04/02/2021
Quand il y aura quelque chose qui sera digne que vous en parliez, je vous prie de ne pas m’oublier
... M. Gabriel Attal, qu'il doit être dur de brasser du vent, fût-il élyséen ! "Le confinement n'est pas une fatalité ! "
https://www.bfmtv.com/politique/gabriel-attal-assure-que-...
Est-ce fatalité que le manque de doses de vaccin pour la première injection mène, dès hier, à une impossibilité d'avoir le premier rendez-vous avant la St Glinglin ? C'est de la non-assistance à personnes en danger !
Demain on rase gratis ! ouaich ! Virus tu as encore de beaux jours devant toi !
XVIIIè ou XXIè siècle, on nous raconte de belles histoires de lendemains qui chantent
« A Nicolas-Claude Thieriot
Mon ancien ami, je commence à être aussi paresseux que vous l’étiez, ou du moins à le paraître. Je comptais vous écrire par M. Damilaville ; il a heureusement pour moi différé son retour à Paris de jour en jour. Je lui donne ma lettre ; elle vous parviendra comme elle pourra. Deux choses me charment dans ce M. Damilaville, sa raison et sa vertu. Pourquoi faut-il qu’un homme de son mérite languisse dans la perception du vingtième ? Voilà un métier bien indigne de lui.
Mlle Clairon va jouer à Fontainebleau, mais y aura-t-il un Fontainebleau ? On dit que l’indisposition de Mgr le dauphin dérange ce voyage 1. Nous autres, pauvres laboureurs du pied des Alpes, nous savons mal les nouvelles de la cour, et nous nous contentons de dire dans nos chaumières sanitatem regi da, et sanitatem filio regis 2.
Je ne connais plus du tout cette Adélaïde dont vous me dites tant de bien . Il y a trente ans que je l’ai oubliée. Il plut alors au public de la condamner ; il plaît au public d’aujourd’hui de l’applaudir, et il me plaît à moi de rire de ces inconstances. J’ai prié qu’on m’envoyât une copie de cette pièce, car je veux juger aussi à mon tour.
J’ai ici un jeune dragon nommé M. de Pezay 3 qui fait des vers tout pleins d’esprit et d’images. Il m’en a apporté de son ami M. Dorat 4, avec qui il loge à Paris 5 ; ce M. Dorat en fait aussi de charmants ; cela ragaillardit ma vieillesse, que M. Damilaville soutient par sa philosophie. Je me trouve entre la raison et les Grâces ; vous ne seriez pas de trop assurément dans cette bonne compagnie-là.
Quand il y aura quelque chose qui sera digne que vous en parliez, je vous prie de ne pas m’oublier, et surtout de me dire comment votre santé se trouve des approches de l’hiver.
Avez-vous fait le mariage dont vous me parliez 6? Je vous embrasse du meilleur de mon cœur,
V.
4è octobre 1765. »
1 La cour alla à Fontainebleau, Mlle Clairon n'y alla pas ;le dauphin Louis mourra le 20 décembre 1765.
2 Donne de la santé au roi, et la santé au fils du roi .
3 Alexandre-Frédéric-Jacques Masson, marquis de Du Pezay est un correspondant de V*, né en 1741 et mort en 1777 ; voir une de ses lettres à V* du lundi 30 juin 1760 pour le remercier de l'avoir guéri de ses superstitions . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Masson_de_Pezay
et http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050430a1c/?letters=decade&s=1760&r=710
et : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411361p/texteBrut
4 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude-Joseph_Dorat
et : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/245-claude-dorat
5 Ces deux mots sont ajoutés au-dessus de la ligne sur la manuscrit .
6 Voir lettre à Thieriot du 30 août 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/12/27/vous-avez-goute-le-plaisir-d-etre-pere-et-moi-j-ai-ete-inuti-6286858.html
00:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
03/02/2021
je ne suis pas de ces vieillards qui ne pouvant avoir de plaisir ne veulent pas qu'on en ait chez eux
...Au hasard de recherches, j'ai trouvé une illustration très parlante d'une attitude qui me défrise chaque jour, en relief ou à la télé .
Un dessin vaut mieux qu'un long discours (c'est aussi, toutes proportions gardées, valable aussi pour vous mesdames ! ). On est aussi protégé qu'en roulant avec un demi pare-brise .
Pensez-y , sortez couverts !
