13/09/2014
Jugez quel est mon attachement pour ces deux ministres, et à quel point je suis bon Français
... Oups ! Ex-ministres ! Montebourg-Filipetti les rois des galipettes pour lesquelles ils semblent avoir plus de disposition que pour le travail . Les paris sont ouverts, combien de temps vont-ils rester ensemble ? Plus ou moins qu'au gouvernement ?
« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck
14 août [1759]1
Il n'y a pas moyen, madame, de songer à d'autres tragédies qu'à celle qui vient d’ensanglanter les environs de Minden 2 et de plonger toute la France dans la douleur et dans le deuil . Je me flatte qu'au moins vos braves autrichiens et les russes répareront cette perte, et je me flatte surtout que notre ministère ne se découragera pas . On a mené à la boucherie une armée florissante, on l'a fait combattre pendant quatre heures contre quatre-vingts pièces de canon, il n'y a d'autre parti à prendre qu'à envoyer une nouvelle armée avec un nouveau général .
Je suis très persuadé que M. le comte de Choiseul vous assurera bientôt combien la cour de France est inébranlable . Il n'appartient pas à un solitaire obscur tel que je le suis d'oser dire ce qu'il pense sur des objets si importants , mais je peux dire au moins ce que je souhaite . Je suis pénétré des bontés de mon roi ; il m'a fait une grâce bien singulière, il a déclaré ma terre de Ferney, qui est sur la lisière de France, indépendante et libre . Elle l'avait été autrefois, mais de si beaux privilèges étaient perdus . Je dois même à M. le comte de Choiseul cette faveur dont M. le duc de Choiseul m'a fait honorer par le roi . Jugez quel est mon attachement pour ces deux ministres, et à quel point je suis bon Français, quoique moitié genevois et moitié suisse . Soyez bien sûre que je suis pas moins autrichien . Je pousse mon zèle jusqu'à être russe car je fais imprimer à présent l'histoire de Pierre premier . Ce n'est pas assez d'être autrichien, russe et français, je suis surtout aldembourgeois, et je m'intéresse plus que jamais à votre procès .
Je me garderai bien d'oser écrire à cet illustre avocat plein de génie dont vous me faites l'honneur de me parler . Il est vrai que j'écris quelquefois à l'adverse partie, mais ce n'est pas sans raison ni sans permission expresse de la part des intéressés . Voilà ce que vous pouvez assurer madame au généreux triangle 3. Je lève les mains au ciel pour lui depuis cinq ans, je ne me connais point en affaires . Mais s'il ne s'agissait que de la production de certaines pièces je pourrais me féliciter de n’avoir pas nui à la cause . Vous connaissez mes sentiments, vous savez tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire sur votre procès . Il s'est passé depuis des choses uniques et qui certainement vous plairaient autant qu'elles vous surprendraient . Je ne suis point , madame, comme ce M. de Larré qui ne voulait pas que vous eussiez votre terre de Knip-hausen, et qui vous trahissait pour M. de Bentheim . En un mot votre avocat doit être très content de moi .
M'est-il permis de présenter ici mes très humbles respects au grand homme dont vous me faites de si justes éloges ? Je le crois dans une grande crise au moment que j'ai l'honneur de vous écrire . Je ne serai point étonné d'apprendre bientôt qu'il y a eu une bataille près de Francfort-sur-l'Oder .
La nièce saucée dans les ruisseaux de Francfort-sur-le-Mein vous est toujours tendrement attachée . L'oncle dont les sentiments ne changent jamais, et à qui vous accordez de la mémoire, est à vos pieds pour toute sa vie, et vous prie de brûler sa lettre . »
1 La lettre à laquelle celle-ci répond ne nous est pas connue .
2 Le 1er août 1759, à la bataille de Minden l'armée française sous les ordres du marquis de Contades subit une défaite décisive de la part de l'armée anglo-allemande commandée par Ferdinand de Brunswick . Mais la façon dont V* présente les faits est inexacte .c'est l'infanterie anglaise qui, quoiqu'exposée au feu de l'artillerie de Contades, défit la cavalerie française et l'aurait peut être mise en déroute sans l'indiscipline de lord George Sackville .
3Le chancelier Kaunitz, appelé ainsi par V*, parce qu'il a réalisé la triple alliance entre la France, l'Empire austro-hongrois et la Russie ; et aussi allusion à sa maison : voir lettre du 15 mai 1756 à la comtesse :
et voir lettre du 9 septembre 1758 à Mme de Bentinck : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/10/22/tout-le-monde-avoue-qu-il-faut-etre-philosophe-qu-il-faut-et.html
Et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Wenzel_Anton_von_Kaunitz-Rie...
