10/12/2013
Nous n'avons pas de grands génies à Gex. Mais les bœufs sont des aigles quand il s'agit d'intérêt
... Je confirme ce jugement de Voltaire avec une légère mise à jour, ce ne sont plus des aigles mais des vautours qui s'occupent de l'immobilier gessien , en compagnie de hyènes repues . J'emploie des termes un peu forts et au demeurant déplaisant pour les intéressés , mais quand je vois les prix , vous qui n'avez pas un salaire de ministre oubliez tout espoir de vous loger , passez votre chemin avec votre SMIC .
Les agents immobiliers sont gros et gras et possèdent de beaux logements , les vendeurs se font des c... en or , l'argent va à l'argent . Il n'y a bientôt plus la place de planter un poireau .
« A Charles de Brosses, baron de Montfalcon
Vous, monsieur, qui êtes maître en Israël, ayez la bonté d'abord de m'instruire si on doit l'impôt goth et vandale des lods et vente quand on achète pour le temps de sa courte vie. Alors je pourrais avoir l'honneur de transiger avec vous la tête levée quoique chenue, et Mme de Brosses aurait un cent d'épingles. Ce parti serait bien préférable à celui d'un prétendu bail, qui m'exposerait à de grands embarras. Nous n'avons pas de grands génies à Gex. Mais les bœufs sont des aigles quand il s'agit d'intérêt et un commis, un procureur, etc., attraperait Homère et Platon.
Après ce préambule, je dois vous dire que je n'entendrais point du tout garder noble Chouet, fils de noble Chouet, syndic. Je respecte fort les Genevois et les ivrognes il est l'un et l'autre; mais je ne veux point de lui. Il ne demande d'ailleurs qu'à sortir de la terre; il a fait afficher dans la ville de Jean Chauvin 2 qu'il cherchait un sous-fermier, et n'en a point trouvé. Il laisse votre terre dans un état déplorable. Je lui avais acheté du blé pour avoir le plaisir de faire dans mon ermitage des Délices les premières semailles que j'aie faites de ma vie. On n'a pu employer son froment il était plein d'ivraie (ce qui est maudit dans l'Évangile 3), tandis que, dans ma terre de Ferney, j'ai le plus beau froment du monde à deux pas de chez vous. On m'a fait espérer un Suisse qui ne boit point, qui entend l'économie d'une terre, et qui la dirigera sous mes yeux.
Je veux bien consentir à vous laisser mes meubles quand je n'aurai plus pour tout meuble que trois ais de mauvais sapin. Tout ce qui sera sur la terre et dans la terre vous appartiendra mais je veux la forêt, qu'on dégrade et dont j'aurai soin. Je demande les cens 4, tous les droits seigneuriaux, tout ad vitam brevem.5
Mais ces lods et ventes, comment s'en débarrasser? Voilà le grand point . Je n'en dois déjà que trop pour la terre de Ferney le droit goth m'épuise, et je ne suis plus en état de payer des princes. Pourvu que je sois loin d'eux, je suis content. Heureux, monsieur, si je peux avoir l'honneur de traiter avec vous et de recevoir vos ordres! Vous ne doutez pas des sentiments de votre très-humble et obéissant serviteur.
VOLTAIRE,
gentilhomme ordinaire du roi. »
1 Réponse à la lettre du 12 novembre de de Brosses : « DE M. le président de BROSSES 1
A Montfalcon, par Mâcon, le 12 novembre [1758].
Votre dernière lettre, monsieur, vient de m'être renvoyée dans ma terre de Bresse, où je suis venu seul passer une quinzaine de jours pour régler quelques affaires. Je vois que vous voulez me faire plus riche d'un capital de dix mille écus, à moins que je ne le mange, comme cela arrivera infailliblement. Allons, il m'en va coûter mille sept cents francs de rente, que je sacrifie pour procurer à ma vieille terre la gloire de posséder un homme illustre qui l'immortalisera par quelque poème œre perennius.
