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15/02/2013

qui a troqué son panier de fleurs contre le portefeuille de ministre

 ... Je ne sais .

Mon sentiment est qu'ils gardent tous un langage fleuri qui malheureusement est hors saison et sent le voile de forçage .

Bernis chez la marquise de Pompadour (Périgord)

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« A M. Charles-Augustin FERRIOL, comte d'ARGENTAL.
Conseiller d'honneur du Parlement

rue de la Sourdière à Paris
Aux Délices, 10 décembre [1757].
Mon cher et respectable ami, je reçois une lettre de Babet 1, qui a troqué son panier de fleurs contre le portefeuille de ministre. J'en suis enchanté. M. Amelot 2 ni même M. de Saint- Contest 3 n'écrivaient pas de ce style. Je vous remercie de m'avoir procuré un bouquet de fleurs de la grosse Babet.
Rengainez mes inquiétudes mais si, dans l'occasion, on vous parlait encore de mes correspondances, assurez bien que ma première correspondance est celle de mon cœur avec la France. J'ai goûté la vengeance de consoler le roi de Prusse, et cela me suffit. Il est battant d'un côté et battu de l'autre, à moins d'un nouveau miracle, il sera perdu. Il valait mieux être philosophe, comme il se vantait de l'être. »

3 Dominique-Claude Barberie de Saint Contest qui fut diplomate et homme d'Etat : http://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique-Claude_Barberie_de...

 

 

14/02/2013

Toutes ces misères là sont anéanties au bout de quinze jours . Mon secret est de ne pas les lire

... C'est un domaine où je suis parfaitement d'accord avec Voltaire . Trop d'âneries viennent polluer le monde de l'information, comme cette carne de canassons qu'on baptise boeuf pour en  faire des lasagnes et des canellonis insipides .

Pour moi, hormis la tromperie sur la marchandise, je me dis que tant qu'il n'y a pas de risque pour la santé, ça reste une affaire de gros sous et que ça va encore donner du boulot à la justice et accessoires . J'espère que la demande des banques alimentaires sera satisfaite afin de pouvoir distribuer les lots Findus retirés à la vente .

Messieurs les Anglais, vous qui chouchoutez vos bagnoles et vos plus nobles stupides conquètes de l'homme, je vous laisse vos vaches folles .

Choisissez votre morceau

 canasson.png

 

 

« A Monsieur le professeur Théodore Tronchin

[9 décembre 1757]

Ne viendrez-vous pas mon grand homme avec la véritable philosophe 1 dans mon ermitage dimanche ?

Je ne connais point l'article Genève de l'Encyclopédie 2 . Je sais seulement qu'il y a quelques tracasseries particulières entre M. d’Alembert et un jeune homme d'esprit de cette ville reçu ministre 3.

Je peux vous assurer que je ne me mêlerai pas plus de ces fadaises que je ne me suis mêlé de toutes les sottises qu'on a imprimées dans des mercures suisses et germaniques . Toutes ces misères là sont anéanties au bout de quinze jours . Mon secret est de ne pas les lire . Il est vrai que je n'ai pas toujours été si sage . Mais il aurait fallu être impassible pour voir de sang froid Le Siècle de Louis XIV imprimé avec des notes scandaleuses débité dans toute l'Europe .

Je ne sais pas s’il est dit dans l'Encyclopédie que vos prêtres ne croient qu'un seul Dieu . Auront-ils la lâcheté de répondre qu'on les calomnie ? C'est leur affaire . Ce n'est pas sûrement la mienne . Il suffit que Breslau soit pris . Tuus addictssimum .4 

V.»

1 Surnom de Mme d'Epinay .

2 V* recevra le volume VII le 24 décembre . Voir lettre du 24 décembre 1757 à Jacob Vernes : et la lettre du 27 décembre à Elie Bertrand : page 337 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f340.image

4 Ton très dévoué serviteur .

 

j'aurais bien des choses à dire qu'on ne peut guère confier au papier

... Aussi, pour rester discret, confiè-je mes élucubrations, et les remarquables lettres de Voltaire associées, à un média réputé pour son intimité, le Net ! 