« A Claude-Germain Le Clerc de Montmercy 1
Mon philosophe voyageur 2, monsieur, vous dira combien je suis touché de la sensibilité que vous ne cessez de me témoigner . Il part bientôt, il mettra ma lettre à la poste en chemin, ou il vous la fera tenir à son arrivée à Paris . Il m'excusera auprès de vous d'avoir resté aussi longtemps sans vous répondre . Vous excuserez ma vieillesse et ma langueur dont il a été témoin . Il pourra vous dire aussi que je ne suis pas de ces vieillards qui ne pouvant avoir de plaisir ne veulent pas qu'on en ait chez eux . Je ne digère point, mais je veux que les autres fassent bonne chère ; je ne joue plus la comédie, mais je veux qu'on la joue, enfin je veux qu'on fasse tout ce que je ne fais pas .
J'aurais voulu que vous eussiez pu venir avec M. Damilaville , et quand votre loisir vous le permettra vous me ferez un grand plaisir de venir philosopher avec moi . Nous prendrions tous les arrangements nécessaires pour votre voyage . J'espère que je serai bientôt quitte des maçons qui bouleversent toute ma petite retraite .
Ne doutez point monsieur, de l'estime et de l'amitié , ce mot sacramental ne devrait pas être oublié, que vous avez inspirée à votre très humble et très obéissant serviteur 3
V.
4è octobre 1765 à Ferney. »
1 Avocat et écrivain : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65165379.texteImage et : https://c18.net/vll/vll_fiche.php?id_vo_vll=4918
2 Damilaville, à qui cette lettre est confiée, va repartir à Paris .
3 Depuis et de l'amitié, les mots ont été ajoutés au-dessus de la ligne et dans la marge du bas .
00:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
02/02/2021
chez les avocats la réputation amène toujours la fortune . Il n'en est pas ainsi dans bien d'autres professions
... Rien à ajouter ! à chacun ses exemples du temps courant .
A juste titre !
« Au baron Frédéric Melchior von Grimm
Ferney, 4 octobre 1765 1
Je viens, mon cher frère, d'écrire à l’Électeur palatin, et je ne doute pas qu'il ait à Paris un ministre ou un agent qui souscrira pour lui . Les roués doivent [être] contents aujourd'hui ; il s'agit actuellement des pendus . Si vous voyez notre défenseur Cicéron Beau mont, je vous supplie de recommander à ses bontés et à son éloquence la malheureuse famille des Sirven . Je lui ai envoyé ne dernier lieu les pièces essentielles qui lui manquaient . Cette nouvelle affaire augmentera encore sa réputation, et chez les avocats la réputation amène toujours la fortune . Il n'en est pas ainsi dans bien d'autres professions .
J’avais entièrement perdu de vue cette Adélaïde dont vous me parlez ; je n'en ai pas même de copie . Les Welches l'avaient condamnée, il y a une [vingt]aine d'années, et les Français l'ont accueillie enfin avec quelque bonté . Les comédiens l'ont remise au théâtre sans m'en avertir . Il y a des temps où l'on [tombe] et des temps où l'on se relève, sans qu'on sache bien précisément pourquoi . Le [par]terre et la cour ont leurs beaux jours et leurs orages ; mais comme, Dieu merci, je [suis] éloigné de ces deux gouffres, je suis médiocrement sensible à leur inconstance . »
1 Le microfilm utilisé par l'éditeur , Émile Lizé, de « Lettres inédites » dans Dix-huitième siècle, 1974, est illisible en quelques endroits, d'où les restitutions . Voir page 254 : https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1974_num_6_1_2781#dhs_0070-6760_1974_num_6_1_T1_0254_0000
00:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
01/02/2021
Je ne me sens pas, dans l’état où je suis, assez d’esprit pour l’amuser
... Mais ce n'est pas une raison , pour votre public, cher Gad Elmaleh , de massacrer Claude Nougaro . Pianiste, à la rigueur, mais chanteur , quelle vanité !
Quand on n'a pas de voix, on se tait !
« A Cosimo Alessandro Collini, Secrétaire intime
et Historiographe de S. A. E. Mgr l’Électeur palatin
à Manheim
Ferney 4è octobre 1765 1
Mon cher ami, je suppose toujours que milord Abington, qui a eu le bonheur d’aller faire sa cour à Leurs Altesses Électorales, leur a rendu compte du triste état où il m’a vu. Ce n’est pas seulement la vieillesse qui m’accable, car il y a des vieillards qui ont encore de la force, mais je languis sous une complication de maladies qui ne me laissent aucun repos ni jour ni nuit, et qui me mènent au tombeau par un chemin fort vilain . Ma seule consolation est de dicter quelquefois des fadaises, et de m’armer d’une philosophie inaltérable contre les maux qui me persécutent.