De grâce faites-lui cet honneur de la chanter à côté du lac, cela ne vous coûte guère. Je vous livrerai donc l'usufruit viager de la seigneurie, du château, et du domaine du château, tel et ainsi qu'en jouit le sieur Chouet par son bail actuel. Je n'entre pas dans le détail des autres articles portés par votre dernier mémoire responsif, parce qu'il se réfère assez au mien, et qu'il me semble que nous sommes à peu près d'accord là-dessus. Reste cette chaîne ou pot de vin, pour laquelle vous offrez à Mme de Brosses une belle charrue à semoir. Mais, outre que j'en ai une ici, je doute qu'elle prenne cela pour un meuble de toilette. Je ne me mêle pas des affaires des femmes. Voyez si vous voulez démêler cette fusée avec elle. Vous êtes galant, vous ferez bien les choses. Et n'allez pas dire: « Je ne suis point galant ce sont mes ennemis qui font courir ce bruit-là » car elle n'en voudra pas croire un mot. Si vous avez quelque proposition honnête à faire pour elle, je m'en chargerai volontiers, et je tâcherai de vous en tirer à meilleur compte. Que si elle est une fois à vos trousses, il faudra les Pères de la Mercy pour vous racheter. Encore elle s'en va à Paris cet hiver, où elle compte manger beaucoup d'argent. Ceci la va rendre âpre comme tous les diables; ma foi, je vous plains.
Dites -moi quand et comment vous voulez que nous fassions les actes; en quel temps à peu près vous voudriez entrer en jouissance; si vous comptez laisser le fermier actuel dans le bail, ou si vous entendez qu'il sera résilié. En ce dernier cas, ceci demande des précautions, et des arrangements à prendre de ma part avec le sieur Chouet. Vous sentez assez que cela ne se peut pas faire dans la première minute; mais cela n'empêcherait pas que vous ne puissiez prendre vos mesures d'avance sur ce que vous pouvez avoir dessein de faire.
Il y a un article qui me peine, quoique ce ne soit pas grand'chose c'est celui des meubles. Quand on rentrera là un jour à venir, il n'y aura que les quatre murailles, et on y sera comme le Fils de l'homme, qui n'a pas où reposer sa tête. Convenons qu'ils vous resteront pour l'usage tels qu'ils y sont, et qu'ils y seront laissés après vous tels qu'ils seront.
Je vous demande en grâce de garder le plus grand secret sur notre traité, non-seulement à cause des arrangements qu'il me faudra faire peut-être avec M. Chouet, mais encore plus à cause des précautions à prendre pour notre utilité réciproque, tant sur l'article des franchises que sur les demandes que l'on pourrait vous faire sur le pied d'une aliénation: si bien qu'il faut que ceci n'ait que l'air extérieur d'un bail à vie. Faites-moi le plaisir de me faire là-dessus la plus prompte réponse qu'il vous sera possible, afin que je puisse prendre sans tarder les mesures nécessaires. Indépendamment de notre affaire, c'est toujours un moment bien agréable pour moi que celui où j'ai l'avantage de recevoir de vos lettres. Je désire avec empressement de vous des sentiments d'amitié; et je puis dire que je les mérite par ceux de la plus grande estime et du plus parfait dévouement que j'ai l'honneur de vous porter.
BROSSES 2. »
« 1 Ceci est une réponse à une lettre de Voltaire qui s'est perdue. Voici comment. Après le décès du président de Brosses et durant l'émigration de ses enfants, M. de Tournay, son frère, resta dépositaire de ses papiers. Ce dernier étant mort le 21 janvier 1793, sa veuve se remaria. Des personnes que j'ai lieu de croire bien informées assurent que le second mari de cette dame avait gaspillé, au profit de quelques curieux, la correspondance de Voltaire avec le président. (Note du premier éditeur.)
