11/12/2024
et l'affaire serait consommée
... Tout simplement en faisant voter une "loi spéciale": https://podcasts.lemonde.fr/lheure-du-monde/202412110300-...
« A Gaspard-Henri Schérer, Banquier
à Lyon
J'ai l'honneur d'informer , monsieur Schérer et compagnie que s'il est plus commode pour eux de faire toucher l’argent à M. de Laborde à Paris, ils peuvent prendre ce parti, en avertissant M. de Laborde . En ce cas la lettre de change que j'ai donnée me serait renvoyée , et l'affaire serait consommée .
J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire.
12è juin 1769,à Ferney.1 »
1 Le manuscrit est endossé «... reçue le 13 juin ».
17:59 | Lien permanent | Commentaires (0)
Si je n’obtiens pas ce que je demande, je m’en prendrai à vous.
... Menaces non déguisées, envers le président, de prétendants au poste de premier ministre ?
Je n'ose le croire, c'est plutôt le ton des concurrents de tous les partis défendant leur part de territoire en Syrie, libérée d'un tyran, mais à l'avenir indiscernable . Il va y avoir encore bien des victimes de tous bords avant d'avoir un semblant de paix juste, dans ce chaudron moyen-oriental qui n'a rien de la caverne d'Ali Baba, même si on y trouve les quarante voleurs .
« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis
12 è juin 1769 à Ferney
Viva il cardinale Bembo e la poesia !1
J’ai lu, je ne sais où, que le cardinal Bembo était d’une très ancienne maison, et que, de plus, il était fort aimable ; mais que c’était la poesia qui avait commencé à le faire connaître, et que, sans les belles-lettres, il n’aurait pas fait une grande fortune. Il était véritablement très bon poète, car
Scribendi recte sapere est et principium et fons.2
Votre Éminence sait-elle que votre correspondant, M. le duc de Choiseul, est aussi notre confrère ? Il y a quelques années qu’étant piqué au jeu sur une affaire fort extraordinaire, il m’envoya une vingtaine de stances de sa façon 3, qu’il fit en moins de deux jours. Elles étaient nobles, elles étaient fières. Il y en avait de très agréables ; l’ouvrage en tout était fort singulier. Je vous confie cela comme à un archevêque, sous le secret de la confession.
Je ne crois pas que Clément XIV soit un Bembo ; mais, puisque vous l’avez choisi, il mérite sûrement la petite place que vous lui avez donnée. Or, monseigneur, comme dans les petites places on peut faire de petites grâces, il peut m’en faire une, et je vous demande votre protection ; elle ne coûtera rien ni à Sa Sainteté, ni à Votre Éminence, ni à moi ; il ne s’agit que de la permission de porter la perruque. Ce n’est pas pour mon vieux cerveau brûlé que je demande cette grâce ; c’est pour un autre vieillard (ci-devant soi-disant jésuite 4, ne vous en déplaise), lequel me sert d’aumônier.
Ferney est, comme Albi, auprès des montagnes, mais notre hiver est incomparablement plus rude que celui d’Albi. Je vois de ma fenêtre quarante lieues de la partie des Alpes qui est couverte d’une neige éternelle. Les Russes qui sont venus chez moi m’ont avoué que la Sibérie est un climat plus doux que le mien, aux mois de décembre et de janvier. Nos curés, qui sont nés dans le pays, peuvent supporter l’horreur de nos frimas ; et, quoiqu’ils soient tous des têtes à perruques, ils n’en portent cependant pas ; ils ont même fait vœu d’être chauves en disant la messe. Mon aumônier est Lorrain, il a été élevé en Bourgogne, il n’a point fait le vœu de s’enrhumer ; il est malade, et sujet à de violents rhumatismes ; il priera Dieu de tout son cœur pour Votre Éminence si vous voulez bien avoir la bonté d’employer l'autorité du vicaire de Jésus-Christ pour couvrir le crâne de ce pauvre diable.
Je ne vous cacherai point que notre évêque d’Annecy est un fanatique, un homme à billets de confession, à refus de sacrements. Il a été vicaire de paroisse à Paris, et s’y est fait des affaires pour ses belles équipées : en un mot, j’ai besoin de toute la plénitude du pouvoir apostolique pour coiffer celui qui me dit la messe. Je ne puis avoir d’autre aumônier que lui ; il est à moi depuis près de dix ans ; il me serait impossible d’en trouver un autre qui me convînt autant. Je vous aurai une très grande obligation, monseigneur, si vous daignez m’envoyer le plus tôt qu’il sera possible un beau bref à perruque.