Je ne sais si Son Altesse Électorale a été informée qu’on fait à Paris une très belle estampe de la famille des Calas . On a fait une espèce de souscription pour cette estampe , elle est prête. Je ne doute pas que monseigneur l’Électeur n’ait à Paris un ministre qui pourra souscrire en son nom, et lui faire parvenir le nombre d’estampes qu’il commandera . Elle vaut un écu de six livres. Je n’ose prendre la liberté d’écrire à monseigneur. Je ne me sens pas, dans l’état où je suis, assez d’esprit pour l’amuser, et je suis trop respectueusement attaché à sa personne pour l’ennuyer. Je vous prie instamment de me dire s’il prendra de ces estampes, et surtout de lui présenter les hommages du plus dévoué et du plus fidèle serviteur qu’il aura jamais. Je vous embrasse bien tendrement .
V.»
1 Manuscrit original avec mention « f[ran]co Canstat ». L'édition Collini donne une version inexacte et quelque peu incomplète .
15:43 | Lien permanent | Commentaires (0)
J’ai vu depuis peu des fatras d’instructions pastorales, d’arrêts contre les instructions, d’arrêts contre les arrêts, et de lettres contre les arrêts , et de lettres sur les miracles
... En un mot comme en cent, j'ai tout simplement écouté les déclarations de tous bords à propos de la conduite à tenir face au Covid-19 . Heureusement que le net permet d'éviter le gaspillage de papier et qu'un clic suffit pour se dépolluer la vue et l'ouïe d'avis stupides .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
2 octobre 1765
A peine le petit prêtre a-t-il reçu ses Roués de la part de ses divins anges, qu’il s’est mis sur-le-champ à faire ce que lesdits anges ont prescrit, excepté à la scène d’Octave et de Julie. Le pauvre diable confesse qu’il ne peut réchauffer cette scène, et il dit qu’il lui est impossible de faire d’Octave un amoureux violent. L’impuissance dont il convient lui fait beaucoup de peine ; mais il dit que c’est le seul vice dont on ne peut pas se corriger.
Ce malheureux prêtre renverra, le plus tôt qu’il pourra, ses Roués, avec l’honnête préface convenable en pareil cas . Le temps ne fait rien à l'affaire . Il compte sur les gens qui aiment l’histoire romaine ; mais comme il y en a beaucoup plus qui aiment l’opéra-comique, il n’espère pas un succès prodigieux.
Pour moi, j’attends Adélaïde, et je la renverrai aussi avec sa préface, car il me semble qu’elle en mérite une.
Je ne savais point que Clairon eût manqué à mes anges, quand je lui fis, je ne sais comment, des vers hexamètres 1 comme pour une héroïne romaine , mais elle avait si bien joué Electre, elle avait été si fêtée par tout le pays, elle avait été si honnête et si polie, que j’en fus enquinaudé 2.
On dit qu’il n’est pas bien sûr que l’on donne à Fontainebleau toutes les fêtes qu’on préparait.
J’ai écrit un petit mot de félicitation à M. Hennin 3 ; M. le duc de Praslin ne pouvait faire un meilleur choix ; ce sera un homme de bonne compagnie de plus dans notre petit canton allobroge. J’adressai ma lettre à M. de Sainte-Foix , ne sachant pas si M. Hennin est à Paris.
Le plaisant secrétaire d’ambassade que Jean-Jacques ! Voilà un étrange original ; c’est bien dommage qu’il ait fait le Vicaire savoyard. La conversation de ce vicaire méritait d’être écrite par un honnête homme.
J’ai vu depuis peu des fatras d’instructions pastorales, d’arrêts contre les instructions, d’arrêts contre les arrêts, et de lettres contre les arrêts 4, et de lettres sur les miracles de Jean-Jacques, et j’ai conclu qu’une tragédie est plus touchante, et que ce qui plaît aux dames 5 est plus agréable ; et je dis dans mon cœur , il n’y a de bon que de souper avec ses amis, et de se réjouir dans ses œuvres 6, et j’ai surtout ajouté que la consolation de la vie consiste à être un peu aimé de ses divins anges, ces divins anges à qui je n’ai pas l’honneur d’écrire de ma main, attendu que je suis retombé dans mes malingreries 7, et je ne m’en mets pas moins à l’ombre de leurs ailes. »