Les paroles s'envolent les écrits restent, dit le dicton, mais de nos jours il semble que le papier ne soit plus le support privilégié, même s'il est le gage d'une relation de tête à tête , destructible à volonté, communicable itou . Le Net outre sa rapidité offre à celui qui veut "faire savoir" un support doué d'une mémoire abominable qui pose plus de problémes qu'elle n'en résoud . D'où la nécessité de réfléchir et tourner son clavier 77 fois sur son bureau avant d'écrire .

Petit tête à têtes

 ne pas confier au papier.jpg

 

« A Jean-Robert Tronchin

Jeudi [8 décembre 1757] au soir

Il y a mon cher monsieur négociation et négoce . Voici d'abord pour le négoce . Il n'est pas honnête de commencer par là mais c'est charité bien ordonnée . Je vous envoie donc 6664 livres tournois en billets d'Andalousie échappés à des naufrages . Cette petite partie jointe à la dernière et aux vingt cinq milles tournois de Laleu pourront servir à payer quelques meubles dont Mme Denis a voulu orner son palais de Lausanne . Voilà bien de la magnificence pour des Suisses .

Notre baron de Grancour 1 doit être plus magnifique . Nostra senora del pilar a répandu plus de grâces sur lui que sur moi . Je me flatte aussi que vous n'avez pas à vous plaindre de la vierge .

Quant à la négociation,2 je soupçonne que la lettre de Mme la margrave est déjà en chemin mais cette première ne sera qu'une lettre de compliment . Si vous voulez me faire tenir la réponse, je la ferai passer avec sureté et promptitude par la Franconie et je vous adresserai celles qui pourront venir de ce pays-là en cas que cette voie convienne à la personne sage et respectable 3 à qui je vous prie de présenter mon respect .

Je souhaite fort que M. et Mme de Montferrat se souviennent de moi avec bonté . J'aurais bien voulu leur faire plus longtemps les honneurs de votre ferme 4.

Il me paraît que tout Genève prend des rentes viagères . Pour moi je n'en ai que trop . C'est bien assez de planter à mon âge .

Comment se porte M. de Gauffecourt 5? Je voudrais bien qu'il sût combien Mme Denis et moi nous nous intéressons à sa santé . Je lui écrirai s'il aime qu'on lui écrive . J'ai bien des raisons de l'aimer, je lui dois le bonheur de vous avoir connu .

V.

Nous attendons demain vendredi des nouvelles bien intéressantes d'Allemagne .

Je sais historiquement que la cour de Versailles est toute à la maison d'Autriche et qu'il est bien délicat d’entamer quelque négociation qui donnerait de l'ombrage à ceux qui ont l'intérêt le plus puissant de seconder aveuglément la cour de Vienne . Je ne crois pas d'ailleurs qu'on puisse traiter sans elle . Comment se soutiendrait-on dans le pays d'Hanovre si on offensait un allié si nouveau et qui va devenir si considérable ? Tout cela est entouré d'épines . Je ne fais des vœux que pour le bonheur public . Pourquoi faut-il que le roi de Prusse ne se soit pas résolu à faire des sacrifices ? Mais … j'aurais bien des choses à dire qu'on ne peut guère confier au papier . Cependant … Adieu . » 

1 Jean-Louis Labat , banquier, propriétaire du château de Grancour depuis deux ans .Voir : http://www.swisscastles.ch/vaud/chateau/grandcour.html

et : http://searchworks.stanford.edu/view/9711985

2 Suite aux défaites de Frédéric II des négociations de paix étaient envisagées, V* se constituant intermédiaire entre la margravine, sœur de Frédéric et le cardinal de Tencin .

3 Le cardinal de Tencin .

4 Les Délices .

5 Voir lettre du 15 décembre 1754 à Capperonnier de Gauffecourt où V* le remercie de lui avoir fait connaître les Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/14/il-a-vu-mandrin-a-nyon-j-espere-avoir-bientot-cet-honneur.html

 

13/02/2013

Vous avez, messieurs, autant de charlatanisme en physique qu'en médecine mais enfin il est toujours beau d'encourager des arts utiles

 ... Avec en ce moment, il me semble , une palme remportée sur le Net par le logiciel RIOT, espion performant, plus fort que 007 : http://www.bfmtv.com/high-tech/riot-moteur-scanne-vos-requetes-et-vie-privee-447272.html

riot espion web.jpg

 

 Utile !?

