29/03/2013
après tout je n'aime pas qu'on fouette les prêtres
... Y compris quand ils se flagellent eux-même, à tort ou à raison, physiquement parlant évidemment . Mais je suis sans doute hors sujet, le cilice ne se porte plus guère de nos jours et battre sa coulpe suffit à se rapprocher du paradis et des saints aux vies merveilleuses , autant que fabuleuses au sens propre du terme . Le chemin de croix est devenu une attraction touristique, du plus petit village à la cité du Vatican .
Alléluia !
Fouette-moi, oui fouette-moi disait la crême ! je l'ai exaucée .
« A Louise-Florence-Pétronille de TARDIEU d'ESCLAVELLES d'EPINAY
Lausanne 26 [janvier 1758]
Vous ? La goutte ! Madame ! Je n'en crois rien, cela ne vous appartient pas . C'est le lot d'un gros prélat, d'un vieux débauché et point du tout d'une philosophe dont le corps ne pèse pas quatre-vingt livres, poids de Paris . Pour de petits rhumatismes, de petites fluxions, de petits trémoussements de nerfs, passe ; mais si j'étais comme vous, madame, auprès de M. Tronchin je me moquerais de mes nerfs . C'est un bonheur dont je ne jouirai qu'après le retour du printemps car je ne crois pas que le secrétaire 1 et le chef des orthodoxes veuille jamais venir voir nos divertissements profanes et suisses . Cependant , madame, j'espère qu'il vous accompagnera quand nous serons un peu en train, qu'il y aura moins de neige le long du lac et que vos nerfs vous permettront d'honorer notre ermitage suisse de votre présence . Il fera pour vous, madame, ce qu'il ne ferait pas pour un vieux papiste comme moi, et il sera reçu comme s'il ne venait que pour nous .
Je vous remercie, madame, de vos gros gobets 2. J'en aurai le soin qu'on doit avoir de ce qui vient de vous .
Permettez que je remercie M. Linant 3. Il n'a pas besoin de son nom pour avoir droit à mon estime et à mon amitié , et j'ai connu son mérite avant de savoir qu'il portait le nom d'un de mes anciens amis . Je conviens avec lui que tout nous vient du levant et j'accepte avec grand plaisir la proposition qu'il veut bien me faire pour une douzaine de pruniers originaires de Damas et autant de cerisiers de Cérasunte . Ils s’accommoderont mal de mon terrain de terre à pot, maudit de Dieu ; mais j'y mettrai tant de gravier et de pierraille que j'en ferai un petit Montmorency 4. Je présente mes respects à l'élève de M. Linant, à M. de Nicolaï 5 qui fait ses caravanes de Malte près du lac de Genève . Enfin je présente ma jalousie à tous ceux qui font leur cour à Madame d'Epinay .
Au reste je serais fâché qu'on fouettât comme on le dit l'abbé de Prades tous les jours de marché à Breslau . Car après tout je n'aime pas qu'on fouette les prêtres .
Mme Denis se joint à moi et présente ses obéissances à madame d'Epinay .
M. de Richelieu est donc renvoyé après M. de Lucé 6. La cour est une belle chose . »
1 Théodore Tronchin , le médecin, est secrétaire de la Vénérable Compagnie des Pasteurs de Genève .Voir lettre du 8 janvier 1758 au même : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/17/vous-etes-prudent-et-je-n-ai-rien-a-vous-dire-mais-si-j-etai.html
2 Jeunes plants de cerisier ; voir lettre du 3 janvier 1758 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/06/il-parait-qu-on-s-est-mis-dans-un-labyrinthe-dont-aucun-fil.html
4 Mme d'Epinay possédait une propriété ,La Chevrette dans la vallée de Montmorency ( où elle avait accueilli et logé Jean-Jacques Rousseau )
5 Voir lettre du 8 novembre 1757 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/11/08/elles-s-en-retournent-gueries-et-embellies.html
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28/03/2013
Plus heureux qui est né libre
... Et le demeure .
Comme elles aux ailes neuves
« A M. Cosimo Alessandro COLLINI.
