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Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné

vous avez tiré de l’or de son fumier en confondant ses calomnies

... Pourrait dire Alexeï Navalny aux enquêteurs, sur les agissements illégaux de Vladimir Poutine qui, lui, se fait fort de bénéficier d'une immunité définitive , échappant ainsi à toutes révélations sur ses malversations : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/18/p...La corruption gangrène la Russie – Cartooning for Peace

 

 

« A François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence

24 auguste 1765

La lettre que vous avez daigné écrire 1, monsieur le marquis, est digne de votre cœur et de votre raison supérieure. J’ai appris par cette lettre l’insolente bassesse de Fréron, que j’ignorais. Je n’ai jamais lu ses feuilles ; le hasard, qui vous en a fait tomber une entre les mains, ne m’a jamais si mal servi ; mais vous avez tiré de l’or de son fumier en confondant ses calomnies.

Si cet homme avait lu la lettre que Mme Calas écrivit de la retraite où elle était mourante, et dont on la tira avec tant de peine ; s’il avait vu la candeur, la douleur, la résignation qu’elle mettait dans le récit du meurtre de son fils et de son mari, et cette vérité irrésistible avec laquelle elle prenait Dieu à témoin de son innocence, je sais bien que cet homme n’en aurait pas été touché, mais il aurait entrevu que les cœurs honnêtes devaient en être attendris et persuadés.

Ce n’est pas aux tyrans à sentir la nature,

Ce n’est pas aux f... à sentir la vertu.2

Quant à M. le maréchal de Richelieu et à M. le duc de Villars, dont il tâche, dites-vous, d’avilir la protection, et de récuser le témoignage, il ignore que c’est chez moi qu’ils virent le fils de madame Calas, que j’eus l’honneur de leur présenter, et qu’assurément ils ne l’ont protégé qu’en connaissance de cause, après avoir longtemps suspendu leur jugement, comme le doit tout homme sage avant de décider.

Pour MM. les maîtres des requêtes, c’est à eux de voir si après leur jugement souverain, qui a constaté l’innocence de la famille Calas, il doit être permis à un Fréron de la révoquer en doute.

Je vous embrasse avec tendresse, et je vous aime autant que je vous respecte. »

1 Un soi-disant philosophe protestant avait critiqué, dans l’Année littéraire, la lettre de Voltaire à Damilaville du 1er  mars voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/05/14/mon-zele-devient-tous-les-jours-plus-fort-6238500.html

et http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/02/27/1... ).

D’Argence, après avoir vainement prié Voltaire de répliquer, écrivit lui-même contre le « philosophe protestant », et sa lettre parut imprimée avec la présente missive.

Voici, du reste, la lettre de d’Argence :« Au château de Dirac, ce 20 juillet [1765]. / J’ai lu dans une feuille, mon vertueux ami, intitulée l’Année littéraire, une satire à l’occasion de la justice rendue à la famille des Calas par le tribunal suprême de MM. les maîtres des requêtes ; elle a indigné tous les honnêtes gens, on m’a dit que c’est le sort de ces feuilles. / L’auteur, par une ruse à laquelle personne n’est jamais pris, feint qu’il a reçu de Languedoc une Lettre d’un philosophe protestant. Il fait dire à ce prétendu philosophe que si on avait jugé les Calas sur une lettre de M. de Voltaire, qui a couru dans l’Europe, on aurait eu une fort mauvaise idée de leur cause. L’auteur des feuilles n’ose pas attaquer MM. les maîtres des requêtes directement ; mais il semble espérer que les traits qu’il porte à M. de Voltaire retomberont sur eux, puisque M. de Voltaire avait agi sur les mêmes preuves. / Il commence par vouloir détruire la présomption favorable que tous les avocats ont si bien fait valoir, qu’il n’est pas naturel qu’un père assassine son fils sur le soupçon que ce fils veut changer de religion. Il oppose à cette probabilité reconnue de tout le monde, l’exemple de Junius Brutus, qu’on prétend avoir condamné son fils à la mort. Il s’aveugle au point de ne pas voir que Junius Brutus était un juge qui sacrifia, en gémissant, la nature à son devoir. Quelle comparaison entre une sentence sévère et un assassinat exécrable ! entre le devoir et un parricide ! et quel parricide encore ! Il fallait, s’il eût été en effet exécuté, que le père et la mère, un frère et un ami, en eussent été également coupables. / Il pousse la démence jusqu’à oser dire que si les fils de Jean Calas ont assuré « qu’il n’y eut jamais de père plus tendre et plus indulgent, et qu’il n’avait jamais battu un seul de ses enfants. » c’est plutôt une preuve de simplicité de croire cette déposition, qu’une preuve de l’innocence des accusés. / Non, ce n’est pas une preuve juridique complète, mais c’est la plus grande des probabilités ; c’est un motif puissant d’examiner, et il ne s’agissait alors, pour M. de Voltaire, que de chercher des motifs qui le déterminassent à entreprendre une affaire si intéressante, dans laquelle il fournit depuis des preuves complètes, qu’il fit recueillir à Toulouse. / Voici quelque chose de plus révoltant encore. M. de Voltaire, chez qui je passai trois mois, auprès de Genève, lorsqu’il entreprit cette affaire, exigea, avant de s’y exposer, que madame Calas, qu’il savait être une dame très religieuse, jurât, au nom du Dieu qu’elle adore, que ni son mari ni elle n’étaient coupables. Ce serment était du plus grand poids, car il n’était pas possible que madame Calas fît un faux serment pour venir à Paris s’exposer au supplice ; elle était hors de cause, rien ne la forçait à faire la démarche hasardeuse de recommencer un procès criminel dans lequel elle aurait pu succomber. L’auteur des feuilles ne sait pas ce qu’il en coûterait à un cœur qui craint Dieu de se parjurer ; il dit que c’est là un mauvais raisonnement, « que c’est comme si quelqu’un aurait interrogé un des juges qui condamnèrent Calas, etc. » / Peut-on faire une comparaison aussi absurde ? Sans doute le juge fera serment qu’il a jugé suivant sa conscience ; mais cette conscience peut avoir été trompée par de faux indices, au lieu que madame Calas ne saurait se tromper sur le crime qu’on imputait alors à son mari, et même à elle. Un accusé sait très bien dans son cœur s’il est coupable ou non ; mais le juge ne peut le savoir que par des indices souvent équivoques. Le faiseur de feuilles a donc raisonné avec autant de sottise que de malignité, car je dois appeler les choses par leur nom. / Il ose nier qu’on ait cru dans le Languedoc que les protestants ont un point de leur secte qui leur permet de donner la mort à leurs enfants qu’ils soupçonnent de vouloir changer de religion, etc. : ce sont les paroles de ce folliculaire. / Il ne sait donc pas que cette accusation fut si publique et si grave, que M. Sudre, fameux avocat de Toulouse, dont nous avons un excellent mémoire en faveur de la famille Calas, réfute cette erreur populaire, pages 59, 60 et 61 de son factum. Il ne sait donc pas que l’Église de Genève fut obligée d’envoyer à Toulouse une protestation solennelle contre une si horrible accusation . / Il ose plaisanter, dans une affaire aussi importante, sur ce qu’on écrivait à l’ancien gouverneur du Languedoc, et à celui de Provence, pour obtenir, par leur crédit, des informations sur lesquelles on pût compter : que pouvait-on faire de plus sage ? / Je ne dirai rien des petites sottises littéraires que cet homme ajoute dans sa misérable feuille. L’innocence des Calas, l’arrêt solennel de MM. les maîtres des requêtes, sont trop respectables pour que j’y mêle des objets si vains. Je suis seulement étonné qu’on souffre dans Paris une telle insolence, et qu’un malheureux, qui manque à la fois à l’humanité et au respect qu’il doit au conseil, abuse impunément, jusqu’à ce point, du mépris qu’on a pour lui. / Je demande pardon à M. de Voltaire d’avoir mêlé ici son nom avec celui d’un homme tel que Fréron ; mais puisqu’on souffre à Paris que les écrivains les plus déshonorés outragent le mérite le plus reconnu, j’ai cru qu’il était permis à un militaire, que l’honneur anime, de dire ce qu’il pense ; et j’en suis si persuadé, que vous pouvez, mon cher philosophe, faire part de mes réflexions à tous ceux qui aiment la vérité. / Vous savez à quel point je vous suis attaché. / d’Argence»