 

 

 

« A M. Nicolas-Claude THIERIOT.
Chez Mme la comtesse de Montmorency

rue Vivienne à Paris
Aux Délices, 7 décembre. [1757]
Vous avez su, mon ancien ami, comment les Français ont été vengés par les Autrichiens. Dix-sept ponts jetés en un moment sur l'Oder, des retranchements attaqués en treize endroits à la fois, une victoire aussi complète que sanglante, l'artillerie prussienne prise, Breslau bloquée, ce sont là des consolations et des encouragements. Il faut espérer que M. le duc de Richelieu réparera de son côté le malheur de M. de Soubise. Le roi de Prusse m'écrit toujours des vers en donnant des batailles mais soyez sûr que j'aime encore mieux ma patrie que ses vers, et que j'ai tous les sentiments que je dois avoir.

Je n'ai point lu les rogatons pédantesques de je ne sais quel malheureux qui a voulu justifier le meurtre de Servet. Je sais seulement que ces écrits sont ici regardés avec mépris et avec horreur de tous les honnêtes gens sans exception. Comptez qu'il est heureux de vivre avec des magistrats qui vous disent Nous détestons l'injustice de nos pères, et nous regardons avec exécration ceux qui veulent la justifier.
Vous voyez, mon ancien ami, quels progrès a faits la raison. C'est à ces progrès qu'on doit le peu d'effet des billets de confession et de vos dernières querelles. En d'autres temps elles auraient bouleversé le royaume.
J'ai lu et relu l'Éloge de Dumarsais, et je bénis la noble hardiesse de M. d'Alembert; j'attends le septième volume de l'Encyclopédie. Tous les articles ne peuvent être égaux, mais il y en a d'admirables dans chaque volume.
Je suis bien aise que les poètes fassent fortune quand leurs ouvrages ne la font pas, et qu'un poète succède à un fermier général 1. J'ai aussi quelquefois chez moi une fermière générale, c'est Mme d'Épinai mais je ne l'épouserai pas, elle a un mari jeune et aimable. Pour elle, c'est à mon gré une des femmes qui ont le meilleur esprit. Si ses nerfs étaient comme son âme et en avaient la force, elle ne serait pas à Genève entre les mains de M. Tronchin 2. Nous ne sommes jamais sans quelque belle dame de Paris. On ira bientôt à Genève comme on va aux eaux, et on s'en trouvera mieux.
Ferchault Reaumur 3 avait, je crois, dix-sept mille livres tournois de pension pour avoir gâté du fer et de la porcelaine, et pour avoir disséqué des mouches. Il a été bien payé. Vous avez, messieurs, autant de charlatanisme en physique qu'en médecine mais enfin il est toujours beau d'encourager des arts utiles.
Si quid novi, scribe veteri amico.4 »

1 Mme Dufort (Mademoiselle de Caulincourt, mariée en premières noces à Grimod Dufort. ) avait épousé Jean-Jacques Lefranc de Pompignan . 

Desnoiresterres cite à son propos une lettre à Marmontel du 13 août 1760, dans laquelle Voltaire ironise sur la fonction de Dufort, directeur des postes : « Quoique Le Franc ait épousé la veuve d’un directeur des postes, il ne peut empêcher qu’on ne me donne, tous les ordinaires, une liste de ses ridicules ».

2 Théodore Tronchin, médecin célèbre .

3 Mort le 17 octobre 1757 . V* est trop critique et injuste . Réaumur avait fait découvertes et travaux importants. Il a laissé à l'Académie des sciences la rente de 12000 livres qui lui avait été accordée en récompense de ses travaux sur le fer et l'acier .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9-Antoine_Ferchault_de_R%C3%A9aumur

4 S'il y a quelque chose de nouveau, écris-le à ton vieil ami .

 

Un jour, rois, papes, empereurs font des ligues, demain ils seront ennemis mortels

 ... Nous verrons bien quand le nouveau pape sera sous tiare comment il se comportera avec les soi-disant grands de ce monde .