1 L’Épître à Mlle Clairon est en alexandrins .
3 Lettre du 29 septembre 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/01/27/je-suis-condamne-a-rester-chez-moi-mais-j-espere-etre-consol-6293678.html
4 Fin août 1765 , l'assemblée générale du clergé a publié ses Actes qui comportent la condamnation de diverses œuvres, dont certaines de V* . La même assemblée a en même temps republié des décrets antérieurs controversés et alors les Actes furent supprimés le 4 septembre 1765 par le parlement de Paris qui fit brûler la Lettre circulaire qui accompagnait les Actes ( voir lettre du 8 octobre 1765 à d'Argental : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/10/correspondance-annee-1765-partie-30.html ). L'assemblée porta plainte et le Conseil du roi donna tort au Parlement . V* lut toutes ces pièces et ce furent ces « arrêts contre les arrêts » qui purent l'inciter à écrire les Questions sur les miracles ( https://fr.wikisource.org/wiki/Questions_sur_les_miracles/%C3%89dition_Garnier ), et le Mandement ( https://fr.wikisource.org/wiki/Mandement_de_l%E2%80%99archev%C3%AAque_Alexis/%C3%89dition_Garnier.)
Voir : https://data.bnf.fr/fr/12110348/france_assemblee_generale_du_clerge/
5 Possible allusion au conte de ce nom , sans plus .
6 Ecclésiaste, III, 22 : https://saintebible.com/ecclesiastes/3-22.htm
7 Encore un plaisant néologisme voltairien .
15:10 | Lien permanent | Commentaires (0)
31/01/2021
au sujet du rapport médical
... " que je garde sous le coude, ne vous en souciez pas, je gère, à vous de vous tenir à carreau, sinon ... ! " dit en substance Emmanuel Macron qui twitte à l'aise .
« A Jean-Pierre Ramond 1
[vers le 1er octobre 1765]
[Lui demande d'envoyer une lettre écrite par le docteur Jean Gallet-Duplessis 2 à son confrère Marc-Antoine Malzac 3, à Castres, au sujet du rapport médical concernant Élisabeth Sirven .]
1 Cette lettre fut envoyée par Marianne Ramond-Périe , soeur d'Elisabeth Sirven, à son mari le 4 octobre 1765 . Il lui répond le 30 octobre et dans une autre lettre du 5 février 1766 Ramond semble faire allusion à d'autres lettres de V*.
Voir page 8 : https://www.ville-castres.fr/sites/default/files/atoms/files/mag_358.pdf
et : http://muratsurvebre.geneafree.fr/r-detail.php?pref=viane&bms=desert&annee=1760&trel=m&ligne=13
2 Voir son rôle dans l'affaire Sirven : http://data.decalog.net/enap1/liens/Gazette/ENAP_GAZETTE_TRIBUNAUX_18431125.pdf
et pages 132- : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02112121/document
3 Marc-Antoine Malzac : voir page 52 : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02112121/document
02:52 | Lien permanent | Commentaires (0)
30/01/2021
que penser de ceux qui jugent de tout sur une lecture précipitée ?
... La déclaration d'hier soir du premier ministre est courte et de lecture rapide . Ce qu'on doit en penser sera également bref et ne mérite pas de longs commentaires . Sur ce, je vous salue, et je vais lire les aventures de L'Ingénu* mises en ligne par Mam'zelle Wagnière : http://www.monsieurdevoltaire.com/
* Allez savoir pourquoi je rapproche ce sage et impétueux Huron du ministre besogneux Castex ? Mystères de l'inconscient !
Castex lisant sa déclaration le 29 janvier 2021 ?
« A [destinataire inconnu à Paris]
[septembre-octobre 1765]
Quand vous m’apprîtes, monsieur, qu’on jouait à Paris une Adélaïde du Guesclin avec quelque succès, j’étais très-loin d’imaginer que ce fût la mienne ; et il importe fort peu au public que ce soit la mienne ou celle d’un autre. Vous savez ce que j’entends par le public. Ce n’est pas l’univers 1, comme nous autres, barbouilleurs de papier, l’avons dit quelquefois. Le public, en fait de livres, est composé de quarante ou cinquante personnes, si le livre est sérieux ; de quatre ou cinq cents, lorsqu’il est plaisant ; et d’environ onze ou douze cents, s’il s’agit d’une pièce de théâtre. Il y a toujours dans Paris plus de cinq cent mille âmes qui n’entendent jamais parler de tout cela.
