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18/10/2025

Nous servons avec la plus grande économie, et par là nous méritons la protection du ministère

... Est-ce pour cela que la première visite officielle de M. Lecornu premier ministre a été pour un commissariat de police ? 

https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/lecornu-2-0-quand-le-premier-ministre-se-visite-lui-meme-19599082.html

 

 

« A Louise-Honorine Crozat du Châtel, duchesse de Choiseul

À Ferney,11 mai 1770, faubourg de Versoix 1

Mademoiselle,

Nous autres capucins, nous ressemblons aux amoureux dans les comédies : ils s’adressent toujours aux demoiselles suivantes pour s’introduire auprès de la maîtresse du logis. Je prends donc la liberté de vous importuner par ces lignes, pour vous demander si nous pourrions prendre l’extrême liberté d’envoyer de notre couvent à Mme la duchesse de Choiseul les six montres que nous venons de faire à Ferney. Nous les croyons très jolies et très bonnes, mais tous les auteurs ont cette opinion de leurs ouvrages.

Nous avons pensé que, que dans le temps du mariage et des fêtes, ces productions de notre manufacture pourraient être données en présent, soit à des artistes qui auraient servi à ces fêtes, soit à des personnes attachées à madame la dauphine. Le bon marché plaira sans doute à M. l’abbé Terray, puisqu’il y a des montres qui ne coûteront que onze louis chacune, et que la plus chère, garnie de diamants, n’est mise qu’à quarante-sept louis. Celle où est le portrait du roi en émail avec des diamants n’est que de vingt-cinq  ; et celle où est le portrait de monseigneur le dauphin avec une aiguille en diamants n’est que de dix-sept. Tout cela coûterait à Paris un grand tiers de plus. Nous servons avec la plus grande économie, et par là nous méritons la protection du ministère.

Des gens qui sont au fait du secret de la cour nous assurent que le ministre des affaires étrangères et le premier gentilhomme de la chambre font des présents, au nom du roi, dans l’occasion présente ; mais nous ne savons comment nous y prendre pour obtenir la protection de votre bienfaisante maîtresse ; nous craignons qu’elle ne nous prenne pour des impertinents qui ne savent pas leur monde.

Cependant la charité nous oblige de représenter qu’il faut aider notre colonie naissante de Ferney, qui n’est composée, jusqu’à présent, que de soixante personnes, lesquelles n’ont chacune que leurs dix doigts pour vivre.

C’est une terrible chose, mademoiselle, qu’une colonie et une manufacture. Nous espérons que votre maîtresse indulgente aura pitié de nous, malgré les injures que nous lui avons dites. Nous sommes importuns, il est vrai ; mais nous savons qu’il faut faire violence au royaume des cieux 2, comme dit l’autre. Ainsi, mademoiselle, nous demandons votre puissante protection auprès de madame la duchesse, et nous prierons Dieu pour elle et pour vous, ce qui vous fera grand bien.

Je vous supplie en mon particulier, mademoiselle, de me mettre à ses pieds, longs de quatorze pouces de roi ; j’ai l’honneur de demeurer en Christ, mademoiselle, votre très humble et très obéissant serviteur

Frère François, capucin indigne.

Les prix sont marqués sur un petit morceau de parchemin attaché aux montres, et il faudra ôter un petit morceau de papier qui arrête le coq 3 et le balancier quand on voudra les faire cheminer .

Permettez-moi, mademoiselle, d’ajouter à ma lettre que, si monseigneur le duc ou madame la duchesse montrait au roi la montre en diamants avec trois fleurs de lis, et celle où est son portrait, il serait émerveillé qu’on ait fait telles choses dans notre village 4. »

1 Copie par Wyart portant en tête « à madelle la première ou la seconde femme de chambre de mad[ame] la d[uchesse] de Choiseul ».

Éditeurs, de Cayrol et François. — Cette lettre est censée adressée à la première ou à la seconde de ses femmes de chambre.

2 Évangile de Matthieu, XI, 12 : https://saintebible.com/matthew/11-12.htm

3 Le coq est le petit plateau auquel est attaché le balancier ; voir : https://forumamontres.forumactif.com/t139039-qu-est-ce-le-coq

4 MM. de Cayrol et François ont publié une réponse, sans nom d’auteur :

« Chanteloup, 19 mai.

