08/02/2013
L’Allemagne n'est point faite pour les armées françaises; on en a déjà vu l'exemple dans la dernière guerre
... Vrai au XVIIIè siècle, vrai au XXè, sans doute toujours possiblement vrai .
Aussi gardons la paix pour laquelle nous sommes plus naturellement faits . Notre diplomatie est souvent boiteuse mais heureusement pas paralytique, elle avance tant bien que mal , mais elle avance , il me semble .
« De Madame Sophie-Frédérique-Wilhelmine de Prusse, margravine de Baireuth
Le 30 novembre [1757].
Schweidnitz est pris 1, et le prince Charles battu. C'est ainsi que la vie de l'homme est un mélange de biens et de maux. Les traitres Saxons ont causé par leur rébellion la reddition de la place, qui a pourtant essuyé un assaut avant de se rendre. Je n'ai encore aucune particularité de la bataille de Breslau, tout ce que je sais est que le prince Charles, avec une armée de près de soixante mille hommes, a attaqué le prince de Bevern, qui à peine en avait la moitié, et que la victoire de ce dernier est complète. Le roi était déjà sur les frontières de Silésie, lorsqu'il apprit cette heureuse nouvelle 2. Il marche en hâte pour couper la retraite aux Autrichiens. Je doute qu'il y parvienne, étant trop éloigné. Il s'est emparé de tous leurs magasins en Lusace ce qui a obligé le corps de Marschall à se retirer. J'ai reçu deux de vos lettres, avec des incluses pour le roi, que je lui enverrai par la première occasion. J'ai pris la liberté d'en tirer copie. Adhémar vous a fait, à ce qu'il m'a dit, une relation de la bataille, sans quoi je vous l'aurais envoyée. Je ne veux point priver le roi de ce plaisir. Vous la recevrez de sa main elle vaudra sans doute beaucoup mieux que toutes les autres. J'espère que le retour de la fortune aura banni toute idée sinistre de son esprit. Si le maréchal de Richelieu s'était avancé, c'était fait de sa vie. Il serait tombé sur lui, et serait mort l'épée à la main. Je puis vous assurer que c'était son dessein, ce que je puis prouver par ses lettres. Je n'osais vous le dire alors, puisqu'il me l'avait confié sous le secret. Nous avons quatre mille lièvres ou fuyards de l'armée de l'empire campés dans le pays. Ce sont autant de loups affamés qui pourraient bien nous communiquer leur faim. Ces pauvres gens ont été huit jours sans vivres, ne buvant que de l'eau bourbeuse, et dormant à la belle étoile; on les a préparés de cette façon à marcher au combat. Les Français étaient un peu mieux; mais ils manquaient aussi de pain. L’Allemagne n'est point faite pour les armées françaises; on en a déjà vu l'exemple dans la dernière guerre, il sera renouvelé dans celle-ci. Je souhaite leurs pertes et leurs maux aux Autrichiens. J'ai un chien de tendre pour eux, qui m'empêche de leur vouloir du mal; le roi ne leur en fait qu'avec peine. Il l'a bien prouvé; il pouvait les abîmer, s'il avait voulu les poursuivre comme il le fallait. Qu'il est à plaindre, il passe ses jours dans le sang et dans le carnage. C'est le destin des héros, mais un destin bien triste pour un philosophe. Continuez, je vous prie, à me donner de vos nouvelles. Vos lettres font mon unique récréation. Soyez persuadé de toute mon estime.
WILHELMINE.
Mes amitiés à Mme Denis. »
2 La nouvelle était fausse. Auguste-Guillaume, duc de Brunswick-Bevern, battu le 22 novembre, près de Breslau, par le prince Charles-Alexandre de Lorraine et par Daun, était tombé au pouvoir des Autrichiens quelques jours plus tard. (Clogenson)
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07/02/2013
Tenez-moi lieu je vous prie de bibliothèque
... Dis-je à Gallica, Wikipedia, et cetera, et cetera .
« A Dom Augustin FANGÉ 1
abbé de Sénones
en Lorraine.
Aux Délices 1er décembre [1757].
Il serait difficile, monsieur, de faire une inscription digne de l'oncle 2 et du neveu; à défaut de talent, je vous offre ce que me dicte mon zèle
Des oracles sacrés que Dieu daigna nous rendre,
Son travail assidu perça l'obscurité;
Il fit plus il les crut avec simplicité,
Et fut, par ses vertus, digne de les entendre.
Il me semble, au moins, que je rends justice à la science, à la foi, à la modestie, à la vertu de feu dom Calmet mais je ne pourrai jamais célébrer, ainsi que je le voudrais, sa mémoire, qui me sera infiniment chère . Vous partagez , monsieur, ses travaux et son mérite . Je vous prie de me dire où vous en êtes de votre Histoire universelle .