Gouverneur de monsieur le comte de Baver [Sauer]1
à Strasbourg
A Lausanne, 23 janvier [1758].
Je suis très-sensible à votre souvenir, mon cher Colini, et je vous souhaite un état assuré et tranquille, qui puisse vous faire oublier les agréments de votre beau pays. Je me trouve mieux que jamais de celui que j'ai choisi pour ma retraite. J'ai beaucoup embelli les Délices, et j'ai pris enfin une maison 2 à Lausanne, que j'ai très-ornée, et dans laquelle on est entièrement à l'abri des rigueurs de la saison. Je vois, de mon lit, quinze lieues de ce beau lac que vous connaissez. C'est le plus bel aspect que j'aie jamais vu; c'est là que je m'inquiète assez peu de tous les bouleversements de l'Allemagne. Vous devez vous intéresser à l'Autriche, puisque vous gouvernez un Autrichien, et que vous êtes né sous la domination de l'empereur. Plus heureux qui est né libre .Je vous embrasse. »
1 Sur le manuscrit Collini corrige et note Sauer car il est alors tuteur du fils du comte styrien von Sauer .
2 V* a quitté Montriond pour le grand Chêne ; voir lettre du 2 juin 1757 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/11/05/plut-a-dieu-que-cette-raison-put-parvenir-jusqu-a-faire-epar.html
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On craignait alors beaucoup les Espagnols en Italie
... Et en cette période de qualification pour la coupe du monde de foot, la crainte, historique, est toujours vive . Le sang ne coulera pas, enfin j'ose l'espérer, seuls le dollar et l'euro couleront à flot . La crise espagnole fera cause commune avec l'italienne, les supporters oublieront un moment leurs fins de mois difficiles en applaudissant des gars en short grassement payés .
Entre millionnaires on s'entend bien , malgré tout
« A M. Pierre-Jean GROSLEY 1
A Lausanne, 22 janvier 1758.
Je ne reçus qu'hier, monsieur, les deux dissertations 2 dont vous avez bien voulu m'honorer. Je les ai lues avec beaucoup de plaisir, et je ne perds pas un moment pour vous en faire mes remerciements. Je vois que non-seulement vous avez beaucoup lu, mais que vous avez bien lu, et que vous réfléchissez encore mieux. Je crois comme vous, monsieur, que l'abbé de Saint- Réal (homme qu'il ne faut pas regarder comme un historien) a fait un roman de la conspiration de Venise 3 mais on ne peut douter que le fond ne soit vrai. Le procurateur Nani 4 le dit positivement et je me souviens que l'abbé Conti, noble vénitien très-instruit, et qui est mort 5 dans une extrême vieillesse, regardait la conspiration du marquis de Bedmar 6 comme une chose très-avérée. Comment ne le serait-elle pas, puisque le sénat renvoya cet ambassadeur sur-le-champ, et qu'il fit mourir tant de complices ? Eût-on fait cet outrage au roi d'Espagne ? Se fût-on joué ainsi de la vie de tant de malheureux, pour supposer à l'Espagne une entreprise criminelle ? On craignait alors beaucoup les Espagnols en Italie. Venise, qui n'était point en guerre avec eux, voulait les ménager. Eût-ce été les ménager que leur imputer une pareille trahison ? On l'ensevelit autant qu'on put dans le silence, et le sénat avait en cela très-grande raison. Comment vouliez-vous que ce même sénat empêchât ensuite la promotion de Bedmar au cardinalat ? Les Vénitiens ont-ils jamais eu de crédit à Rome ? L'entreprise de Bedmar contre Venise était une raison de plus pour lui procurer le chapeau, plutôt qu'une raison pour l'exclure.
Ne rangez pas non plus la conspiration des poudres 7 parmi les suppositions; elle n'est que trop véritable. Personne en Angleterre ne forme le moindre doute aujourd'hui sur cette entreprise infernale. La lettre de Percy, qui existe, la mort qu'il reçut à la tête de cent cavaliers, le supplice de dix conjurés, le discours de Jacques Ier au parlement, sont des preuves contre lesquelles les jésuites n'ont jamais opposé que des objections méprisées. C'est en respectant vos lumières que je vous fais ces observations; et c'est avec bien de l'estime que j'ai l'honneur d'être,
monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur .
