28/10/2024
Vous m'apprenez qu'il n'y a rien de commun entre vos deux personnes
... Mélenchon et Bardella ? Rien de commun ? Pourtant il semble bien que ... tout deux se disent, haut et fort ,indispensables à leur partis et à la nation, excusez du peu , et circulons, il n'y plus rien à voir . La roche tarpéienne les attend immanquablement tant ils sont malhonnêtes .
« Au comte Alessandro Carli etc.1
à Vérone
Italie
Monsieur,
J'ai été trois semaines aux portes de la mort . Je ne pouvais alors avoir l'honneur de vous répondre . J'avais cru que vous et M. Stephano Carli 2 étiez de la même maison 3, et en vous lisant tous deux j’avais jugé que vous étiez infailliblement de la branche aînée . Vous m'apprenez qu'il n'y a rien de commun entre vos deux personnes non plus qu'entre vos vers . Agréez les assurances sincères de ma profonde estime et de ma reconnaissance . permettez-moi de présenter mes tendres respects à M. le marquis Albergati . J’ai l’honneur d'être avec les mêmes sentiments,
monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur
le malade de Ferney V.
28 avril 1769 à Ferney.4 »
2 Stefano Carli, auteur de La Erizia,1765, dédicacée à Voltaire et à J.-J. Rousseau : https://archive.org/details/laeriziatragedia00carl/page/n1/mode/2up
3 Voir lettre du 31 mars 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/01/c-est-une-grande-consolation-pour-moi-qu-un-temoignage-si-fl-6517020.html
4 Copie ; édition Franco Piva, « Voltaire e la cultura veronese nel settecento : il conte Alessandro Carli » Aevum (Milan 1968). Un fragment d'une minute par Wagnière, comportant seulement la date du 27 avril 1769 et la signature V., utilisée comme signet par V* a été conservée dans un livre de sa bibliothèque ; voir Valdimir Lublinsky, « Voltaire and His Library », The Book collector, 1958 .
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27/10/2024
le plus grand des torts est d’avoir trop raison
... ⸮
« A Claude Carloman de Rulhière
A Ferney 26è avril 1769
Je vous remercie, monsieur, du plus grand plaisir que j’aie eu depuis longtemps. J’aime les beaux vers à la folie : ceux que vous avez eu la bonté de m’envoyer 1 sont tels que ceux que l’on faisait il y a cent ans, lorsque les Boileau, les Molière, les La Fontaine, étaient au monde. J’ai osé, dans ma dernière maladie écrire une lettre à Nicolas Despréaux 2 . Vous avez bien mieux fait, vous écrivez comme lui.
« Le jeune bachelier qui répond à tout venant sur l’essence de Dieu ; les prêtres irlandais qui viennent vivre à Paris d’arguments et de messes , le plus grand des torts est d’avoir trop raison ; la justice qui se cache dans le ciel, tandis que la vérité s’enfonce dans son puits, etc., etc. » sont des traits qui auraient embelli les meilleures épîtres de Nicolas.
Le portrait du sieur d’Aube 3 est parfait. Vous demandez à votre lecteur
S’il connaît par hasard le contradicteur d’Aube,
Qui daubait autrefois, et qu’aujourd’hui l’on daube,
Et que l’on daubera tant que vos vers heureux
Sans contradiction plairont à nos neveux.4
Oui, vraiment, je l’ai fort connu et reconnu sous votre pinceau de Ténière 5. Si vous vouliez, monsieur, vous donner la peine, à vos heures de loisir, de relimer quelques endroits de ce très joli discours en vers, ce serait un des chefs-d’œuvre de notre langue. »
1V* vient manifestement de recevoir le Discours en vers sur les disputes, de Rulhière, imprimé sous la rubrique « Dispute » des Questions sur l'Encyclopédie, 1771 : https://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_philosophique/Garnier_(1878)/Dispute
Voir : https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/claude-carloman-de-rulhiere
2 Épître à Boileau : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome10.djvu/407
Rappel : Nicolas Boileau est sieur Despréaux .