Je n'ai point ici de livres ; si j'en avais seulement autant que d'ouvriers je ne me plaindrais pas . Tenez-moi lieu je vous prie de bibliothèque . Dites-moi quand l'église grecque a eu comme nous sept sacrements car elle n'en a eu longtemps que cinq . Il me semble que la confirmation et la confession auriculaire n'étaient pas connues chez les Grecs avant la prise de Constantinople par les Turcs ? Croyez-vous que Claude de Turin ait regardé la confession des laïcs comme un sacrement nécessaire ? Il me semble que cet évêque pensait à peu près comme ceux qu'on appelle réformés et que son opiniâtreté à rejeter les nouveaux usages fut l'origine de la plupart des schismes qui ont divisé les chrétiens occidentaux : un petit mot de votre main m'instruirait plus que tous les livres .
J'ai l'honneur d'être avec l'estime la plus respectueuse
Monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. ». »
1 La date de la présente lettre est sujette à discussion .
Voir aussi lettre du 14 juin 1757 à dom Fangé : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/11/08/vous-souvenez-vous-du-temps-ou-vous-montiez-si-agilement-a-l.html
2 Dom Augustin Calmet, mort le 20 octobre 1757 : voir : http://editionsgueniot.over-blog.com/article-dom-augustin-calmet-et-l-abbaye-de-senones-97928993.html
Voir la biographie écrite par dom Fangé : http://reader.digitale-sammlungen.de/resolve/display/bsb10062190.html
17:22 | Lien permanent | Commentaires (0)
Il s'intitula fort mal à propos singe de la philosophie
... Car il en est le guignolo, et je parle ici du trop célèbre BHL, bien connu de sa mère et de sa concierge qui, ici, gardent l'anonymat, BHL pour sa part gardant la main sur son portefeuille .
« A Madame Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Épinay.
[novembre-décembre 1757]
Madame, quand je vous appelai la véritable philosophe des femmes, cela n'empêcha pas que notre docteur 1 ne fût le véritable philosophe des hommes. Il s'intitula fort mal à propos singe de la philosophie. Plût à Dieu que je fusse son singe - Mais, madame, faut-il que la pluie empêche deux têtes comme la vôtre et. la sienne de venir raisonner dans mon ermitage? Nous aurons l'honneur de venir chez vous, madame, quand vous l'ordonnerez, quand vous voudrez nous recevoir, et que je serai quitte de ma colique.
Je vous présente mon respect.
V. »
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Le docteur pense que je me porte bien parce que je ne suis pas mort
... Et pour confirmer son avis, je me garde bien d'aller le consulter ; nous nous en trouvons bien tous deux, lui n'ayant rien à découvrir, moi restant le meilleur gardien de ma carcasse .
Dr Knock disait que "tout homme sain est un malde qui s'ignore", et moi je dis que tout malade est un homme sain qui a eu l'imprudence de voir un médecin .
« A François Tronchin
conseiller d’État [à Genève]
[novembre – décembre 1757]
M. de Boisy 1 m'a gratifié d'arbres de quarante pieds de haut . Cela devient mon cher ami un de vos immeubles . C'est à vous à partager le reconnaissance . Je vous supplie de lui faire comprendre que je ne suis point un ingrat .
J'apprends qu'il est à Genève . Vous savez que je ne sors jamais, que je passe ma vie dans les souffrances et en robe de chambre . Le docteur pense que je me porte bien parce que je ne suis pas mort . Il se trompe beaucoup . Je suis sur la roue au moment que je vous écris . Je vous demande infiniment de me justifier auprès de M. de Boisy .
Pour Mme d'Epinay elle doit bien savoir que ce n'est pas de bon gré que je ne suis pas tous les jours à ses pieds. »
1 Isaac de Budé, seigneur de Boisy : http://gw5.geneanet.org/rossellat?lang=fr;iz=18662;p=isaac;n=de+bude;oc=1
V* avait parlé le 4 janvier 1756 (lettre à François Tronchin) de Bernard de Boisy (1676-17 avril 1756) seigneur de Fernex, fils de Guillaume de Budé, seigneur de Boisy (1643-1729) .
10:42 | Lien permanent | Commentaires (0)
06/02/2013
Puisse-t-il madame respecter vos grands yeux noirs et vos pauvres nerfs
... Fermez les yeux et répétez après moi : tout est calme, luxe et volupté, ôôôômmmm mani padme ôôôômmmm !
« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay
[novembre-décembre 1757]
Heureusement Mme d'Epinay ne craint point le froid . Sans cela je craindrais bien pour elle ce maudit vent du nord qui tue tous les petits tempéraments . Puisse-t-il madame respecter vos grands yeux noirs et vos pauvres nerfs . Quand honorerez-vous notre cabane de votre présence ?
V. »
15:30 | Lien permanent | Commentaires (0)
vous me faites bien de l'honneur de croire que je suis assez sage pour inspirer la sagesse
... Rire de moi , et assez fou pour rester raisonnable .