2. Dans un catalogue d'autographes, vendus le 17 avril 1880, nous relevons, sous le n° 52, la mention suivante « Lettre de Ch.-L.-Aug. Fouquet, duc de Belle-Isle, maréchal de France, à Voltaire, de Versailles, 12 novembre 17.8. Il se chargera de remettre au ministre de la marine le mémoire qu'il lui a recommandé. »
2 Arbitrairement toutes les éditions corrigent en Cauvin ; or Cauvin, Chauvin, Calvin sans compter les formes latinisées de ce nom, sont autant de formes dialectales du même nom propre qui est à l'origine un diminutif de chauve .
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09/12/2013
vous ne souffrirez plus des articles tels que celui de Femme , de Fat, etc., ni tant de vaines déclamations, ni tant de puérilités et de lieux communs sans principes, sans définitions, sans instructions
... Demain, mardi 10 décembre 2013, au stade de Soccer City à Soweto, match dont je peux vous donner le résultat : Mandela 1 - Reste du monde 0 .
Une foule de gugusses titrés vont bavasser et rivaliser d'éloges pour le défunt qui les réunit, eux qui souvent ne peuvent pas se sentir le reste du temps . Lors de ce festival de vanité et lieux communs, il nous sera heureusement épargné d'entendre la voix française qui n'aurait fait qu'ajouter du rien à l'inutile .
... Jusqu'au trognon !
Combien d'affamés vont mourir seuls, sans secours, sur ce continent, alors qu'on va dépenser des millions pour accompagner et enterrer une dépouille qui n'en demande pas tant, et qui n'en mérite pas tant , les vivants étant plus importants que les morts, selon moi .
Onze mille soldats mobilisés ( ou plutôt immobilisés ) : je suppose que ce n'est pas pour sauver Mandela d'un attentat, ses laudateurs devraient apprécier ces protecteurs .
Qui pourrait m'expliquer les raisons des refus de visas pour le dalaï lama ? Pas assez va-t-en-guerre au goût de l'Afrique du Sud ? Je n'ose l'envisager . Trop mal vu par la Chine qui est un énorme client à chouchouter ? Bingo ! (enfin, je le suppose ).
Donc à tous les amateurs de vacuité, phrases ronflantes, hypocrisie, rendez-vous au reportage du spectacle "Nous l'avons tant aimé que nous sommes heureux qu'il ne souffre plus" , avec un cercueil dans le rôle principal et des pingouins endimanchés pour le choeur .
NDLR - Netanyahu n'a pas voulu casser sa tirelire , le voyage étant, dit-il, trop cher pour l'Afrique du Sud ; je lui conseille de faire la manche dans les territoires palestiniens injustement colonisés, succès assuré , triste faux cul .
« A Denis DIDEROT.
Aux Délices, 16 novembre [1758]
Je vous remercie du fond de mon cœur, monsieur, de votre attention et de votre nouvel ouvrage 1. Il y a des choses tendres, vertueuses, et d'un goût nouveau, comme dans tout ce que vous faites; mais permettez-moi de vous dire que je suis affligé de vous voir faire des pièces de théâtre qu'on ne met point au théâtre 2, autant que je suis fâché que Rousseau écrive contre la comédie , après avoir fait des comédies.
J'attends avec impatience votre nouveau tome de l'Encyclopédie; je m'intéresse bien vivement à ce grand ouvrage et à son auteur; vous méritiez d'avoir été mieux secondé. J'aurai la hardiesse de vouloir que l'article Idolâtrie soit de moi, s'il a passé, et j'aurais désiré que d'autres articles importants eussent été écrits avec la même passion pour la vérité. Nous étions indignés, l'autre jour, au mot Enfer 3, de lire que Moïse en a parlé; une fausseté si évidente révolte.
