19/11/2022
je vois qu’avec la meilleure volonté du monde on nous ruinera sans en retirer le moindre avantage
... Paroles d'ouvriers moutonniers grévistes , suivant, inutilement, un syndicat qui paralyse la France . Paroles de patrons au bord de la faillite . Paroles de Russes raisonnables pris dans l'engrenage de la guerre .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
4 Mai 1767
Vous êtes plus aimable que jamais, mon cher ange, et moi plus importun et plus insupportable que je ne l’ai encore été. Moi, qui suis ordinairement si docile, je me trouve d’une opiniâtreté qui me fait sentir combien je vieillis. Ce monologue que vous demandez, je l’ai entrepris de deux façons : elles détruisent également tout le rôle d’Obéide . Ce monologue développe tout d'un coup ce qu'Obéide veut se cacher à elle-même dans tout le cours de la pièce. Tout ce qu’elle dira ensuite n’est plus qu’une froide répétition de son monologue ; il n’y a plus de gradations plus de nuances, plus de pièce. Il est de plus si indécent qu’une jeune fille aime un homme marié, cela est si révoltant chez toutes les nations du monde, que quand vous y aurez fait réflexion, vous jugerez ce parti impraticable.
Il y a plus encore ; c’est que ce monologue est inutile. Tout monologue qui ne fournit pas de grands mouvements d’éloquence est froid. Je travaille tous les jours à ces pauvres Scythes, malgré les éditions qu’on en fait partout.
Lacombe vient d’en faire une qu’il m’envoie, mais il n’y a pas la moitié des changements que j’ai faits ; il ne pouvait pas encore les avoir reçus. Il n’a fait cette nouvelle édition que dans la juste espérance où il était que la pièce serait reprise après Pâques. C’est encore une raison de plus pour que je ne puisse exiger de lui qu’il donne cent écus à Lekain ; j’aime beaucoup mieux les donner moi-même.
Il est bien vrai que tout dépend des acteurs. Il y a une différence immense entre bien jouer et jouer d’une manière touchante, entre se faire applaudir et faire verser des larmes. M. de Chabanon et M. de La Harpe viennent d’en arracher à toutes les femmes dans le rôle de Nemours et dans celui de Vendôme 1, et à moi aussi.
Je doute fort qu’on puisse faire des recrues pour Paris. On a écarté et rebuté les bons acteurs qui se sont présentés ; je ne crois pas qu’il y en ait actuellement deux en province dignes d’être essayés à Paris. Je vous l’ai déjà dit, les troupes ne subsistent plus que de l’opéra-comique. Tout va au diable mes anges, et moi aussi.
Ma transmigration de Babylone me tient fort au cœur. Ce que vous me faites entrevoir redoublera mes efforts ; mais j’ai bien peur que la situation présente de mes affaires ne me rende cette transmigration aussi difficile que mon monologue. Je me trouve à peu près dans le cas de ne pouvoir ni vivre dans le pays de Gex, ni aller ailleurs. Figurez-vous que j’ai fondé une colonie à Ferney, que j’y ai établi un marchand 2, un chirurgien, que je leur bâtis des maisons, que, si je vais ailleurs, ma colonie tombe ; mais aussi, si je reste, je meurs de faim et de froid. On a dévasté tous les bois ; le pain vaut cinq sous la livre ; il n’y a ni police ni commerce. J’ai envoyé à M. le duc de Choiseul, conjointement avec le syndic de la noblesse, un mémoire très circonstancié 3. J’ai proposé que M. le duc de Choiseul renvoyât ce mémoire à M. le chevalier de Jaucourt, qui commande dans notre petite province. Il a oublié mon mémoire, on s’en est moqué ; et il a tort, car c’est le seul moyen de rendre la vie à un pays désolé, qui ne sera plus en état de payer les impôts. On a voulu faire, malgré mon avis, un chemin qui conduisît de Lyon en Suisse en droiture ; ce chemin s’est trouvé impraticable.
Je vous demande pardon de vous ennuyer de ces détails ; mais je vois qu’avec la meilleure volonté du monde on nous ruinera sans en retirer le moindre avantage. Je me suis dégoûté de la Guerre de Genève, je n’ai point mis au net le second chant, et je n’ai pas actuellement envie de rire.