Combien vont tenir parole ?

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« A M. Jean-Robert TRONCHIN
à Lyon
Aux Délices 7 décembre [1757].
Vous devez savoir la journée des dix-sept ponts jetés en même temps sur l'Oder, des treize attaques faites à la fois aux retranchements prussiens, et du sang répandu pendant six heures, et des Prussiens battus, et de leurs canons pris, et de leur retraite dans Breslau, et de Breslau bloquée. J'attends de Vienne un plus ample détail. Voilà ce qu'on m'a marqué en gros et à la hâte, à l'arrivée des postillons cornant du cor et annonçant dans Vienne, le 25 novembre, cette grande affaire du 22, qui nous venge et qui nous humilie.

Je serai bien stupéfait si on veut écouter à Versailles des propositions du roi de Prusse; ce qu'on y craint le plus, après le feu roulant, c'est de donner le plus léger ombrage à l'impératrice. On ne peut plus séparer ce qu'un moment a uni. Le roi de Prusse peut encore donner une bataille, dire des bons mots, plaire aux vaincus, et déchirer des draps pour faire des bandages aux blessés; c'est ce qu'il fit le 5 novembre au soir mais, à la fin, il faut qu'il succombe, à moins qu'on ne se conduise comme en 1742. Je ne sais encore nulle nouvelle positive de la fidélité des Hanovriens et des Hessois mais il est bien sur que, sans les Autrichiens, nous serions perdus.
Qui aurait dit au cardinal de Richelieu que les Français devraient un jour leur salut en Allemagne aux armes autrichiennes, l'eût bien étonné. Cosi va il mondo.

Fan' lega oggi Re, papi, imperadori,

doman' saranno capitani 'nimici. 1

Le bled renchérit . Ainsi trouvez bon que je mette dans votre escarcelle un petit billet d'Andalousie de 4386 livres tournois .

Permettez que je mette les incluses dans votre paquet .

Les arbres viendront bien à propos avant que j'aille, à Lausanne et que je sois tout suisse.

Je vous embrasse du meilleur de mon âme . Ainsi fait Mme Denis .

V.

A propos ne vous ai-je pas dit que demeurant à la campagne j'envoie quelquefois mes lettres trop tard à la ville et que vous les recevez l'ordinaire d'après ? »

1  Vers adaptés de l'Arioste, dans l'Orlando furioso : Ainsi va le monde, Un jour, rois, papes, empereurs font des ligues, demain ils seront ennemis mortels .

 

je plaindrais fort de pauvres troupes éloignées de leur pays

 ... S'il s'agissait de troupes de civils réfugiés loin de leurs pays en guerre , civils affamés par des meutes de leurs concitoyens sans foi (même s'ils disent se battre au nom de la religion) ni loi (autre que celle des armes ) . 

 

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« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de LUTZELBOURG.

 Aux Délices, 5 décembre [1757].
Le petit Gayot 1, madame, ne nous apprend rien mais pourquoi ne m'apprenez-vous pas que, le 22, les serviteurs de Marie- Thérèse ont attaqué, en treize endroits, les retranchements des Prussiens sous Breslau, les ont tous emportés, et ont gagné une bataille meurtrière et décisive qui nous venge et qui redouble notre honte ? Les Français sont heureux d'avoir de tels alliés. Si le roi de Prusse avait les mains libres, je plaindrais fort de pauvres troupes éloignées de leur pays, n'ayant point de maréchal de Saxe à leur tête, et ayant appris à faire très-mal le pas prussien, tout étourdis et tout sots de paraître devant leurs maîtres, qui leur enseignent le pas redoublé en arrière. Le roi de Prusse m'avait écrit, trois jours avant la bataille du 5
Quand je suis voisin du naufrage,
Je dois, en affrontant l'orage,
Penser, vivre, et mourir en roi.

Nous n'avons pas voulu qu'il mourût; mais les généraux autrichiens le veulent. Portez-vous bien, madame, vous et votre digne amie. Mme Denis, qui se porte mieux, vous présente ses obéissances très-humbles. »

                                                           

1 Ou Gaiot : voir lettre du 2 septembre 1753 à la comtesse de Lutzelbourg : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411354g/f121.image.r=gayot.langFR

et du 3 septembre 1753 à Mme Denis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/02/j...