Vingt articles de métaphysique, et, en particulier, celui d’Âme 4, sont traités d'une manière qui doit bien déplaire à votre cœur naïf et à votre esprit juste. Je me flatte que vous ne souffrirez plus des articles tels que celui de Femme 5, de Fat, etc., ni tant de vaines déclamations, ni tant de puérilités et de lieux communs sans principes, sans définitions, sans instructions. Jugez, à ma franchise, de l'intérêt que votre grande entreprise m'a inspiré.
Je n'ai pu, malgré cet intérêt, travailler beaucoup à votre nouveau tome. J'ai acheté, à deux lieues de mes Délices, une terre encore plus retirée, où je compte finir mes jours dans la tranquillité, mais où je me vois obligé de me donner beaucoup de soins les premières années. Ces soins sont amusants, et les travaux de la campagne me paraissent tenir à la philosophie . Les bonnes expériences de physique sont celles de la culture de la terre. Dans cet heureux oubli d'un monde pervers et frivole, j'interromprai mes travaux avec joie quand vous me demanderez des articles intéressants dont d'autres personnes ne se seront point chargées.
Adieu, monsieur; honorez de quelque amitié un homme qui vous est attaché comme il voudrait que tous les philosophes le fussent, et qui est extrêmement sensible à tous vos talents.
V.»
1 Le Père de famille, imprimé en 1758, et représenté en 1761. Thieriot écrit à V* le 12 novembre 1758 : « La comédie du Père de famille de M. Diderot paraît avec une grande et sérieuse épître dédicatoire et un long discours sur la poésie dramatique . » Le 27 novembre Diderot citera le jugement qui suit en réponse aux critiques sa pièce que Mme Riccoboni (Marie Jeanne de Laboras de Mezières ) lui avait adressée (voir pages 454 et 459 : http://books.google.it/books?id=EEIHAAAAQAAJ&printsec... )
2 La pièce ne fut représentée à Paris que le 18 février 1761, mais avait été jouée à Marseille en novembre 1760 . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_P%C3%A8re_de_famille_%28Diderot%29
3 Voir lettre du 2 septembre 1758 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/10/12/nos-moeurs-changent-brutus-il-faut-changer-nos-lois-5194618.html
4 De l'abbé Yvon ; voir : http://rde.revues.org/1201
5 De Desmahis ; voir : http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/FEMME
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08/12/2013
Je me croirais trop heureux de pouvoir contribuer au bien que vous voulez faire au pays
... Voilà ce que l'on pourrait dire au gouvernement s'il ne jouait pas uniquement du bâton et de la dérobade et qui finit par fatiguer les âmes de bonne volonté . Restent les grincheux sur le devant de la scène , pantalonnades à gogo sans trêves . Rideau !
Faute de quoi on apportera la même contribution à Miss France qui elle aussi va oeuvrer au renom de sa patrie , je n'en doute absolument pas [sic] et elle non plus [resic].
« A Louis-Gaspard Fabry
chevalier de l’ordre de St-Michel,
premier syndic général des trois
états du pays de Gex.
15 novembre 1758
Vous verrez, mon cher monsieur, par la lettre ci-jointe de la main de Mgr le comte de La Marche , que les choses peuvent changer de pour au contre du 19 septembre au 5 novembre ; mais jamais rien ne changera dans les sentiments que j'ai pour vous . Je me croirais trop heureux de pouvoir contribuer au bien que vous voulez faire au pays . M. le contrôleur général 1 m'a toujours honoré de son amitié et quand vous voudrez me donner vos ordres je les remplirai auprès de lui avec tout la vivacité d'un homme qui est idolâtre du bien public et qui désire avec passion votre amitié . Supprimons les compliments, le cœur n'en veut point . Votre très humble et très obéissant serviteur.
V. »
1 Jean de Boullongne . Voir lettre du 5 janvier 1758 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/10/nous-laissons-faire-dieu-repondit-mitchenous-laissons-faire.html
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07/12/2013
à moins que le roi de Prusse ne l'ait fait comte pour le consoler d'avoir été massacré par des pandours
... Magnifique consolation que celle d'être anobli ou décoré à titre posthume ! misérable cadeau qui ne donne pas une seule seconde de vie supplémentaire, pauvre hochet qui peut satisfaire des proches désespérés pendant quelques brefs instants , cautère sur une jambe de bois !
