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12/10/2024

je sais que vous êtes un honnête homme quoique vous soyez une honnête femme . Il y a quelques honnêtes femmes dans le monde que je crains beaucoup ; mais vous m'inspirez ... la plus grande confiance, ainsi qu’un véritable attachement et un profond respect

... Honneur à Han Kang, autrice, prix Nobel de littérature 2024 , digne du compliment du patriarche Voltaire

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-info-culturelle-reportages-enquetes-analyses/nobel-de-litterature-2024-han-kang-racontee-par-son-editeur-et-son-co-traducteur-6056578

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Honnête femme

 

 

« A Louise-Honorine Crozat du Châtel, duchesse de Choiseul

A Ferney 9 avril 1769

Madame,

Mon gendre vous a fait une infidélité ; il m'a envoyé une lettre dont vous l'avez honoré , Cette lettre joint[e] à celle que ma fille Corneille et moi reçûmes de vous m'a bien fait changer de note .

J'entrevis autrefois les restes précieux

Du plus beau siècle de ma France,

Les Vendôme et les Chaulieu,

Marianne 1, la sœur d'Hortense 2,

Marianne Bouillon dont la vive éloquence

Égalait l'éclat de ses yeux .

Boileau vivait encore ; et sa muse affaiblie

Conservait du bon goût les éternelles lois .

Dans les jardins de Sceaux, Melpomène et Thalie

À la voix des Condés mêlaient encore leurs voix.

Ce grand siècle n'est plus que dans notre mémoire .

Les plaisirs de l'esprit, la splendeur de la gloire,

La politesse et les beaux-arts

Ont suivi tristement aux bords de l'onde noire

La foule des héros du Parnasse et de Mars.

Je pensais à ces temps, les vieillards d'ordinaire

Pour les regrets sont réservés.

Mais à la fin j'ai vu ce que vous écrivez,

Et ce que votre époux sait faire ;

Je renonce à la plainte, et je m'aperçois bien

Malgré mon fond frondeur et mon goût trop sévère

Que je ne dois regretter rien .

Vous me donnez , madame, des ordres positifs de vous envoyer ce qui paraît de nouveau dans les pays étrangers . Me voilà installé votre bibliothécaire de rogatons . Voyez une petite brochure un peu hardie 3, d'un moine défroqué qui est quelquefois assez plaisant . Je n'enverrai certainement pas de pareils ouvrages à d'autres qu'à vous, surtout dans ce saint temps de Pâques, mais je sais que vous êtes un honnête homme quoique vous soyez une honnête femme . Il y a quelques honnêtes femmes dans le monde que je crains beaucoup ; mais vous m'inspirez , Madame, la plus grande confiance, ainsi qu’un véritable attachement et un profond respect .

Le vieillard des Alpes . »

1 Marie-Anne Mancini, duchesse de Bouillon : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Anne_Mancini

2 Hortense Mancini, duchesse de La Meilleraye, dont le mari devint ultérieurement duc de Mazarin . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hortense_Mancini

3 Ce serait La Canonisation de Saint Cucufin, suppose Th. Besterman ; mais la duchesse de Choiseul écrivait déjà à V* le 2 février qu'elle le remerciait de lui «  avoir fait faire la connaissance de Saint-Cucufin », que V* lui avait effectivement envoyé le 3 . Il pourrait donc s'agir de la Collection des anciens Evangiles .

Voir : https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1996_num_28_1_2139_t1_0572_0000_3

et : http://www.monsieurdevoltaire.com/2017/07/collection-d-anciens-evangiles-partie-1.html

Il faut être poli, et ne point refuser un dîner où l’on est prié, parce que la chère est mauvaise.