Monsieur, nous avons reçu avec autant d’étonnement que de reconnaissance la lettre dont vous nous avez honorées. Notre étonnement porte sur notre bonne fortune, et notre reconnaissance sur la gloire qui nous en reviendra : car nous savons que vous avez le don de rendre célèbres tous ceux dont vous parlez, témoin les compilations de M. l’abbé Trublet, et à plus forte raison sans doute ceux à qui vous parlez. Nous ne savons pas de qui vous tenez ce don, si c’est de Dieu, du diable ou de votre père saint François. Mais de quelque part qu’il vous vienne, nous le révérons, pourvu qu’il nous rende célèbres, car les femmes aiment la célébrité, et nous pensons que les femmes de chambre l’aiment plus que toutes les autres femmes, d’après ce que nous avons entendu dire à notre maîtresse, que les objets s’agrandissent dans l’éloignement. N’allez pas cependant vous imaginer, monsieur, que nous vous donnions notre maîtresse pour un bel esprit, parce qu’elle nous jette comme cela à la tête quelques belles maximes auxquelles nous n’entendons rien, ni elle non plus ; c’est au contraire une très-bonne personne dont nous nous moquons toute la journée, et à laquelle nous rions au nez, sans qu’elle s’en fâche. Elle est si bête qu’elle s’est écriée, en lisant votre lettre et en voyant la boîte, qu’elle aimait autant ce que vous faites que ce que vous dites, comme si c’était vous qui eussiez fait ces montres, et qu’une montre valût un poème épique. Heureusement pour elle que ce qu’elle fait vaut souvent mieux que ce qu’elle dit. Elle s’est affligée d’être en province ; craignant d’avoir perdu le moment favorable pour le débit de vos montres, elle les a envoyées sur-le-champ à son mari, qui a un bureau suivant la cour, et elle l’a menacé de les prendre toutes sur son compte, quoiqu’elle n’ait pas le sou, s’il ne trouvait pas le moyen de les prendre sur celui du roi.

Vous voyez, monsieur, par ce procédé, qu’elle n’a pas conservé d’aigreur du mal que vous avez dit d’elle, et même de votre dernière épigramme ; vous verrez qu’elle ne l’aura pas entendue.

Si vous êtes content de la façon dont nous nous sommes acquittées de votre commission, nous espérons, monsieur, que vous continuerez à nous honorer de vos ordres. Nous ne demandons pas mieux que d’avoir affaire à vous, et nous serons très-flattées que vous ayez affaire à nous car nous sommes d’une humeur fort obligeante. C’est dans ces sentiments que nous avons l’honneur d’être avec respect, monsieur, vos très-humbles et très-obéissantes servantes.

Angélique, Marianne. »

17/10/2025

il faut pourtant que je prenne la liberté de vous proposer une négociation mondaine, et que je vous demande votre protection.

... Et surtout "Au travail !" comme le dit si bien M. Lecornu, premier ministre-bouc émissaire . Pendant ce temps le crétinisme continue de fleurir à LFI et les acrobaties pour échapper à l'échec au RN . Vals et Retailleau remâchent leur bile noire et continuent de faire la gueule . 

 

 

« Au Cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis

11è mai 1770 à Ferney

Quoique je sois, monseigneur, fort près d’aller voir saint François d’Assise, le patron du Pape et le mien, il faut pourtant que je prenne la liberté de vous proposer une négociation mondaine, et que je vous demande votre protection.

Je ne sais si Votre Éminence est informée que M. le duc de Choiseul établit une ville nouvelle à deux pas de mon hameau. On a déjà construit sur le lac de Genève un port qui coûte cent mille écus. Les bourgeois de Genève, gens un peu difficiles à vivre, ont conçu une grande jalousie de cette ville, qui sera commerçante ; et, depuis que je suis capucin, ils ont craint que je ne convertisse leurs meilleurs ouvriers huguenots, et que je ne transplantasse leurs ouailles dans un nouveau bercail, comme de fait, grâce à saint François, la chose est arrivée.