3 François Richer d'Aube, qui passait pour le neveu de Fontenelle . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Richer_d%27Aube
4 Dans son Discours sur les Disputes, que Voltaire reproduisit dans ses Questions sur l’Encyclopédie ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome18.djvu/407
5 Téniers que V* prononce apparemment Ténière.
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26/10/2024
J'ai la petite vanité de croire que je vais vite en besogne
... Dixit Macron ? Barnier ? Aucun des deux, la modestie n'est pas au programme .
vanité des vanités, tout est vanité
« A Marie-Louise Denis
26è avril 1769
Perrachon arriva il y a quelques jours, ma chère nièce, et je reçois tous vos paquets 1 . Il y avait une lettre de M. d'Argental qui demandait une réponse prompte. Je lui écrivis sur-le-champ 2. J'ai été encore bien malade depuis . Enfin, je n'ai pu vous écrire qu'aujourd'hui .
Je vous dirai d'abord que je ne crois pas devoir faire aucune démarche avant que l'affaire des deux frères 3 soit faite ou manquée . J'ai prié M. d'Argental de m'envoyer sur-le-champ le mémoire des deux frères auxquels j'ai fait des additions et des corrections assez importantes . Dès que je les aurai fait porter sur le manuscrit qu'on me renverra je le ferai repartir sur-le-champ . Dans quelque saison que ce procès soit jugé, il ne m’importe ; il me suffira même de trois ou quatre audiences, et pourvu qu'elles me soient accordées, fut-ce dans la chambre des vacations, tout me sera bon . Ce procès est de nature qu'il est gagné s'il est plaidé ; et il en peut résulter des choses très agréables et très utiles .
Je ne sais si vous avez entendu parler d'un singulier procès qu'un prêtre dévot a fait à M. de La Borde, premier valet de chambre du roi , et à toute sa famille . La Borde prétend que son père en est mort de chagrin . Mais comme il avait quatre-vingt-quatre ans, il est à croire que le chagrin y a eu moins de part que la vieillesse . Cette affaire très désagréable a beaucoup nui à Pandore . Je ne sais pourquoi il ne songe à donner cette belle fête à madame la Dauphine . Cela coûterait quelque argent, mais du moins cet argent ne sort pas du royaume . On paie tous les ans quatre millions cinq cent mille livres aux Genevois, et des annates au pape : c'est là un argent qui ne revient plus .
On m'écrit de Versailles de très mauvaises nouvelles sur la caisse d'escompte . J'avais lieu de croire que c’était le meilleur effet de l'Europe ; nous nous étions trompés de même sur Bernard4 ; il ne faut compter sur rien.
Ferney commence à être beau, quoiqu’il y ait encore beaucoup de neige sur le mont Jura . Il est vrai que cette solitude est charmante l'été ; mais elle est horrible et mortelle l'hiver . Je ne sais pas encore quel parti je prendrai . Les deux frères me décideront . Je ne veux m'adresser d'ici à ce temps-là ni au notaire, ni à La Sourdière 5, ni à personne . Je pense même qu'un jour je pourrai faire mon affaire tout seul quand je voudrai . Nous raisonnerons de tout cela à loisir . Il faut d'abord que je cherche à raffermir un peu ma santé qui est bien délabrée . Si je n'en peux venir à bout tout est dit, il n'y a plus ni soins, ni crainte, ni espérance .
Vous savez que j'avais joué le pape aux trois dés, j'avais amené Stopani, et je le croyais pape ; je me suis trompé sur cela comme sur le reste . Je ne me trompe point en vous annonçant que Versoix ne va pas trop vite . Si on continue du même train, la ville ne sera bâtie que dans quatre générations . Le Châtelard va mieux car je m'en mêle . J'ai la petite vanité de croire que je vais vite en besogne, témoin le mémoire des deux frères qui fut fait en moins de quinze jours, et les épîtres qui n'en ont jamais conté que deux ou trois . Mais après ces efforts il faut se reposer longtemps .
Vous aurez dans un mois Mme Cramer, femme de Gabriel ; elle court à Strasbourg, de Strasbourg à Paris, de Paris à Prégny 6. Pour moi, mon plus grand voyage est au Châtelard, encore n'y vais-je que très rarement .
Adieu, je me flatte que vous vous portez très bien ce printemps . Mais mandez-moi donc quel projet de courir vous aviez . Aimez un peu ce pauvre vieux solitaire .