2 Mérope, Ac. IV, sc. 2 ; le manuscrit donne fripons .

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20/12/2020 | Lien permanent

j'ai quatre-vingt-deux ans, quatre-vingts maisons à finir, et quatre-vingts sottises à faire

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

 

27è auguste 1776

 

Que vous dirais-je, mon cher ange, sur votre lettre indulgente et aimable du 19 d'auguste ? Je vous dirai que si j'étais un peu ingambe, si je n'avais pas tout à fait quatre-vingt-deux ans, je ferais le voyage de Paris pour la reine et pour vous. Je vous avoue que j'ai une furieuse passion de l'avoir pour protectrice. J'avais presque espéré qu'Olympie paraitrait devant elle . Je regardais cette protection déclarée dont je me flattais comme une égide nécessaire qui me défendrait contre des ennemis acharnés, et à l'ombre de laquelle j'achèverais paisiblement ma carrière. Ce petit agrément de faire reparaitre Olympie m'a été refusé. Il faut avouer que Lekain n'aime pas les rôles dans lesquels il n'écrase pas tous les autres [i]. Il nous a donné d'un Chevalier Bayard [ii] à Ferney dans lequel il n'a eu d'autre succès que de paraître sur son lit un demi-quart d'heure. Je ne lui ai point vu jouer ce détestable ouvrage. Je ne puis supporter les mauvais vers, et les tragédies de collège, qui n'ont que la rareté, la curiosité pour tout mérite. Lekain, pour m'achever, jouera Scévole [iii] à Fontainebleau. Je suis persuadé qu'une jeune reine qui a du goût ne sera pas trop contente de ce Scévole qui n'est qu'une vieille déclamation digne du temps de Hardy.[iv]

 

Lekain ne m'a point rendu compte, comme vous le croyez, des raisons qui font donner la préférence à cette antiquaille. Il ne m'a rendu compte de rien ; aussi ne lui ai-je demandé aucun compte. Il avait fait son marché avec deux entrepreneurs pour venir gagner de l'argent [v] auprès de Genève [vi] et à Besançon [vii]. Il joue actuellement à Besançon ; je l'ai reçu de mon mieux quand il a été chez moi ; je n'en sais pas davantage.

 

Je ne sais pas comment mon petit procès avec le sieur Le Tourneur aura été jugé le jour de la Saint Louis [viii]. Je n'ai pas eu le temps d'envoyer mon factum tel que je l'ai fait en dernier lieu. Je vais en faire tirer quelques exemplaires pour vous le soumettre. On dit, à la honte de notre nation, qu'il y a un grand parti composé de faiseurs de drame et de tragédies en prose secondé par des Welches qui croient être du parlement d'Angleterre. Tous ces messieurs, dit-on, abjurent Racine et m'immolent à leur divinité étrangère. Il n'y a point d'exemple d'un pareil renversement d'esprit, et d'une pareille turpitude. Les Gilles et les Pierrots de la foire Saint-Germain il y a cinquante ans, étaient des Cinnas et des Polyeuctes en comparaison des personnages de cet ivrogne de Shakespear que M. Le Tourneur appelle le dieu du théâtre. Je suis si en colère de tout cela que je ne vous parle point de la décadence affreuse où va retomber mon petit pays. Nous payons bien cher le moment de triomphe que nous avons eu sous M. Turgot [ix]. Me voila complètement honni en vers et en prose. Il me faut abandonner toutes les parties que je jouais. Il faut savoir souffrir, c'est un métier que je fais depuis longtemps. J'ai aujourd'hui ma maitrise.

 

Je voudrais bien savoir comment M. de Thibouville prend la barbarie dans laquelle nous tombons. Il me paraît qu'il n'est pas assez fâché. Pour vous, mon cher ange, j'ai été fort édifié de votre noble colère contre M. Le Tourneur.

 

Je crois que vous aurez bientôt Mme Denis qui entreprend un voyage bien pénible pour aller consulter M. Tronchin, et ce qu'il y a de pis c'est qu'elle va le consulter pour une maladie qu'elle n'a pas [x]. Dieu veuille que ce voyage ne lui en donne pas une véritable ! Le gros abbé Mignot la conduira. Un gentilhomme notre voisin, qui est du voyage , la ramènera. Pourquoi ne vais-je point avec elle ? C'est que j'ai quatre-vingt-deux ans, quatre-vingts maisons à finir, et quatre-vingts sottises à faire, c'est qu'au fond je suis bien plus malade qu'elle, et même trop malade pour parler à des médecins.

 

Mon cher ange, tout enseveli que je suis sur la frontière suisse, cependant je sens encore que je vis pour vous.

 

V. »

i V* disait déjà la même chose le 19 juillet à D'Argental qui lui répondit le 24 que Lekain n'était pas responsable, et le 2 septembre : (Lekain) « pouvait vous dire avec vérité qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour en procurer les représentations à Paris et à Fontainebleau, mais que l'arrangement pris pour les pièces nouvelles ... y (a) mis des obstacles invincibles. Je ne lui crois point l'ambition que vous lui supposez ... »

ii Gaston et Bayard, pièce de Belloy jouée pour la première fois à Versailles en février 1770 et à Paris en avril 1771.

iii De Pierre Du Ryer, 1644 ou 1646.

iv Alexandre Hardy 1570-1632.

v D'Argental lui répondra : « Je vous assure que son principal motif a été de répondre à la bonté que vous aviez de l'y désirer. » ; Lekain dans ses lettres qu'il écrit de Ferney montre une grande admiration pour V*.

vi A Châtelaine, république de Genève ; l'un des entrepreneurs de spectacle est Saint Géran (cf. lettre du 24 juin) qui, selon V*, possède le théâtre de Chatelaine. V* vient d'achever la construction de son nouveau théâtre à Ferney.

vii D'Argental informera V* que Lekain « a accordé trois représentation à Besançon, qui lui ont été demandées par Mme de Ségur avec les instances les plus vives. »

viii A savoir, comment a été accueillie sa Lettre ... à l'Académie française lue dans cette Académie à la solennité de la Saint Louis, le 25 août 1776, dirigée contre le panégyrique de Shakespeare fait par Le Tourneur.

Le même jour, d'Alembert se fait « un plaisir de rendre compte de son succès » : « Vos réflexions ont fait très grand plaisir et ont été fort applaudies ; les citations ... ont fort diverti l'assemblée. On m'en a fait répéter plusieurs endroits, et les gens de goût ont surtout écouté la fin avec beaucoup d'intérêt. Je n'ai pas besoin de vous dire que les Anglais qui étaient là sont sortis mécontents, et même quelques Français qui ne se contentent pas d'être battus par eux sur terre et sur mer, et qui voudraient encore que nous le fussions sur le théâtre ... » Cf. lettres des 19 et 30 juillet à d'Argental et 13 août à d'Alembert.

ix Pour les avantages demandés à Turgot et accordé pour le pays de Gex : rachat du monopole du sel aux fermiers généraux, suppression des corvées, ... Turgot a dû démissionner le 11 mai 1776 ; cf. lettre à Turgot du 18 mai et à Christin du 30 mai.