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12/09/2014
il n'y a pas d'apparence que j'aille à Paris. Le rôle d'un homme de lettres y est trop ridicule, et celui de philosophe trop dangereux
... Et je ne vous parle pas des risques que court l'homo automobilus !
« A Marie FEL 1
Aux Délices, 7 août [1759]
Très-aimable rossignol, l'oncle et la nièce, ou plutôt la nièce et l'oncle, avaient besoin de votre souvenir. Les gens qui n'ont que des oreilles vous admirent; ceux qui, avec des oreilles, ont du sentiment, vous aiment. Nous nous flattons d'avoir de tout cela. Et sachez, malgré toute votre modestie, que vous êtes aussi séduisante quand vous parlez que quand vous chantez. La société est le premier des concerts, et vous y faites la première partie.
Nous savons bien que nous ne jouirons plus de votre commerce, dont nous avons senti tout le prix ; les habitants des bords de notre lac ne sont pas faits pour être aussi heureux que ceux des bords de la Seine. Voici ce que notre petit coin des Alpes dit de vous :
De rossignol pourquoi porter le nom?
Il est bien vrai qu'ils ont été ses maîtres;
Mais tous les ans, dans la belle saison,
L'Amour les guide en nos réduits champêtres.
Elle n'a pas tant de fidélité;
Elle nous fuit, peut-être nous oublie.
C'est le phénix à jamais regretté,
On ne le voit qu'une fois dans sa vie.
C'est ainsi qu'on vous traite, mademoiselle ; et, quand vous reviendriez, vous n'y gagneriez rien : on vous traiterait seulement de phénix qu'on aurait vu deux fois. Pour moi, quelque forte envie que j'aie de venir vous rendre mes hommages, il n'y a pas d'apparence que j'aille à Paris. Le rôle d'un homme de lettres y est trop ridicule, et celui de philosophe trop dangereux. Je m'en tiens à achever mon château, et ne veux plus en bâtir en Espagne.
Vraiment, vous faites à merveille de me parler de M. de La Borde 2. Je sais que c'est un homme d'un vrai mérite, et nécessaire à l'État. Sono pochissimi signori 3 de cette espèce.
Adieu, mademoiselle ; recevez sans cérémonie les assurances de l'attachement très-véritable de l'oncle et de la nièce. Nos compliments à monsieur votre frère 4. »
1 Marie Fel, née à Bordeaux en 1716, débuta à l'Opéra en 1733, et fit les délices du public jusqu'en 1759, année où elle se retira. (Clogenson.)
Voir lettre du 11 juin 1759 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/07/30/je-me-soumets-d-ailleurs-au-pape-et-a-l-eglise-avec-toute-la-5419958.html
2 Jean Benjamin de La Borde, http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Benjamin_de_La_Borde#cite_ref-5
auquel est adressée, dans la Correspondance, une lettre du 4 novembre 1765.
Ou http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Joseph_de_Laborde#cite_note-13
3 Il y a très peu de gens .
4 Mort fou, à Bicêtre, selon MM. Choron et Fayolle, auteurs du Dictionnaire historique des musiciens.
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11/09/2014
empêcher la lésion qui nous dévore de tous les côtés dans une année fort mauvaise
...
« A [Louis-Gaspard Fabry]
Aux Délices 19 août 1759
Voici monsieur la lettre du procureur de Bellai . Mme Denis et moi nous vous supplions de l'examiner . Nous ne voulons point importuner monsieur l'intendant pour cette bagatelle, nous comptons assez sur votre amitié et sur votre crédit pour nous flatter que vous voudrez bien avoir la bonté de lui écrire, et empêcher la lésion qui nous dévore de tous les côtés dans une année fort mauvaise . Je joindrai ma reconnaissance à celle de Mme Denis . J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments qui vous sont dus
monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire . »
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10/09/2014
avec une centaine de bandes de clinquant , que j'ai , et une centaine d'aunes de verdure et de fleurs que j'attends des mains de vos religieuses, je n'aurai besoin de rien
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« A Ami Camp
à Lyo
17è août [1759]
J'ai arrangé tellement, monsieur, mon théâtre de marionnettes, qu'avec une centaine de bandes de clinquant 1, que j'ai , et une centaine d'aunes de verdure et de fleurs que j'attends des mains de vos religieuses, je n'aurai besoin de rien ; je me flatte que cela ne sera pas cher . Je vous supplie de vouloir bien me dire quand vous croyez que je pourrai avoir ces bouquets sacrés . J'ai l'honneur de vous écrire avant que la poste d'Allemagne soit arrivée, ainsi je ne sais aucune nouvelle . Si vous en savez de la descente en Angleterre, du voyage de la cour à Lyon, et des édits bursaux dont on menace nos bourses très vides, je vous serai fort obligé de m'en faire part . Mme Denis vous remercie de vos bontés encore plus que moi, car c'est elle qui a la rage de la comédie . Mille tendres respects à toute votre société .