Allez vous faire voir chez le roi de Prusse , dirai-je à ceux qui veulent briller au prix de leur peau .
« A Élie Bertrand
premier pasteur
Aux Délices 11 novembre [1758]
Je n'ai point connu de comte de Manstein,2 mon cher philosophe, à moins que le roi de Prusse ne l'ait fait comte pour le consoler d'avoir été massacré par des pandours ; c’était un Poméranien devenu Russe, qui avait pris le comte de Munck à brassecorps,3 l'avait colleté, secoué et mis di sotto,4 puis le garrotta et l'envoya dans une charrette en Sibérie . Ensuite ayant peut-être quelque peur d'y aller à son tour, il quitta le service d’Élisabeth pour Frédéric . Il se mit à faire des mémoires . J'en mis une partie en français mais il y a encore quelques fautes . Je n'eus pas le temps de tout corriger . Je crois que les Cramer donneront volontiers à la veuve vingt-cinq louis d'or, mais je n'ai pu réussir à en faire donner davantage .
Je crois la veuve mal à son aise, et le roi son nouveau maître pourra bien être hors d'état de faire des pensions aux veuves .
Je ne lirai pas plus, mon cher ami, les libelles du Mercure germanique que ceux de Neuchâtel . Toutes ces pauvretés tombent dans un éternel oubli après avoir vécu un jour .
Il est toujours question de tremblement . Celui de 5 Syracuse n'a pas été si considérable qu’on le disait . Il y en a eu un au Hâvre-de-Grâce, qui a renversé des maisons . Je n'ai pas sur ces phénomènes des notions bien détaillées . Je sais seulement que la terre tremble depuis deux ans, et que les hommes ensanglantent sa surface depuis longtemps 6.
Je plante en paix des jardins, et quand j'aurai planté, je reviendrai à Lausanne , où je voudrais bien vous tenir . Je vous prie mon cher […]7 raisonnable, d'assurer M. et Mme de Freudenrick de mes respects 8 . »
2 Voir lettre du 9 novembre 1757 à Darget : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/28/poco-e-bene-devrait-etre-la-devise-des-barbouilleurs-de-papi.html
6 Depuis longtemps a été ajouté d'une autre main sur le manuscrit ; ces mots ne sont pas indispensables .
7 V* avait écrit ici un mot illisible du fait qu'une autre main a surchargé par théologien ; était-ce chrétien ?
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06/12/2013
Il n'a qu'un plaisir , c'est de faire parler de lui . J'ai cru autrefois que ce plaisir était quelque chose mais je m’aperçois que c'est une sottise
... Cette sottise, "faire parler de soi", pour ne pas dire cette co..., apanage des guignols de la téléréalité trash, n'est pas prêt de disparaitre tant le paraitre semble le but ultime de ces bas-de-plafond. La sagesse voltairienne leur est à tout jamais inatteignable, mais je suis peut-être trop pessimiste, non ?
« A Pierre-Robert Le Cornier de Cideville
ancien conseiller au parlement de Normandie
à son château de Launay
Rouen
Aux Délices 10 novembre [1758]
Mon affaire avec le marquis Angot est fort sérieuse, mon cher et ancien ami, mais vous l'avez rendue si plaisante par votre aimable lettre , que je ne peux plus m'affliger . Le constat de cadavre 1 me fait encore pouffer de rire . Je crois ce puant marquis bien en colère que je vive encore et que j'aie douté de son existence . Ce petit gnome ne vous a donc pas répondu ; je le ferai ester à droit de pardieu 2, fut-ce dans Argentan en basse Normandie . Je vous suis doublement obligé et de vos bons conseils et de vos bonnes plaisanteries . Je vois qu'il n'est pas aisé de trouver un procureur honnête homme, encore moins un marquis qui paye ses dettes . Cet Ango doit être furieusement grand seigneur car non seulement il ne paye point ses créanciers mais il ne daigne pas leur faire civilité . Cet Ango n’est point du tout poli . Vous allez donc à Paris mon cher ami chercher le plaisir et ne le point trouver, jouir de la ville et ne l'aimer ni ne l'estimer et y attendre le moment de retourner à votre charmante terre . Pour moi j'ai renoncé aux villes, j'ai acheté une assez bonne terre à deux lieues de mes Délices . Je ne voyage que de l'une à l'autre , et si j'entreprenais de plus grandes courses ce serait pour vous .