Voltaire. »
1 Pierre-Jean Grosley, né à Troyes en 1718, mort le 4 novembre 1785. http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Jean_Grosley
http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/368-pierre-jean-grosley
2 L'une avait parue sous le nom de P.J.G.A.A.T. Avec le titre Discussion historique et critique présentée à la Société littéraire de Chalons en Champagne, 1756 , et elle traite de la conjuration de Venise . Voir page 127 : http://books.google.fr/books?id=Sle-jDvoetEC&pg=RA3-PA127&lpg=RA3-PA127&dq=Discussion+historique+et+critique+pr%C3%A9sent%C3%A9e+%C3%A0+la+Soci%C3%A9t%C3%A9+litt%C3%A9raire+de+Chalons+en+Champagne,+1756&source=bl&ots=ry_37bDDXk&sig=riN7YRvKCvVXCfG84keH4rY7bWc&hl=fr&sa=X&ei=3YBTUbH3Jo-QhQe43YCYDA&ved=0CDYQ6AEwAg#v=onepage&q=Discussion%20historique%20et%20critique%20pr%C3%A9sent%C3%A9e%20%C3%A0%20la%20Soci%C3%A9t%C3%A9%20litt%C3%A9raire%20de%20Chalons%20en%20Champagne%2C%201756&f=false
L'autre est sans doute De l'influence des lois sur les mœurs, 1757 . Voir : http://books.google.fr/books?id=fuZOAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
3 La célèbre Conjuration des Espagnols contre la République de Venise, 1674 . Voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62079192
Voir la façon dont Saint Réal utilise ses sources pour ménager l'effet dramatique dans La Nouvelle en France à l'âge classique de F. Deloffre .
4 Ce procureur Nani [Giovanni] Battista [Felice Gasparo] Nani est l'auteur d'une Historia della republica Veneta, 1663-1679. Voir : http://www.treccani.it/enciclopedia/battista-felice-gaspare-nani_%28Dizionario_Biografico%29/
et : http://archive.org/stream/historiadellarep00nani#page/n3/mode/2up
5 En 1749 .
6 Alfonso della Cueva, marquis de Bedmar, en 1617-1618, avait tenté de faire passer Venise sous la domination espagnole . Couvert par l'immunité diplomatique il pût après l'échec de la conjuration se réfugier en Espagne où il devint cardinal et évêque d'Oviedo . Voir : https://en.wikipedia.org/wiki/Alfonso_de_la_Cueva,_1st_Marquis_of_Bedmar
7 Thomas Percy avait participé à la conspiration des poudres destinée à faire sauter le Parlement anglais le 5 novembre 1605 . une lettre anonyme avertit Monteagle qui dénonça le complot qui fut attribué aux catholiques . Voir Percy : http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Percy_%28comploteur%29
et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Conspiration_des_poudres
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27/03/2013
je suis plus sensible à votre amitié qu'aux vains applaudissements de quelques connaisseurs obscurs, qui pourront dire dans cent ans Vraiment ce drôle-là avait quelques talents
... Voltaire, ami exemplaire, vit encore à mes yeux dans la personne de Mam'zelle Wagnière qui lui est fidèle . Tout aussi fidèle en amitié, qualité terriblement aimablement touchante qui met/remet de l'espoir au coeur .
« A M. Charles-Augustin FERRIOL, comte d'ARGENTAL
Conseiller d'honneur du parlement à Paris
rue de la Sourdière à Paris
A Lausanne, 22 janvier [1758]
J'ai reçu votre lettre du 13, mon cher et respectable ami, mais rien de M. de Choiseul 1. J'ai présumé, par ce que vous me dites, qu'il s'agissait d'obtenir un congé pour monsieur son fils 2 blessé et prisonnier. Je doute fort que le roi de Prusse voulût, à ma chétive recommandation, s'écarter des idées qu'il s'est prescrites, et je suis d'autant moins à portée de lui demander une pareille grâce pour M. de Choiseul, que je lui écrivis 3, il y a huit jours, en faveur d'un Genevois qui est dans le même cas, et qui probablement restera estropié à Mersbourg.