Voir aussi lettres du 29 août 1775 à Moultou, 31 août à de Vaines, 8 octobre et 8 décembre à Turgot, 14 décembre à Mme de Saint-Julien, 8 janvier 1776 à Chabanon, 27 janvier à Condorcet,...

x Une maladie « de poitrine » ; elle ne partit pas .

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27/08/2010 | Lien permanent

C'est un tissu de railleries amères et d'invectives atroces contre notre religion.

... Que tous ceux qui osent dire ceci aillent dans ce pays béni , réputé ( à tort ? ) comme étant un modèle : le Danemark .

Les Danois (grandes gueules et hauts sur pattes, on le sait ) habiles cyclistes, pratiquent le rétropédalage et la chasse aux sorcières en menaçant ceux qui se rendraient coupables de blasphème ! La lâcheté n'a décidément pas de limites pour se dégonfler ainsi devant des religieux mal lunés et bornés ; on est loin , immensément loin de la tolérance voltairienne .  La petite sirène a bien raison de vous tourner le dos . Trouver des boucs émissaires, est-ce bien raisonnable quand on a un Poutine pour voisin ?

Au fait , le blasphème quésaco ? 

" C'est un mot grec qui signifie atteinte à la réputation.[...] Blasphème ne fut employé dans l’Église grecque que pour signifier injure faite à Dieu. [...]

Il est triste parmi nous que ce qui est blasphème à Rome, à Notre-Dame de Lorette, dans l’enceinte des chanoines de San-Gennaro, soit piété dans Londres, dans Amsterdam, dans Stockholm, dans Berlin, dans Copenhague, dans Berne, dans Bâle, dans Hambourg. Il est encore plus triste que dans le même pays, dans la même ville, dans la même rue, on se traite réciproquement de blasphémateur. [...]

Dryden a dit :

This side to day and the other to morrow burns,
And they are all God’s almighty in their turns.

Tel est chaque parti, dans sa rage obstiné,
Aujourd’hui condamnant, et demain condamné." Blasphème -Dictionnaire philosophique - Voltaire - https://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_philosophique...

 

Vive Charlie Hebdo , encore une fois :

blaspheme coran cover-medium.jpg

sauverlecoranSans titre.jpg

https://kiosque.charliehebdo.fr/app/last/home

https://www.reddit.com/media?url=https%3A%2F%2Fi.redd.it%...

 

 

 

« A Charles-Joseph Panckoucke

1er février 1768 1

Le froid excessif, la faiblesse excessive, la vieillesse excessive, et le mal aux yeux excessif, ne m'ont pas permis, monsieur, de vous remercier plus tôt des premiers volumes de votre Vocabulaire 2, et du Don Carlos de monsieur votre cousin 3. Toute votre famille paraît consacrée aux lettres. Elle m'est bien chère, et personne n'est plus sensible que moi à votre mérite et à vos attentions.

Plus vous me témoignez d'amitié, moins je conçois comment vous pouvez vous adresser à moi pour vous procurer l'infâme ouvrage intitulé le Dîner du comte de Boulainvilliers . J'en ai eu par hasard un exemplaire, et je l'ai jeté dans le feu. C'est un tissu de railleries amères et d'invectives atroces contre notre religion. Il y a plus de quarante ans que cet indigne écrit est connu mais ce n'est que depuis quelques mois qu'il paraît en Hollande, avec cent autres ouvrages de cette espèce. Si je ne consumais pas les derniers jours de ma vie à une nouvelle édition du Siècle de Louis XIV, augmentée de près de moitié , si je n'épuisais pas le peu de force qui me reste à élever ce monument à la gloire de ma patrie, je réfuterais tous ces livres qu'on fait chaque jour contre la religion.

V. »

1 Copie Beaumarchais-Kehl qui annexe le billet du 1er juin 1768 : « J'ai lu cette nouvelle édition in-4°, qu'on débite à Paris, de mes Œuvres. Je ne puis pas dire que je trouve tout beau ... papier, dorure, images, caractère, car je n'ai point encore vu les images . Mais je suis très satisfait de l'exactitude et de la perfection de cette édition, qui à ce que j'espère sera la dernière . Je trouve que tout en est beau, hormis les vers, qu'il fallait laisser faire... à Jean Racine .

Je souhaite que ceux qui l'ont entreprise ne se ruinent pas, et que les lecteurs ne me fassent pas les mêmes reproches que je me fais, car j'avoue qu'il y a un peu trop de vers et de prose dans ce monde. C'est ce que je signe en connaissance de cause. / Voltaire./ A Ferney 1er juin 1768.»

3 Henri Panckoucke, à qui est adressée la lettre du 8 janvier 1768 ( 7123 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411361p/texteBrut ), avait fait une héroïde sur Don Carlos, « Lettre de Don Carlos à Élisabeth » , 1768, qu'il fit imprimer en 1769, avec d'autres pièces. Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k497435.image

et : https://data.bnf.fr/fr/15977276/henri_panckoucke/

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Panckoucke

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08/09/2023 | Lien permanent

Mais il y a des temps où il ne faut pas irriter les esprits qui ne sont que trop en fermentation

... Que tous les dirigeants se le disent , en soient persuadés , et en tiennent compte

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Et que les pantins, de leur côté, se libèrent, coupent les ficelles

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

22è janvier 1764 1

Vos lettres, mon cher frère, sont une grande consolation pour le quinze-vingts des Alpes . Il est certain que les inondations ont arrêté quelquefois les courriers ; mais il n'est pas moins vrai que les premières personnes de l’État n'ont pu recevoir de Tolérance par la poste . Vous savez qu'on me fait trop d'honneur en me soupçonnant d'être l'auteur de cet ouvrage . Il est au-dessus de mes forces . Un pauvre faiseur de contes n'en sait pas assez pour citer tant de pères de l’Église, avec du grec et de l'hébreu . Quel que soit l'auteur il paraît qu'il n'a que de bonnes intentions . J'ai vu des lettres des hommes les plus considérables de l'Europe, qui sont entièrement de l'avis de l'auteur, depuis le commencement jusqu'à la fin . Mais il y a des temps où il ne faut pas irriter les esprits qui ne sont que trop en fermentation . J'oserai conseiller à ceux qui s'intéressent à cet ouvrage, et qui veulent le faire débiter, d'attendre quelques semaines, et d'empêcher que la vente ne soit trop publique .

Si jamais mon cher frère peut parvenir à me faire avoir l’homélie de Christophe, je me croirai dans le chemin du salut . Voici un petit billet pour frère Thieriot . Je crains bien qu'il ne tâte aussi de la banqueroute de ce notaire 2. C'était une chose inouïe autrefois qu'un notaire pût être bon banqueroutier . Mais depuis que Mazade, Porlier, conseillers au parlement, Bernard, maître des requêtes, ont fait de belles faillites, je ne suis plus étonné de rien . Ce maître Bernard, surintendant de la maison de la reine, beau-frère du premier président de la première classe du parlement de France, et monsieur son fils l'avocat général , ont emporté à Mme Denis et à moi, environ quatre-vingts mille livres, et M. le président de Molé a toujours été si occupé des remontrances sur les finances, qu'il a toujours oublié de me faire rendre justice de monsieur son beau-frère .

Est-il vrai que M. de Laverdy a déjà fait beaucoup de retranchements dans les dépenses publiques et dans les profits de quelques particuliers ? Si cela est, il sauve quelques écus, mais il doit des millions.

Je me flatte qu'enfin l'épidémie des remontrances va cesser comme la mode des pantins 3. Mais celle de l'opéra-comique subsistera longtemps ; c'est là le génie de la nation .

J'espère que Briasson m'enverra enfin mes planches, et que nous aurons bientôt tout l'ouvrage, en dépit des ennemis de la raison . Je ne savais pas que ce malheureux Bougainville fût un de ces ennemis ; je ne le connaissais que comme un homme médiocre, fils d'un sot notaire, qui a été encore de part dans une banqueroute qu'on m'a faite .