Le roi de Prusse m'écrit souvent qu'il voudrait être à ma place . Je le crois bien, la vie des philosophes est bien au dessus de celle des rois . Le maréchal de Daun et le greffier de l'empire instrumentent toujours contre Frédéric . Les uns le vantent, les autres l'abhorrent . Il n'a qu'un plaisir , c'est de faire parler de lui . J'ai cru autrefois que ce plaisir était quelque chose mais je m’aperçois que c'est une sottise . Il n'y a de bon que de vivre tranquille dans le sein de l'amitié . Je vous embrasse de tout mon cœur . Mme Denis en fait autant .
V. »
1 Ce qui veut dire « constat au sujet du corps » en parlant d'un mort, c'est ici plaisamment appliqué par Cideville au sujet du marquis de Lézeau bien vivant ; vois lettre du 30 octobre 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/27/comment-il-faut-faire-pour-se-faire-payer-d-une-dette-de-qua-5232578.html
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05/12/2013
Les effets publics se soutiendront sans doute puisque voilà un lieutenant de police à la tête de la marine
... De nos jours il serait miraculeux que les effets publics prennent de la valeur simplement parce que notre ministre de l'Intérieur (SuperFlic) hérite du portefeuille du ministère de la Marine ou de la pêche ; quel que soit le résultat des chaises musicales envisagé, il restera un teigneux . Je pense d'ailleurs que la Marine lui ferait sortir des boutons tant il est allergique à la fille du pape du FN .
Bon , comme Voltaire , je regarde ces modifications possibles ou supposées avec la même ironie . Si dans ces affaires nous ne perdons pas d'argent, ce sera déjà une belle chose .
« A Jean-Robert Tronchin
à Lyon
8 octobre [novembre 1758]
Mon cher correspondant , ces annuités sont donc bonnes puisqu'on en paye les coupons . Ces billets de loterie ne sont donc pas mauvais puisqu'ils produisent des lots dont on délivre l'argent . Les effets publics se soutiendront sans doute puisque voilà un lieutenant de police 1 à la tête de la marine . Quand ils seront au pair, daignez avertir votre ami de Ferney .
Je crois bien que ce n'est pas vous qui avez fait les quatre vers pour le roi de Prusse . Ce n'est pas moi non plus . Il m'en envoya plus de deux cents l'année passée 2 , mais à présent s'il en fait cent ce sont des élégies .
Expliquons-nous sur les Rois 3, c'est-à-dire sur le paiement des Rois, et sur mes Pâques, c'est -à-dire sur le paiement de Pâques . J'entends que je vais tirer sur vous pour l'échéance des trois Rois, et pour l'échéance de Pâques . On entend à Lyon qu'on fait à Pâques le paiement des Rois, et à la Jean 4 , celui de Pâques ; et chez les vieux seigneurs de Ferney c'est tout le contraire . C'est donc pour la fin de décembre que je vais tirer et pour la fin de mars, et mes billets seront peut-être au porteur afin qu'il ne soit pas dit que j'ai acheté Ferney et payé avant de m'accommoder pour les lods avec le seigneur paramont 5 .
On dit à Versailles la Saxe évacuée, on dit les Suédois à Berlin 6 et je n'en crois rien ni vous non plus .