Je ne sais si vous avez continué monsieur l’archevêque de Calcédoine dans son poste de secrétaire des brefs 5: je me doute que non ; mais, qui que ce soit qui ait cette place, j’imagine qu’il est votre secrétaire. Votre Éminence gouverne Rome et la barque de saint Pierre, ou je me trompe fort. Si je n’obtiens pas ce que je demande, je m’en prendrai à vous.
Ma lettre n’a rien d’un bref, elle est trop longue. Je vous supplie de me pardonner, et de conserver pour ma vieille tête et pour mon jeune cœur des bontés dont je fais plus de cas que de toutes les perruques possibles.
N. B. Voici un petit mémoire du suppliant . C’est trop abuser de votre charité que de vous supplier d’ordonner que la supplique soit rédigée selon la forme usitée.
N. B. M. le duc de Choiseul me fit avoir, haut la main, de la part de Clément XIII, des reliques pour l’autel de ma paroisse . M. le cardinal Bembo n’aura-t-il pas le pouvoir de me faire avoir une tignasse de Clément XIV ?
Agréez les tendres respects du radoteur.
V.
N. B. Peut-être que le nom d’ex-jésuite n’est pas un titre pour obtenir des faveurs ; mais peut-être aussi, quand on abolit le corps, on ne refusera pas à des particuliers des grâces qui sont sans conséquence.
Daignez répondre à mon verbiage quand Votre Éminence aura un moment de loisir. »
1 Vive le cardinal Bembo et la poésie . On sait que le cardinal Bembo, né à Venise en 1470, mort en 1547, écrivit en latin et en italien des poèmes célèbres d'inspiration légère : https://en.wikipedia.org/wiki/Pietro_Bembo
2 Horace , De l'Art poétique, v. 309 : Avoir de l'esprit est le principe et la source .
3 Voltaire savait bien que l’ode contre le roi de Prusse, dont Choiseul se disait l’auteur, était d’un autre. (Beuchot.) — Voir note 1 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome40.djvu/429
V* fait allusion à des stances contre le roi de Prusse que le duc de Choiseul lui a envoyées en précisant qu'elles ne sont pas de lui ( elles sont en effet de Palissot et V* le sait ). En cette période de guerre avec la Prusse (la lettre est du 28mai 1759) et de batailles d'épigrammes, le thème en était fourni par les mœurs de Frédéric. L’avant-dernière strophe contient par exemple ces vers : « […] Souffre l'innocent badinage
De la nature et des amours.
Peux-tu condamner la tendresse,
Toi qui n'en as connu l'ivresse
Que dans les bras de tes tambours ? »
On retrouvera des allusions à cette affaire par la suite .
4 Le Père Adam . La demande fut accordée ; voir lettre du 19 juillet 1769 du cardinal de Bernis : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7601
Le bref autorisant le père Adam à porter perruque fut signé de l'évêque de Philippopolis, comme on le verra par la lettre du 3 août 1769 à Bernis : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7619#cite_note-1
5 Il paraît que non ; car dans la lettre du 3 août 1769 on voit que c’était l’évêque de Philippopolis qui avait signé le bref relatif à la demande du Père Adam de porter perruque en disant la messe.
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10/12/2024
il faut que chaque chose soit à sa place
... Et chaque ministre aussi, M. le président Macron .
Dur dur ces consultations qui ne mènent qu'à un diagnostic désespérant , un traitement expérimental et un pronostic aléatoire . Les virus et bactéries de droite et de gauche sont du genre résistant à toute tentative de bonne volonté , plutôt crever avec la malade [ appelée France par les intimes] que laisser la place au concurrent .
Wait and see, vieille tactique anglaise pour laisser pourrir une situation souvent, assainir rarement, est actuellement en vigueur en France .
« A Pierre-Prime-Félicien Le Tourneur 1
Au château de Ferney par Genève le 7 juin [1769] 2
Vous avez, monsieur, fait beaucoup d'honneur à mon ancien camarade Young 3; il me semble que le traducteur a plus de goût que l'auteur . Vous avez mis autant d'ordre que vous avez pu dans ce ramas de lieux communs ampoulés et obscurs . Les sermons ne sont guère faits pour être mis en vers ; il faut que chaque chose soit à sa place . Voilà pourquoi le poème de La Religion du petit Racine 4, qui vaut beaucoup mieux que tous les poèmes de Young, n'est guère lu ; et je crois que tous les étrangers aimeront mieux votre prose que la poésie de cet Anglais , moitié prêtre et moitié poète .