Je ne sais aucune nouvelle du tripot de la comédie, ni des autres tripots qui se croient plus essentiels . Je serai affligé si la pièce de frère Saurin essuie un affront 4; c'est un des frères les plus persuadés ; je souhaite qu'il soit un des plus zélés . Frère Helvétius est-il à Paris ? Tâchez d'avoir quelque chose d'édifiant à me dire touchant le petit troupeau . Cultivez la vigne, mon cher frère et écr l'inf . »

1 L'édition de Kehl, suivant la copie Beaumarchais, et les éditions ultérieures, mêle des extraits de cette lettre à celle du 27 janvier 1764 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/07/correspondance-annee-1764-partie-4.html

2 Un certain Deshayes qui fit une banqueroute de trois millions de francs .

3 Ce fut longtemps la mode d'en avoir un dans sa poche . Voir : https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article761

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28/01/2019 | Lien permanent

C’est un petit singe fort bon à enchaîner, et à montrer à la foire pour un chelin

...

Breve guía para sobrevivir en el bar: 23 y 24 de abril

Tullius Détritus champion de la zizanie .

Eric Zemmour est son représentant .

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

16 septembre 1766 1

Je me hâte, mon cher ami, de répondre à votre lettre du 11 . Je commence par ce recueil abominable, imprimé à Amsterdam sous le titre de Genève. Les trois lettres qu’on attribue en note, d’une manière indécise, à M. de Montesquieu 2 ou à moi, sont ajoutées à l’ouvrage, et sont d’un autre caractère. La lettre à M. Deodati, sur son livre de l’Excellence de la langue italienne, est falsifiée bien odieusement : car, au lieu des justes éloges que je donnais au courage ferme et tranquille d’un prince 3 à qui tout le monde rend cette justice, on y fait une satire très amère de sa personne et de sa conduite 4. C’est ainsi qu’on a empoisonné presque toutes les lettres qu’on a pu rassembler de moi. Celle que je vous écrivis sur les Sirven 5 est falsifiée et pleine d'interpolations 6 .

Je suis dans la nécessité de me justifier dans les journaux ; un simple désaveu ne suffit pas7. L’infâme éditeur est déjà allé au-devant de mes dénégations. Il dit dans son avertissement que toutes les personnes à qui mes lettres sont adressées vivent encore ; il réclame leur témoignage : c’est donc leur témoignage seul qui peut le confondre. J’attends le certificat de M. Deodati ; j’en ai déjà un autre 8 ; mais le vôtre m’est le plus nécessaire. Je vous prie très-instamment de me le donner sans délai.

Vous pouvez dire en deux mots que vous avez vu, dans un prétendu recueil de mes lettres, un écrit de moi, page 170, à M. Damoureux ; que cette lettre n’a jamais été écrite à M. Damoureux, mais à vous ; que cette lettre est très falsifiée ; que tout le morceau de la page 182 est supposé ; qu’il est faux que le morceau ait jamais été présenté à aucun censeur, et que la note de l’éditeur à l’occasion de cette lettre est calomnieuse.

Une telle 9 déclaration fortifiera beaucoup les autres certificats. Le prince, indignement attaqué dans la lettre à M. Deodati, jugera d’une calomnie par l’autre. En un mot, j’attends cette preuve de votre amitié ; vous ne pouvez la refuser à ma douleur et à la vérité. Il est très certain que c’est ce M. Robinet, éditeur de mes prétendues Lettres, qui a fait imprimer celles-ci ; mais je ne prononcerai pas son nom, et je ne détruirai même la calomnie qu’avec la modération qui convient à l’innocence.

Je suis très-aise qu’aucun sage ne soit en correspondance avec ce Robinet, qui se vante de connaître la nature 10, et qui connaît bien peu la probité.

Entendons-nous, s’il vous plaît, sur M. d’Autré 11. Il n’a jamais dit qu’il ait eu des conférences avec M. Tonpla ; mais que Tonpla ayant écrit quelques réflexions philosophiques pour un de ses amis, il y avait répondu article par article. Je vous ai montré cette réponse, bonne ou mauvaise ; mais je n’ai jamais ouï dire ni dit qu’ils aient eu ensemble des conférences . La vérité est toujours bonne à quelque chose jusque dans les moindres détails.

Je me porte fort mal, et je serai très fâché de mourir sans avoir vu Tonpla. Vous savez qu’un de ces malheureux juges qui avait tout embrouillé dans l’affaire d’Abbeville, et qui avait tant abusé de la jeunesse de ces pauvres infortunés, vient d’être flétri par la cour des aides de Paris comme il le méritait. Ce scélérat, nommé Broutet, qui a osé être juge sans être gradué, devrait être poursuivi au parlement de Paris, et être puni plus grièvement qu’à la cour des aides . C’est, Dieu merci, un des parents de mon neveu d’Hornoy le conseiller, à qui l’on doit la flétrissure de ce coquin.

On vient de m’envoyer le Mémoire de M. de Calonne 12; il est en effet approuvé par le roi 13 : ainsi M. de Calonne est justifié dans tout ce qui regarde son ministère. Le public n’est juge que des procédés, qui sont fort différents des procédures.

Je vous avoue que j’ai une extrême curiosité de savoir ce qui se passe à Bedlam, et de lire la lettre de cet archi-fou 14, qui se plaint si amèrement de l’outrage qu’on lui a fait en lui procurant une pension . C’est un petit singe fort bon à enchaîner, et à montrer à la foire pour un chelin 15.

Il y a un commentaire 16 sur le petit livre de Beccaria, dont on dit beaucoup de bien ; il est fait par un jeune avocat de Besançon ; dès que je l’aurai, je vous l’enverrai. On dit qu’il entre surtout dans quelques détails de la jurisprudence française, et qu’il rapporte beaucoup d’aventures tragiques . Celle des Sirven m’occupe uniquement. Je vous ai mandé l’excès des bontés de M. le duc de Choiseul, et combien je compte sur sa protection.

Je connaissais déjà le projet de la traduction de Lucien 17, et j’avais lu le plus beau de ses dialogues. Ce Lucien-là valait mieux que Fontenelle ; j’ai une très grande idée du traducteur.

Ah ! mon cher ami, que j'aurais été 18 heureux de me trouver entre Tonpla et vous ! Ne m'envoyez-vous pas le mémoire de La Bourdonnais dans le paquet dont vous me gratifiez ?19 »

1 L'édition de Kehl, et suivantes, est incomplète de plusieurs passages .

2Il s'agit toujours des Lettres de Voltaire à ses amis du Parnasse . Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/593

3 Le prince de Soubise ; voir lettre du 9 septembre 1766 à Deodati ,

et : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1761/Lettre_4432#170

6 Phrase qui manque sur la copie Beaumarchais-Kehl et dans les éditions .

8 Du duc de La Vallière , dont le certificat, d’après ce que Voltaire dit ici, parait antérieur à la date qu’il porte : https://fr.wikisource.org/wiki/Page%3AVoltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/592

9 A la place de ces deux mots, le manuscrit donne Votre .

12 Calonne est l'auteur du Mémoire présenté au roi, 1766 contre La Chalotais . D'Alembert dit de lui le 141 août 1766 : « Laubardemeont de Calonne surtout (car on l’appelle ainsi ) ne se relèvera pas de l’infamie dont il est couvert […]. » Voir : https://books.openedition.org/pur/124119?lang=fr

13 Le roi avait écrit de sa main, au bas du mémoire de Calonne : « Je vous autorise à faire imprimer ce mémoire, etc. »

15 Un shilling .

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21/12/2021 | Lien permanent

et quand même il ne réussirait pas, ce serait toujours un grand point de gagné , d'avoir été sur les rangs dans les circ

...Je vous laisse libres de choisir l'élu -- candidat de votre coeur .