Cours à l'incluse je vous en supplie.
Nous vous embrassons tous et toutes .
V. »
1 Berryer en sa qualité de lieutenant de police avait surtout songé à rendre service à Mme de Pompadour et en sera récompensé en obtenant le 1er novembre 1758 la charge de secrétaire d’État à la Marine . Il ne fit pas davantage preuve de compétence dans ce poste et devint aussi impopulaire que dans sa précédente fonction .
2 Voir lettre de Frédéric du 8 octobre 1757 : page 280 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f283.image
Il n’y a que 42 vers dont la conclusion est remarquable .
5 Voir lettre du 23 septembre 1758 à de Brosses : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/03/m...
6 Berlin était menacé à la fois par les Suédois et par les Autrichiens, mais ne fut occupée par aucune armée ennemie avant octobre 1760 .
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04/12/2013
Je ne cherche dans la terre de Ferney qu'un tombeau dans ma patrie
... Point de dépouille de Voltaire à Ferney, de toute façon il est immortel, ... et son esprit est partout .
« A Louis-Gaspard Fabry
Aux Délices près de Genève
6 novembre [1758]
Monsieur, j'ai eu l'honneur de voir monsieur votre frère à Ornex . Je lui ai témoigné combien j'étais affligé que ma mauvaise santé m'eût empêché de venir vous rendre mes devoirs . C'est tout ce que j'ai pu faire d 'aller chez M. de Boisy deux ou trois fois . Le régime où me tient M. Tronchin me condamne à des assujettissements bien tristes . Je ne cherche dans la terre de Ferney qu'un tombeau dans ma patrie .
On m'a parlé d'abord des lods et ventes de ce tombeau sur le pied du cinquantième denier, ensuite on m'a dit que c'était le huitième puis le sixième, et enfin le quart . J'écrivis d'abord à Mme la princesse de Conti . Elle m'a mandé qu'il n'était point du tout sûr que Mgr le comte de La Marche son petit-fils eût la seigneurie de Gex 1 dont dépend la terre de Ferney . J'écrivis en même temps à Mgr le comte de La Marche et à son intendant pour demander que la moitié des lods me fût remise , et je n'ai point encore eu de réponse .
J'eus l'honneur de vous écrire en ce temps-là mais j'étais fort peu instruit de tout ce que 2 on m'a remis le mémoire ci-joint que j'ai l'honneur de vous envoyer . Il peut servir ou auprès de Mgr le comte de La Marche ou auprès de celui qui sera possesseur de Gex . Il ne s'agit dans ce mémoire que des 2 tiers des lods que le seigneur dominant s'est réservé . Quant à votre tiers, monsieur, c'est un autre article sur lequel vous n'éprouverez de ma part que beaucoup d'envie de vous plaire , si je parviens à consommer entièrement cette affaire qui n'est pas sans difficultés et sans épines .
Si je peux coucher quelqu'un de ces jours chez M. de Boisy, j'irai avec beaucoup d'empressement à Gex vous demander vos lumières et vos bontés . Monsieur, votre frère m'a flatté que vous pourriez en attendant venir avec lui dans ma petite retraite dont je ne sors presque jamais , et où je dîne tous les jours à deux heures et demie . Je n'ose espérer que vos affaires vous permettent de faire ce voyage , mais je serais enchanté de vous recevoir et de vous dire avec quels sentiments j'ai l'honneur d'être,
monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur .
Voltaire . »
1 Louise-Elisabeth de Bourbon-Condé écrivait à V* le 23 octobre 1758 : « J'ai envoyé votre lettre , monsieur, à mon petit-fils qui est à l'armée mais je puis toujours vous y répondre qu'il ne peut rien dire à présent les affaires de la successsion n'étant pas décidées . Il ne sait si il aura la terre de Gex ou s'il ne l'aura pas . J'aurais été fort aise qu'il put faire ce que vous souhaitez . »
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