Vous n’ignorez pas qu’il y eut beaucoup de tumulte à Genève il y a trois mois. Les Bourgeois, qui se disent nobles et seigneurs, assassinèrent quelques Genevois qui ne sont que Natifs : les confrères des assassinés, ne pouvant se réfugier dans la ville de M. le duc de Choiseul, parce qu’elle n’est pas bâtie, choisirent mon village de Ferney pour le lieu de leur transmigration ; ils se sont répandus aussi dans les villages d’alentour. Je les ai convertis à moitié, car ils ne vont plus au prêche . Il est vrai qu’ils ne vont pas non plus à la messe ; mais on ne peut pas venir à bout de tout en un jour, et il faut laisser à la grâce le temps d’opérer. Ce sont tous d’excellents horlogers ; ils se sont mis à travailler dès que je les ai logés.

J’ai pris la liberté d’envoyer au roi de leurs ouvrages ; il en a été très content, et il leur accorde sa protection. M. le duc de Choiseul a poussé la bonté jusqu’à se charger de faire passer leurs montres en Espagne . Nous voudrions bien faire passer leurs 1 ouvrages à Rome. Notre dessein est de ruiner maintenant le commerce de Genève, et d’établir celui de Ferney.

Nos montres sont très bien faites, très jolies, très bonnes, et à bon marché.

La bonne œuvre que je supplie Votre Éminence de faire est seulement de daigner faire chercher par un de vos valets de chambre, ou par quelque personne en qui vous aurez confiance, un honnête marchand, établi à Rome, qui veuille se charger d’être notre correspondant. Je vous réponds qu’il y trouvera son avantage.

Les entrepreneurs de la manufacture lui feront un envoi, dès que vous nous aurez accordé la grâce que nous vous demandons.

Je suis enchanté de mes nouveaux hôtes ; ils sont tous d’origine française. Ce sont des citoyens que je rends à la patrie, et le roi a daigné m’en savoir gré. C’est cela seul qui excuse la liberté que je prends avec vous. Cette négociation devient digne de vous, dès qu’il s’agit de faire du bien. La plupart de ces familles sont languedochiennes 2; c’est encore une raison de plus pour toucher votre cœur.

Si Catherine II prend Constantinople, nous comptons bien fournir des montres à l’Église grecque ; mais nous donnons de grand cœur la préférence à la vôtre, qui est incomparablement la meilleure, puisque vous en êtes  cardinal. La triomphante Catherine m’a donné rendez-vous à Athènes 3. Je n’y trouverai personne que je vous puisse vous comparer, quand il descendrait d’Homère ou d’Hésiode en droite ligne. Mais en trouverais-je beaucoup à Rome ?

Que Votre Éminence conserve ses bontés à frère François, capucin indigne.

V. »

1 Cette phrase depuis leurs de la ligne précédente manque dans toutes les éditions, certainement à la suite d'un « saut du même au même ».

2 Forme d'adjectif constante chez V*, voir lettre du 30 janvier 1763 à Debrus : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/12/29/cette-tyrannie-me-deplait-terriblement-6012293.html

3 La lettre de Catherine à ce sujet manque.

16/10/2025

J'emploie les premiers moments ... à vous féliciter des beaux jours que vous préparez à votre patrie

... Et vos mentions de censure, vous pouvez vous les mettre où je pense !" , telle doit être la prise de position et la déclaration du premier ministre s'il veut ne pas se faire laminer par les démolisseurs de droite et de gauche qui se fichent complètement de la patrie .

 

 

« A Giuseppe Pezzana

Au château de Ferney ce 10 mai 1770 1

Monsieur,

La raison qui m'empêche de venir admirer à Parme tout ce que fait votre auguste souverain 2 pour l’honneur de l'Italie, m'a empêché aussi d'avoir l'honneur de vous remercier . Je sors à soixante et seize ans d'une maladie qui m'a mis au bord du tombeau .

