06/06/2025
quoiqu'il y ait encore beaucoup de tristes cérémonies par lesquelles il faut passer ...Ce monde-ci, mon cher neveu, ne subsiste guère que d'abus et de sottises ; maximus ille est qui minimis urgetur
.... Abus et sottises, mélange détonnant dans des mains armées .
« A Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre d'Hornoy
conseiller en Parlement
à Paris
[vers le 20 décembre 1769]
Vous avez, mon cher ami, un caractère comme je les aime . Dès que je vous ai parlé de l'aventure du pauvre Martin, vous avez couru vite vous en informer . Un grand chambrier n'y eut pas seulement fait d'attention ; mais les jeunes gens sont plus honnêtes . L'aventure n'est que trop vraie ; on s’était seulement trompé de date . Ce fut le 26è juillet de cette année qu'un scélérat, dont on ne m'a pas dit le nom, avoua sur la roue que c'était lui qui avait commis le meurtre pour lequel Martin avait été condamne et exécuté auparavant . C'est le juge du bailliage de La Marche 1 qui fit rouer Martin, et le juge de ce bailliage n'en savait pas plus que celui qui avait condamné toute la famille Sirven à être pendue . Il y a environ trois ans que Martin a été roué, et son innocence n'a été reconnue que depuis deux mois . Voici les deux motifs de sa condamnation .
Ses souliers, et un mot lui échappa . Ses souliers déposèrent contre lui parce qu'on remarqua qu'ils cadraient assez avec les traces laissées vers sa maison .
Les paroles qu'il prononça après avoir été confronté avec un témoin qui le déchargea sont celles-ci : Dieu soit béni, il ne m'a pas reconnu ! Martin entendait Dieu soit béni, voilà un témoin du meurtre qui reconnaît que ce n'est pas moi qui suis l'assassin, et le juge expliquait ces paroles dans un autre sens : Dieu soit béni je suis l'assassin et je n’ai pas été reconnu par le témoin . Le juge avait sans doute très grand tort et ne savait ni le français, ni son métier .
Il se peut très bien faire que la Tournelle qui confirma la sentence ait jugé trop légèrement sur des preuves qui pouvaient éblouir . Il se peut que Martin fût un imbécile qui ne sut pas se défendre . Cela n'arrive que trop souvent, et l'infortuné Calas lui-même se défendit très mal .
Sirven se défend mieux . Le parlement de Toulouse, déjà persuadé de son innocence, a ôté au juge ignorant qui l'a condamné en première instance 2 la connaissance de cette affaire, et a nommé d'autres juges . Ainsi je regarde l'affaire de Sirven comme finie, quoiqu'il y ait encore beaucoup de tristes cérémonies par lesquelles il faut passer .
Cela me rafraîchit un peu le sang, car je vous avoue qu'il y a longtemps que je suis de mauvaise humeur .
Je pense comme vous sur la jurisprudence criminelle de France, et vous pensez comme le président de Lamoignon qui était toujours pour les partis les plus modérés .
Il est honteux que les Anglais soient plus humains que nous . Il est encore plus honteux que toutes les lois soient uniformes chez eux ainsi que les poids et mesures, et qu'en France on change de loi en changeant de chevaux de poste .
Monsieur l’avocat général du parlement de Grenoble 3 et celui de Dijon travaillent actuellement sur cette importante matière . J'imagine que vous animerez un jour le zèle de vos confrères . C'est une belle chose de réformer son pays .
Je ne suis point l'ennemi des remontrances , au contraire, mais je voudrais qu'il en fut des remontrances comme de la messe, on l'avilit en la disant tous les jours . Ce monde-ci, mon cher neveu, ne subsiste guère que d'abus et de sottises ; maximus ille est qui minimis urgetur 4 .
Vous avez pris des Anglais les redingotes, Faxhall 5, l'attraction , l’inoculation, tâchez de prendre les lois anglaises le plus que vous pourrez .
Je vous embrasse de tout mon cœur en anglais et en français, mais non pas en welche .
Je vous prierais de me marquer le nom du receveur de Rechicourt 6 si vous l’apprenez ; car je suis bien vieux et bien malade, et il faut mettre ordre à tout . »
1 La mention du bailliage de La Marche est nouvelle ; mais pour le reste on est toujours aussi peu avancé sur la fameuse affaire Martin .
2 François de Bastard qui s'est simplement démis de sa charge ; voir lettre du 10 décembre 1769 à Audra : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/05/28/je-me-flatte-que-le-parlement-saisira-cette-occasion-de-fair-6549791.html
3 Servan.
4 Celui-là est le plus grand, qui est accablé par les plus petites choses .
5 Vauxhall dont une imitation est en préparation aux Champs-Élysées sous le nom de Colisée .
6 Ce mot est écrit ici Régicourt ; voir lettre du 6 octobre 1769 à Mme Denis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/05/25/on-lui-reservera-tout-le-terrain-qu-il-voudra-beaucoup-d-etrangers-en-deman.html
et du 10 janvier 1770 à A.-M.-F. Dompierre d'Hornoy .