... Mais si l'hôte.sse est détestable on peut évidemment s'abstenir de figurer à sa table, ce qui permettra à notre président d'éviter de prendre du ventre à la table d'un Poutine ou d'un Bachar al-Assad , du moins je l'espère .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

9è avril 1769

Mon cher ange, je n’ai point entendu parler des remarques de l’aréopage . Je les attendrai très patiemment. L’état où je suis ne me permettrait guère actuellement de m’occuper d’un travail qui demande qu’on ait tout son esprit à soi. J’ai toujours un peu de fièvre depuis six semaines, et j’en ai essuyé dix accès assez violents. On en rira tant qu’on voudra ; mais j’ai été obligé de faire au dixième accès ce qu’on fait dans un diocèse ultramontain 1. Quand cette cérémonie passera de mode, je ne serai pas assurément un des derniers à me déclarer contre elle ; mais je ne vois pas qu’il faille se faire regarder comme un monstre par les barbares au milieu desquels je suis, pour un mince déjeuner . C’est d’ailleurs un devoir de citoyen . Le mépris marqué de ce devoir aurait entraîné des suites désagréables pour ma famille. Vous savez ce qui est arrivé à Boindin 2, pour n’avoir pas voulu faire comme les autres. Il faut être poli, et ne point refuser un dîner où l’on est prié, parce que la chère est mauvaise.

On m’assure que Stopani est pape. Il me doit assurément sa protection, car il y a deux mois que nous jouâmes aux trois dés la place vacante du Saint-Siège. Je tirai pour Stopani, et j’amenai rafle.

Vous avez eu la bonté de m’envoyer une lettre de M. Bachelier. Comme je ne sais point sa demeure, voulez-vous bien me permettre de vous adresser ma réponse 3 ?

Je me flatte que Mme d’Argental est en bonne santé ; conservez la vôtre, mon cher ange ; jouissez d’une vie agréable ; quand je finirai la mienne, ce sera en vous aimant. »

1 La rétractation dont il est question à propos de la lettre du 19 mars au curé Gros, suivie de la confession et de la communion . Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/09/22/vous-etes-instruit-sans-doute-des-reglements-faits-par-les-p-6515642.html

2 Connu comme athée, il était mort sans sacrement ; on lui refusa la sépulture appelée alors ecclésiastique. On l’enterra sans cérémonie ; voir Nicolas Boindin : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome14.djvu/62

3 Apparemment une lettre à Jean-Jacques Bachelier . Mais la date du 9 mai fait difficulté . Faut-il supposer que la date de l'une des deux lettres comporte une erreur de mois ?

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Jacques_Bachelier

et : https://data.bnf.fr/fr/12524506/jean-jacques_bachelier/

 

11/10/2024

Dans la vieillesse on tolère la vie, et dans la jeunesse on en abuse. Ainsi tout est vanité, à commencer par le pape et à finir par moi.

... En toute modestie ... Pape François, entendez-le !

 

 

« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian

A Ferney 8è avril 1769 1

Voici le temps où les Picards vont jouir d’une douce tranquillité dans leurs terres. Je souhaite un bon voyage à la dame et au seigneur d’Hornoy, beaucoup de santé, de plaisirs, et de comédies.

Vous savez que celle de l’élection du vicaire de saint Pierre est presque finie à Rome. Mais ce que vous ne savez pas, c’est que j’ai presque autant de part 2 que le Saint-Esprit à l’élection de Stopani 3. Le colonel du régiment de Deux-Ponts 4, et madame sa femme, avaient absolument voulu me voir. Mme Cramer les amena chez moi il y a environ deux mois; elle força les barrières de ma solitude. Après dîner, pour nous amuser, nous jouâmes le pape aux trois dés ; je tirai pour Stopani, et j’eus rafle 5.

Comme je jouais avec des hérétiques, il était bien juste que je gagnasse.

Quand, d’un saint zèle possédés,
On nous vit jouer aux trois dés
De Simon le bel héritage,
On rafla pour Cavalchini 6,
Pour Corsini 7, pour Negroni 8:
Stopani m’échut en partage,
Et mon dé se trouva béni.
Stopani du monde est le maître,
Mais il n’en jouira pas longtemps,
il a soixante et quatorze ans :
C’est mourir pape, et non pas l’être.
J’aime les clefs du paradis ;
Mais c’est peu de chose à notre âge.
Un vieux pape est, à mon avis,
Fort au-dessous d’un jeune page.

Dans la vieillesse on tolère la vie, et dans la jeunesse on en abuse. Ainsi tout est vanité, à commencer par le pape et à finir par moi.

J’ai eu douze accès de fièvre, je n’ai vu de médecin qu’une seule fois ; j’ai envoyé chercher le saint viatique, et je suis guéri. Je fais des papes et des miracles.