J'ai l'honneur d'être, avec toute l'estime, et la reconnaissance que je vous dois, monsieur, votre etc.
Voltaire.»
1 Homme de lettres et traducteur . Voir : https://data.bnf.fr/fr/ark:/12148/cb11911818k
2 Ed. P.-P.-F. Le Tourneur, Le Jardin Anglais, 1788 : https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb33996757j
Un manuscrit tardif et grossier a été laissé de côté .
3 Edward Young . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9608247v.texteImage
4 Louis Racine . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9608247v.texteImage
10:07 | Lien permanent | Commentaires (0)
Le gouvernement nous doit toute sa protection : c’est un crime de lèse-humanité de gêner nos travaux ... c’est nous qui les payons, et que c’est nous qui les faisons vivre
... Rappel juste de nos paysans à un gouvernement qui a du mal à agir justement pour que ceux qui nous nourrissent ne périssent pas . Je leur suggère de le proclamer sur leurs banderoles plutôt que de brûler des pneus ; le poids des mots ...
Nos ministres n'arrivent pas à la cheville du Patriarche dans la réalisation des actes après avoir parlé ; lui , excellait dans les deux domaines de la parole et de l'action , il n'était pas un bureaucrate obtus . Quelque soit le/la ministre de l'Agriculture à venir, qu'il/elle s'inspire de Voltaire bâtisseur et paysan .
« A Pierre-Samuel Dupont de Nemours etc.
chez monsieur Lacombe Libraire
rue Christine
à Paris 1
A Ferney 7 juin 1769 2
Monsieur,
Vous donnez à M. de Saint-Lambert les éloges 3 qu’il a droit d’attendre d’un vrai citoyen et d’un écrivain tel que vous.
Vous ne ressemblez pas à celui qui fournit des nouvelles de Paris à la gazette suisse et qui en dernier lieu, parmi une foule d’erreurs injurieuses au gouvernement, à la réputation des particuliers, et à l’honneur des lettres, a mandé 4 que le poème français des Saisons est inférieur au poème anglais de Thompson ; s’il m’appartenait de décider, je donnerais sans difficulté la préférence à M. de Saint-Lambert. Il me paraît non seulement plus agréable, mais plus utile . L’Anglais décrit les saisons, et le Français dit ce qu’il faut faire dans chacune d’elles. Ses tableaux m’ont paru plus touchants et plus riants : je compte encore pour beaucoup la difficulté des rimes surmontée. Les vers blancs sont si aisés à faire, qu’à peine ce genre a-t-il du mérite . L’auteur alors, pour se sauver de la médiocrité et de la langueur prosaïque, est obligé d’employer souvent des idées et des expressions gigantesques par lesquelles il croit suppléer à l’harmonie qui lui manque.
Despréaux recommandait, dans le grand siècle des arts, qu’on polît un écrit.
Qui dit, sans s’avilir, les plus petites choses,
Fit des plus secs chardons des œillets et des roses ?
Et sut, même aux discours de la rusticité,
Donner de l’élégance et de la dignité.5
Je pense que M. de Saint-Lambert a pleinement exécuté ce précepte. Peut-on exprimer avec plus de justesse et de noblesse à la fois l’action du laboureur ?
Et le soc, enfoncé dans un terrain docile,
Sous ses robustes mains ouvre un sillon fertile. 6
Voyez comme il peint, auprès de ses brebis et de son chien,
La naïve bergère, assise au coin d’un bois,
Et roulant le fuseau qui tourne sous ses doigts.7
Comme toutes ces peintures, si vraies et si riantes, sont encore relevées par la comparaison des travaux champêtres avec le luxe et l’oisiveté des villes !
Tandis que sous un dais la Mollesse assoupie.
Traîne les longs moments d’une inutile vie 8.
Thompson, que d’ailleurs j’estime beaucoup, a-t-il rien de comparable ?
Je ne sais même s’il est possible qu’un habitant du nord puisse jamais chanter les saisons aussi bien qu’un homme né dans des climats plus heureux. Le sujet manque à un Écossais tel que Thompson ; il n’a pas la même nature à peindre. La vendange chantée par Théocrite, par Virgile, origine joyeuse des premières fêtes et des premiers spectacles, est inconnue aux habitants du cinquante-quatrième degré. Ils cueillent tristement de misérables pommes sans goût et sans saveur, tandis que nous voyons sous nos fenêtres cent filles et cent garçons danser autour des chars qu’ils ont chargés de raisins délicieux : aussi Thompson n’a pas osé toucher à ce sujet, dont M. de Saint-Lambert a fait de si agréables peintures.
