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23/11/2013

je lui dis que ce n'est pas assez d'être baron, qu'il faut encore être poli

... Ceci étant de nos jours adressé aux barons de la finance qui, pour la grande majorité d'entre eux, ont l'impolitesse d'ajouter leurs revenus indécents à leur mépris de ceux grâce à qui ils s'engraissent .

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« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de SAXE-GOTHA

Aux Délices, 17 octobre [1758]

Madame, à la réception de la lettre dont Votre Altesse sérénissime m'honore, j'écris encore au Genevois La Bat 1, et je lui dis que ce n'est pas assez d'être baron, qu'il faut encore être poli. Quand on a fait signer à un grand prince un reçu d'argent comptant, il est juste, à ce qu'il me semble, que cet argent soit touché. Je ne m'entends guère, madame, à ces négociations genevoises mais je soupçonne que le seigneur baron La Bat aura demandé que Vos Altesses sérénissimes eussent à compter du jour qu'il aura envoyé ses lettres de change. Apparemment les banquiers ne les ont pas négociées assez tôt, et le ministre de Vos Altesses sérénissimes les a pressés sans doute de finir. Sérieusement, madame, il est très-ridicule qu'elle ait été si négligemment servie; ses ordres doivent être exécutés avec plus de promptitude. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour communiquer à mon baron toute mon envie de vous plaire. Ah madame, s'il avait fait comme moi un séjour à Gotha, s'il avait eu le bonheur de s'approcher de madame la duchesse, il serait certainement plus diligent, il regarderait comme un crime de faire attendre un moment Vos Altesses sérénissimes.

Dieu veuille que ces cinquante mille florins ne soient pas pris par des housards! Nous sommes dans un temps où la moitié du monde tue son prochain, et où l'autre le pille. Votre Laudon 2, madame, qui dit que Dieu punit les hommes, est donc un des instruments de la justice divine ? La punition est un peu longue, et n'a pas l'air de finir sitôt. S'il y a cinq justes en faveur de qui on puisse pardonner, ces cinq justes sont dans le château d'Ernest le Pieux. Je suis au désespoir qu'Altembourg soit dans le chemin des méchants; quand ce chemin sera-t-il libre? Quand pourrai-je y venir faire ma cour à Vos Altesses sérénissimes ? Ce serait une belle occasion dans ma vieillesse, et la plus chère de mes consolations, de pouvoir renouveler à Vos Altesses sérénissimes mon profond respect et mon tendre attachement: c'est ce que demande à Dieu

le Suisse V. »

2 Célèbre feld-général autrichien baron Gédéon Ernst von Laudon ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Ernst_Gideon_von_Laudon

 

 

22/11/2013

il ne faut pas faire passer de mauvais quarts d'heure à de pauvres diables de princes qui soupirent après votre argent

... Aussi laissons les acheter à gogo (et aux gogos) tout bien meuble et immeuble qu'il leur plaira et qu'ils tenteront de nous revendre au prix fort un jour ou l'autre, ces chers "amis de la France" princes du pétrole du pays des Mille et une nuits . Surtout pas de contrôles indiscrets envers eux, pas de contrôles du tout, les billets verts suffisent comme passeport .

 prince of persia.jpg

 

 

« A Jean-Louis Labat, baron de Grandcour

à Grand Cour

route de Berne

Aux Délices 16 octobre [1758]1

Vous êtes baron et je ne suis que châtelain ; et même je ne le suis pas encore . Vous êtes suisse et je ne suis que français . Voyez mon ami quels sont vos avantages . Mais ce n'est pas assez de vous donner du bon temps dans votre baronnie avec votre très aimable famille, il ne faut pas faire passer de mauvais quarts d'heure à de pauvres diables de princes qui soupirent après votre argent . Leurs Sérénissimes Altesses se plaignent qu'après avoir signé qu'elles ont reçu, elles n'ont rien touché . Apaisez leurs justes plaintes et écrivez vite à vos correspondants afin que justice soit faite . Comme je ne suis ni prince ni banquier je ne comprends pas comment cette affaire a tant tardé . Que dites-vous de nos Russes qui font chanter des Te Deum au lieu de De Profundis ? Laissons tous ces misérables s’égorger et en remercier Dieu . Pour nous remercions-le d'être tranquilles . Mille respects à madame la baronne et à la baronnette appétissante 2.