Mais le roi de Prusse a une sœur qui doit avoir quelque crédit auprès de lui, et à qui je puis tout demander. Je lui ai écrit de la manière la plus pressante 4, et je lui ai recommandé M. le marquis de Choiseul comme je le dois. Ne doutez pas qu'elle n'en écrive au roi son frère il ne doit lui rien refuser. Je crois que le roi de Prusse peut s'amuser actuellement à faire des grâces; il n'y a pas moyen de se battre avec six pieds de neige; aussi Schweidnitz n'est pas pris 5 mais j'ai toujours grand'peur que M. de Richelieu ne se trouve entre les Hanovriens et les Prussiens. On se moque de tout cela dans votre Paris, et pourvu que les rentes de l'Hôtel de Ville soient payées, et qu'on ait quelques spectacles, on se soucie fort peu que les armées périssent. La chose peut pourtant devenir sérieuse, et vos sybarites peuvent un jour gémir.
Pour moi, mon cher ange, qui ne m'occupe que des siècles passés, je ne crois pas devoir cette année m'exposer au refus de la médaille 6. Qui diable a imaginé cette médaille? On ne l'aurait pas donnée à l'auteur de Britannicus, qui n'eut que cinq représentations, et on l'aurait donnée à l'auteur de Régulus 7! Fi donc! il n'y a de médailles que celles que la postérité donne. Il faut un ami comme vous pour le temps présent, et de beaux vers pour l'avenir; mais je suis plus sensible à votre amitié qu'aux vains applaudissements de quelques connaisseurs obscurs, qui pourront dire dans cent ans Vraiment ce drôle-là avait quelques talents.
Mille respects à Mme d'Argental et à tout ange.
V.»
1 Le comte de Choiseul, nommé ambassadeur de France à Vienne . http://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9sar_Gabriel_de_Choiseul-Praslin
2 Renaud- César-Louis, connu sous le titre de vicomte de Choiseul, avait été nommé guidon de gendarmerie en mars 1749, à l'âge de quinze ans. http://fr.wikipedia.org/wiki/Renaud_C%C3%A9sar_de_Choiseul-Praslin
5 La nouvelle de la prise de cette ville avait couru à Paris et d'Alembert en avait fait état dans sa lettre du 11 janvier 1758 à V* ; fausse nouvelle . Voir : http://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_(d%E2%80%99Alembert)/Correspondance_avec_Voltaire/007
6 Louis XV venait d'ordonner que les auteurs dont les pièces auraient eu un grand succès au théâtre, pour la première fois lui seraient présentés; pour la seconde, auraient une médaille; pour la troisième, obtiendraient une pension. La médaille portant l'inscription « Prix de l'art dramatique » signée Duvivier et J.-G. Raettius était apparemment frappée .
7 Cette tragédie de Pradon eut vingt-sept représentations de suite lors de sa création en 1688 . http://books.google.fr/books?id=KVZJAAAAMAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
15:57 | Lien permanent | Commentaires (0)
Ma nièce et moi, nous avons de très-bonnes mœurs dont j'enrage; mais il faut bien à mon âge avoir ce petit mérite
... Le "pouvoir" et le "vouloir" contrariés sont parfois sources de vertu, dont on se passerait bien .
« A M. Nicolas-Claude THIERIOT.
chez Madame la contesse de Montmorency
rue Vivienne à Paris
Lausanne, 21 janvier [1758].
