22/10/2013
Tout le monde avoue qu'il faut être philosophe, qu'il faut être libre, et presque personne ne l'est .
... Alors chantons "fais comme l'oiseau ..."
Pie 3 14
« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck
à Lausanne
Aux Délices 9 septembre 1758
Vous voulez donc bien, madame, honorer de votre présence mes petits pénates champêtres mercredi 1. Vous êtes accoutumée à notre médiocrité, vous avez déjà bien voulu vous en contenter . Nous vous recevrons avec l'ancienne franchise et l'ancienne pauvreté suisse . Les affaires sont aussi délabrées en France qu'ailleurs , les particuliers qui y ont malheureusement leur bien, s’en ressentent . La terre est couverte de morts et de gueux dont quelques fripons ont les dépouilles .
Je n'ai nulle nouvelle des détails de la nouvelle victoire du Salomon du Nord , et je suis toujours très fâché de l'erreur où l'homme au triangle 2 est sur mon compte . Mais il faut prendre le parti de compter tous ces gens là pour rien et de vivre doucement pour soi et pour ses amis . Si Dieu vous fait jamais cette grâce, vous serez alors aussi heureuse qu'on peut l'être et que je le désire . Tout le monde avoue qu'il faut être philosophe, qu'il faut être libre, et presque personne ne l'est .
Je vous présente mes chagrins et mes respects .
V. »
1 Dans une lettre non datée, de septembre/octobre de cette année, la comtesse écrit à Haller : « j'ai passé douze ou treize jours aux Délices chez les nièces de M. de Voltaire, qui vous rendent la justice la plus parfaite . Mme Denis qui me paraît une personne fort raisonnable et fort obligeante voudrait savoir l'allemand, qu'elle déteste,puisqu'on le parle à Francfort ; uniquement pour pouvoir avoir le bonheur de vous lire . »
2 Le chancelier Kaunitz, appelé ainsi par V*, parce qu'il a réalisé la triple alliance entre la France, l'Empire austro-hongrois et la Russie ; et aussi allusion à sa maison : voir lettre du 15 mai 1756 à la comtesse : « Vous aurez donc, madame, votre procès à Vienne, vos meubles à Bâle et votre personne à Venise . Vous allez apprendre l'italien et vous gouterez bientôt le plaisir d'entendre M. Metastasio;mais il est triste d'apprendre sa langue loin de lui . Vous devenez donc savante . Vous fixez précisément l’endroit où Marc-Aurèle écrivait ses pensées sur les bords du Danube, permettez que je réponde à votre érudition par des sentiments .
Marc-Aurèle autrefois des princes le modèle,
Sur les devoirs des rois écrivait en ces lieux ;
Et Thérèse fait à nos yeux
Tout ce qu'écrivait Marc Aurèle.
Cela pourrait servir d'inscription aux masures de votre Cornuntum . Remarquez en passant, madame, que les empereurs romains auraient été bien étonnés si on leur avait dit qu'il y aurait un jour autant de politesse à Vienne qu'à Rome, avec d'autre mérite que les Romains ignoraient . Vous me demandez un nom pour la maison de campagne du comte Kaunitz , il serait beaucoup plus aisé de s'expliquer sur le maître que sur la maison . Je sais à quel point ses grâces et son esprit ont réussi à Paris . Je sais combien on l’y respecte et on l'aime . Je suis bien moins instruit sur ses jardins . Il les appellera comme il lui plaira, il est bien juste qu'on nomme les enfants que l'on a faits . Si vous êtes marraine vous vous servirez des noms d'agrément et de goût pour baptiser la maison . Vous dites que son jardin est un triangle, un géomètre voudra qu'on l'appelle triangle, un savant en grec le nommera Carite, qui revient à peu près à favori . Mon petit ermitage auprès de Genève s'appelle insolemment les Délices, parce que je vois le lac, deux rivières, une ville, cent maisons de campagne et j'ai des fruits excellents .Mais , madame, puisque vous allez sur la Brenata au lieu de venir vers mon lac, je vais changer le nom de ma retraite, elle s'appellera les Regrets . Je suis à présent dans mon autre ermitage et c'est dans ces deux maisons que j'essaie d'être philosophe et que je continue de vous être attaché pour jamais avec le plus tendre respect .
Pardonnez-moi, si j'ai dicté la lettre, j'ai la fièvre et je suis de tous les malades celui qui vous est le plus dévoué. »
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21/10/2013
Il faut espérer qu'une paix devenue nécessaire à tout le monde fera cesser enfin le malheur public dont il n'y a guère de particulier qui ne se ressente
... Hors les marchands d'armes, cela va sans dire , en tout temps et en tout lieu .
« A Louise Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha
Aux Délices près de Genève
6 septembre [1758]
Madame, dans mon ermitage suisse le cœur pénétré de douleur de n'avoir pu faire ma cour à Votre Altesse Sérénissime, je n'ai point trouvé le baron genevois 1 qui est actuellement dans sa magnifique baronnie. Je suppose, madame, qu'il a consommé entièrement l'affaire en question . S'il y avait quelque difficulté (ce que je ne crois pas ) j'irais le trouver dans son beau château au premier ordre de Votre Altesse Sérénissime et je lui laverais la tête d'importance . Si je m'étais trouvé en Hollande plutôt qu'en Suisse, madame, j'aurais pu donner plus d’étendue à mon zèle, et vous procurer une somme plus forte . Il me semble que le peu qu'on a trouvé à Genève n'est guère digne de vous être offert .