 

 

12/02/2013

Nous autres drôles de Français, nous sommes plus expéditifs; notre affaire est faite en cinq minutes

  • ... - Euh !  faites excuse, m'sieur ! Parlez pour vous !

J'ose espérer que je ne suis pas aussi expéditif en "affaire" . On me l'aurait dit, non ?

  • ... ?!!
  • Ah ! vous vouliez parler de guerre, de batailles, de retraites expéditives ? Bon , j'en prends bonne note , je ne joue pas sur ce terrain là, mon service actif les armes à la main a atteint sa date de péremption , heureusement . Il est d'autres plaisirs plus estimables sur cette terre comme l'amour , pour n'en citer qu'un . Je vous laisse croire que les guerres sont justes et ne prennent qu'un instant dès lors que ce sont des Français qui les mènent . Portez-vous bien et regardez des deux côtés avant de traverser !

Tout feu tout flamme

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« A M. Jean Le Rond d'ALEMBERT.

Aux Délices, 6 décembre [1757].

Je reçois, mon très-cher et très-utile philosophe, votre lettre du 1er de décembre. Je ne sais si je vous ai assez remercié de l'excellent ouvrage 1 dont vous avez honoré la mémoire de Dumarsais, qui sans vous n'aurait point laissé de mémoire, mais je sais que je ne pourrai jamais vous remercier assez de m'avoir appuyé de votre éloquence et de vos raisons, comme on dit que vous l'avez fait à propos du meurtre infâme de Servet, et de la vertu de la tolérance, dans l'article Genève. J'attends ce volume avec impatience. Des misérables ont été assez du sixième siècle pour oser, dans celui-ci, justifier l'assassinat de Servet, ces misérables sont des prêtres 2. Je vous jure que je n'ai rien lu de ce qu'ils ont écrit; je me suis contenté de savoir qu'ils étaient l'opprobre de tous les honnêtes gens. L'un de ces coquins a demandé au conseil des Vingt-Cinq de Genève communication de ce procès qui rendra Calvin à jamais exécrable; le conseil a regardé cette demande comme un outrage. Des magistrats détestent le crime auquel le fanatisme entraîna leurs pères, et des prêtres veulent canoniser ce crime ! Vous pouvez compter que ce dernier trait les rend aussi odieux qu'ils doivent l'être. J'en ai reçu des compliments de tous les honnêtes gens du pays.
Quel est donc cet autre jeune prêtre qui veut vous faire passer pour usurier 3 ? Est-ce que vous auriez emprunté à usure à la bataille de Kollin 4, lorsque votre Prussien paraissait devoir mal payer les pensions? Mais vous m'avouerez qu'à la bataille du 5 5 tout le monde dut vous avancer de l'argent. Voici un nouveau rabat-joie pour les pensions, arrivé le 22 devant Breslau 6. Les Autrichiens nous vengent et nous humilient terriblement. Ils ont fait à la fois treize attaques aux retranchements prussiens, et ces attaques ont duré six heures; jamais victoire n'a été plus sanglante et plus horriblement belle. Nous autres drôles de Français, nous sommes plus expéditifs; notre affaire est faite en cinq minutes.
Le roi de Prusse m'écrit toujours des vers, tantôt en désespéré, tantôt en héros; et moi, je tâche d'être philosophe dans mon ermitage. Il a obtenu ce qu'il a toujours désiré, de battre les Français, de leur plaire, et de se moquer d'eux, mais les Autrichiens se moquent sérieusement de lui. Notre honte du 5 lui a donné de la gloire, mais il faudra qu'il se contente de cette gloire passagère trop aisément achetée. Il perdra ses États avec ceux qu'il a pris, à moins que les Français ne trouvent encore le secret de perdre toutes leurs armées, comme ils firent dans la guerre de 1741.
Vous me parlez d'écrire son histoire, c'est un soin dont il ne chargera personne; il prend ce soin lui-même. Oui, vous avez raison, c'est un homme rare. Je reviens à vous, homme aussi célèbre dans votre espèce que lui dans la sienne j'ignorais absolument la sottise dont vous me parlez, je vais m'en informer, et vous me ferez lire le Mercure 7.
Je fais comme Caton, je finis toujours ma harangue en disant Deleatur Carthago 8. Comptez qu'il y a des traits dans l'Éloge de Dumarsais qui font un grand bien. Il ne faut que cinq ou six philosophes qui s'entendent pour renverser le colosse. Il ne s'agit pas d'empêcher nos laquais d'aller à la messe ou au prêche; il s'agit d'arracher les pères de famille à la tyrannie des imposteurs, et d'inspirer l'esprit de tolérance. Cette grande mission a déjà d'heureux succès. La vigne de la vérité est bien cultivée par des d'Alembert, des Diderot, des Bolingbroke, des Hume, etc. Si votre roi de Prusse avait voulu se borner à ce saint œuvre, il eût vécu heureux, et toutes les académies de l'Europe l'auraient béni. La vérité gagne, au point que j'ai vu, dans ma retraite, des Espagnols et des Portugais détester l'Inquisition comme des Français.
Macte animo, generose puer; sic itur ad astra. 9
Autrefois on aurait dit Sic itur ad ignem. 10
Je suis fâché des simagrées de Dumarsais à sa mort.11 On a imprimé que ce provincial Deslandes, qui a écrit d'un style si provincial l'Histoire critique de la philosophie, avait recommandé, en mourant , qu'on brûlât son livre Des grands hommes morts en plaisantant. Et qui diable savait qu'il eût fait ce livre?12 Mme Denis vous fait mille compliments. Le bavard vous embrasse de tout son cœur. Voyez-vous quelquefois l'aveugle clairvoyante 13? Si vous la voyez, dites-lui que je lui suis toujours très-attaché. »