Eh bien, mon ancien et tranquille ami, comment traite-t-on les cacouacs? La guerre est donc partout; et tandis qu'on s'extermine en Allemagne au milieu des neiges, on attaque de tous côtés les pauvres encyclopédistes à Paris. Je crois que je leur ai porté malheur en travaillant pour eux. Messieurs les prêtres de Genève se plaignent que M. d'Alembert leur fasse l'honneur de les ranger parmi les philosophes. Ils disent que ce nom n'a jamais convenu à gens de leur espèce, et ils demandent réparation . M. d'Alembert, de son côté, fatigué de toutes les criailleries de ses adversaires, et persécuté sourdement par les enfants d'Ignace, sans pouvoir plaire aux enfants de Calvin, renonce à l'Encyclopédie mais il faut espérer qu'il ne persistera pas dans son dépit. Il ne faut pas que le maréchal de Saxe quitte le commandement de l'armée parce qu'il a des tracasseries à la cour.
J'ai reçu l'Iphigénie que M. de La Touche 1 a eu la bonté de m'envoyer. Nous pourrions bien la jouer cet hiver dans notre tripot de Lausanne. M. d'Alembert conseille à messieurs de Genève d'avoir dans leur ville une troupe de comédiens de bonnes mœurs, c'est ce que nous nous flattons d'être à Lausanne. Ma nièce et moi, nous avons de très-bonnes mœurs dont j'enrage; mais il faut bien à mon âge avoir ce petit mérite. Nous avons une fille 2 du général Constant, et une belle-fille de ce fameux marquis de Langalerie 3, qui ont aussi les meilleures mœurs du monde, quoiqu'elles soient assez belles pour en avoir de très- mauvaises. Enfin notre troupe est fort édifiante, et, de plus, elle est quelquefois fort bonne. On ne peut guère passer plus doucement sa vie, loin des horreurs de la guerre et des tracasseries littéraires de Paris. Ah mon ami, que les grosses gelinottes sont bonnes, mais qu'elles sont difficiles à digérer, mon cuisiner et mon apothicaire me tuent. Adieu, je suis fâché de ne vous point revoir avant de rendre mon âme et mon corps à celui qui m'a donné ces deux mauvais outils .»
2V* veut sans doute dire « belle-fille » en pensant soit à Mme Constant de Rebecque, soit à Mme Constant d'Hermenches , laquelle est la plus plausible car elle vient d'arriver à Lausanne avec son mari : Louise-Anna-Jeanne-Françoise de Seigneux, épouse de David-Louis Constant d'Hermenches .
3 Suzanne-Angélique-Alexandrine, sœur de David-Louis et de François-Marc-Samuel Constant, épouse de Frédéric-Philippe-Alexandre de Gentils, marquis de Langallerie, propriétaire jusqu'en 1750 du château d'Allaman tout proche .
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26/03/2013
sans me lamenter le moins du monde avec vous sur les misères humaines
... Est ce que je vais esssayer de faire, car à la relecture des mes commentaires/en-tête, je m'aperçois que je sombre depuis quelques semaines dans des considérations un peu rasoir et que le gris n'est pas loin de virer au noir . Retrouvons l'optimisme qui est un moteur bien plus puissant que de ressasser les bourdes humaines quotidiennes, y compris les miennes .
Allez, banzaï !
« A M. Élie BERTRAND.
premier pasteur, à Berne
A Lausanne, 19 janvier [1758].
J'ai été un peu malade, mon cher philosophe, c'est un tribut que je paye à toutes les saisons. Et ce tribut mange ceux de l'amitié que je vous dois. Je ne vous ai point écrit, j'ai laissé prendre Breslau, et Lignitz, et peut-être Schweidnitz, et les troupes prussiennes entrer en Moravie sans me lamenter le moins du monde avec vous sur les misères humaines. J'ai laissé les pasteurs de Genève s'assembler, se remuer, s'agiter, proposer, contredire, et ne savoir que faire, sans vous en dire le moindre mot. Il y en a quelques-uns qui disent qu'on n'a que des grâces à rendre à M. d'Alembert, qui a peint le clergé suisse plus sage que le clergé français . D'autres sont fâchés sérieusement, d'autres affectent de l'être. Le temps adoucira tout. Ce petit orage ne submergera pas ceux qui ne sont pas de l'avis de l'omousios 1, et petit à petit on reviendra à ce qu'il y a de plus simple et de plus naturel.