J'emploie les premiers moments de ma convalescence qui ne peut guère être longue, à vous féliciter des beaux jours que vous préparez à votre patrie . Si les auteurs suivent vos règles, voilà un nouveau Cinquecento qui approche . Je m'y intéresse autant que si je pouvais en être témoin . J'ai l'honneur d'être avec la plus respectueuse estime,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

1 Ed. Novelle litterarie di Firenze, 1770 .

2 Ferdinand Pezzana avait envoyé à V* le 6 avril le Programme adressé aux poètes italiens par S.A.R. l'infant de Parme, dans le Mercure de France de juin 1770 ; ce programme offre des prix pour les meilleures pièces qui seraient composées en Italie . Voir pages 195- 202: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3746629s/f197.item

15/10/2025

Nous touchons au moment d’une grande révolution dont l’opéra-comique de Paris ne se doute pas

... On a en ce moment quelques ingrédients fournis par les oppositions au gouvernement pour écrire un épisode de série télévisée, de mauvais goût . Point de révolution, juste du rabâchage et des surenchères ridicules qui ne font pas rire .  

 

 

« A Gottlob Louis, comte de Schomberg

8 mai 1770

Frère François, monsieur, est pénétré de la bonté que vous avez de mettre dans le tronc pour faire placer son image dans une niche . Il vous supplie de ne pas oublier l’auréole.

Comme il sait qu’on ne canonise les gens qu’après leur mort, il se dispose à cette cérémonie. Une fluxion très violente sur la poitrine le tient au lit depuis un mois. Il tombe encore de la neige au 8 de mai, et il n’y a pas un arbre qui ait des feuilles. Si j’étais moins vieux et plus alerte, je crois que j’irais passer la fin de mes jours en Grèce, dans le pays de mes maîtres Homère, Sophocle, Euripide et Hérodote. Je me flatte qu’à présent Catherine seconde est maîtresse de ce pays-là. Les Lacédémoniens et les Athéniens reprennent courage sous ses ordres. Nous touchons au moment d’une grande révolution dont l’opéra-comique de Paris ne se doute pas. Saint Nicolas va chasser Mahomet de l’Europe ; je dois en bénir Dieu en qualité de capucin.

On dit 1 que frère Ganganelli a supprimé la belle bulle In cœna Domini, le dernier jeudi de l’absoute ; cela est d’un homme sage.

Si vous voyez mon cher commandant 2, je vous prie, monsieur, de vouloir bien entretenir la bienveillance qu’il veut avoir pour moi, et de me conserver la vôtre , elle fait ma consolation dans le triste état où je suis . Agréez mon tendre respect et ma bénédiction.

Frère François, capucin indigne. »

2 Jaucourt .

les gens condamnés par leurs juges ont permission de leur dire des injures...Il n’est pas permis d’écrire une histoire contemporaine autrement qu’en consultant avec assiduité et en confrontant tous les témoignages... tout n'est pas égal

... Voir les amis de Sarkozy et ceux de Marine Le Pen , délinquants en paroles quand ce n'est pas aussi en actes .

 

 

« A Damilaville » [Lettre fictive]

Au château de Ferney 7 mai 1762 [1770]

Par quel hasard s’est-il pu faire, mon cher ami, que vous ayez lu quelques feuilles de l’Année littéraire de maître Aliboron ? chez qui avez-vous trouvé ces rapsodies ? il me semble que vous ne voyez pas d’ordinaire mauvaise compagnie. Le monde est inondé des sottises de ces folliculaires qui mordent parce qu’ils ont faim, et qui gagnent leur pain à dire de plates injures.

Ce pauvre Fréron 1 à ce que j’ai ouï dire, est comme les gueuses des rues de Paris, qu’on tolère quelque temps pour le service des jeunes gens désœuvrés, qu’on renferme à l’hôpital trois ou quatre fois par an, et qui en sortent pour reprendre leur premier métier.

J’ai lu les feuilles que vous m’avez envoyées. Je ne suis pas étonné que maître Aliboron crie un peu sous les coups de fouet que je lui ai donnés. Depuis que je me suis amusé à immoler ce polisson à la risée publique sur tous les théâtres de l’Europe  il est juste qu’il se plaigne un peu. Je ne l’ai jamais vu, Dieu merci. Il m’écrivit une grande lettre, il y a environ vingt ans. J’avais entendu parler de ses mœurs, et, par conséquent, je ne lui fit point de réponse. Voilà l’origine de toutes les calomnies qu’on dit qu’il débita contre moi dans ses feuilles. Il faut le laisser faire ; les gens condamnés par leurs juges ont permission de leur dire des injures.