V.
La petite caisse que vous avez demandée 7 est partie hier par la diligence de Lyon, à votre adresse .»
1 Contenant une lettre importante de Mme Denis qui éclaire les relations entre les deux personnages :
« Ce 15 avril [1769] de Paris
Ce que vous me dites , mon cher ami au sujet de vos pâques est ce qu'on peut dire de mieux, et j'ai fait usage de votre lettre dans toutes les occasions . Chacun dit son mot et en général on ne sait ce que l'on dit . On parle des choses quatre jours puis on en parle plus . C'est un drôle de pays que celui-ci .
Votre santé m'inquiète . Il est très sûr que le genre de vie que vous avez pris n'est pas fait pour la rendre bonne . Vous avez moins besoin de société qu'un autre, j'en conviens, mais pourquoi vous attrister à plaisir et vous tuer de travail sans aucune dissipation que d'aller à la messe et d'avoir pour toute récréation le Père Adam ? Vous êtes né gai, la nature vous a prodigué tous les dons, ne perdez pas celui de la gaieté . Il fait vivre , il adoucit tous les maux, il ferait le bonheur de tous ceux qui vous approchent et qui vous aiment ( si vous vouliez vous laisser approcher ). Je vois que tous les vieillards qui poussent fort loin leur carrière sont gais et se dissipent . Vous m'avez reproché d’avoir rendu votre maison trop vivante . Autrefois cela ne vous déplaisait pas . Il y avait beaucoup de monde les jours de comédie, mais auriez-vous voulu qu'on jouât vos pièces aux chaises ? Enfin je l'ai fait pour vous, et croyant que cela pourrait vous plaire et vous délasser . Vous avez changé de façon de penser . Je crains que votre santé n'y perde . Du moins ne faudrait-il pas prendre le carême de haut, et avoir le soir quelqu'un avec qui vous puissiez vous délasser . Pourquoi attrister sa vie quand on a toutes les facilités possibles de la rendre agréable . Soyez sûr qu'il n'y a pas un homme tel qu’il soit qui ne voulût être dans votre position . En changeriez-vous avec un autre ? Certainement non .
Je ne sais ce que vous entendez en me disant que j'ai avancé mon voyage de trois jours pour revoir mes parents, mes amis,, les spectacles et pour jouir de tout ce que la capitale peut avoir d'agrément .
Vous savez mon cher ami que vous m’avez obligée et forcée de sortir de chez vous, que ne pouvant y rester malgré vous, je vous ai supplié de me permettre de me retirer à Lyon, que vous n'avez jamais voulu y consentir, qu'il m'a fallu aller de force à Paris, que vous me demandiez tous les jours si mes paquets étaient faits, que vous le faisiez demander à tous les gens de la maison . Voilà ce qui m'a fait partir la mort dans le cœur . Ce moment m'est toujours présent, il empoisonne ma vie, il me paraît aussi nouveau que le premier jour . Peut-être aurais-je dû vous résister ? Je n'en eus pas la force, j'avais le cœur crevé . Cependant, je ne vous fais aucun reproche, je n'ai pas cessé un moment de vous regretter et de vous aimer . Je sens jusqu'au fond de l'âme tout ce que vous faites pour moi et je suis toujours à vos ordres . Vous ne m'empêcherez pas de vous regarder comme mon père et comme mon meilleur ami . Il y a trente-deux ans que je vous aime de tout mon cœur, et il y en a vingt-six que je vous suis attachée uniquement . Je ne changerai jamais .
Vous devez avoir reçu ma lettre par Perrachon . Il mande ici qu'il est arrivé . Quand vous m'aurez répondu à cette lettre mon cher ami je vous dirai quels sont mes projets . Je les soumettrai à votre volonté . Je ne ferai rien que vous ne l'approuviez, mais je vous demande en grâce de me dire ce que vous comptez faire . Ne m'envoyez pas encore l'édition que je vous demande . Il faut auparavant que nous soyons concertés ensemble, et que je sache si vous approuverez mes desseins .
M. de Laborde n'a point eu de lettre de cachet, mais on l'a prié de rester dans ses terres . Il a emmené sa femme et ses enfants . Sa maison est fermée à Paris .