Les affaires d'Allemagne sont un peu plus intéressantes. On dit Shweidnitz pris, ne pourrait-on point en demeurer là ? Si l'impératrice voulait renoncer à la Silésie, on ne pillerait plus, on n'égorgerait plus. Mais quidquid delirant reges, plectuntur Achivi 2: c'est mon refrain. Madame la margrave de Baireuth me mande 3 que, le 23 et le 24 décembre dernier, il y eut des tremblements de terre considérables autour de sa ville, à quatre milles à la ronde, précédés de bruits souterrains assez effrayants. Voilà encore de quoi mettre dans votre greffe 4. Il résultera de vos observations que les tremblements sont plus fréquents que les aurores boréales . On ne faisait attention autrefois qu'aux aurores boréales singulières qui étaient suivies de quelque grand événement. On ne parlait que des tremblements qui engloutissaient des villes, on négligeait les autres. On découvrira peut-être qu'il y a une douzaine de tremblements de terre année commune dans notre petit globe et que c'est une suite naturelle de sa constitution. J'ai bien peur que la guerre et les autres fléaux ne soient aussi une suite nécessaire de notre malheureuse constitution morale. Adieu, la constitution de mon âme est de vous être attaché .
Mille tendres respects à M. et de Freudenreich.
V. »
1 Venant du grec signifiant « de même essence », on parle ici de la consubstantialité des personnes de la Trinité .
2 De toutes les folies des rois, ce sont les Achéens qui portent la peine . Horace, Epîtres, I, II, 14 .
3 Le 27 décembre 1757 : « nous avons eu ici, il y a trois jours trois secousses d'un tremblement de terre … Il n'a causé aucun dommage . On n'a point l'exemple d'un pareil phénomène dans ce pays ... » : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/02/28/je-vous-adresse-la-lettre-ci-jointe-pour-le-chapeau-rouge-3.html
4 Bertrand préparait une nouvelle édition de ses Mémoires sur la structure intérieure de la terre . V* emploie « greffe » pour désigner le « lieu où l'on conserve ce qui est écrit. ». http://books.google.fr/books?id=vwwKAAAAIAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
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25/03/2013
Ameutez-vous, et vous serez les maîtres. Je vous parle en républicain ...Ô la pauvre république!
... Suite de la manif contre le mariage pour tous : la république n'a que faire de tel mouvement . Les forces de police , ô ironie, ont simplement appliqué les consignes de l'ex-ministre Guaino qui me rappelle les joueurs de Jokari distraits se prenant leur balle en pleine tête .
Sur les trois cent mille ou un million de traine-intolérance de ce dimanche , combien ont un fils ou une fille homosexuel(le) ? Combien savent vraiment ce que ceux-ci vivent au quotidien ? Combien de papas-mamans, parisiens d'un jour, auront divorcé dans les trois ans qui viennent ?
Ô pauvre république que celle de ces myopes de l'esprit !
« A M. Jean Le Rond d'ALEMBERT.
A Lausanne, 19 janvier [1758].
Je reçois, mon cher philosophe, votre lettre du 11. Je vous dirai que je viens de lire votre article Géométrie. Quoique je sois un peu rouillé sur ces matières, j'ai eu un plaisir très-vif, et j'ai admiré les vues fines et profondes que vous répandez partout. Je vous ai envoyé Hémistiche et Heureux 1, que vous m'avez demandés. Hémistiche n'est pas une commission bien brillante. Cependant, en ornant un peu la matière, j'en aurai peut-être fait un article utile pour les gens de lettres et pour les amateurs. Rien n'est à dédaigner, et je ferai le mot Virgule quand vous le voudrez. Je vous répète que je mettrai toujours avec grand plaisir des grains de sable à votre pyramide mais ne l'abandonnez donc pas, ne faites donc pas ce que vos ridicules ennemis voulaient, ne leur donnez donc pas cet impertinent triomphe.