Un grand avantage de notre poète philosophe, c’est d’avoir moins parlé aux simples cultivateurs qu’aux seigneurs des terres qui vivent dans leurs domaines, qui peuvent enrichir leurs vassaux, encourager leurs mariages, et être heureux du bonheur d’autrui loin de l’insolente rapacité des oppresseurs : il s’élève contre ces oppresseurs avec une liberté et un courage respectables.
Je sais bien qu’il y a des âmes aussi basses que jalouses qui pourront me reprocher de rendre à M. de Saint-Lambert éloges pour éloges 9, et de faire avec lui trafic d’amour-propre. Je leur déclare que je ne saurais l’en estimer moins, quoiqu’il m’ait loué : je crois me connaître en vers mieux qu’eux ; je suis sûr d’être plus juste qu’eux. Je raie les louanges qu’il a daigné me donner, et je n’en vois que mieux son mérite.
Je regarde son ouvrage comme une réparation d’honneur que le siècle présent fait au grand siècle passé, pour la vogue donnée pendant quelque temps à tant d’écrits barbares, à tant de paradoxes absurdes, à tant de systèmes impertinents, à ces romans politiques, à ces prétendus romans moraux dont la grossièreté, l’insolence et le ridicule étaient la seule morale, et qui seront bientôt oubliés pour jamais.
Permettez-moi, monsieur, de vous parler à présent de la réflexion que vous faites sur les chaumières des laboureurs, sur ces cabanes, sur ces asiles du pauvre 10. Vous condamnez ces expressions dans le poème des Saisons, que vous estimez d’ailleurs autant que moi.
Vous dites, avec très grande raison, qu’une cabane ne peut pas être le logement d’un agriculteur considérable, qu’il faut des écuries commodes, des étables faites avec soin, des granges vastes et solides, des laiteries voûtées et fraîches, etc.
Oui, sans doute, monsieur, et personne n’est entré mieux que vous dans le détail de l’exploitation rurale . Personne n’a mieux fait sentir combien un laboureur doit être cher à l’État. J’ai l’honneur d’être laboureur, et je vous remercie du bien que vous dites de nous ; mais, puisqu’il s’agit ici de fermiers comparez, je vous prie, les hôtels des fermiers-généraux du bail de 1725 avec les logements de nos fermiers de campagne, et vous verrez que les termes de chaumière, de cabane, ne sont que trop convenables . Les logements des plus gros laboureurs en Picardie et dans d’autres provinces ont des toits de chaume.
Rien n’est plus beau, à mon gré, qu’une vaste maison rustique dans laquelle entrent et sortent, par quatre grandes portes cochères, des chariots chargés de toutes les dépouilles de la campagne . Les colonnes de chêne qui soutiennent toute la charpente sont placées à des distances égales sur des socles de roche ; de longues écuries règnent à droite et à gauche. Cinquante vaches proprement tenues occupent un côté avec leurs génisses, les chevaux et les bœufs sont de l’autre ; leur pâture tombe dans leurs crèches du haut de greniers immenses ; les granges où l’on bat les grains sont au milieu ; et vous savez que tous les animaux, logés chacun à leur place dans ce grand édifice, sentent très bien que le fourrage, l’avoine qu’il renferme, leur appartient de droit.
Au midi de ces beaux monuments d’agriculture sont les basses-cours et les bergeries ; au nord sont les pressoirs, les celliers, la fruiterie ; au levant, les logements du régisseur et de trente domestiques ; au couchant s’étendent les grandes prairies pâturées et engraissées par tous ces animaux, compagnons du travail de l’homme.
Les arbres du verger, chargés de fruits à noyaux et à pépins, sont encore une autre richesse. Quatre ou cinq cents ruches sont établies auprès d’un petit ruisseau qui arrose ce verger . Les abeilles donnent au possesseur une récolte considérable de miel et de cire, sans qu’il s’embarrasse de toutes les fables qu’on a débitées sur ce peuple industrieux, sans rechercher très vainement si cette nation vit sous les lois d’une prétendue reine qui se fait faire soixante à quatre-vingt mille enfants par ses sujets.