00:31 | Lien permanent | Commentaires (0)
05/06/2025
Vous prendrez les mesures que l'intérêt de la vérité et de votre prudence vous suggéreront
... Recommandation impérative à tous ceux qui ont quelque pouvoir de décision et de commandement . Usez sans crainte de la vérité mais ne soyez pas figés par une prudence excessive et paralysante .
« A Paul-Claude Moultou
à Genève
20è décembre 1769
Je vous envoie, mon cher philosophe,l'annonce des nommés Philibert et Chirol 1 . Vous prendrez les mesures que l'intérêt de la vérité et de votre prudence vous suggéreront 2.
Vous aviez, ce me semble, plusieurs matériaux sur la primitive Église ; si vous vouliez en faire part on les insérerait par ordre alphabétique dans le supplément qu'on fait à l'Encyclopédie . Les libraires vous en témoigneraient leur reconnaissance de la manière dont vous trouveriez à propos . On vous garderait le secret, et vous contribueriez à la perfection d'un ouvrage qui peut être utile .
Bonsoir, ne laissez pas flétrir la mémoire d'Abauzit. 3»
1 Voir lettre du 13 décembre 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/06/02/6550341on-n-en-parlera-qu-apres-l-arrangement-ou-derangement-des-finances-q.html
2 Moultou a déjà vu l'annonce, et protesté dans une lettre datée du 9 décembre qui paraîtra dans les Nouvelles de divers endroits le 20 décembre .
3 Grâce à l'édition de ses œuvres ; voir encore la lettre du 13 décembre à Moultou .
09:53 | Lien permanent | Commentaires (0)
il met à ses pieds le petit amusement qu’il a l’honneur de lui envoyer
... Indémodable Pierre Desproges : dédié à Trump, Ciotti, Mélenchon pour ne citer que ceux qui brillent le plus en ce moment : https://www.youtube.com/watch?v=MQng78lYrQU&ab_channel=InaPierreDesproges.%C3%89tonnant%2Cnon%3F
et : https://www.youtube.com/watch?v=uayg3eNvu5o&ab_channel=InaPierreDesproges.%C3%89tonnant%2Cnon%3F
« A Joseph-Michel-Antoine Servan
20è décembre 1769 à Ferney
L’ermite du mont Jura présente ses tendres respects au Cicéron du Dauphiné, et qui doit l’être de la France.
Le vieux malade de Ferney est très inquiet de la santé de l’ermite de Romans ; il met à ses pieds le petit amusement qu’il a l’honneur de lui envoyer.
M. Dupuits lui a parlé du plus beau discours qu’on ait encore fait à la rentrée. Il lui a parlé aussi d’une lettre et d’un extrait dont il dit que M. de Servan avait bien voulu l’honorer, mais qu’il n’a point reçus.
L’ermite de Ferney dit pour seule prière à Dieu : « Que M. Servan vive ! »
00:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
04/06/2025
porter à mon crédit sur votre livre
... ma volonté de vouloir bien rencontrer Poutine à tout moment !" dit Volodymyr Zelensky : https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4156822-20250604-direct-guerre-ukraine-secretaire-conseil-securite-russe-pyongyang-rencontrer-kim-jong
« A Gaspard-Henri Schérer
Voici, monsieur, deux petites lettres de change que je vous supplie d'avoir la bonté de faire recevoir, et de porter à mon crédit sur votre livre .
J'ai l'honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire.
20è décembre 1769 à Ferney. 1»
1 Original signé . Le manuscrit est endossé : « £ 1868-ensemble » et « reçue le 21 decbre ».
17:34 | Lien permanent | Commentaires (0)
Pourvu que je remplisse cette condition il n'a nul droit de m’inquiéter
... Ainsi parle le Premier ministre bulgare, Rossen Jeliazkov qui se réjouit de la décision du Parlement européen pour la rentrée prochaine de la Bulgrie dans la zone euro : https://www.euractiv.fr/section/economy-jobs/news/la-bulg...
« A Charles de Brosses, baron de Montfalcon
Au château de Ferney 20è décembre 1769 1
Je suis bien sûr, monsieur, que ce n'est pas de votre aveu que le sieur Girod veut m'empêcher de me chauffer . Il doit savoir que par mon contrat je dois laisser soixante arbres par arpent dans le bois de Tournay dont j'ai la pleine jouissance . Pourvu que je remplisse cette condition il n'a nul droit de m’inquiéter .
Votre fermier prenait six moules de bois par an, et moi qui ai acheté la terre à vie, je n'y ai pas pris un fagot depuis dix ans .