Il y avait plus de trente ans que j’avais hasardé devant ce public une Adélaïde du Guesclin, escortée d’un duc de Vendôme et d’un duc de Nemours, qui n’existèrent jamais dans l’histoire. Le fond de la pièce était tiré des annales de Bretagne, et je l’avais ajustée comme j’avais pu au théâtre, sous des noms supposés. Elle fut sifflée dès le premier acte ; les sifflets redoublèrent au second, quand on vit arriver le duc de Nemours blessé et le bras en écharpe ; ce fut bien pis lorsqu’on entendit au cinquième le signal que le duc de Vendôme avait ordonné ; et lorsqu’à la fin le duc de Vendôme disait : Es-tu content, Coucy ? plusieurs bons plaisants crièrent : Couci-couci.
Vous jugez bien que je ne m’obstinai pas contre cette belle réception. Je donnai, quelques années après, la même tragédie sous le nom du Duc de Foix ; mais je l'affaiblis beaucoup, par respect pour le ridicule. Cette pièce, devenue plus mauvaise, réussit assez ; et j’oubliai entièrement celle qui valait mieux.
Il restait une copie de cette Adélaïde entre les mains des acteurs de Paris : ils ont ressuscité, sans m’en rien dire, cette défunte tragédie ; ils l’ont représentée telle qu’ils l’avaient donnée en 1734, sans y changer un seul mot, et elle a été accueillie avec beaucoup d’applaudissements : les endroits qui avaient été le plus sifflés ont été ceux qui ont excité le plus de battements de mains.
Vous me demanderez auquel des deux jugements je me tiens. Je vous répondrai ce que dit un avocat vénitien aux sérénissimes sénateurs devant lesquels il plaidait : Il mese passato, disait-il, le vostre Excellenze hanno judicato cosi , e questo mese, nelle medesima causa, hanno judicato tutto l'contrario ; e sempre ben. « Vos Excellences, le mois passé, jugèrent de cette façon ; et ce mois-ci, dans la même cause, elles ont jugé tout le contraire ; et toujours à merveille. »
M. Oghières 2, riche banquier à Paris, ayant été chargé de faire composer une marche pour un des régiments de Charles XII, s’adressa au musicien Mouret. La marche fut exécutée chez le banquier, en présence de ses amis, tous grands connaisseurs. La musique fut trouvée détestable ; Mouret remporta sa marche, et l’inséra dans un opéra qu’il fit jouer. Le banquier et ses amis allèrent à son opéra : la marche fut très-applaudie. « Eh ! voilà ce que nous voulions, dirent-ils à Mouret ; que ne nous donniez- vous une pièce dans ce goût-là ? — Messieurs, c’est la même 3. »
On ne tarit point sur ces exemples. Qui ne sait que la même chose est arrivée aux idées innées, à l’émétique, et à l’inoculation ? Tour à tour sifflées et bien reçues, les opinions ont ainsi flotté dans les affaires sérieuses, comme dans les beaux-arts et dans les sciences.
Quod petiit spernit, repetit quod nuper omisit 4.
La vérité et le bon goût n’ont remis leur sceau que dans la main du temps. Cette réflexion doit retenir les auteurs des journaux dans les bornes d’une grande circonspection. Ceux qui rendent compte des ouvrages doivent rarement s’empresser de les juger. Ils ne savent pas si le public, à la longue, jugera comme eux ; et puisqu'il n’a un sentiment décidé et irrévocable qu'au bout de plusieurs années, que penser de ceux qui jugent de tout sur une lecture précipitée ? »
1 On se rappelle ces vers de Voltaire : « Lefranc de Pompignan dit à tout l’univers / Que le roi lit sa prose et même encor ses vers. » . Voir la satire intitulée : Le Russe à Paris. (Beuchot)
et voir le début de la lettre du 13 juin 1760 à Mme d'Epinay : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/06/11/on-a-besoin-de-plaisanterie-c-est-un-remede-sur-contre-la-ma-5637966.html
2 Oghières, ou Hoguère, ou Hogguers, était un banquier suisse, menant grand train, recevant la cour et la ville, et propriétaire du château de Châtillon près Clamart. Voltaire fut de sa société en 1748, au moment des intrigues suédoises du baron de Gortz. Voir la Jeunesse de Voltaire par M. Gustave Desnoiresterres.
3 V* racontera cette histoire sous des noms différents, dans une lettre à La Harpe du 1er juillet 1772 .
4 Ce qu'il a recherché, il le méprise ; il recherche ce que, tout récemment, il a négligé ; Horace, Épîtres, I, i, 98.
10:56 | Lien permanent | Commentaires (0)