Il [y] a des allées de mûriers à perte de vue ; les feuilles nourrissent ces vers précieux qui ne sont pas moins utiles que les abeilles.
Une partie de cette vaste enceinte est fermée par un rempart impénétrable d’aubépine proprement taillée, qui réjouit l’odorat et la vue.
La cour et les basses-cours ont d’assez hautes murailles.
Telle doit être une bonne métairie ; il en est quelques-unes dans ce goût vers les frontières que j’habite ; et je vous avouerai même sans vanité que la mienne ressemble en quelque chose à celle que je viens de vous dépeindre ; mais, de bonne foi, y en a-t-il beaucoup de pareilles en France ?
Vous savez bien que le nombre des pauvres laboureurs et des métayers, qui ne connaissent que la petite culture, surpasse des deux tiers au moins le nombre des laboureurs riches que la grande culture occupe.
J’ai dans mon voisinage des camarades qui fatiguent un terrain ingrat avec quatre bœufs, et qui n’ont que deux vaches : il y en a dans toutes les provinces qui ne sont pas plus riches. Soyez très sûr que leurs maisons et leurs granges sont de véritables chaumières où habite la pauvreté : il est impossible qu’au bout de l’année ils aient de quoi réparer leurs misérables asiles ; car, après avoir payé tous les impôts, il faut qu’ils donnent encore à leurs curés la dîme du produit clair et net de leurs champs ; et ce qui est appelé dîme très improprement est réellement le quart de ce que la culture a coûté à ces infortunés.
Cependant, quand un paysan trouve un seigneur qui le met en état d’avoir quatre bœufs et deux vaches, il croit avoir fait une grande fortune : en effet il a de quoi vivre, et rien au-delà ; c’est beaucoup pour lui et pour sa famille ; et cette famille connaît encore la joie ; elle chante dans les beaux jours et dans les temps de récolte.
Ne sachons donc pas mauvais gré, monsieur, à l’aimable auteur des Saisons d’avoir parlé des chaumières de mes camarades les laboureurs. Il est certain qu’ils seraient tous plus à leur aise, si les seigneurs habitaient leurs terres neuf mois de l’année, comme en Angleterre ; non-seulement alors les possesseurs des grands domaines feraient quelquefois du bien par générosité à ceux qui souffrent, mais ils en feraient toujours par nécessité à ceux qu’ils feraient travailler. Quiconque emploie utilement les bras des hommes rend service à la patrie.
Je sais bien qu’il y a plus de deux cent mille âmes à Paris qui s’embarrassent fort peu de nos travaux champêtres. De jeunes dames, soupant avec leurs amants au sortir de l’Opéra-Comique, ne s’informent guère si la culture de la terre est en honneur ; et beaucoup de bourgeois qui se croient de bonnes têtes dans leur quartier pensent que tout va bien dans l’univers, pourvu que les rentes sur l’Hôtel-de-Ville soient payées . Ils ne songent pas que c’est nous qui les payons, et que c’est nous qui les faisons vivre.
Le gouvernement nous doit toute sa protection : c’est un crime de lèse-humanité de gêner nos travaux, c’est est un de nous condamner encore, dans certains temps de l’année 11, à une honteuse et funeste oisiveté deux ou trois jours de suite . On nous oblige de refuser, après midi, à la terre, les soins qu’elle nous demande, après que nous avons rendu le matin nos hommages au ciel ; on encourage nos manœuvres à perdre leur raison et leur santé dans un cabaret, au lieu de mériter leur subsistance par un travail utile. Cet horrible abus a été réformé en partie ; mais il ne l’a pas été assez . Eh ! qui peut réformer tout ?
Est quadam prodire tenus, si non datur ultra.12
Je n’en dirai pas davantage, monsieur, sur des sujets que vous et vos associés avez si bien approfondis pour l’avantage du genre humain.
J'ai l'honneur d'être. »
1 Une seconde adresse a été ajoutée d'une autre main : Rue Saint-Jacques / vis-à-vis les dames de la Visitation.
2 Original, date olographe, intitulé par V* « Lettre à l'auteur des Éphémérides du citoyen, sur le poème des Saisons » ; édition « Lettre de M. de Voltaire à l'auteur des Éphémérides du citoyen sur le poème des Saisons », Mercure de France, juillet 1769, II, 135-144.