V. »

1 Date complétée par Labat . Cette lettre fait suite à celle de la duchesse de Saxe-Gotha du 7 octobre 1758 : « […] notre baron n'est guère prompt à nous faire toucher la somme qu'il a promis de nous prêter ; jusqu'ici nous n'avons pas été extrêmement pressés à en faire usage , mais comme le duc a été exact pour signer et envoyer l'assurance par laquelle il certifie d'avoir reçu l'argent en question, et que cette assurance est depuis plusieurs semaines entre les mains du dit baron, il serait nécessaire autant que juste qu'il remplisse au plus vite ses engagements . » Voir aussi lettre du 17 juillet 1758 à Labat : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/09/18/vous-vous-ferez-des-amis-nouveaux-et-c-est-un-agrement-de-pl.html

et 26 juillet 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/09/24/soyez-sur-qu-ils-vendront-leur-vaisselle-d-argent-plutot-que.html

2 Baronnette appétissante rappelle Cunégonde de Candide, chapitre I .

 

21/11/2013

Mon billet est court, et mon amitié longue

... Et Dieu sait si nous ne devrions pas tous autant que nous sommes, nous inspirer de Voltaire en ce domaine de l'amitié .

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« A Cosimo Alessandro Collini

[octobre 1758]

Mon cher Collini, je m'intéresse vivement à votre santé et à votre affaire . Je n'ai point encore de réponse de Son Altesse électorale 1. J'ai été malade aussi . Mon billet est court, et mon amitié longue . »

1 V* cherche à placer Collini chez l’Électeur palatin ; voir lettre du 13 septembre 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/10/25/je-saisirai-toujours-les-occasions-de-vous-rendre-service-52.html

 

 

Bon anniversaire Voltaire, bon anniversaire monsieurdevoltaire

319ème anniversaire de la naissance de François-Marie Arouet dit Voltaire

5ème anniversaire du beau blog monsieurdevoltaire : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-24971305.html

Voila de quoi me réjouir doublement, me faire oublier ce temps de chien (mais de saison), les manifestations de routiers et de paysans (en toutes saisons) , les simagrées des footeux à la hausse et les sondages à la baisse .

 

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Bon anniversaire à LoveVoltaire l'inégalable .

20/11/2013

Vous savez, monsieur, combien il en coûte de faux frais avant qu'on soit en possession d'une terre

 ... Et s'il n'est pas possible d'échapper aux griffes du fisc et des notaires, il n'est pas nécessaire de rajouter des frais au profit d'aigrefins .

 

Info-escroquerie.jpg

 

« A Louis-Gaspard FABRY 1

maire de Gex.

Fernex, 15 octobre [1758] 2

Je vous écris en hâte, monsieur, et sans cérémonie, chez M. de Boisy, où je ne suis que pour un moment.

C'est, monsieur, pour avoir l'honneur de vous dire que ma confiance en vos bontés m'a déterminé à entrer en marché de la terre de Fernex avec M. de Boisy. Le bonheur d'être en relation avec vous donnerait un nouveau prix à ce petit domaine. Je compte l'avoir à peu près à quatre-vingt mille livres sans les effets mobiliers qui forment un objet à part. On m'avait assuré que les lods et ventes allaient à huit mille livres. J'ai demandé à Son Altesse sérénissime 3 une diminution de moitié, diminution que tous les seigneurs accordent. Ainsi je me suis flatté que je ne payerais que quatre mille livres c'est sur ce pied que j'ai donné ma parole à M. de Boisy. La nature de mon bien, monsieur, ne me met pas en état de trouver sur-le-champ quatre-vingt mille livres pour payer M. de Boisy; il faut que j'emprunte 4. Vous savez, monsieur, combien il en coûte de faux frais avant qu'on soit en possession d'une terre; il ne me serait guère possible de faire cette acquisition si je ne trouvais des facilités auprès de M. le comte de La Marche 5. J'ai écrit à son intendant, et, supposant toujours que les droits étaient de huit mille livres, j'ai demandé une diminution de moitié.