Mme la comtesse Du Barry a été présentée hier . On dit qu'elle était belle comme un ange .
Je ne louerai pas mon cher ami le petit appartement de Mme Dupuits . J'en aurais tout au plus cent écus, et comme je ne compte pas garder le mien encore longtemps, si j'en détachais celui-là cela pourrait m'empêcher de louer le grand . Malgré le goût que vous me croyez pour Paris je n'y resterai jamais que forcément et dès que vous me permettrez d'en sortir je ne perdrai pas de temps .
L'abbé Binet est dans une très mauvaise position . Je doute qu'il résiste longtemps . Cela est moralement impossible . M. de La Sourdière va être sur le pinacle .
J'ai reçu votre paquet de M. de La Borde . Je reçois très bien tous vos paquets . Mais La Borde passe sa vie avec une fille d'opéra et ne voit personne . Je l'ai fait prier cent fois de me venir voir sans avoir pu y parvenir . Je ne doute pas qu'il ne fasse de son mieux pour faire jouer son opéra . J'espère bientôt pouvoir vous dire des nouvelles des deux frères . Je vous embrasse bien tendrement . »
2Lettre du 20 avril 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/22/m-6519932un-enthousiasme-fanatique-et-fripon-fait-seul-plus-de-mal-que-tous.html
3Les Guèbres .
4Sur la faillite de Bernard, voir lettre du 11 avril 1754 à Mme Denis : « M. de Mauconseil [Etienne-Louis Guignot, marquis de Mauconseil, gouverneur de Colmar] m'assure que Bernard [Samuel-Jacques Bernard , qui par ses extravagances vint à bout de l'immense fortune accumulée par son père .] est mort absolument ruiné, qu'il le savait depuis trois ans, et que son notaire l'avertit alors de ne pas avoir à faire avec lui . Laleu, notaire de Bernard, nous a fait donner dans le traquet. »
5 Richelieu . Mme Denis emploie le même surnom dans sa lettre en parlant de lui .
6C'est-à-dire le château de Tournay .
7Apparemment les Œuvres complètes de V* que Mme Denis avait réclamées à son oncle par une lettre du 8 mars 1769.
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25/10/2024
Nous autres Français, mon cher ami, nous ne sommes pas dignes des billets de banque ni d'aucuns billets publics
... Aussi est-ce par milliers que les amendements pleuvent sur le projet de loi définissant le budget national ; encore une fois les députés font preuve d'inutilité et sont payés pour brasser du vent , RN et LFI tenant la tête , ce qui n'étonne plus personne, ou qui ne devrait plus étonner quand on a suivi un tantinet ces politicards-là :
« A Jean-François-René Tabareau
Nous autres Français, mon cher ami, nous ne sommes pas dignes des billets de banque ni d'aucuns billets publics. Cela est bon pour des Hollandais, des Anglais, des Vénitiens et des Génois ; mais ce qui est remède pour un est poison pour nous . Un poison qui me mine, c'est l'aventure de la caisse d'escompte . J'y ai mis presque tout mon bien libre . Ne savez-vous rien de ce nouvel arrangement de finance ? Les pauvres actionnaires de bonne foi seront-ils ruinés ? La Gazette de Suisse dit que Laborde est exilé dans une de ses terres 1 ; mais je crois qu'il n'y a de banni que l'argent mis par des particuliers à la caisse d'escompte .
Portez-vous bien, santé vaut mieux que richesse . Je vous embrasse de tout mon cœur.
V.
A Ferney 24 avril 1769.2»
1 Voir lettre du 17 avril 1769 à Mme Denis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/19/votre-maniere-est-de-ne-pas-repondre-aux-choses-dont-vous-ne-voulez-pas-qu.html
2 Original ; édition Kehl amalgame la présente lettre avec quatre autres lettres postérieures, ce qui donne une idée de la fidélité des éditeurs . Cayrol rectifie .
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Eh bien ! madame, je suis plus honnête que vous ; vous ne voulez pas me dire avec qui vous soupez, et moi je vous avoue avec qui je déjeune
... Il est avéré que Mme Marine Le Pen fréquente des alliés d'extrême droite et que pour souper avec le diable elle n'utilise pas une cuillère à long manche . A chacun ses engagements, ses vérités et ses mensonges .
« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
24è avril 1769
Eh bien ! madame, je suis plus honnête que vous ; vous ne voulez pas me dire avec qui vous soupez, et moi je vous avoue avec qui je déjeune. Vous voilà bien ébaubis, messieurs les Parisiens ! la bonne compagnie, chez vous, ne déjeune pas, parce qu’elle a trop soupé ; mais moi, je suis dans un pays où les médecins sont Italiens 1, et où ils veulent absolument qu’on mange un croûton à certains jours. Il faut même que les apothicaires donnent des certificats en faveur des estomacs qu’on soupçonne d’être malades.
Le médecin du canton que j’habite est un ignorant de très mauvaise humeur 2, qui s’est imaginé que je faisais très peu de cas de ses ordonnances.
Vous ignorez peut-être, madame, qu’il écrivit contre moi au roi l’année passée, et qu’il m’accusa de vouloir mourir comme Molière, en me moquant de la médecine . Cela même amusa fort le Conseil. Vous ne savez pas sans doute qu’un soi-disant ci-devant jésuite franc-comtois nommé Nonotte, qui est encore plus mauvais médecin, me déféra, il y a quelques mois, à Rezzonico 3, premier médecin de Rome, tandis que l’autre me poursuivait auprès du roi, et que Rezzonico envoya à l’ex-jésuite nommé Nonotte, résidant à Besançon, un bref dans lequel je suis déclaré atteint et convaincu de plus d’une maladie incurable. Il est vrai que ce bref n’est pas tout à fait aussi violent que celui dont on a affublé le duc de Parme ; mais enfin j’y suis menacé de mort subite.
Vous savez que je n’ai pas deux cent mille hommes à mon service, et que je suis quelquefois un peu goguenard. J’ai donc pris le parti de rire de la médecine avec le plus profond respect, et de déjeuner, comme les autres, avec des attestations d’apothicaires.
Sérieusement parlant, il y a eu, à cette occasion, des friponneries de la Faculté 4 si singulières que je ne peux vous les mander, pour ne pas perdre de pauvres diables qui, sans m’en rien dire, se sont saintement parjurés pour me rendre service 5. Je suis un vieux malade dans une position très délicate, et il n’y a point de lavement et de pilules que je ne prenne tous les mois 6 pour que la Faculté me laisse vivre et mourir en paix.
N’avez-vous jamais entendu parler d’un nommé Le Bret, trésorier de la marine, que j’ai fort connu, et qui, en voyageant, se faisait donner l’extrême-onction dans tous les cabarets ? J’en ferai autant quand on voudra.
Oui, j’ai déclaré que je déjeunais à la manière de mon pays . Mais si vous étiez turc, m’a-t-on dit, vous déjeuneriez donc à la façon des Turcs ? — Oui, messieurs.
De quoi s’avise mon gendre d’envoyer ces quatre Homélies 7? Elles ne sont faites que pour un certain ordre de gens. Il faut, comme disent les Italiens, donner cibo per tutti 8.
Vous saurez, madame, qu’il y a une trentaine de cuisiniers répandus dans l’Europe qui, depuis quelques années, font des petits pâtés dont tout le monde veut manger 9. On commence à les trouver fort bons, même en Espagne. Le comte d’Aranda en mange beaucoup avec ses amis. On en fait en Allemagne, en Italie même ; et certainement, avant qu’il soit peu, il y aura une nouvelle cuisine.
Je suis bien fâché de n’avoir pas la Princesse printanière 10 dans ma bibliothèque ; mais j’ai l’Oiseau bleu et Robert le Diable 11. Je parie que vous n’avez jamais lu Clélie 12 ni l'Astrée 13 ; on ne les trouve plus à Paris. Clélie est un ouvrage plus curieux qu’on ne pense ; on y trouve les portraits de tous les gens qui faisaient du bruit dans le monde du temps de Mlle Scudéry . Tout Port-Royal y est . Le château de Villars, qui appartient aujourd’hui à M. le duc de Praslin, y est décrit avec la plus grande exactitude.