Cette lettre était manifestement destinée à être imprimée dans les Éphémérides du citoyen, et non dans le Mercure . Mais ainsi qu'on le sait par une tardive réponse de Dupont de Nemours du 1er septembre, V* a envoyé sa lettre à Dupont de Nemours par l'intermédiaire de Lacombe qui était chargé de diffuser les Éphémérides . Celui-ci qui était en même temps directeur du Mercure détourné la publication au profit de ce dernier journal .
3 Un compte-rendu considérable des Saisons a été publié dans les Éphémérides, t. III, 133-158, IV, 87-134 et V, 169-189 , en 1769
4 Dans les Nouvelles de divers endroits, 22 avril 1769 .
5 Boileau, L'Art poétique, IV, 49-52
6 Les Saisons, I, 121-122 ; il faut lire facile au lieu de fertile .
7 Ibid. I, 147-148 .
8 Ibid. 118-118 .
9 Au livre IV des Saisons, sous prétexte de chanter les charmes de l'hiver, Saint-Lambert fait l'éloge de V* auteur tragique :
Que j'ai versé de pleurs sur la mort de Zaïre,
Mais ces pleurs étaient doux, le plaisir d'admirer,
Autant que la pitié, me forçait de pleurer
Ô spectacles divins, écoles respectables [...]
10 Les Saisons, II, 81 .
11 Dans quelques éditions, on lit ici en note : « Voltaire avait écrit dès 1761 à Clément XIII, afin que le pontife lui permît, par une bulle spéciale, de cultiver la terre les jours de fête sans être damné. » (G.Avenel.)
V* développa ce thème dans la Requête à tous les magistrats du royaume, 1770 . voir aussi lettre du 27 juillet 1769 à Christin : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7611
12 Horace, Épîtres, I, i, 32 . Trad. : C'est quelque chose de s'avancer jusqu'à un certain point, même si on ne peut aller au delà.
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09/12/2024
Je vais vous apprendre une autre nouvelle que je reçois dans le moment de M. le cardinal
... François Bustillo et je vous en fais part : "Cassez vos tirelires, le show papal nécessite votre effort financier, et rassurez-vous c'est moins cher que celui de Katy Perry, alléluia !" [Pour la rime, mon père ajoutait "les choux sont gras !"] Attendons-nous à une hausse du prix du brocciu et des figatelli .
D'un François franciscain pour un François jésuite :
« A François de Caire,
Chevalier de Saint-Louis, Ingénieur en
chef, etc.
à Versoix.
En vous remerciant, monsieur, d'avoir si bien justifié ma prophétie . Je fis mon compliment le 24 mai à M. le duc de Choiseul de la prise de Corte ; de sorte que ma nouvelle est arrivée à Versailles longtemps avant M. de Beauharel . Je suis bien fâché que Mme la duchesse ne se soit pas trouvée à Versailles à l'arrivée du gendre de M. le comte de Vaux . Elle était à Chanteloup .
Je vais vous apprendre une autre nouvelle que je reçois dans le moment de M. le cardinal de Bernis ; c'est le roi qui a nommé le pape, c'est lui qui lui a donné un secrétaire d’État, c'est lui qui a nommé les principales charges de la nouvelle cour romaine . M. le cardinal de Bernis reste dans le pays où il a tout fait .
Mille tendres respects à vous, monsieur,et à Mme de Caire .
V.
Mardi au soir 6è juin 1769 à Ferney. »
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Et les chiens, s’engraisseront De ce sang, qu’ils lécheront
... Avenir redoutable de la Syrie où l'on chasse la peste pour y faire régner le choléra . Je trouve insensé les messages d'encouragement et même de félicitations à ces rebelles qui sont il est vrai préférables que le dictateur meurtrier Bachar al-Assad ; il est vrai aussi que chasser un pourri parait toujours le meilleur acte, mais gouverner pacifiquement me parait hors de portée à ces hommes en armes qui rêvent de vengeance , des islamistes durs . J'aimerais me tromper .
Cours Bachar, cours ! tu dois payer, tu vas payer !
« A Louise-Florence -Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Épinay
Je ne puis dire autre chose à ma philosophe que ce que j’écris à mon philosophe d’Alembert. Je voudrais que tous ceux qui pensent pussent faire un peuple à part, et n’eussent jamais rien de commun avec la canaille idiote, fanatique, persécutante, fourbe, atroce, ennemie du genre humain.
Je suis bien malade, madame, et d’une faiblesse extrême. Un homme tel que M. le comte de Schomberg sera ma consolation . Je n’ai pas tous les jours de pareilles aubaines. Loin de gêner un pauvre malade, il lui fera oublier tous ses maux.