Aujourd'hui je fais ébrancher les arbres, et le sieur Girod veut me troubler dans cet exercice de mon droit incontestable . C'est bien le moins, monsieur, que je puisse me chauffer du bois d'une terre que j’ai si chèrement achetée . Vous savez que je m'en rapporterai uniquement à vous . Vous fîtes mettre dans le contrat qu'elle valait trois mille cinq cents livres de rente . Vous savez que je ne l'ai pu affermer que douze cents livres avec quelques chars de fourrage et de vin estimés trois cents livres . Je vous ai payé comptant trente-cinq mille livres . Vous exigeâtes pour douze mille livres de réparations, j'en ai fait pour vingt mille livres dont j'ai les quittances . Ainsi pour cinquante mille livres j'ai eu quinze cents livres de rente viagère à l'âge de soixante-six ans . Je ne m'en repens pas, monsieur, puisque j'ai tout fait sur votre parole . Mais il serait bien cruel qu'on abusât de ma bonne foi, de ma facilité et de ma vieillesse jusqu’à se servir de votre nom pour vouloir me priver d'un droit expressément stipulé dans notre contrat . Je demande justice à vous-même, et je vous supplie d'avoir la bonté d'ordonner à votre procureur Girod de ne me pas molester davantage ; je vous serai très obligé, et je regarderai cette justice comme une faveur.
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
1 Original signé ; éd. Emile Deberre, La Vie littéraire à Dijon au XVIIIè siècle, 1902 . De Brosses a porté sur le manuscrit : « Volt, ébranchage ».
17:14 | Lien permanent | Commentaires (0)
Vous devriez bien, quand vous aurez du loisir, ne pas oublier A,B,C,D,E,F, de la Jurisprudence
... Conseil amical au Garde des Sceaux par delà les siècles .
« A Charles-Frédéric-Gabriel Christin fils
Avocat en Parlement
à Saint-Claude
16è décembre 1769 1
Le solitaire de Ferney fait mille compliments au philosophe de Saint-Claude . S'il se portait mieux il pourrait faire donner les étrivières au carme, mais il est trop malade pour entrer dans ces petites discussions . La sottise, et l'insolence du carme aurait été dangereuse au quatorzième siècle, mais dans celui-ci on peut prendre le parti d'en rire . Je me trouve d'ailleurs entre le bon et le mauvais larron, entre Bayle et Jean-Jacques .
Vous devriez bien, quand vous aurez du loisir, ne pas oublier A,B,C,D,E,F, de la Jurisprudence .Voila tout ce qu'on vous demanderait pour le présent, vous auriez tout le temps que vous voudriez pour le reste .
Mme Denis et moi vous souhaitons la bonne année ; nous aurions bien voulu la finir et la commencer avec vous . »
1 Original ; éd. Kehl qui amalgame des versions abrégées de la présente et de la lettre du 11 décembre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/05/31/pourvu-que-dans-un-mois-on-ait-quelques-morceaux-de-jurispru-6550081.html
00:10 | Lien permanent | Commentaires (0)
en vertu de ces promesses on n'a rien trouvé
... que des tenues, des non tenues, des presque tenues ô M. Macron : https://www.luipresident.fr/emmanuel-macron/
« Marie-Louise Denis et Voltaire
à Gabriel Cramer
[décembre 1769]
Mme Denis a envoyé chez Jacob chercher les volumes du Siècle de Louis XIV, en vertu de la promesse que monsieur Cramer lui avait faite, et en vertu de ces promesses on n'a rien trouvé . Comme on envoie ce qu'on appelle une barotte 1 à Genève, si ce qu' a promis monsieur Cramer était prêt, cette barotte pourrait le ramener aujourd'hui mercredi . Mme Denis lui fait bien ses compliments .
Le vieil oncle en fait autant et recommande très fort à monsieur Cramer de prendre vite un parti pour l’édition du supplément de l'Encyclopédie 2, attendu que la vie est courte . J'entends la vie de l'oncle, car pour celle d'un homme aussi dodu et aussi gai que monsieur Cramer elle sera celle de Mathusalem. »
1 Patois genevois et romand , du pays de Gex et Savoie : une brouette ; moyen de transport étonnant pour une telle distance . Mme Denis veut sans doute dire un barrot, à savoir une charrette à bras .
Voir Jean Humbert, Nouveau Glossaire genevois, 1852 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50673v/f69.image.r=barrot
2 Apparemment la publication projetée par Panckoucke qui désormais a pris dans l'esprit de V* la forme des Questions sur l'Encyclopédie ; voir lettre d'octobre-novembre 1768 à Panckoucke : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/05/10/dans-une-histoire-il-y-a-toujours-plusieurs-choses-mal-sonna-6497784.html
et 24 mai 1769 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/11/29/on-dit-que-nous-aurons-bientot-des-choses-tres-curieuses-qui-6525103.html
00:05 | Lien permanent | Commentaires (0)