Mis en ligne le 13/11/2020 pour le 19/7/2015

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental

19è juillet 1760 1

Mon divin ange, je peux encore quelquefois penser avec ma tête, mais je ne peux pas toujours écrire avec ma main ; ainsi pardonnez-moi si je vous dis par la main d'un autre que je suis excédé par les travaux de la campagne et par les sottises du Parnasse . Je suis très fort de votre avis ; voilà assez de plaisanteries . Je vous renvoie dès demain Médime et Tancrède . Il y a grande apparence que la copie de Tancrède est encore entre les mains d'un ami de M. le duc de Choiseul ou de madame la duchesse ; que par conséquent cet ami sera fidèle . Tout ce que je peux faire est d'être docile à vos ordres, et de travailler autant que ma pauvre tête le permettra . Si je fais quelque chose dont je suis content je vous l'enverrai ; si j'en suis mécontent, je le jetterai au feu . Bonne volonté et imagination sont deux choses fort différentes ; la terre devient stérile à force d'avoir porté ; si le terrain de Tancrède et de Médime est devenu ingrat, je vous supplie de pardonner au pauvre laboureur .

Il serait pourtant plaisant de présenter la Requête aux Parisiens la veille de L’Écossaise . Il me parait qu'un homme qui prétend la pièce n'est pas anglaise, parce que le bruit a couru qu'il avait été aux galères, est une des bonnes choses des plus comiques qu'on connaisse .

Mon cher ange, vous êtes le maître de tout, et du tragique, et du comique, et surtout de moi, qui suis tantôt l’un tantôt l'autre, fort à votre service . Mais je pense que vous vous moquez un peu de moi , quand vous me dites de proposer à M. le duc de Choiseul l'entrée de M. Diderot à notre Académie ; c'est bien à vous, s'il vous plait , à rompre cette glace ; qui donc est plus à portée que vous de faire sentir à M. le duc de Choiseul, que tous le gens de lettres le béniront ? Qui est plus en droit de lui dire qu'il est important pour lui de faire sentir au public qu'il n'a point persécuté les philosophes ? Je n'ai aucun droit sur M. le duc de Choiseul, et vous les avez tous ; ceux de l'amitié, de la persuasion, de la bienfaisance, de l'à propos ; on pourrait aisément engager Diderot à désavouer les petits ouvrages qui pourraient lui fermer les portes de l'Académie ; nous avons besoin dans cette place d'un homme de lettres ; tout parle en sa faveur, et quand même il ne réussirait pas, ce serait toujours un grand point de gagné , d'avoir été sur les rangs dans les circonstances présentes . Enfin, vous aimez Diderot et la bonne cause, c'est à vous à les protéger .

J'ai une autre grâce à vous demander ; je vous conjure de ne vous jamais servir de votre éloquence auprès de M. le duc de Choiseul en faveur d'un homme qui lui a manqué personnellement et indignement . Quoi ! On renoncerait à ses engagements dans la seule idée de soutenir !... Ici l'auteur s'embarrasse, et ne peut dicter ... il faut, tout malingre qu'il est , qu'il écrive ... oui de soutenir un homme qui dans quatre ans peut se joindre contre nous avec l'Autriche si on lui offre quatre lieues de pays de plus vers le duché de Clèves ? Songez je vous prie ce qui arriverait de nous si Luc avait joint cent cinquante mille hommes à l'armée de la reine de Hongrie il y a dix ans !

Vous ne pouvez à présent manquer à vos engagements sans vous déshonorer, et vous ne gagneriez rien à votre honte . Les Russes et les Autrichiens doivent écraser Luc cette année à moins d'un miracle . Alors l’Électeur de Hanovre, toute la maison de Brunswik tremble pour elle-même, alors George ou son petit-fils est obligé de vous laisser votre morue pour être protégé dans son électorat . Ayez seulement de bonnes troupes, de bons généraux et vous n'avez rien à craindre . Je soutiens que si Luc est perdu vous devenez l'arbitre de l'empire, et que tous les princes sont à vos pieds . Je n'ai point de réponse, je n'ai point d’emplâtre pour l'énorme sottise qu’on a faite de se brouiller avec l’Angleterre avant d'avoir cent vaisseaux, mais il ne tient qu'à vous d'être formidable sur terre . L'avantage que M. le duc de Broglie 2 vient de remporter, présage les plus grands succès . Tout peut finir dans une campagne . Les Anglais ne nous respecteront que quand vous serez dans Hanovre . Tâchez , mon divin ange d'être de ce sentiment . Je vous en prie, je vous en prie, dites à M. le duc de Choiseul qu'il ne doit faire la paix qu'après une campagne triomphante . Je vous en prie .

Le bavard Suisse .

Mille tendres respects à madame d'Argental, remarquez qu'elle se porte toujours mieux en été . »

1 Original autographe à partir de ... Ici l'auteur s'embarrasse . L'édition Supplément au Recueil le date de juin à la suite d'une altération du manuscrit par une main étrangère . La dernière phrase est ajoutée au bas de la quatrième page .

2 Les forces de Broglie, sous le commandement de Saint-Germain, avaient remporté un léger avantage sur celles de Ferdinand à Korbach, près de Cassel le 10 juillet 1760 ; mais elles le reperdirent à Emsdorf le 16 ; la bataille décisive se livrera sur un autre champ de bataille, à Dresde .

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19/07/2015 | Lien permanent

Idiots, imbéciles,écorchés : à Noël on pense encore à vous !

... Notes mises à jour le 10 janvier 2014 .



« A Charles de Brosses , baron de Montfalcon


de brosses charles.jpg

 

        Effugit, evasit, erupit 1 dans le temps qu’on le cherchait partout pour souper, pour lui faire hommage lige, et que toute la famille des Délices voulait demander ses ordres. Mais, Monsieur, je ne vous en tiens pas quitte, et je prétends bien que vous aurez la bonté de venir voir le nouvel appartement que je vais faire à Tournay, dès qu’il ne gèlera plus.

Eh bien ! défendez-vous au sage

De travailler pour le bonheur d’autrui ?

Cela même est un bien que je goûte aujourd’hui.

 

            A propos de bonheur, Monsieur, vous avez entendu dire quelque chose du bonheur éternel que le curé de Moëns veut procurer à cinq familles de Ferney qui sont seules restées dans ce malheureux village, ayant droit de commune.

Il veut les envoyer vite au ciel en les faisant mourir de faim. Ce scélérat, reconnu pour le plus exécrable chicaneur de la province, alla solliciter trois procès à Dijon, et il a fait payer tous les frais de son séjour aux pauvres de Ferney, qui labouraient leurs champs tandis qu’il poursuivait contre eux un procès dont ils n’étaient pas instruits. Le fond de la vexation est une dîme de novailles 2 dont les pauvres de Ferney, nommés pauvres, et pauvres d’effet, sont en possession depuis plus d’un siècle à titre de charité et de dédommagement. M. de Montréal [= Bernard de Budé, comte de Montréal] , aussi processif que ce détestable curé, avait donné un procureur nommé Genot à ces pauvres, et avait avancé cinquante écus qu’il a repris. Le Genot, en digne procureur, a , sucé ce qui restait de sang à ces pauvres, à ces imbéciles [ au sens étymologique = faibles] . Le fonds est trente livres de rente, la forme est le diable, et mes pauvres en sont pour quinze cents livres de frais. La commune n’a pour tout bien qu’un petit pré submergé et quelques enfants que le curé de Moëns pourra faire rôtir , s’il veut, pour lui et pour Pâquette sa servante.3 Pourrait-on, Monsieur, présenter requête à la chambre des enquêtes qui les a condamnés, pour avoir un délai d’une année ? Vos belles chiennes de lois françoises ou françaises,ou gombettes [la loi gombette est le code bourguignon du nom du roi des Burgondes Gondebaud ] ou romaines, permettent-elles que des gens écorchés demandent un répit pendant lequel la peau leur reviendra pour la porter en offrande à M. le curé ? Ayez compassion des malheureux : vous n’êtes pas prêtre . Voyez au nom de l’humanité ce qu’on peut faire pour les idiots 4 de Ferney . Instruisez-moi , je vous en conjure .