J’enverrai à Hornoy tout ce qui pourra amuser mes chers Picards. Mme Denis doit avoir recommandé une petite affaire à M. d’Hornoy, que j’embrasse tendrement, ainsi que son oncle le Turc. »

1 Minute corrigée par V*.

2 Et non port comme le donne l'édition Besterman .

3 Ce fut Ganganelli qui fut élu, et personne n’y songeait. (Kehl.) — Le cardinal Giovanni Francesco Stopani était né à Milan le 16 septembre [4 novembre ?] 1695 ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Giovanni_Francesco_Stoppani

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conclave_de_1769

4 Maximilien-Joseph, duc de Deux-Ponts, mort en 1825, roi de Bavière , et la reine Maria Anna de Saxe ; voir note 3 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome13.djvu/224

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Maximilien_Ier_(roi_de_Bavi...)

5Sur cette expression que V* emploie à propos de la même affaire, voir lettre du 20 février 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/08/24/nous-avons-tire-aux-trois-des-la-place-6511712.html

8 Cardinal Andrea Negroni : https://fr.wikipedia.org/wiki/Andrea_Negroni

Aucun de ces trois cardinaux ne fut élu . C'est Lorenzo Ganganelli qui prit le nom de Clément XIV.

10/10/2024

donner pour mon compte cinquante francs à une pauvre femme

... On a ici l'un des nombreux exemples de générosité de ce Voltaire que de vieux poncifs présentent comme avare ; un livre de minutie domestique n'a d'ailleurs pas réussi à faire le tour de ses preuves de générosité . Qu'on se le dise une fois pour toutes .

 

 

« A Guillaume-Claude de Laleu Secrétaire

du roi, Notaire

rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie

à Paris

Je vous prie, monsieur, quoique vous n'ayez point peut-être d'argent à moi, d'avoir la bonté de donner pour mon compte cinquante francs, à une pauvre femme nommée Marie L’Écuyer, qui vous rendra ce billet . J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire.

A Ferney ce 7è avril 1769. 1»

1 Original signé. On lit au dos : « Payez pour moi à M. l'abbé du Plaquet, valeur reçue comptant de lui ce 16 avril 1769. / M. L'Ecuyer./ Pour acquit. / Du Plaquet. » Ce Du Plaquet a écrit à V* le 7 mars 1769 pour lui recommander Marie L'Ecuyer qui a été autrefois à son service quand il demeurait chez la marquise du Châtelet, faubourg Saint-honoré à Paris, avant son départ pour la Prusse . Le mari de cette femme est mort en prison, et elle a deux filles à sa charge .

il faut louer la liberté de penser. Cette liberté est un service rendu au genre humain

... Au passage, petite pensée pour Florent Pagny : https://www.youtube.com/watch?v=6w5vWHqU3uM&ab_channel=FlorentPagnyVEVO

Observation, bon sens, recherche de la pacification et non de con-vaincre ou exclure, c'est bien ce que veut le Patriarche .

Et puisque Voltaire fait référence à l'Académie Française, on peut faire un petit tour en compagnie de Claudine Tiercelin, philosophe : https://www.youtube.com/watch?v=OoJOMTsdllA&ab_channe...

P.-S. Vous avez tenu jusqu'au bout ? C'est bien , c'est le temps d'un film courant . On peut sauter les 13 premières minutes .

 

 

 

 

« A Bernard-Joseph Saurin, de

l'Académie française, etc.

à Paris

À Ferney, 5è avril 1769

Je vous remercie très sincèrement, mon cher confrère, de votre Spartacus 1; il était bon, et il est devenu meilleur. Les oreilles d’âne de Martin Fréron doivent lui allonger d’un demi-pied. Je ne vous dirai pas fadement que cette pièce fasse fondre en larmes ; mais je vous dirai qu’elle intéresse quiconque pense, et qu’à chaque page le lecteur est obligé de dire : « Voilà un esprit supérieur. » J’aime mieux cent vers de cette pièce que tout ce qu’on a fait depuis Jean Racine. Tout ce que j’ai vu depuis soixante ans est boursouflé, ou plat, ou romanesque. Je ne vois point dans votre pièce ce charlatanisme de théâtre qui en impose aux sots, et qui fait crier miracle au parterre welche : Neque, te ut miretur turba, labores.2

Le rôle de Spartacus me paraît, en général, supérieur au Sertorius de Corneille.