Puisque les lettres au prophète de Bohême 1 sont exactement rendues à ma philosophe, on ne manquera pas d’adresser quelques paquets à M. de Fontaine.
Mille tendres respects.
Et les chiens, s’engraisseront
De ce sang, qu’ils lécheront 2.
4è juin 1769.»
1 Friedrich Melchior Grimm ; voir : https://data.bnf.fr/fr/ark:/12148/cb119059298
et : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/362-frederic-grimm
2 C’est le refrain que chante David dans Saul, acte IV. scène v ; https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome5.djvu/613
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08/12/2024
J’ai agi en citoyen,... et je braverai les scélérats persécuteurs jusqu’à mon dernier moment
... Réponse du président à tous ceux -type libres penseurs, LFI - qui lui reprochent de n'être pas assez laïc alors qu'il vient de faire plus pour la France et les relations internationales en un seul jour à l'Elysée et Notre-Dame, qu'eux en des années .
le sort de la guerre est en jeu
« A Jean Le Rond d'Alembert
4 de juin [1769] 1
Mon très cher philosophe, je crois connaître beaucoup M. de Schomberg, quoique je ne l’aie jamais vu ; je sais que c’est un homme de tous les pays, qui aime la vérité, et qui la dit hardiment. S’il passe dans mes déserts, il faut qu’il regarde ma maison comme la sienne, il en sera le maître ; j’aurai l’honneur de le voir dans les moments de liberté que mes souffrances continuelles pourront me donner. C’est ainsi qu’en usaient avec moi les philosophes espagnols duc de Villa-Hermosa et comte de Mora 2. Un être véritablement pensant me console de ma vieillesse, de mes maladies, des fripons et des sots. Vous n’avez pu recevoir encore, par M. de Rochefort, un paquet que je lui donnai pour vous, il y a environ trois semaines ; il contient un petit livre 3 d’un jeune homme nommé La Bastide, et dans ce livre étrange il y a une plus étrange lettre 4 que vous adresse un citoyen de Genève. L’auteur vous y prie de vouloir bien établir le déisme sur les ruines de la superstition. Il s’imagine qu’un citoyen de Paris, quand il est supérieur par son esprit à sa nation, peut changer sa nation. Il ne sait pas qu’un capucin prêchant à Saint-Roch a plus de crédit sur le peuple que tous les gens de bon sens n’en auront jamais. Il ne sait pas que les philosophes ne sont faits que pour être persécutés par les cuistres et par les sous-tyrans.
Le marquis d’Argence de Dirac, et non pas le prétendu marquis d’Argens Boyer, n’a pas trop bien fait d’imprimer la lettre à M. le comte de Périgord 5 ; mais il faut que vous sachiez que Patouillet est l’archevêque d’Auch. Son archevêché vaut cinquante mille écus de rente, et par conséquent lui donne un très grand crédit dans la province, tout imbécile qu’il est. Il avait donné un mandement scandaleux 6 quand son voisin, le marquis d’Argence, écrivit cette lettre. Ce fut Patouillet qui aida à faire contre moi ce mandement, qui fut brûlé par le parlement de Bordeaux et par celui de Toulouse, ainsi qu’une lettre du grand Pompignan, évêque du Puy. Vous ne savez pas, vous autres Parisiens, combien de cuistres en mitre, en robe, en bonnet carré, se sont ligués dans les provinces contre le sens commun. Ce Nonnotte, dont le nom seul est un ridicule, est un prédicateur fanatique, un monstre capable de tout. Il écrivit lettre sur lettre au pape Rezzonico contre moi, et en obtint un bref que j’ai entre les mains. L’évêque d’Annecy, soi-disant prince de Genève, cousin germain du maçon qui bâtit actuellement ma grange, a voulu non-seulement me damner dans l’autre monde, mais me perdre dans celui-ci. Il m’a calomnié auprès du roi ; il a conjuré Sa Majesté très chrétienne de me chasser de la terre que je défriche ; il a employé contre moi sa truelle, sa croix, sa crosse, sa plume, et tout l’excès de son absurde méchanceté. C’est le calomniateur le plus bête qui soit dans l’Église de Dieu. Je n’ai pu le chasser d’Annecy comme les Genevois ont chassé ses prédécesseurs de Genève, parce que je n’ai pas douze mille hommes à mon service. Je n’ai pu combattre l’excès de son insolence et de sa bêtise qu’avec les armes défensives dont je me suis servi. Je n’ai fait 7 que ce qui m’a été conseillé par deux avocats, et par un magistrat très accrédité du parlement de Dijon, dans le ressort duquel je suis. En un mot, on ne me traitera pas comme le chevalier de La Barre. J’ai agi en citoyen, en sujet du roi, qui doit être de la religion de son prince, et je braverai les scélérats persécuteurs jusqu’à mon dernier moment.