J’écris lettre sur lettre au sculpteur qui s’est avisé de faire mon buste 4. C’est un original capable de me faire attendre trois mois au moins, et ce buste sera au rang de mes œuvres posthumes.
Il peut être encore un acteur à Genève dont on pourrait faire quelque chose. Il est malade ; quand il sera guéri, je le ferai venir ; La Harpe le dégourdira ; pour moi, je suis tout engourdi. D’ordinaire la vieillesse est triste, mais la vieillesse des gens de lettres est la plus sotte chose qu’il y ait au monde. J’ai pourtant un cœur de vingt ans pour toutes vos bontés ; je suis sensible comme un enfant je vous aime avec la plus vive tendresse.
V. »
1 Dans Adélaïde du Guesclin .
2 L'édition de Kehl a corrigé en remplaçant un marchand par des marchands, des artistes .
3 Ce mémoire est le premier de la série des mémoires sur Versoix .
4 Aucune des lettres au sculpteur Rosset ne nous est parvenue .
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18/11/2022
J'ai fait des offres convenables . Je ne suis homme ni a refuser ce qui est dû, ni à souffrir qu'on m'extorque ce que je ne dois pas
... J'espère que c'est ce que pense et dit et motive notre président contraint d'être diplomate et représentant de commerce international . Je souhaite qu'il n'ait pas à aller au Qatar , nos guignols en chaussettes à crampons ne méritent pas ce sacrifice , --véritables fourches caudines,-- et d'ailleurs, heureusement, ils ne sont pas capables de gagner quelque match que ce soit (tout en gagnant des millions ).
« A Joseph-Marie Balleidier
Procureur
à Gex
J'ai la lettre par laquelle M. Fabry me mande que c'est assez de cent francs et que le sieur Vachat a très grand tort de demander dix louis .
J'ai la lettre du chapitre qui dit que le sieur Vachat en use très mal . J'en ai rendu compte aux principaux magistrats de Dijon .
J’ai le plan levé en 1709 par lequel il est démontré qu'il n'y a jamais eu de maison à cet endroit .
Le sieur Vachat peut venir quand il voudra avec tous les commissaires de la province . Mes commissaires sont les anciens témoins , et le curé , et le lieu même .
Toute la difficulté consistait dans la fausse supposition qu'il y avait eu une masure dans le terrain susdit . Il n'y en a jamais eu .
J'ai fait des offres convenables . Je ne suis homme ni a refuser ce qui est dû, ni à souffrir qu'on m'extorque ce que je ne dois pas .
Voltaire.
3 mai [1767] 1»
1 L'édition Vézinet A. est limitée à deux extraits . La date est fixée par la lettre du 24 avril 1767 à Christin Perrand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/11/10/il-accuse-faux-pour-embarrasser-et-intimider-6411053.html
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17/11/2022
On s’est imaginé assez ridiculement que je suis en France, et je m’aperçois en effet que j’y suis parce que je manque de tout
... France, pays de Cocagne, qu'es-tu devenue ?
« A Jean Le Rond d'Alembert
3è mai 1767
M. Necker qui part dans l’instant, mon cher et véritable philosophe, vous rendra une Lettre au conseiller 1. Messieurs de la poste en ont butiné deux, selon leur louable coutume. Ces messieurs de la poste aux lettres deviendront des gens très lettrés ; ils se forment une belle bibliothèque de tous les livres qu’ils saisissent. Chaque pays, comme vous voyez, a son inquisition ; vous n’êtes pas plus tôt délivré des renards que vous tombez dans la main des loups 2.
Votre Lettre au conseiller devrait exciter le monde à faire une battue. Ne voudriez-vous point ajouter à l’histoire de la Destruction quelque chose concernant l’Espagne, en retranchant le dernier chapitre touchant le serment que devaient prêter les jésuites, chapitre devenu inutile par les précautions que l’on a prises en France contre ces pauvres diables dignes aujourd’hui de pitié ?