Quoi ? M. Le Bault m’envoie du plant de Bourgogne 5, et vous ne m’en envoyez pas , et vous n’avez pas soin de votre vigne ! Allons donc, monsieur, quatre mille petits ceps pour l’amour de Dieu ! Je fais déjà travailler à vos hutins 6. Quelle pitié ! Dans quel état noble ivrogne Chouet [fils de syndic, devenu fermier chez De Brosses,, chassé par Voltaire] a mis votre terre ! Que vous êtes heureux d’avoir fini avec lui ! Venez, venez dans un an, vous trouverez les choses bien changées.

J’ai fait mon entrée comme Sancho Pança dans son île 7 . Il ne me manquait que son ventre . Votre curé m’a harangué . Chouet m’a donné un repas splendide dans le goût de ceux d’Horace et de Boileau, fait par le traiteur des Patis ou Paquis 8. Les sujets ont effrayé mes chevaux avec de la mousqueterie et des grenades : les filles m’ont apporté des oranges dans des corbeilles garnies de rubans . Le roi de Prusse me mande que je suis plus heureux que lui ; il a raison, si vous me conservez vos bontés, et si je ne suis jamais inquiété dans mon ancien dénombrement . Je vous présente mon respect.

             Madame, je vous demande pardon de ne vous avoir présenté qu’un demi-cent d’épingles [allusion au pot de vin prévu, qu’il veut réduire] ; mais vous êtes la fille de mon intime ami, M . de Crèvecoeur 9. Je n’ai plus le sou ; et vous pardonnerez la liberté grande.

V.

Aux Délices

              Le propre jour de Noël 1758

Cela fait souvenir des Noëls bourguignons . »

1 Cicéron, Catilinaires, II, i : il s’est enfui, il s’est échappé, il a brisé ses chaines.

2 Dîme novale = impôt ecclésiastique prélevé sur une terre nouvellement défrichée ; par une mesure prise le 28 août 1759, elle fut remise en vigueur en faveur des prêtres ; voir Henri Marion , La Dîme ecclésiastique en France et sa suppression au XVIIIè siècle, 1912 .

3 Souvenir de La Fontaine Fables, VII, xi : Le Curé et le mort : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/curemort.htm

4 Dans Un chrétien contre six juifs, 1776, V* écrit : « […] idiot signifiait autrefois isolé, retiré du monde, et ne signifie aujourd'hui que sot » . Le mot grec idiotes qui désignait un simple particulier par opposition au magistrat, avait à l'usage pris le sens d'ignorant, homme du peuple (Littré).

6 Hutin = bois vivant ou mort destiné à supporter la vigne ; Littré au mot hautain .

8 Les Paquis forment maintenant un quartier [chaud !] de Genève .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_P%C3%A2quis


 

"Vos belles chiennes de lois françoises ou françaises, ou gombettes [bourguignonnes] ou romaines, permettent-elles que des gens écorchés demandent un répit" : question qui reste d'actualité pour ceux dont le logement n'est garanti que jusqu'en mars, date à laquelle,- oh ! joyeux retour du printemps et des huissiers en fleur -, les propriétaires privés ou publics mettront à la rue bon nombre de malchanceux . Comme disait Brel ( que j'ose admirer encore et toujours) :

"Et puis, y a l'autre
Des carottes dans les cheveux
Qu'a jamais vu un peigne
Qu'est méchant comme une teigne
Même qu'il donnerait sa chemise
A des pauvres gens heureux...

mais qui vous flanque dehors pour son que sacro-saint loyer tombe dans son escarcelle sans fond. Tous ne sont pas de cet acabit -bien que j'en aie malheureusement connu que de cette sorte- , il y a quelques exceptions heureusement . Que Dieu les garde !

 

           "Ayez compassion des malheureux : vous n’êtes pas prêtre" : je dois encore avouer une de mes faiblesses ( -la liste n'est pas encore publiable !-) : je viens de voir Ben Oit  x .v. i. doré comme un louis d'or, devant un trône doré, et j'ai du mal à partager les valeurs de cet infaillible guide de la chrétienté...benoit xvi.jpg J'aimerai un discours moins théorique et  des dépenses moins somptuaires.

Vous allez peut-être me dire que je suis injuste, que je n'ai pas compris le message papal . Pourquoi ce bon apôtre n'aime-t-il pas son prochain comme lui-même, à moins qu'il ne s'aime pas, ça expliquerait bien des choses !

- Allez, le psy de comptoir, va te coucher !!!

- Quand je veux !

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26/12/2008 | Lien permanent

vous, qui êtes avocat; conciliez le passé avec le présent

 ... Ce que je fais, moi qui ne suis pas avocat, en usant du matériel électronique pour diffuser la pensée de cet homme extraordinaire qu'est Voltaire . Colini doit en baver d'envie, lui qui se dit esclave "barbouilleur" du "maigre philosophe".

 Barbouilleurs de rêves

barbouilleurderêves.jpg

 http://www.youtube.com/watch?v=dUdOWfs4pOQ

 

« DE COLINI A M. DUPONT ,

A Monrion, près de Lausanne, 20 mars 1756.

Je ne m'attendais pas à la lettre charmante que je viens de recevoir; je me croyais oublié de vous et du reste du genre humain pour ne faire connaitre ma lourde existence qu'à l'homme dont je suis le barbouilleur. Je vous remercie tendrement, orateur aimable, de votre souvenir; je vous remercierais encore bien plus tendrement, si Mme Dupont vous eût chargé d'un petit mot pour moi dans votre lettre. Des Suisses pourraient-ils me faire oublier un homme comme vous Peut-il y avoir une Lausanienne, quelque jolie qu'elle soit, qui puisse effacer de mon cœur la reconnaissance que je dois à vos anciennes bontés? Pouvez-vous penser que l'amour me fait négliger l'amitié? Ne peut-on pas aimer à la fois une maitresse et un ami ? Schœpflin 1 vous dira que je lui parle toujours de vous dans toutes mes lettres. J'oserais vous importuner quelquefois si le digeste, le code, Bartole 2, Cujas 3, et tant d'autres gros docteurs dont vous êtes souvent entouré, ne m'effrayaient pas.

Je vais vous parler de mes occupations des bords du lac Léman, et des livres que nous faisons. Vous seriez bien étonné si vous voyiez actuellement ce maigre philosophe que vous vites jadis dans un caveau de la rue des Juifs 4. Quel changement ! Il est tout aussi maigre que vous l'avez vu; mais il a une maison de campagne assez bien ornée près de Genève; il en a une autre près de Lausanne, et il est en marché pour en louer une autre à Rolle, qui est à peu près à moitié chemin de Genève à Lausanne. Cette dernière maison le décidera à aller plus souvent de Monrion aux Délices et des Délices à Monrion. Il a six chevaux 5, quatre voitures, cocher, postillon, deux laquais, valet de chambre, un cuisinier français, un marmiton, et un secrétaire c'est moi qui ai cet honneur. Les diners qu'on donne aujourd'hui sont un peu plus splendides que ne l'étaient ceux qu'on donnait à Colmar, et on a presque tous les jours du monde à diner. Voilà pour le luxe; faites à présent vos réflexions, et vous, qui êtes avocat; conciliez le passé avec le présent.