Je ne sais ce que c’est qu’une comédie italienne qu’il m’impute, intitulée : Quand me mariera-t-on  2? Voilà la première fois que j’en ai entendu parler. C’est un mensonge absurde. Dieu a voulu que j’aie fait des pièces de théâtre pour mes péchés ; mais je n’ai jamais fait de farce italienne. Rayez cela de vos anecdotes.

Je ne sais comment une lettre que j’écrivis à milord Littleton et sa réponse sont tombées entre les mains de ce Fréron ; mais je puis vous assurer qu’elles sont toutes deux entièrement falsifiées. Jugez-en, je vous en envoie les originaux.

Ces messieurs les folliculaires ressemblent assez aux chiffonniers qui vont ramassant des ordures pour faire du papier.

Ne voilà-t-il pas encore une belle anecdote, et bien digne du public, qu’une lettre de moi au professeur Haller, et une lettre du professeur Haller à moi ! Et de quoi s’avisa M. Haller de faire courir mes lettres et les siennes ? et de quoi s’avise un folliculaire de les imprimer et de les falsifier pour gagner cinq sous ? Il me la fait signer du château de Tournay, où je n’ai jamais demeuré.

Ces impertinences amusent un moment des jeunes gens oisifs, et tombent dans le moment d’après dans l’éternel oubli où tous les riens de ce temps-ci tombent en foule.

L’anecdote du cardinal de Fleury sur le Quemadmodum que Louis XIV n’entendait pas est très vraie. Je ne l’ai rapportée dans le Siècle de Louis XIV que parce que j’en étais sûr ; et je n’ai point rapporté celle du Niticorax parce que je n’en étais pas sûr. C’est un vieux conte qu’on me faisait dans mon enfance au collège des jésuites, pour me faire sentir la supériorité du Père de La Chaise sur le grand-aumônier de France . On prétendait que le grand-aumônier, interrogé sur la signification de Niticorax, dit que c’était un capitaine du roi David, et que le révérend père La Chaise assura que c’était un hibou ; peu m’importe, et très peu m’importe encore qu’on fredonne pendant un quart d’heure, dans un latin ridicule, un Niticorax grossièrement mis en musique.

Je n’ai point prétendu blâmer Louis XIV d’ignorer le latin ; il savait gouverner, il savait faire fleurir tous les arts, cela valait mieux que d’entendre Cicéron. D’ailleurs cette ignorance du latin ne venait pas de sa faute, puisque dans sa jeunesse il apprit de lui-même l’italien et l’espagnol.

Je ne sais pas pourquoi l’homme que le folliculaire fait parler me reproche de citer le cardinal de Fleury, et s’égaie à dire que j’aime à citer de grands noms. Vous savez, mon cher ami, que mes grands noms sont ceux de Newton, de Locke, de Corneille, de Racine, de La Fontaine, de Boileau. Si le nom de Fleury était grand pour moi, ce serait le nom de l’abbé de Fleury, auteur des discours patriotiques et savants, qui ont sauvé de l’oubli son Histoire ecclésiastique ; et non pas le cardinal de Fleury que j’ai fort connu avant qu’il fût ministre, et qui, quand il le fut, fit exiler un des plus respectables hommes de France, l’abbé Pucelle, et empêcha bénignement pendant tout son ministère qu’on ne soutînt les quatre fameuses propositions sur lesquelles est fondée la liberté française dans les choses ecclésiastiques.

Je ne connais de grands hommes que ceux qui ont rendu de grands services au genre humain.

Quand j’amassai des matériaux pour écrire le Siècle de Louis XIV, il fallut bien consulter des généraux, des ministres, des aumôniers, des dames et des valets de chambre. Le cardinal de Fleury avait été aumônier, et il m’apprit fort peu de chose. M. le maréchal de Villars m’apprit beaucoup pendant quatre ou cinq années de temps, comme vous le savez ; et je n’ai pas dit tout ce qu’il voulut bien m’apprendre.