Votre très humble et très obéissant serviteur
V. »
1 Voir la lettre du 24 octobre 1759 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/24/on-paye-cher-les-malheurs-de-nos-generaux.html
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09/09/2014
je serais fort aise d'entendre votre parole, quoique ni vous ni moi ne pensions que votre parole soit celle de Dieu
...
« A François-Louis Allamand
pasteur
à Bex
par Vevey Suisse
Au château de Tournay 16 août [1759] 1
Vos lettres sont des cartels d'esprit , monsieur, , mais je vous dirai comme Saint-Evremond mourant à Waller 2, vous me prenez trop à votre avantage . Je ne me porte pas assez bien pour jouer avec votre imagination . Il me paraît que vous ressemblez à Peau-d'Âne qui s'amusait à se parer de pierreries dans un désert entre des rochers 3. Que faites-vous de tant d'esprit dans votre abominable trou ? Vous m'apprenez qu'il y a cinq classes dans le pays de Vaud, mais de tous ces gens-là il n'y en [a] 4 aucun qui ne dût aller en classe sous vous . Il est vrai que le roi m'a accordé tous les privilèges que ma terre de Ferney avait perdus 5. Il m'a fait libre . C'est à mon sens la seule vraie grâce qu'un roi puisse faire . Me voilà français, genevois et suisse , ne dépendant de personne . C'est un sort unique, et c'est ce que je cherchais . Il y a pourtant quelques lois que je suis obligé de suivre . Je ne peux pas faire dire la messe publiquement aux Délices, ni avoir un prêche public à Tournay et à Ferney . Mais je n'y voudrais pourtant d'autre ministre que vous, et je serais fort aise d'entendre votre parole, quoique ni vous ni moi ne pensions que votre parole soit celle de Dieu . Interim vale . »
1 Cette lettre répond à celle du 6 août 1759 .
2 V* reprend souvent cette anecdote qui contient une impossibilité puisque Edmond Waller mourut en 1687, donc bien avant Saint-Evremond .
3 Allamand dans sa lettre entretenait longuement V* de sa lecture des 11 volumes de l'Histoire générale, en commentant : « Par malheur il manque au plaisir et à l'instruction […] quelqu'un avec qui les multiplier en les partageant […] Privé de ce secours , je m’entretiendrai avec vous, monsieur, la plume à la main . N’ayez pas peur […] Je prétends seulement écrire [mes pensées] à la fin de chaque volume dans un cahier en blanc que j'y ai fait coudre à cette intention […] C'est déjà chose à voir que les marges de mon exemplaire, et c’en sera bien une autre après la seconde lecture, car je n'écrirai mes visons que dans le cours de la troisième, et comme elles pourraient s'échapper en l'attendant , à mesure qu'elles passent je les cloue chacune à sa ligne, par une ou plusieurs pointes qui ont la double vertu d'en marquer la place et d'en exprimer l'espèce ; plus d'étoiles que le ciel de Bex n'en a [...] »
4 V* a oublié le verbe .
5 « […] j'ai lu dans la Gazette qu'en votre faveur la cour a remis Ferney au bénéfice des édits […] cela signifierait-il que le prêche y est rétabli ? Car Ferney , avec je ne sais quel autre lieu, furent les seuls du pays de Gex, où l'on nous permit d'avoir temple et ministre depuis l'édit de 1664 . Encore fallut-il bâtir le temple d’aumônes recueillies en Hollande et en Suisse, et ces aumônes produisirent encore de quoi former le fonds nécessaire aux aliments du ministre jusques à la révocation . Qu'est devenu tout cela ? Le fonds doit être au moins, triplé . Faites-nous en raison, et vous voilà raccommodé avec les cinq classes du pays de Vaud » (ibid)
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08/09/2014
Nisi quid non simul esses , coetera laetus / Si ce n'est que nous ne sommes pas ensemble, au demeurant je suis heureux
...