L'article des belles-lettres ne va pas mal; je ne cesse d'écrire, et je suis obligé de vous dire que nous faisons plus de besogne en un jour que votre abbé matériel n'en fait en un an. L'Histoire universelle est toute faite; elle se rejoint au Siècle de Louis XIV, et fait ainsi un cours d'histoire complet, depuis Charlemagne jusqu'à la dernière guerre. Cet ouvrage aurait effrayé tout autre historien que le nôtre. Vous savez qu'on n'a jamais fait d'histoire aussi aisément et à meilleur marché; mais il ne faut dans cette histoire qu'y goûter la beauté du style et y profiter de quelques réflexions et de quelques coups de pinceau qui font de temps en temps le tableau de l'univers en peu de traits. Tout cela n'a rien coûté à notre historien. Vous trouverez dans cette Histoire universelle un grand chapitre sur Louis XIII , on ne l'a fait qu'avec le secours du seul Le Vassor 6, dont ce chapitre est un très-petit extrait fait par un homme de goût 7. L'édition des Ouvres mêlées va être finie, et je pense que MM. Cramer la mettront bientôt en vente.

L'édition de l'Histoire universelle ne se débitera qu'après. J'ignore par quel moyen vous comptez vous procurer un exemplaire de cette nouvelle édition des Œuvres. Vous ne ferez pas mal de tâcher de l'avoir, vous y trouverez une foule de pièces nouvelles. Mais ce qui vous surprendra (et que ceci soit dit entre nous), c'est que vous y trouverez une pièce qu'on vous fit lire il y a quelque temps: c'est un poème sur la Religion naturelle. Le titre fait sentir que cet ouvrage n'est pas d'un chrétien, et je crois que l'auteur a mieux rempli son but que votre abbé n'a rempli le sien sur l'immatérialité de l'âme. Personne ne sait que cet ouvrage sera inséré dans cette nouvelle édition; les Cramer, qui ont débité un petit avis sur cette édition, n'en parlent pas, et je vous prie en grâce de n'en rien dire à personne, afin de ne pas inspirer de curiosité aux fanatiques et aux prêtres, toujours prêts à courir sur ceux qui ont la réputation de vouloir leur cogner sur les doigts. Est-il possible que notre philosophe ne sente point le tort que cet ouvrage peut lui faire? On lui a toujours reproché d'être déiste; il a voulu toujours soutenir que non, pour éviter les tracasseries et les persécutions, actuellement il a l'aveuglement d'imprimer qu'il l'est, et de croire que cet ouvrage ne lui fera qu'honneur. Cette pièce, précédée d'une autre, fait la clôture de l'édition, sous le titre de Supplément aux Mélanges de littérature, etc. Cette autre pièce placée sous ce titre est encore un poème sur la Destruction de Lisbonne, ou Examen de cet axiome TOUT EST BIEN. Vous savez que c'est Pope qui a dit que tout ce qui est est bien. Les tremblements de terre qui ont renversé Lisbonne ont fait dire à notre poète que tout n'est pas bien; il fit un poème sur cet événement terrible, et lorsque ce poème n'était encore qu'une ébauche, il eut la bêtise de le lire à quelques Suisses. Ces Suisses, s'imaginant que le poète combattait l'axiome de Pope, crurent qu'il n'admettait que la proposition contraire, savoir que dans ce monde tout est mal. Cette bévue de quelques Suisses n'a pas laissé de lui faire quelque petite tracasserie. Le poète se plaint, à la vérité, que nous habitions un globe qui parait miné, et que nous soyons exposés à des événements si affreux; mais il se résigne à la volonté de Dieu. Comme je suis convaincu du secret de votre part, je vais vous transcrire le commencement de ce poème.
O malheureux mortels! ô terre déplorable! 1
O de tous les fléaux assemblage effroyable!
D'inutiles douleurs éternel entretien
Philosophes trompés, qui criez Tout est bien,
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants, l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours.
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous, etc.

Je vous ai ennuyé plus que de raison. Pardonnez ce griffonnage je vous ai écrit fort à la hâte et avec crainte. N'oubliez pas un homme qui vous sera attaché toute sa vie. Schœpflin vous dira que je voudrais pouvoir quitter les bords de ce lac à la première occasion. S'il se présente quelque chose, cher ami, ne m'oubliez pas, vous ne sauriez croire combien je vous. serai obligé, et combien mon esclavage est dur. Je présente mes tendres respects à Mme Dupont. Adieu recommandez-moi à ceux qui ont quelque bonté pour moi. Je vous serai tendrement et inviolablement attaché toute ma vie.

COLINI. »

 

1 Jean-François Schoepflin le jeune, imprimeur à qui V* avait pr^té de l'argent et donne à imprimer les Annales de l'Empire . V* connut aussi Jean-Daniel Schoepflin, historien : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Daniel_Schoepflin

2 Ancien jurisconsulte : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bartole

3 Jacques Cujas, jurisconsulte : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Cujas

4 Où Voltaire logeait à Colmar.

5 Il y a sur ces six chevaux une anecdote fort originale et bien peu connue. A peine installé aux Délices, M. de Voltaire fit acquisition d'un étalon danois excessivement vieux, avec lequel il se proposait d'établir un haras dans sa terre. Il avait cette demi-douzaine de vieilles juments dont parle Colini, pour le traîner, lui et sa nièce; et pour réaliser son beau projet, il se résolut, un matin, aller à pied pour livrer les six demoiselles aux plaisirs de l'étalon il espérait être dédommagé de cette petite gêne par une belle race de chevaux danois nés aux Délices. Ses essais ne furent point heureux les efforts du vieux Danois ne fructifièrent point, et Voltaire écrivit, à cette occasion, un chapitre sur les causes de la stérilité. Mais voici le curieux. On assure que le philosophe, avant d'avoir reconnu. l'impuissance de son Danois, tout fier de la race nouvelle qu'il allait perpétuer en France, donnait chaque jour, après le diner, aux personnes qui venaient le voir le spectacle des joyeux ébats de son sultan; il voulait surtout le montrer aux femmes qui venaient diner chez lui « Venez, mesdames, s'écriait-il, voir le spectacle le plus auguste; vous y verrez la nature dans toute sa majesté. »
Cette folie donna à M. Huber, si connu pour ses découpures, l'idée d'un petit tableau en ce genre, qui se vendit quinze louis. (Note du premier éditeur.)

6 Michel Le Vassor : Histoire du règne de Louis XIII , 1700 : http://books.google.fr/books?id=t2heIRqrgTMC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false

7 Voilà un. ouvrage assez lestement apprécié; et, pour un homme d'esprit, M. Colini en montre bien peu dans ce jugement, que l'opinion publique n'a pas confirmé. Il aurait fallu, peut-être, que M. de Voltaire inventât les faits de l'Histoire universelle, pour plaire à M. Colini sans doute, alors, il eût dit que c'était un ouvrage neuf. (Note du premier éditeur.)

 

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14/06/2012 | Lien permanent

Il n'y a de bas que les expressions populaires, et les idées du peuple grossier




 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

Conseiller d'honneur du parlement, rue Saint -Honoré à Paris



A Cirey ce 11 juillet [1744]





Le convalescent fait partir aujourd'hui sous enveloppe de M. de La Reynière le plus énorme paquet dont jamais vous ayez été excédé. C'est mes anges, toute la pièce avec ses divertissements [La Princesse de Navarre, composée en l'honneur du mariage du dauphin avec l'infante d'Espagne], telle à peu près que je suis capable de la faire. Je ne vous demande pas d'en être aussi contents que Mme du Châtelet et M. le président Hénault, mais je vous demande de l'envoyer à M. le duc de Richelieu,[V* dit que c'est Richelieu qui lui a demandé ce divertissement , et il en suivra de près le travail, ainsi que les d'Argental, d'où de nombreuses discussions et remaniements que l'on suit ua fil des lettres depuis le mois d'avril] et d'en paraître contents.