M. le duc d’Antin me fit part de plusieurs anecdotes, que je n’ai données que pour ce qu’elles valaient.

M. de Torcy fut le premier qui m’apprit, par une seule ligne en marge de mes questions, que Louis XIV n’eut jamais de part à ce fameux testament du roi d’Espagne Charles II, qui changea la face de l’Europe.

Il n’est pas permis d’écrire une histoire contemporaine autrement qu’en consultant avec assiduité et en confrontant tous les témoignages. Il y a des faits que j’ai vus par mes yeux, et d’autres par des yeux meilleurs. J’ai dit la plus exacte vérité sur les choses essentielles.

Le roi régnant m’a rendu publiquement cette justice : je crois ne m’être guère trompé sur les petites anecdotes, dont je fais très peu de cas ; elles ne sont qu’un vain amusement. Les grands événements instruisent.

Le roi Stanislas, duc de Lorraine, m’a rendu le témoignage authentique que j’avais parlé de toutes les choses importantes arrivées sous le règne de Charles XII, ce héros imprudent, comme si j’en avais été le témoin oculaire.

A l’égard des petites circonstances, je les abandonne à qui voudra ; je ne m’en soucie pas plus que de l’histoire des quatre fils Aymon.

J’estime bien autant celui qui ne sait pas une anecdote inutile que celui qui la sait.

Puisque vous voulez être instruit des bagatelles et des ridicules, je vous dirai que votre malheureux folliculaire se trompe, quand il prétend qu’il a été joué sur le théâtre de Londres, avant d’avoir été berné sur celui de Paris par Jérôme Carré. La traduction, ou plutôt l’imitation de la comédie de L’Écossaise et de Fréron, faite par M. George Kolman, n’a été jouée sur le théâtre de Londres qu’en 1766, et n’a été imprimée qu’en 1767, chez Beket et de Hondt. Elle a eu autant de succès à Londres qu’à Paris, parce que par tout pays on aime la vertu des Lindanes et des Freeports, et qu’on déteste les folliculaires qui barbouillent du papier, et mentent pour de l’argent. Ce fut l’illustre Garrick qui composa l’épilogue. M. George Kolman m’a fait l’honneur de m’envoyer sa pièce ; elle est intitulée : The English Merchant.

C’est une chose assez plaisante, qu’à Londres, à Pétersbourg, à Vienne, à Gênes, à Parme, et jusqu’en Suisse, on se soit également moqué de ce Fréron. Ce n’est pas à sa personne qu’on en voulait ; il prétend que L’Écossaise ne réussit à Paris que parce qu’il y est détesté. Mais la pièce a réussi à Londres, à Vienne, où il est inconnu. Personne n’en voulait à Pourceaugnac, quand Pourceaugnac fit rire l’Europe.

Ce sont là des anecdotes littéraires assez bien constatées ; mais ce sont, sur ma parole, les vérités les plus inutiles qu’on ait jamais dites. Mon ami, un chapitre de Cicéron, de Officiis, et de Natura deorum, un chapitre de Locke, une Lettre provinciale, une bonne fable de La Fontaine, des vers de Boileau et de Racine, voilà ce qui doit occuper un vrai littérateur.

Je voudrais bien savoir quelle utilité le public retirera de l’examen que fait le folliculaire, si je demeure dans un château ou dans une maison de campagne. J’ai lu dans une des quatre cents brochures faites contre moi par mes confrères de la plume, que madame la duchesse de Richelieu m’avait fait présent un jour d’un carrosse fort joli et de deux chevaux gris-pommelés, que cela déplut fort à M. le duc de Richelieu. Et là-dessus on bâtit une longue histoire. Le bon de l’affaire, c’est que dans ce temps-là M. le duc de Richelieu n’avait point de femme.

D’autres impriment mon portefeuille retrouvé ; d’autres mes Lettres à M. B. et à madame D., à qui je n’ai jamais écrit ; et dans ces lettres, toujours des anecdotes.