L’imbécile et ignorant libraire qui s’est chargé de votre seconde édition ne l’aura pas achevée sitôt. Je n’ai de lui aucune nouvelle ; toute communication est interrompue entre Genève et la France. On s’est imaginé assez ridiculement que je suis en France, et je m’aperçois en effet que j’y suis parce que je manque de tout. Je ne sais comment on fera pour faire passer dans votre monarchie française la Lettre au conseiller. Il n’est plus permis de lire, et il n’y a que les auteurs du Journal chrétien et Fréron qui aient la liberté d’écrire.
Vous verrez par les deux petites pièces ci-jointes 3 qu’on ne rogne pas les ongles de si près dans les pays étrangers. L’exemple que donne l’impératrice de Russie est unique dans ce monde. Elle a envoyé quarante mille Russes prêcher la tolérance 4 la baïonnette au bout du fusil. Vous m’avouerez qu’il était bien plaisant que les évêques polonais accordassent des privilèges à trois cents synagogues, et ne voulussent pas souffrir l’Église grecque.
Bonsoir mon cher philosophe car il faut que M. Necker parte . Souvenez-vous, je vous en prie, que je n’ai aucune part aux Anecdotes sur Bélisaire . On m’accuse de tout ; voyez la malice ! »
1 C’est l’écrit de d’Alembert. La (première) Lettre à M*** , conseiller au Parlement de *** pour servir de supplément à l'ouvrage qui a pour titre Sur la destruction des jésuites en France, publiée en 1767 ; la suggestion de V*d’évoquer les affaires des jésuites d’Espagne aboutit à la publication de la Seconde Lettre à M. *** […] sur l'édit du roi d'Espagne pour l'expulsion des jésuites, datée du 15 juillet 1767.
2 L'opposition entre loups ( jansénistes ) et renards (jésuites) revient plusieurs fois à l'époque sous la plume de V*. on la trouve déjà dans le Pot-pourri .
3 La Lettre sur les panégyriques et la Seconde anecdote sur Bélisaire .
4 Entrée des Russes en Pologne. Voyez l’Essai sur les dissensions des Églises de Pologne, dans les Fragments sur l’histoire. : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/461
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16/11/2022
heureux d'être chaque jour aux pieds de mon héros, s'occupant du bonheur de son peuple
... Macron ? que nenni ! Seul mon père est un héros, il n'exige aucune génuflexion, lui .
« A Frédéric II, roi de Prusse
2 mai 1767 1
[…] Je rends grâce à V. M. de ce qu'elle a daigné m’envoyer par M. de Catt la réponse qu'elle a faite à Marmontel sur sa Poétique 2. Que de leçons elle nous donne ! Votre digne Suisse 3 m'a écrit une lettre charmante . Il s'estime heureux d'avoir vu ces grandes scènes où V. M. a joué si supérieurement son rôle . Pour moi, je l'estime plus heureux d'être chaque jour aux pieds de mon héros, s'occupant du bonheur de son peuple . »
1 Edition Œuvres posthumes de Frédéric le Grand, 1788 , qui place cette lettre à la fin d'une lettre de V* à Frédéric du 1er juillet 1772, tout en laissant subsister sa date exacte . L'erreur a été signalée dans les Œuvres de Frédéric .
Voir page 393 : https://books.google.fr/books?id=kjoUAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=snippet&q=catt&f=false
2 Sur la poétique de Marmontel, voir lettre du 2 mars 1763 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/03/01/est-il-vrai-que-la-popeliniere-a-eu-l-avantage-de-mourir-coc.html
La lettre de Frédéric à Marmontel n'est pas connue .
3 Catt ; sa lettre n'est pas connue .
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15/11/2022
ne vous mêlez point de querelles théologiques
... Est-il plausible qu'un quelconque dieu existe et qu'on lui soit soumis ?
« A Jean-Benjamin Laborde
1er mai 1767
Notre Chabanon arrive ; il a la plus grande opinion de mon Orphée 1 de Versailles. Il nous a trouvés dans un grand embarras. Si mon Orphée trouve des épines dans ce meilleur des mondes, nous y trouvons des loups et des tigres. La boite de Pandore est inépuisable. J’espère que votre belle musique adoucira les mœurs.