Je souhaiterais pour le bien de votre âme que vous voulussiez faire grâce à Sancette dont vous m'avez paru d'abord si mécontents. Tenez-moi quelque compte d'avoir mis au théâtre un personnage neuf dans l'année 1744, et d'avoir dans ce personnage comique mis de l'intérêt et de la sensibilité. Comment avez-vous pu jamais imaginer que le bas pût se glisser dans ce rôle ? Comment est-ce que la naïveté d'une jeune personne ignorante, et à qui le nom seul de la cour tourne la tête, peut tomber dans le bas ? Ne voulez-vous pas distinguer le bas du familier et le naïf de l'un et de l'autre ?



Il n'y a de bas que les expressions populaires, et les idées du peuple grossier. Un Jodelet est bas , parce que c'est un valet, ou un vil bouffon à gages.



Morillo est d'une nécessité absolue. Il est le père de sa fille, une fois, et on ne peut se passer de lui. Or s'il faut qu'il paraisse, je ne vois pas qu'il puisse se montrer sous un autre caractère, à moins de faire une pièce nouvelle.



Je pourrai ajouter quelques airs aux divertissements et sutout à la fin ; mais dans le cours de la pièce je me vois perdu si on souffre des divertissements trop longs. Je maintiens que la pièce est intéressante et ces divertissements n'étant point des intermèdes mais incorporés au sujet, et faisant partie des scènes, ne doivent être que d'une longueur qui ne refroidisse pas l'intérêt.



Enfin vous pouvez, je cois, envoyer le tout à M. de Richelieu, et préparer son esprit à être content. S'il l'est ne pourrait-on pas alors lui faire entendre que cette musique continuellement entrelacée avec la déclamation des comédiens est un nouveau genre pour lequel les grands échafaudages de symphonie ne sont point du tout propres ? Ne pourrait-on pas lui faire entendre qu'on peut réserver Rameau pour un ouvrage tout en musique ? Vous me direz ce que vous en pensez et je me conformerai à vos idées .



Que de peines vous avez avec moi ! et que d'importunités de ma part ! En voici bien d'un autre . Vous souvenez-vous avec quels serments réitérés ce fripon de Prault vous promis de ne pas débiter l'infâme édition [Recueil de pièces fugitives en prose et en vers, Prault, 1740 (1739), saisi en novembre 1739; cf. lettre à Feydeau de Marville du 22 octobre] qu'il a fait faire à Trévoux ? M. Pallu [Bertrand-René Pallu, intendant à Lyon] me mande qu'elle est publique à Lyon. Je le supplie de la faire séquestrer, mais je vous demande en grâce d'envoyer chercher ce misérable et lui dire que ma famille est très résolue à lui faire un procès criminel, s'il ne prend pas le parti de faire lui-même ses diligences pour supprimer cette oeuvre d'iniquité. Il a assurément grand tort , et on ne peut se conduire avec plus d'imprudence et de mauvaise foi. Je travaillais à lui procurer une édition complète et purgée de toutes les sottises qu'il a mises sur mon compte dans son indigne recueil ; et c'est pendant que je travaille pour lui qu'il me joue un si vilain tour. Il ne sent pas qu'il y perd, que son édition se vendrait mieux et ne serait point étouffée par d'autres si elle était bonne.



Mais presque tous les libraires sont ignorants et fripons ; ils entendent leurs intérêts aussi mal qu'ils les aiment avec fureur. La mauvaise foi de Prault me fait d'autant plus de peine que je me flattais que cette même édition corrigée selon mes vues serait celle dont je serais le plus content. Vous allez trouver ma douleur trop forte, mais vous n'êtes pas père. Pardonnez aux entrailles paternelles, vous qui êtes le parrain et le protecteur de presque tous mes enfants [= ses oeuvres, bien entendu]; adieu mon cher et respectable ami, Mme du Châtelet vous dit toujours des choses bien tendres, car comment ne pas vous aimer tendrement ? Mille tendres respects à tous les anges.

V.



Permettez que le bavard dise encore un petit mot de la Princesse de Navarre et du Duc de Foix. Il m'est devenu important que cette drogue soit jouée, bonne ou mauvaise. Elle n'est pas faite pour l'impression, elle produira un spectacle très brillant et très varié, elle vaut bien La Princesse d'Elide [de Molière, composée en 1664 pour les fêtes de Versailles] et c'est tout ce qu'il faut pour le courtisan. Mais c'est aussi ce qu'il me faut, cette bagatelle est la seule ressource qui me reste, ne vous déplaise, après la démission de M. Amelot [le 26 avril], pour obtenir quelque marque de bonté qu'on me doit pour des bagatelles d'un autre espèce dans lesquelles je n'ai pas laissé de rendre service [sa mission diplomatique en Prusse; cf. lettre à Amelot le 7 avril]. Entrez donc un peu, mon cher ange, dans ma situation, et songez plutôt ici à votre ami qu'à l'auteur et au solide qu'à la réputation. Je ferai pourtant de mon lmieux pour ne pas perdre celle-ci.

V.

Autre bavarderie. Je suis pourtant toujours pour cet arbre chargé de trophées dont les rameaux se réunissent. Est-ce encore ce coquin de M. LE CHEVALIER ROY [Pierre-Charles Roy, chevalier de Saint-Michel] qui m'a volé cette idée ? Je viens de lire Nérée [Nirée, entrée ajoutée au Ballet de la paix de Roy]. Je ne sais si je ne me trompe, mais cela ne me parait écrit ni naturellement ni correctement, ces deux choses manquant font détestablement [cf. Les femmes savantes de Molière]. J'en demande pardon à M. LE CHEVALIER. »

 

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08/07/2010 | Lien permanent

Vous êtes au fait de tout

... Et ce n'est pas toujours réjouissant .

https://www.sudouest.fr/2019/11/29/gaz-impots-accidents-d...

Black friday, OK, et maintenant grise mine !

 

 

« A Sébastien Dupont

Vous avez dû recevoir, mon cher ami, la lettre de change payable à Lyon au 12 octobre préfix . Nous sommes aujourd’hui à ce 12. M. Jeanmaire m’avait promis en partant de chez moi, le 22 septembre, que j’aurais de ses nouvelles les premiers jours d’octobre, qu’il serait alors à Colmar, et qu’il finirait tout avec vous 1. Je n’entends point parler de lui . Je suppose que les affaires de M. le duc de Virtemberg l’ont arrêté. Vous êtes au fait de tout . Je ne crois pas qu’il y ait le moindre risque à courir . J’ai en main une procuration spéciale de M. le duc de Virtemberg au sieur Jeanmaire, qui suffirait en cas de besoin pour constater tous mes droits. M. Jeanmaire m’a paru le plus honnête homme du monde . Ma créance est établie sur des terres qui sont en France, et qu’on m’assure n’être hypothéquées à personne qu’à moi . Ainsi j’ai tout lieu de croire qu’il ne s’agit que d’une simple formalité que M. Jeanmaire remplira dès qu’il aura conféré un moment avec vous . Je vous assure que je voudrais bien être à sa place, et avoir la consolation de vous revoir encore. Je vous embrasse tendrement, vous et toute votre famille.

Je vous prie de présenter mes respects à M. le premier président.

V.

C’est par Mme Defresney que je vous écris, et c’est par elle que je vous ai envoyé la lettre de change. 

12è octobre 1764 à Ferney.»

1 Le contrat a été effectivement signé le 10 ; voir lettre du 10 octobre 1764 au comte de Montmartin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/11/28/je-vous-ai-deja-mande-que-tout-etait-pret-6194269.html

L'appendice D 252 de Besterman reproduit les trois contrats .

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01/12/2019 | Lien permanent

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