Mais, à propos de romans, pourquoi, madame, n’avez-vous pas appris l’italien ? Que vous êtes à plaindre de ne pouvoir pas lire, dans sa langue, l’Arioste, si détestablement traduit en français ! Votre imagination était digne de cette lecture ; c’est la plus grande louange que je puisse vous donner, et la plus juste. Soyez très sûre qu’il écrit beaucoup mieux que La Fontaine, et qu’il est cent fois plus peintre qu’Homère, plus varié, plus gai, plus comique, plus intéressant, plus savant dans la connaissance du cœur humain que tous les romanciers ensemble, à commencer par l’Histoire de Joseph et de la Putiphar 14, et à finir par Paméla 15. Je suis tenté toutes les années d’aller à Ferrare, où il a un beau mausolée ; mais, puisque je ne vais point vous voir, madame, je n’irai pas à Ferrare.
Vous me faites un grand plaisir de me dire que votre ami 16 se porte mieux. Mettez-moi aux pieds de votre grand-maman 17 ; mais, si elle n’a pas le bonheur d’être folle de l’Arioste, je suis au désespoir de sa sagesse.
Portez-vous bien, madame ; amusez-vous comme vous pourrez. J’ai encore la fièvre toutes les nuits, et je m’en moque.
Amusez-vous, encore une fois, fût-ce avec les quatre fils d'Aymon . Tout est bon, pourvu qu’on attrape le bout de la journée, qu’on soupe, et qu’on dorme ; le reste est vanité des vanités 18, comme dit l’autre ; mais l’amitié est chose véritable. »
1 C’est-à-dire les prêtres. (Beuchot.)
La suite fait allusion au fait que V* observe le carême ainsi qu'il apparaît par la lettre de Mme Denis qui sera citée dans la lettre du 26 avril .
2 Biord, évêque d’Annecy. (Beuchot.)
3 Clément XIII.
4 Allusion aux professions de foi dont il a été question . Voir lettre du 15 avril 1769 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/16/6519171si-je-me-suis-trompe-dans-quelques-occasions-j-ai-droit-de-m-adresse.html
5 Ils avaient fabriqué et certifié, chez le curé de Ferney, une profession de foi de Voltaire.
Il faut apparemment croire V* quand il dit que ses amis se sont parjurés en attestant des sentiments religieux qu'il prétend ne pas ressentir . Néanmoins, le texte même de ces attestations est assez ambigu pour qu'on puisse aussi bien attribuer le parjure à V* lui-même.
6 Cela signifie apparemment que V* se confesse chaque mois .
7 Voir lettre de Mme Du Deffand du 15 avril 1769 : « Voulez-vous bien vous charger de mes remerciements pour votre gendre ? … Il m'a envoyé vos quatre Homélies . Je n'ai lu que la moitié de la première, je ne puis plus entendre parler sérieusement sur ce sujet … ». Elle lui annonce en revanche qu'elle relit Les Illustres Françaises de R. Challe et les contes de Mme d'Aulnoy, d'où la suite . Les quatre Homélies publiées en 1767 ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/325
8 De la nourriture pour tous .
9 Cette façon de désigner les adversaires du christianisme fait penser aux procédés du Dictionnaire Philosophique ( Catéchisme du Japonais, etc. )
10 L'histoire de la princesse printanière est racontée par Mme d'Aulnoy ; Mme Du Deffand en a recommandé la lecture à V* .
11 L'histoire de l'oiseau bleu est contée par Perrault ; Robert le Diable est un classique de la littérature de colportage .
12V* a en effet dans sa bibliothèque un exemplaire de Clélie de Mlle de Scudéry .
13D'Honoré d'Urfé . V* ne semble pas en avoir possédé un exemplaire .
14 Genèse, XXXIX : https://www.aelf.org/bible/Gn/39
15 De Richardson . La mention de cet ouvrage à côté de celle de l'Arioste suggère que V* travaille à sa Paméla : Les Lettres d'Amabed. Voir la notice de ce conte :
16 Le président Hénault.
17 Mme de Choiseul.
18 Salomon, Ecclésiaste, i, 2 : https://saintebible.com/ecclesiastes/1-2.htm
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24/10/2024
Il observera que j’emprunte à 6 et que je prête à 4.