Ne vient-on pas d’imprimer les lettres prétendues de la reine Christine, de Ninon Lenclos, etc., etc. ! Des curieux mettent ces sottises dans leurs bibliothèques, et un jour quelque érudit aux gages d’un libraire les fera valoir comme des monuments précieux de l’histoire. Quel fatras ! quelle pitié ! quel opprobre de la littérature ! quelle perte de temps ! 

Je lis actuellement des articles de l'Encyclopédie, qui doivent servir d'instruction au genre humain ; mais tout n'est pas égal , etc.,etc. »

1 Le folliculaire dont on parle est celui-là même qui, ayant été chassé des jésuites, a composé des libelles pour vivre, et qui a rempli ces libelles d’anecdotes prétendues littéraires. En voici une sur son compte :

 Lettre du sieur Royou, avocat au parlement de Bretagne,

Beau-frère du nommé Fréron.

 Mardi matin, 6 Mars 1770.

 « Fréron épousa ma sœur il y a trois ans, en Bretagne ; mon père donna vingt mille livres de dot. Il les dissipa avec des filles et donna du mal à ma sœur. Après quoi, il la fit partir pour Paris dans le panier du coche et la fit coucher en chemin sur la paille. Je courus demander raison à ce malheureux. Il feignit de se repentir. Mais comme il faisait le métier d’espion, et qu’il sut qu’en qualité d’avocat j’avais pris parti dans les troubles de Bretagne, il m’accusa auprès de M. de …, et obtint une lettre de cachet pour me faire enfermer. Il vint lui-même avec des archers dans la rue des Noyers, un lundi, à dix heures du matin, me fit charger de chaînes, se mit à côté de moi dans un fiacre et tenait lui-même le bout de la chaîne, etc. »

 « Nous ne jugeons point ici entre les deux beaux-frères. Nous avons la lettre originale. On dit que ce Fréron n’a pas laissé de parler de religion et de vertu dans ses feuilles. Adressez-vous à son marchand de vin. » 

2 L’Échange, ou Quand est-ce qu’on me marie, pièce dont Voltaire est bien l’auteur. Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99%C3%89change_Avertissement#cite_ref-1

14/10/2025

Je ne puis vous dire à quel point je vous suis obligé de m’avoir gratifié d’un ouvrage  si intéressant

... clament en choeur chacun des nouveaux ministres du gouvernement à M. Lecornu . Choeur repris par les ministres délégués qui sont alors encensés par leurs secrétaires de tout acabit . Alléluiah ! les choux sont gras : https://www.info.gouv.fr/actualite/composition-du-gouvern...

 

 

« A Joseph Uriot 1

Au château de Voltaire 7 mai 1770 2

Il y a deux ans, monsieur, que je passe ma vie dans mon lit. Si ma vieillesse et mes maladies ne me retenaient pas dans cette triste situation, je viendrais remercier monseigneur le duc de Wirtemberg de tout le bien qu’il fait à ses sujets. Vous en avez rendu un compte si vrai et si touchant que le voyage serait aussi pour vous.

Je ne puis vous dire à quel point je vous suis obligé de m’avoir gratifié d’un ouvrage 3 si intéressant . Puisque c’est la vérité qui l’a dicté , il fait autant d’honneur au panégyriste qu’au prince.

Je vous prie de me mettre aux pieds de Son Altesse sérénissime.

J’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que vous méritez, etc.

Voltaire. »

2 Copie ancienne d'après l'édition « Réponse de M. de Voltaire à M. Uriot, bibliothécaire et lecteur de S.A.S. Monseigneur le duc de Wirtemberg, auteur d'un « Discours sur la richesse et les avantages du duché de Wirtemberg, imprimé à Stouckard (sic) en février 1770 », Mercure de France juillet 1770 .

3 Discours sur la richesse et les avantages du duché de Wurtemberg ; 1770, in-4° : https://books.google.fr/books?id=KC549vr8fycC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

13/10/2025

Si je reviens au monde, ce sera pour m’occuper de tout ce qui pourra servir à votre entreprise

... dit le Président ( avant d'aller se faire contempler en Egypte ),  à son Premier ministre ému qui ne pu que lui demander de l'écrire, en vain il est vrai . Toute phrase commençant par "si" dans la bouche d'un politicien laisse autant de chance de réalisation que de gagner le Super Loto , non nulle , mais peu probable . Chat échaudé ...

