilège que vous m’aviez confirmé, que je mis dans ma lettre ces propres mots : avec l’approbation de messieurs les premiers gentilshommes de la chambre.
Je vous prie de considérer que je puis avoir besoin avant ma mort de faire un petit voyage à Paris, pour mettre ordre aux affaires de ma famille ; que peut-être c’est un moyen d’exciter quelques bontés pour moi que de procurer quelques petits succès à mes anciennes sottises théâtrales, et que je ne peux obtenir ce succès qu’avec les meilleurs acteurs. Je me mets entièrement sous votre protection. On m’a mandé que Nanine avait été jouée détestablement 4, et reçue de même. Vous savez que tout dépend de la manière dont les pièces sont représentées, et vous ne voudriez pas m’avilir. Voyez donc si vous voulez me permettre de vous envoyer la distribution de mes rôles d’après la voix publique, qu’il faut toujours écouter. Ayez pitié d’un vieux quinze-vingts qui vous est attaché depuis cinquante années avec le plus tendre respect.
V. »
1 La lettre à laquelle répond V* n'est pas connue .
2 Ils accusaient ce neveu du duc de Richelieu de s’être caché dans un moulin lors de la descente des Anglais, près de Saint-Malo, en 1758. (Georges Avenel.)
3 Voir lettre du 20 février 1765 à Collini : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/05/07/je-n-ai-presque-point-quitte-mon-lit-depuis-deux-mois-6236435.html
4 A propos de cette pièce, jouée le 10 février 1765, d'Argental écrit à V* le 19 : « Je vis il y a quelque temps massacrer Nanine, je ne saurais vous exprimer mon indignation, je ne pus m'en taire, cela reviendra au tyran et je n'en serai pas mieux avec lui […] Aussi mon cher ami je vous avais conseillé d'écrire à M. de Richelieu ou à l'assemblée des comédiens ou à tous les deux que vous demandez qu'on ne joue point vos comédies, ou que vos rôles soient remplis conformément à vos intentions . »
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