2 Jacob Vernet était du nombre de ces prêtres. (Clogenson.

3 Dans le Choix littéraire, (1755-60, vingt-quatre volumes in-8-), dont Vernes était l'éditeur, à l'occasion de l'article ARRÉRAGES (de l'Encyclopédie), on accusait d'Alembert de favoriser l'usure ..Vernes portait son accusation injustifiée dans une « Lettre sur la dissertation suivante [Sur l'amour de l'estime] » .Voyez la lettre de d'Alembert dans le Mercure de décembre 1757, page 97. (Beuchot.)

4 La bataille de Kollin, à la suite de laquelle le roi de Prusse, battu par le maréchal Daun, et poursuivi par le prince Charles de Lorraine, recula sur la montagne des Géants, après avoir levé le siège de Prague, essaya vainement de défendre les défilés pour garder ses communications avec la Saxe et la Silésie, et fit sa retraite sur Bautzen et Gôrlitz .

5 La bataille de Rosbach, gagnée par Frédéric, le 5 novembre, sur les armées impériale et française.

6 Les Prussiens y avaient été battus, et s'étaient retirés; la ville se rendit le 24 aux Autrichiens.

7 On y avait imprimé la lettre du 26 mars 1757 à Thieriot : voir page 194 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f197.image

8 Il faut détruire Carthage . Ici on peut voir en Carthage la superstition ou la religion . On sent venir l'Ecrasons l'infâme .

9 Virgile, Énéide, IX, 641 : courage généreux enfant, c'est ainsi qu'on va jusqu'aux astres .

10 C'est ainsi qu'on va au bucher .

11 Dans la biographie de Du Marsais dans l'Encyclopédie on lit : « Il tomba malade au mois de juin de l'année dernière . Il s'aperçut bientôt du danger où il était et demanda les sacrements, qu'il reçut avec beaucoup de présence d'esprit et de tranquillité : il vit approcher la mort en sage qui avait appris de ne la point craindre .»

12 André-François Boureau Deslandes, né à Pondichéry en 1690, mort à Paris le 11 avril 1757 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9-Fran%C3%A7ois_Boureau-Deslandes

Il avait publié tous ses livres anonymement , comme son Histoire critique de la philosophie par M. D***, et le livre qui a pour titre Réflexions sur les grands hommes qui sont morts en plaisantant, par M. D***.

13 Mme du Deffand .