Vous m’avez piqué : j’ai relu l’Esprit des lois ; je suis entièrement de l’avis de Mme du Deffand, ce n'est que de l'esprit sur les lois 3. J'aime mieux l’instruction donnée par l’impératrice de Russie pour la rédaction de son code  . Cela est net, précis, il n’y a point de contradictions ni de fausses citations. Si Montesquieu n’avait pas aiguisé son livre d’épigrammes contre le pouvoir despotique, les prêtres, et les financiers, il était perdu ; mais les épigrammes ne conviennent guère à un objet aussi sérieux. Toutefois, je loue beaucoup son livre, parce qu’il faut louer la liberté de penser. Cette liberté est un service rendu au genre humain.

J’ai été sur le point de mourir il y a quelques jours. J’ai rempli, à mon dixième accès de lièvre, tous les devoirs d’un officier de la chambre du Roi Très Chrétien, et d’un citoyen qui doit mourir dans la religion de sa patrie. J’ai pris acte formel de ces deux points par-devant notaire, et j’enverrai l’acte à notre cher secrétaire, pour le déposer dans les archives de l’Académie, afin que la prêtraille ne s’avise pas, après ma mort, de manquer de respect au corps dont j’ai l’honneur d’être 4. Je vous prie d’en raisonner avec M. d’Alembert. Vous savez que pour avoir une place en Angleterre, quelle qu’elle puisse être, fût-ce celle de roi, il faut être de la religion du pays, telle qu’elle est établie par acte du Parlement. Que tout le monde pense ainsi, et tout ira bien ; et, à fin de compte, il n’y aura plus de sots que parmi la canaille, qui ne doit jamais être comptée.

Je vous embrasse très philosophiquement et très tendrement.

V. »

1 Saurin a envoyé cette pièce à V* dont une nouvelle édition vient de paraître : https://books.google.fr/books?id=NldbAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

 

3 Les mots ce n'est que de l'esprit sur le sois manquent dans la copie Beaumarchais et toutes les éditions.

Voir aussi lettre du 28 décembre 1768 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/07/06/tout-ce-que-peuvent-faire-les-adeptes-c-est-de-s-aider-un-pe-6505853.html

4 On retrouve ici le souci de V* pour que son corps soit enterré en terre chrétienne . Le mot corps est même à prendre ici avec un double sens .

09/10/2024

quitter son ermitage for his long home

... Six pieds sous terre, voilà qui est souhaitable quand on pense à Poutine qui profite en douce de continuer à tuer en Ukraine pendant que les yeux de monde sont tournés vers le Moyen-Orient ; n'oublions pas ce sinistre dictateur dans nos prières le vouant au gémonies , au plus tôt .

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https://voxeurop.eu/fr/guerre-poutine-ukraine-remporte-eu...

 

 

 

« A Henri Rieu

Vendredi au soir 5 avril [1769]

L'ermite de Ferney, mon cher corsaire, a eu douze accès de fièvre consécutifs et a été sur le point de quitter son ermitage for his long home 1. Il a même bravement passé par toutes les cérémonies de sa chère Église papiste, à la barbe des huguenots .

Dès qu'il aura repris un peu de force, il sera charmé de voir le philosophe danois-polonais 2 dont son cher corsaire lui parle . »

1 Pour sa durable demeure ; Allusion à l'Ecclésiaste, XII, 5 : https://saintebible.com/ecclesiastes/12-5.htm

2 Élie Salomon François Reverdil, qui vient de trouver V* pour obtenir une modification de son attitude hostile à la Pologne . Voir Emmanuel Rostworowski : « Une négociation des agents du roi de Pologne auprès de Voltaire en 1769. », Revue d'histoire littéraire de Janvier-février 1969 ; voir bibliographie : https://books.openedition.org/editionscnrs/34702?lang=fr

Voir : https://lumieres.unil.ch/fiches/bio/86/

et : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/681-elie-reverdil

08/10/2024

Je déteste le fatras et le petit

... Aussi ne supportè-je ni un Mélenchon ni un Ciotti  qui sont maîtres dans la petitesse d'esprit et le souk de leurs projets .