... M. le président , est-ce bien ainsi que M. Antoine Armand, ministre des Finances, doit opérer pour réduire la dette de la France ?
« A François-Louis Jeanmaire
A Ferney 22è avril 1769 1
Monseigneur le duc de Virtemberg me doit par billet à ordre au mois de mars passé trente-cinq mille livres, et autant l'année prochaine . Son Altesse Sérénissime propose de me subroger à la créance du sieur Dietrich de Strasbourg, auquelle elle doit 96000£ moyennant que je lui prête ces 96000 £ remboursables en quatre ans, à 24000 £ par an avec les intérêts légitimes . Pour cet effet on veut que je rétrocède les deux billets de 70000 £ et que je fournisse le reste argent comptant .
Quoique à mon âge de soixante et quinze ans ce marché soit peu avantageux, je l'accepte ; et même pour marquer à Son Altesse Sérénissime mon attachement respectueux, je me relâche des cinq pour cent d'intérêts que j'aurais, si cet acte était passé à Genève ou à Montbéliard.
Je me réduis à quatre pour cent, et j'espère que Mgr le duc de Virtemberg sera content de mon procédé .
Voici un compte net du paiement à faire de ces 96000 £ avec l'intérêt au quatre pour cent en quatre années.
Chaque année on paiera vingt-quatre mille livres, et au bout de l’année l’intérêt échu.
La première . Le capital est de 96000 £
A 4 pour cent la 1ère année 3840 £
La seconde année 2880
La troisième 1920
La quatrième 960
Somme totale des intérêts
pendant 4 ans 9600 £ 9600
En ajoutant le capital à ces intérêts légitimes
on forme une somme 105600 £
Je demande que Son Altesse Sérénissime s'engage à me payer ces 105600 £ en quatre ans comme argent prêté, le tout payable en quatre ans par quartiers, en délégations acceptées par ses fermiers régisseurs, sans préjudice de ce qu'il me doit d'ailleurs, et ratifiant ses premiers engagements .
On stipulera qu'on me paiera de cette somme prêtée de 105600 £
La première année 28000 £
La seconde 28000
La troisième 24800
La quatrième 24800
105600 £
Cet arrangement est précis et équitable ; il prévient toute difficulté, il n'est plus besoin de compte à échelle, de stipulation d'intérêt ; tout est plus net et plus noble .
M. Jeanmaire promettra au nom du prince, de me remettre le contrat fait avec le sieur Dietrich, et de me subroger en sa place .
Il m'enverra tous les papiers sans frais .
Pour lui fournir les 96000 £ demandées,
je donne
deux billets du prince 70000 £
Sur Riquewihr, le quartier échu à
la fin de mars 700
Argent prêt à Genève et
emprunté à 6% 96000£
Il observera que j’emprunte à 6 et que je prête à 4 .
Je me flatte que M. Dupont rédigera le tout dans la meilleure forme ; que je serai payé de tout ce qu'on me doit, exactement par quartiers, n'ayant plus que ces effets pour subsister, moi et ma famille, et que Son Altesse Sérénissime me continuera l’honneur de se bontés .
N. B. que les paiements par quartiers des 105600 £ doivent commencer à courir depuis le 1er avril de cette année, et que le premier quartier sera échu le dernier juin prochain .
Je prie M. Jeanmaire de communiquer cet écrit à M. l’avocat Dupont.
Son très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
1 Original signé, le dernier alinéa et la formule autographes . Edition Lettres inédites, 1821, n'en donne qu'une version très abrégée datée du « 23 août 1769 ».
08:58 | Lien permanent | Commentaires (0)
23/10/2024
voir les ouvrages où il préside
... Pierre-Marie Abadie , que va-t-il décider, que va-t-on lui laisser faire :
Il en connait un rayon
« A François de Caire, Chevalier
de Saint-Louis, ingénieur en chef
à Versoix
Le malade de Ferney fait les plus tendres remerciements à monsieur de Caire . Il voudrait bien venir l'embrasser au premier beau jour, voir les ouvrages où il préside, et se mettre aux pieds de Mme de Caire .
22è avril 1769. »
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