 

 

« A Élie Bertrand

Conseiller

du roi de Pologne, etc.

à Yverdon

7è mai 1770 à Ferney 1

Je suis beaucoup plus malade, monsieur, que je ne l’étais lorsque j’ai eu la consolation de vous voir avec M. d’Osterwald 2. Si je reviens au monde, ce sera pour m’occuper de tout ce qui pourra servir à votre entreprise 3. Elle m’est plus chère que la manufacture de montres que j’ai établie dans mon village, et qui prospère plus que je ne l’osais espérer.

Vous me ferez un extrême plaisir de m’envoyer

La Primauté du Pape 4,

La Législation du Divorce 5,

et le Traité de l’amitié perpétuelle entre la Pologne et Catherine 6.

J’ai reçu ce que vous avez bien voulu m’envoyer par le coche. Vous me paraissez bien mieux fourni que les libraires de Genève, qui ne vendent que des romans de France et des opéras-comiques.

Je vous demande en grâce, monsieur, de ne vous point constituer [de] frais pour m’envoyer les livres dont vous me gratifiez. Permettez que je vous les rembourse, et envoyez-moi tout ce que vous croirez pouvoir contribuer à la petite Encyclopédie à laquelle j’aurais bien voulu travailler avec vous. J’attends surtout, avec impatience, le Traité de l’amitié perpétuelle ; mais comme il est fait par un ennemi, je crois qu’il faut s’en défier : audi et alteram partem 7. Tout ce que je sais bien positivement, c’est que le prince Repnin 8 lui-même a fourni tous les mémoires à M. Bourdillon 9, et qu’il a fait imprimer deux mille Bourdillons à la Haye.

Ne m’oubliez pas, je vous prie, auprès de M. d’Osterwald.

Votre très fidèle ami V. sans cérémonies. »

1 Original ; éd. Lettres inédites (1818).

2 Frédéric Samuel Osterwald a établi, avec Jean Élie Bertrand , son gendre, la Société typographique de Neuchâtel ; l'un et l'autre souhaitent disposer de la collaboration de V* . On sait assez peu de chose sur les négociations ; le 13 [janvier probablement] 1770 Élie Bertrand, oncle de Jean Élie, y fait allusion d'une façon obscure ( Neuchâtel, 1121, f°227 r ) dans une lettre autographe à Osterwald . Il annonce alors qu'il ne peut encore aller à Ferney, la saison étant trop rude .

3 Spécialement l'Encyclopédie imprimée par la Société typographique à laquelle collabora Bertrand ; voir Charly Guyot, Le rayonnement de l’Encyclopédie en Suisse française ( 1955) : https://archive.org/details/lerayonnementdel0000unse/page/n9/mode/2up

5 De Cerfvol, Législation du divorce, précédé du cri d'un honnête homme qui se croit fondé en droit naturel et divin à répudier sa femme, 1769 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1091942d/f2.item.texteImage

7 Saint Augustin, De duabus animabus, XIV, ii : https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1963_num_61_69_5199_t1_0119_0000_1

Trad. : J’écoute aussi l'autre partie . En fait V* n'écoute en l’occurrence que l'une des parties , voir lettre du 15 juin 1771 à la princesse de Talmont : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1771/Lettre_8308

8Précisément, le prince Repnin a été l'exécutant principal de la politique de Catherine II à l'égard de la Pologne sous le prétexte des « dissidents » .

9 Ce Bourdillon est V* lui-m^me . C’est sous ce nom que Voltaire a donné son Essai historique et critique sur les dissensions des églises de Pologne ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/461

et voir lettre du 25 août 1767 à Vorontsov: http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/04/13/je-suis-idolatre-de-trois-choses-de-la-liberte-de-la-toleran-6438089.html

et du 7 octobre 1767 à Golitsin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/05/15/une-assez-longue-maladie-ne-m-a-pas-permis-encore-de-lire-le-6443262.html