 

 

« A Jean-François de Saint-Lambert

De F[erney] ce 4 avril 1769 1

De la coquetterie ! Non, pardieu ! mon cher confrère ou mon cher successeur ; ma franchise suissesse n’a ni rouge ni mouches. Quand je vous dis que votre ouvrage 2 est le meilleur qu’on ait fait depuis cinquante ans, je vous dis vrai. Quelques personnes vous reprochent un peu trop de flots d’azur, quelques répétitions, quelques longueurs, et souhaiteraient, dans les premiers chants, des épisodes plus frappants. Je ne peux ici entrer dans aucun détail, parce que votre ouvrage court tout Genève, et qu’on ne le rend point ; mais soyez très certain que c’est le seul de notre siècle qui passera à la postérité, parce que le fond en est utile, parce que tout y est vrai, parce qu’il brille presque partout d’une poésie charmante, parce qu’il y a une imagination toujours renaissante dans l’expression. Je déteste le fatras et le petit, et tout ce que je vois ailleurs est petit et fatras.

Qui diable vous a donné la Canonisation de saint Cucufin 3 ? Il faut que ce soit quelque capucin. On pourra bientôt me canoniser aussi, car, depuis un mois, je ne vis que de jaunes d’œufs comme saint Cucufin. J’ai eu douze accès de fièvre ; j’ai reçu bravement le viatique, en dépit de l’envie. Cela s'est passé avec une décence charmante 4 . J’ai déclaré expressément que je mourais dans la religion du Roi Très Chrétien mon maître 5 et de la France ma patrie, as it is established by act of parliament 6. Cela est fier et honnête 7.

Ma maladie m’a empêché d’écrire à M. Grimm, mais je ne l’en aime pas moins, lui et ma philosophe Mme d’Épinay. Je vous ai la plus sensible et la plus tendre obligation de vouloir bien engager M. le prince de Beauvau 8 à daigner 9 solliciter de toutes ses forces en faveur des Sirven. Votre cœur aurait été bien ému si vous aviez vu cette déplorable famille, père, mère, filles, enfants : la mère rendant les derniers soupirs en me venant voir, les filles dans les convulsions du désespoir, le père en cheveux blancs, baigné de larmes. Et qui a-t-on persécuté ainsi ? la plus pure innocence et la probité la plus respectable. La destinée m’a envoyé cette famille ; il y a six ans que je travaille pour elle. Enfin la lumière est parvenue dans les têtes de quelques jeunes conseillers de Toulouse, qui ont juré de faire amende honorable. Cuistres fanatiques de Paris, misérables convulsionnaires, singes changés en tigres, assassins du che. d. L. B. 10, apprenez que la philosophie est bonne à quelque chose !

Je vous conjure, mon cher successeur, de presser la bonne volonté de M. le prince de Beauvau. Voici le moment d’agir. Sirven, condamné à mort, est actuellement devant ses juges, ses filles sont auprès de moi ; je les ferai partir, si ses juges veulent les interroger. Je me recommande à vos bontés et à celles de M. le prince de Beauvau.

Je vous embrasse de tout mon cœur, sans cérémonie ; mais c’est avec la plus profonde estime et la plus sincère amitié.

V. »

1 Original, initiale et corrections autographes ; édition de Kehl qui pratique des coupures à la suite de la copie Beaumarchais qui porte en note : « A M. de La Harpe probablement. », corrigé en « A M. de Saint-Lambert probablement.'

2 Le poème des Quatre Saisons.

4 Phrase supprimée dans édition de Kehl .

5 Ces deux mots sont supprimés dans l'édition de Kehl .

6 Telle qu'elle est établie par acte du Parlement ; allusion aux sommations que V* a adressées au curé Gros, d'après les ordonnances parlementaires édictées à l'occasion de l'affaire des billets de confession ; voir Candide, chap. XXII : https://fr.wikisource.org/wiki/Candide,_ou_l%E2%80%99Opti... .

7 Voltaire étant malade, dans le temps de Pâques, fit avertir le curé de Ferney de lui apporter le viatique. Le curé répondit qu’il ne le pouvait qu’après que Voltaire aurait rétracté les mauvais ouvrages qu’il avait faits.

8 Le nom est supprimé dans la copie Beaumarchais et les éditions .

9 V* a corrigé de vouloir bien , dicté d'abord .

10 Assassins du chevalier de La Barre ; V* a ajouté ces mots au-dessus de la ligne .