Je vous ai demandé, mon cher ami, mon cher philosophe, si vous travailliez en effet à la nouvelle Encyclopédie 8. Les éditeurs de Paris ont paru craindre un rival dans un apostat italien nommé Felice 9. C’est un polisson plus imposteur encore qu’apostat, qui demeure dans un cloaque du pays de Vaud. Ce fripon, qui a été prêtre autrefois, et qui en était digne, qui ne sait ni le français ni l’italien, prétend qu’il a quatre mille souscriptions, et il n’en a pas une seule ; il veut tromper Panckoucke. J’ai peur que la librairie ne soit devenue un brigandage ; pour la philosophie, elle n’est qu’une esclave. Vous êtes né avec le génie le plus mâle et le plus ferme : mais vous n’êtes libre qu’avec vos amis, quand les portes sont fermées.
Nous avons heureusement un chancelier 10 plein d’esprit, de raison et d’indulgence : c’est un trésor que Dieu nous a envoyé dans nos malheurs. Il faudrait qu’il s’en rapportât à M. Marin pour les affaires de la librairie : il peut rendre beaucoup de services à la littérature. Il faudrait que Marin fût un jour de l’Académie, et qu’il succédât à quelque cuistre à rabat pour purifier la place.
Je vous renvoie à la lettre que M. de Rochefort doit vous rendre, pour que [vous] soyez instruit des petites friponneries ecclésiastiques qui sont en usage depuis plus de dix-sept cents ans 11.
Adieu, mon cher philosophe ; je secoue la fange dont je suis entouré, et je me lave dans les eaux d’Hippocrène pour vous embrasser avec des mains pures. »
1 Ed. Kehl incomplète de la référence à Biord et du paragraphe relatif à Marin l’ennemi de Beaumarchais . On a suivi le texte de l'édition Renouard.
2 Sur Villa-Hermosa et sur José Pignatelli y Gonzaga marquis de Mora, voir lettre du 15 avril 1769 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/16/6519171si-je-me-suis-trompe-dans-quelques-occasions-j-ai-droit-de-m-adresse.html
3 Peut-être les Réflexions importantes et apologiques sur le nouveau commentaire du discours de M. l'abbé Fleury, qui parurent effectivement sous le nom de Pierre Chiniac de La Bastide en 1766 . Voir : https://data.bnf.fr/fr/see_all_activities/12145112/page1
4 Sur cette lettre de Mallet, voir lettre à d'Alembert du 24 mai 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/11/29/on-dit-que-nous-aurons-bientot-des-choses-tres-curieuses-qui-6525103.html
5 Il est déjà question de cette lettre de d’Argence à M. le comte de Périgord dans celle à d’Argence lui-même, du 8 décembre 1766 ; voir https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome44.djvu/536
6Sur ce mandement de l'évêque d'Auch voir lettre du 2 avril 1764 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/05/06/chacun-donne-sur-les-oreilles-de-son-voisin-qui-le-lui-rend-du-plus-grand-c.html
Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/479
et : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/164
7 Il parle de sa communion.
8 V* a fait cette demande dans la lettre du 24 mai 1769 à d’Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/11/29/on-dit-que-nous-aurons-bientot-des-choses-tres-curieuses-qui-6525103.html
9 Fortunato Bartholomeo de Felice, né à Rome le 24 août 1723, est mort le 7 février 1789. Son Encyclopédie d'Yverdon est en cinquante-huit volumes in-4°, savoir, quarante-deux volumes publiés de 1770 à 1775 ; six volumes de supplément, de 1775 et 1776 ; dix volumes de planches, de 1775 à 1780. Sur les rivalités des deux éditeurs, voir les Nouvelles de divers endroits du 12 avril 1769 (supplément), 19 avril, 14 mai (supplément,t), 12 juillet 1769.
10 Le chancelier Maupéou, nommé le 16 septembre 1768, sur la démission de son père. Voir note 1 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome16.djvu/117
11 V* a sans doute joint le Cri des Nations ; voir lettre du 24 mai 1769 à d’Alembert, et : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome27.djvu/573
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