Oserai-je vous supplier, monsieur, de vouloir bien spécifier, lorsque vous écrirez, que c'est la somme de quatre mille livres que je propose de donner?

On me dit que Son Altesse sérénissime s'est réservé les deux tiers de ce droit. A l'égard de votre tiers, j'en passerai par ce que vous voudrez bien me prescrire, et j'attendrai vos ordres pour conclure ma négociation entamée. Elle me procure l'honneur de vous assurer de mes sentiments et soit que je sois possesseur de cette terre, soit que le marché n'ait pas lieu, je serai toujours, monsieur, avec respect, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

VOLTAIRE,

gentilhomme ordinaire du roi. »

1 Lettre communiquée par M. le vicomte de Carrière en 1752, ancien préfet de l'Ardèche (Beuchot.). Le manuscrit est passé finalement à la vente Degrange (Paris 1er mars 1936) .

2 L'original est de la main de Voltaire, et sans indication d'année. Une note au crayon porte 1759. Ce doit être 1758. Voir la lettre du 3 janvier 1759, au même. Voici, jusqu'à présent, la première lettre qui soit connue, écrite par Voltaire de Fernex, qu'il appela bientôt Ferney, et dont il acheta la seigneurie. (Beuchot.)

4 Beau travail de marchandage qu'on apprécie d'autant plus en ayant connaissance de sa lettre à Jean-Robert Tronchin de la veille : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/19/vos-huit-tonneaux-sont-devenus-d-assez-bon-vinaigre-c-est-un-5225750.html

 

19/11/2013

Vos huit tonneaux sont devenus d'assez bon vinaigre . C'est un très petit inconvénient dans ce bas monde, où tout est composé d'anicroches

... Vous comprenez mieux pourquoi, de nos jours, il est fait un battage formidable pour le Beaujolais nouveau, à boire sans délai . Voltaire a fait les frais de ce nectar fait pour assaisonner les cornichons (j'en ai fait partie, dans l'ancien temps ) .

 Fruité, gouleyant , etc., etc. voilà ce qu'on dit chaque année pour tous ces vins primeurs qui viennent nous agacer les papilles et faire pisser . Ils ont ceci de bon, on les oublie vite, et ceci de mauvais on oublie l'année suivante qu'ils ne valent pas vraiment le coup de sortir le tire-bouchon . Mais business is business . Vive les Japonais et autres buveurs assoiffés de mode et prêts à tout pour épater leurs voisins .

 

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Si ma "mère vient de voyager" je lui proposerai désormais de se reposer dans un petit bol avec un verre de vin . Je suis certain qu'elle sera d'accord pour le petit verre, mais qu'elle refusera d'entrer dans le bol, mauvais souvenir de jeunesse et de sa fameuse coupe au bol  . Evitons donc tout ce qui pourrait faire tourner les affaires au vinaigre !

Prudemment , donc, je laisserai "la mère agir tranquillement", comme je vous le conseille également si vous voulez rester en bons termes .

 

« A Jean-Robert Tronchin

14 octobre [1758]

Comptons, mon cher correspondant, afin que je ne fasse pas de sottises . Il faudra probablement, soixante mille livres au mois de décembre, vingt mille livres pour une autre affaire, soixante mille livres à la fin de mars, et vingt mille livres en juillet . J'ai déjà donné 90 mille livres au baron .

Voilà donc délogés de mon frusquin 1 :

 

60 000

£

 

60 000

 

 

90 000

 

 

20 000

 

plus pour menus frais

 

10 000

 

encore au mois de juillet

 

 

total

240 000

£

 

 

 

 

Vous aviez à moi d'une part environ

400 000

£

 

 

 

de l'autre en annuités

et billets de loterie, etc. environ

36 000

 

en voici 20 mille

en une lettre sur Laleu

20 000

 

 

_______

 

 

456 000

£

voilà donc

456 000 £ et plus

 

pour payer

240 000 £ ou environ

 

restera entre

vos mains

 

 

216 000 £

 