J’ai trouvé enfin la brochure que vous demandez 2 ; je vous l’envoie, sachant bien qu’on peut tout confier à un homme aussi sage que vous. Ces petites plaisanteries des huguenots n’ébranlent pas votre religion ; elles n’ont jamais dérangé la mienne. J’ai été toujours bon sujet et bon catholique, et j’espère mourir dans ce sentiment.
Je suis bien fâché que M. Marmontel ait prétendu qu’il pouvait y avoir de la vertu chez les rois et chez des philosophes qui n’étaient pas catholiques. J’espère que la Sorbonne, qui est le concile perpétuel des Gaules, préviendra le scandale qu’une telle opinion peut donner. On dit que le révérend père Bonhomme, cordelier, prépare une censure admirable de cette hérésie 3. Vous qui cultivez avec succès un des plus beaux arts, vous ne vous mêlez point de querelles théologiques ; vous vous bornez à faire le charme de nos oreilles et celui de la société.
Que dites-vous de notre chevalier qui va faire l’éducation d’une mademoiselle de Provenchères ?4 On m’écrit qu’elle est charmante, et la vraie fille d’une mère qui l’était 5. Notre chevalier n’est pas un trop mauvais précepteur. Croyez-vous qu’il lui permette de mettre du rouge ? Pensez-vous que l’esprit qu’on donne 6 à la jeune enfant dégénère entre ses mains ? Faites passer la brochure à ce chevalier, et dites-lui combien je l’aime. »
1 La Borde lui-même. (G.Avenel.)
2 La Seconde anecdote sur Bélisaire .
3 Sans doute les Questions de Zapata.( selon Georges Avenel .)
4 Voir lettre du 20 avril au chevalier Rochefort d'Ally : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/10/23/toutes-les-choses-de-ce-monde-n-atteignent-pas-a-leur-but-il-6407923.html
5 Pétronille d'Avignon, femme de Guillaume Pavée de Provenchères ; Voir : https://www.geneanet.org/fonds/bibliotheque/?go=1&nom...=
6 L'édition Besterman omet le mot donne.
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14/11/2022
Vous avez fait un bien joli voyage dans une terre inconnue qui est trop connue
...Merci des people à Raphaël de Casabianca : voir https://www.france.tv/france-2/rendez-vous-en-terre-inconnue/
Ou alors Macron et Bidden en Chine ? Beaucoup moins fun !
« A Charles Bordes
[avril-mai 1767]
L'éditeur de votre charmante prose vous recommande mon cher confrère ses très médiocres vers . Voici un petit changement qui m'a paru absolument nécessaire dans l'édition des Scythes . Si vous avez de l'indulgence pour ce petit morceau, je vous prie de n'en avoir point pour l'imprimeur et de vouloir bien faire recommander à Périsse 1 promptitude et exactitude .
Vous avez fait un bien joli voyage dans une terre inconnue qui est trop connue . Je voudrais bien que vous en faisiez un autre dans un pays plus voisin où vous seriez assurément plus fêté . »
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13/11/2022
comme je sais que vous aimez les belles-lettres
... Je ne crois pas me tromper en vous conseillant de lire Voltaire .
« A Etienne-Noël Damilaville
29 avril [1767]
Monsieur, comme je sais que vous aimez les belles-lettres, je crois ne pas vous importuner en vous dépêchant les deux brochures ci-jointes 1 qui ne se débitent pas encore dans la ville de Lyon, mais que je me suis procurées par le canal d'un de mes amis qui est fort au fait de la littérature .
On dit que M. de Voltaire, par le conseil des médecins va quitter le pays de Gex . C'est en effet un climat trop dur pour sa vieillesse, et pour une santé aussi faible que la sienne . L'air de la Saône est beaucoup plus favorable . Mais je plains beaucoup les environs de Ferney, qui vont retomber dans leur ancienne misère, si M. de Voltaire viens en effet s’établir ici .
J'ai l'honneur d'être, monsieur, avec tous les sentiments que je vous ai voués, etc.
Boursier. »
1 L'une doit être la Lettre sur les panégyriques, l'autre les Homélies prononcées à Londres , voir : https://books.google.fr/books?id=T6FbAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
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