Folle sagesse
http://actualitemlj.blogspot.fr/
« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay 1
[novembre-décembre 1757]
Vraiment madame vous me faites bien de l'honneur de croire que je suis assez sage pour inspirer la sagesse . Je serai seulement le témoin de celle de monsieur votre fils 2, de tout son mérite, et de son envie de vous plaire . Je vois bien qu'il vous a gâtée . Vous êtes si accoutumée à le voir au dessus de son âge que quand il s'en rapproche vous êtes tout étonnée . Il vous a accoutumée à une perfection bien rare, il vous a rendue difficile . Je serai enchanté de le voir , lui et son aimable mentor . Mais pourquoi suis-je à la fois si près et si éloigné de la mère ? pourquoi me suis-je interdit Genève ? pourquoi ne suis-je plus que jardinier ? Je devrais vous faire ma cour tous les jours et je serais le plus assidu de vos courtisans si mon goût décidait de mes marches . Mais vous étendez votre empire sur les absents comme sur les présents . Personne ne sent plus tout votre mérite, ne vous est attaché plus véritablement et avec plus de respect que le Suisse
V. »
2 Louis-Joseph Lalive d’Épinay (25 septembre 1746 - 10 avril 1813), qui sera militaire, éditeur et musicien.
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05/02/2013
César disait que les Français étaient quelquefois plus qu'hommes, et quelquefois moins que femmes
... Que dirait-il de nos jours ? La même chose, je crois . "Plus qu'hommes" ça me laisse pensif, "moins que femmes" je n'imagine pas et je pense que les femmes ne doivent pas porter dans leurs coeurs un empereur-dictateur qui les mets au bas de l'échelle des valeurs .
Le progrès matériel n'a rien vraiment changé à la nature humaine en général, et à la française en particulier .
Le Français reste un grand consommateur de fruits de mer
« A M. Élie BERTRAND.
Premier pasteur de l’Église française à Berne
26 novembre [1757].
Mon cher et humain philosophe, l'aîné Cramer est en Portugal 1, le cadet court et fait l'amour; je lui parlerai de souscrire, et je crois qu'il le fera.
César disait que les Français étaient quelquefois plus qu'hommes, et quelquefois moins que femmes. Ils n'ont pas été hommes avec le roi de Prusse.
Il ne faut pas renoncer sitôt à sa religion pour quelques objections spécieuses. On vous a envoyé des pétrifications. Eh bien y en a-t-il de plus singulières que la concha Veneris et la langue du chien marin 2? Cependant ni les chiens marins ne sont venus déposer leur langue en Calabre, ni Vénus n'y a laissé son bijou. On vous a montré des coquilles. Eh bien! y avait-il de meilleures huîtres que dans le lac Lucrin?3 et tous les lacs n'ont- ils pas pu fournir des huîtres et des poissons ? Que la mer soit venue à cinquante lieues dans les terres, qu'elle forme et qu'elle absorbe des îles, cela est commun mais qu'elle ait formé la chaîne des montagnes du globe, cela me parait physiquement impossible 4. Tout est arrangé, tout est d'une pièce.
Si quid novisti rectius istis, Candidus imperti 5.
Interim, vale, et me ama.
V.
Je fais un beau jardin que la mer n'engloutira pas. »
1 Sur Gabriel Cramer, voir lettre du 24 février 1757 à Pierre Rousseau : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/10/06/calvin-etait-un-tres-mechant-homme-altier-dur-vindicatif-et.html
et sur ses voyages, voir lettre du 5 novembre 1757 à Gabriel Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/24/je-ne-hais-pas-d-avoir-des-doubles-de-tous-les-livres-d-usag.html
2 Chien marin : http://dvlf.uchicago.edu/mot/chien-marin . Voir : http://www2.unil.ch/BCU/informations/expositions/2002/florilege/poissons.htm
3 Lac Lucrin , en Italie : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lac_Lucrin
4 En 1746, V* avait déjà donné ses vues sur ce point dans Dissertation …. sur les changements arrivés dans notre globe .Voir : http://fr.wikisource.org/wiki/Dissertation_sur_les_changements_du_globe/%C3%89dition_Garnier
Bernard en 1752 édita un Mémoire sur la structure intérieure de la terre et plus tard donnera le Dictionnaire universel des fossiles propres et des fossiles accidentels . Voir : http://books.google.fr/books?id=vwwKAAAAIAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
et : http://books.google.fr/books?id=js8QAAAAIAAJ&printsec...
V* resta sur sa position de l'impossibilité d'avoir des fossiles marins au sommets de montagnes . Il en parlera encore dans son Homme aux quarante écus ; voir chapitre VI : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-conte-l-homme-aux-quarante-ecus---partie-2-69201927.html
16:11 | Lien permanent | Commentaires (0)