Que la guerre continue, que la paix se fasse, que les hommes s'égorgent ou se trompent, vivamus et bibamus 2. Votre vin ne vaudra pas mieux cette année-ci que l'autre . Vos huit tonneaux sont devenus d'assez bon vinaigre . C'est un très petit inconvénient dans ce bas monde, où tout est composé d'anicroches . On me fait espérer de vieux vin de Languedoc fort bon . La terre de Ferney rendra d'excellent froment ; ainsi nous aurons la bénédiction de Jacob et d'Esaü . Quant à votre terre qu'on appelle ici Saint Jean dans les rues basses et à qui j'ai ôté le nom d'un saint, vous la retrouverez un jour un peu plus agréable que M. Mallet ne vous l'a remise . C'est une vraie retraite de philosophe genevois et vous finirez par l'être .

Pour achever la bénédiction de Jacob il me faut de l'huile d'olive et j'en attends de vos bontés . Votre cousin le docteur veut qu'on y ajoute de la casse . Ainsi vous encourez les anathèmes de la faculté si vous ne m'en envoyez pas une douzaine de livres . Vous voyez mon cher monsieur que c'est par vous que je vis .

Et le sucre dont il me faut des tonneaux ? et le café dont il me faut des balles ? tout cela est-il devenu bien cher, grâce aux déprédations anglicanes 3? Il faudra bientôt demander à ces pirates d'Anglais la permission de déjeuner . Dieu les confonde, eux et leurs semblables qui désolent l'Europe, et Dieu nous tienne en joie .

Je me flatte que vous avez terminé l'affaire de vos six millions 4. Vous devez réussir dans tout ce que vous entreprenez .

Je vous embrasse, autant en fait ma nièce .

V. »

1 Le saint-frusquin est « le petit bien d'une personne » . l'expression est faite sur Saint Crépin , qui a le même sens avec substitution de radical (frusques= habits).

2 Vivons et buvons .

3 L'emploi plaisant d'anglican n'est pas sans exemple . De même Robert Challe écrit en 1716 dans ses Mémoires qu'il craint que le Canada ne soit « anglicanisé » . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Challe

4 Prêt fait par la ville de Lyon au roi ; voir lettre du 24 juin 1758 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/09/03/j-ai-oublie-de-vous-dire-5155513.html

 

 

18/11/2013

Laissons , monsieur, les rois se battre en protestant qu'ils aiment la paix

... 

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« A Charles de Brosses, baron de Montfalcon

Aux Délices, 14 octobre [1758]

Laissons , monsieur, les rois se battre en protestant qu'ils aiment la paix, et le cynique, moral et comique Jean-Jacques 1 écrire contre la comédie . Laissons la cervelle du roi d'Espagne telle que Dieu l'a faite 2, le roi de Pologne baillant sur son trône 3, le roi de Suède 4 assis sur le sien comme sur la sellette, le roi de Prusse menant la vie de Mandrin et parlons de nos affaires un petit moment . Vous faites fort bien en vérité, monsieur, en vérité, de me préférer à ce seigneur médisant qui est à Genève .

Vous serez très content de moi, et je vous laisserai un jour une belle charrue à semoir pour le pot de vin et épingles .

Felices sua si bona norint ,5 … je ne peux donner que 30 000 livres, pas un écu de plus .

Jean-Louis Wagnière du canton de Berne signera quand vous l'ordonnerez . Je suis à vos ordres avec un sincère respect .

V. »

1 Le 6 octobre , de Montmorency, Rousseau avait demandé à Vernes d'envoyer à Voltaire un exemplaire de la Lettre sur les spectacles . Le 22 il ajoutait : « Je n'ignorais pas que l'article « Genève » était en partie de M. de Voltaire ; quoique j'aie eu la discrétion de n'en rien dire , il vous sera aisé de voir par la lecture de l'ouvrage que je savais en l'écrivant à quoi m'en tenir . Mais je trouverais bizarre que M. de V. crût pour cela que je manquerais de lui rendre un hommage que je lui offre de très bon cœur . »

2 Ferdinand VI . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_VI_d%27Espagne

Il avait été très affecté par la mort de sa femme, Maria Magdalena Barbara de Portugal, et mourut lui-aussi peu après

5 Citation approximative de l'Enéïde II, 458, de Virgile : heureux s'ils connaissaient leur bonheur .