« Au comte Francesco Algarotti
à Bologne
16 août [1759]1
M'avete favorito di due lettere mio caro cigno d'Italia, et di due tragedie una delle quali é dedicata a un papa . Oh che consolation per un povero profano mezzo donnato , di vedere il sacro santo nome d'un sommo pontefice nel' frontispizio d'un dram ! Miseri calvinisti, e jansenisti siate istrutti da questo exempio . Barbari riverite le muse .
Vi ringrazio caro signor mio tutti j vostri favori, et dell' onor che il signor' Agostino Paradi[si] 2 si compiace di far mi . Se il destin' a ordinato che io mora senza aver veduto la bella Italia, sono un poco confortato col' sentir che un de' vostri belli ingegni si degna di rivestire di fregi toscani il moi Cesare franceze . Si placeo, tuum est . Il vostro libraio non e tanto cortese come voi siete . Sospiro in vano per la raccolta dele vostre dilettevole oper .
Remember me while I am alive and remember I ouve all my happiness to liberty . Le roi de France a comblé mon bonheur en déclarant libres les terres que j'ai en France auprès des Délices . There I do not bewail the lost of Argaleon, who writes to me pretty often .3
Nisi quid non simul esses , coetera laetus 4.
V. »
1 On ne connait pas les lettres d'Algarotti .
2 Le mot suivant a provoqué l'omission de la dernière syllabe . Agostino Paradisi avait écrit à V* le 5 août pour lui annoncer qu'il traduisait Tancrède en italien avec La Mort de César et Mahomet .
3 Vous m'avez favorisé de deux lettres mon cher cygne d'Italie, et de deux tragédies dont une est dédiée à un pape . Oh quelle consolation pour un pauvre profane à moitié damné, de voir le nom sacro-saint d'un souverain pontife au frontispice d'un drame ! Misérables calvinistes, et jansénistes, soyez instruits par cet exemple . Barbares recevez les muses . Je vous rends grâces, mon cher monsieur, de toutes vos faveurs, et de l'honneur que le sieur Agostino Paradisi a la complaisance de me faire . Si le destin a ordonné que je meure sans avoir vu la belle Italie, je suis un peu consolé à la pensée qu'un de vos beaux génies daigne embellir d'ornements toscans mon César français . Si par lui je vous plais, il est à vous . Votre libraire n'est pas aussi honnête homme que vous ; je soupire en vain après le recueil de vos œuvres délectables . Souvenez-vous de moi aussi longtemps que je serai en vie, et rappelez-vous que je dois tout mon bonheur à la liberté […] Là je ne pleure pas la perte d'Argaleon, qui m'écrit fort souvent .[...] »
4 Horace , Épîtres, I, x, 30 : Si ce n'est que nous ne sommes pas ensemble, au demeurant je suis heureux .
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07/09/2014
Quoique l'affaire de la poste tienne tous les esprits en alarme, mon cher Cicéron, cependant il faut songer aux malheureux qui sont dans la geôle
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« A Jean Vasserot de Châteauvieux
[août 1759]
Quoique l'affaire de la poste 1 tienne tous les esprits en alarme, mon cher Cicéron, cependant il faut songer aux malheureux qui sont dans la geôle 2. Vous voulez sans doute persévérer dans votre bonne œuvre . Il s'agit de prêter 4365 livres de France . Soit il n'y a qu'à faire le contrat, je donnerai la somme . Je suis tout prêt à signer . Betens n'a qu'à me céder ses quinze settines 3 de mauvais pré à quinze francs par an la settine . On ne l'estime que 12 dans le pays de Gex, 225 par an ,
en quatre ans 900 livres
et autres terres, comme hutins qui en quatre ans puissent compléter le reste de la somme – le tout sans intérêt.
Je suis prêt de lui faire ce plaisir mais il faut de sa part bonne foi et exactitude sans quoi je deviens Mme de La Bâtie 4.
Et tuus semper et idem 5
V. »
1 La décision de la France d'augmenter les tarifs postaux fut discutée par le conseil de Genève le 27 juillet 1759 et souvent encore par la suite .
2 Voir lettre du 14 août au même :
3 « Setine, mesure agraire employée pour les prairies dans le pays de Gex et le Bugey : étendue que six hommes peuvent faucher en un seul jour » .
4 Françoise Turrettini, veuve de David Vasserot, voir lettre du 16 février 1755 à de Ruffey : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/12/01/tout-le-pays-ou-je-suis-s-est-empresse-a-me-donner-les-marqu.html
5 A toi toujours et dans les mêmes sentiments .
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