Il y a quarante ans et plus que je fais le malheureux métier d'homme de lettres, et il y a quarante ans que je suis accablé d'ennemis. Je ferais une bibliothèque des injures qu'on a vomies contre moi, et des calomnies qu'on a prodiguées. J'étais seul, sans aucun partisan, sans aucun appui, et livré aux bêtes comme un premier chrétien. C'est ainsi que j'ai passé ma vie à Paris. Vous n'êtes pas assurément dans cette situation cruelle et avilissante, qui a été l'unique récompense de mes travaux. Vous êtes des deux Académies, pensionné du roi 2. Ce grand ouvrage de l'Encyclopédie, auquel la nation doit s'intéresser, vous est commun avec une douzaine d'hommes supérieurs qui doivent s'unir à vous. Que ne vous adressez-vous en corps à M. de Malesherbes?3 que ne prescrivez-vous les conditions? On a besoin de votre ouvrage il est devenu nécessaire il faudra bien qu'on vous facilite les moyens de le continuer avec honneur et sans dégoût. La gloire de M. de Malesherbes y est intéressée. On doit vous supplier d'achever un ouvrage qui doit toujours se perfectionner, et qui devient meilleur à mesure qu'il avance.
Je ne conçois pas comment tous ceux qui travaillent ne s'assemblent pas, et ne déclarent pas qu'ils renonceront à tout si on ne les soutient mais, après la promesse d'être soutenus, il faut qu'ils travaillent. Faites un corps, messieurs, un corps est toujours respectable. Je sais bien que ni Cicéron ni Locke n'ont été obligés de soumettre leurs ouvrages aux commis de la douane des pensées, je sais qu'il est honteux qu'une société d'esprits supérieurs, qui travaillent pour le bien du genre humain, soit assujettie à des censeurs indignes de vous lire, mais ne pouvez- vous pas choisir quelques réviseurs raisonnables ? M. de Malesherbes ne peut-il pas vous aider dans ce choix ? Ameutez-vous, et vous serez les maîtres. Je vous parle en républicain mais aussi il s'agit de la république des lettres. Ô la pauvre république!
Venons à l'article Genève. Un ministre me mande qu'on vous doit des remerciements; je crois vous l'avoir déjà dit. D'autres se fâchent, d'autres font semblant de se fâcher, quelques-uns excitent le peuple, quelques autres veulent exciter les magistrats. Le théologien Vernet, qui a imprimé que la révélation est utile est à la tête de la commission établie pour voir ce qu'on doit faire 4, le grand médecin Tronchin est secrétaire de cette commission, et vous savez combien il est prudent. Vous n'ignorez pas combien on a crié sur l'âme atroce de Calvin, mot qui n'était pas dans ma lettre à Thieriot, imprimée dans le Mercure galant, et très-fautivement imprimée. J'ai une maison dans le voisinage qui me coûte plus de cent mille francs aujourd'hui, on n'a point démoli ma maison. Je me suis contenté de dire à mes amis que l'âme atroce avait été en effet dans Calvin, et n'était point dans ma lettre. Les magistrats et les prêtres sont venus dîner chez moi comme à l'ordinaire. Continuez à me laisser avec Tronchin le soin de la plaisante affaire des sociniens de Genève, vous les reconnaissez pour chrétiens, comme M. Chicaneau reconnaît de Pimbesche
Pour femme très-sensée et de bon jugement 5.
Il suffit. Je suis seulement très-fâché que deux ou trois lignes vous empêchent de revenir chez nous. Je vous embrasse tendrement.
P. S. Permettez-moi seulement les politesses avec ces sociniens honteux, ce n'est pas le tout de se moquer d'eux, il faut encore être poli. Moquez-vous de tout, et soyez gai. »
1Voir lettre du 8 janvier 1758 au même : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/08/je-vous-conjure-instamment-d-avoir-toujours-du-courage.html
3 Voir sur son rôle de censeur : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1995-04-0106-013
4 La Vénérable Compagnie des pasteurs avait fait dresser un mémoire à l'usage du Conseil de Genève après avoir nommé des commissionnaires pour examiner l'article « Genève » . Voir entre autres la délibération du Conseil du 8 février 1758 qui demande « qu'il ne fût fait aucune mention du Magistrat dans le mémoire de la Vénérable Compagnie » ; voir aussi lettre du 7 mars 1758 à d'Alembert : page 417 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f420.image
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