Il faut espérer qu'une paix devenue nécessaire à tout le monde fera cesser enfin le malheur public dont il n'y a guère de particulier qui ne se ressente . Par quelle fatalité, madame, faut-il que toute votre prudence, toute la sagesse de votre administration ait été inutile, et que n'ayant rien à gagner dans ces secousses de l'Europe vous y ayez tant perdu ?
La dernière victoire du roi de Prusse sur les Russes nous apportera-t-elle une paix tant désirée ? Sa gloire sera-t-elle inutile au genre humain ?
Je ne sais pas un mot des affaires dans ma solitude . J'ai ignoré longtemps que ce jeune prince que j'avais eu l'honneur de voir élevé dans votre palais et dont monseigneur était le tuteur , s’était marié, avait eu un fils et était mort 2. J'ignore si la tutelle de l'enfant qu’il a laissé appartient à votre branche, tout ce que je sais c'est que personne au monde ne s'intéresse plus que moi madame à tous les avantages de Votre Altesse Sérénissime . J’ai vu des princes charmants qui doivent remplir toutes vos espérances . La princesse votre fille promettait de ressembler en tout à son auguste mère . Permettez, madame, tant de curiosité . Ces dignes objets de consolation sont présents sans cesse à mon souvenir . Mon cœur est toujours plein de Gotha . Je ne suis qu'un vieux Suisse, mais quand je serais un jeune Parisien, je regretterais votre cour et votre auguste famille et la grande maitresse des cœurs . Agréez madame mon profond respect .
V. »
2 La duchesse répond le 16 septembre 1758 : « La mort du duc de Weimar [Ernest Auguste Constantin, mort le 28mai 1758] nous devait être très indifférente par les mesures qu’il avait prises [...] il avait déclaré d'abord le roi de Danemark et la jeune veuve tuteurs et administrateurs de son pays et de ses enfants, car [...] la duchesse vient encore d'accoucher d'un second prince [Frédéric Ferdinand Constantin , né le 8 septembre 1758]. quelque temps après [...] [il ajoute] un codicille par lequel il rend le roi de Danemark tuteur honoraire et exécuteur [...] , le duc de Brunswick père de la duchesse, administrateur et curateur jusqu'au temps de la majorité de cette princesse, et il exige en même temps de cette dernière de demander d'abord après le décès [...] veniam etatis chose inouïe pour une princesse [...] . La duchesse [...] demande veniam etatis à l'empereur, qui accorde sa prière mais lui adjoint comme tuteur et administrateur le roi de Pologne électeur de Saxe : ce qui fait un préjudice pour toute la maison de Saxe . Car de cette manière l'empereur rejette le testament , le codicille, et met en doute la faculté des princes de pouvoir disposer de la tutelle de leurs enfants et de l'administration de leurs États . »
Veniam etatis : voir page 83 : http://books.google.fr/books?id=GWtGAAAAYAAJ&pg=PA83&lpg=PA83&dq=veniam+etatis&source=bl&ots=xWGSOTuLnO&sig=vRSyCMiA1NPav95oGNartsiPJUo&hl=fr&sa=X&ei=kMplUoqwDdCR0QXu7IC4Dg&ved=0CDEQ6AEwAA#v=onepage&q=veniam%20etatis&f=false
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20/10/2013
Le curé était venu l'oindre sur le champ et craignait beaucoup, à ce qu'il m'a dit, que ce ne fut de l'huile perdue parce que le patient ne paraissait pas prendre goût à la cérémonie [extrême onction !]
... Eh oui, il n'y a pas de petites économies dans le bas clergé .
Personnellement je trouve un côté "cautère sur une jambe de bois" à toutes ces simagrées ; un peu d'huile , si sanctifiée fut-elle, permet-elle de glisser entre les griffes du vilain Lucifer et de venir lubrifier les portes du paradis ? J'ai comme un doute existentiel , peut-on faire une bonne sauce avec du saint chrême , où est-ce simplement pour accompagner dignement un bon vieux bouillon de onze heures ?
Pour une belle burette, c'est une belle burette !
« A Pierre-Michel Hennin
Je supplie instamment monsieur Hennin de vouloir bien excuser un malade s'il n'a pas l'honneur d'aller le voir et je le supplie de ne pas oublier l'homme du monde qui a été le plus tôt et le plus sensible à son mérite . Je me flatte qu’avant d'aller sur la tombe du pauvre Patu, il n'oubliera pas le squelette des Délices .
V. »
1 Cette lettre fut rangée par Pierre Hennin dans un dossier portant la mention : « premiers jours de septembre 1758 » . elle était accompagnée des vers suivants écrits de la main de V* sur une carte à jouer :
Tendre et pure amitié dont j'ai senti les charmes,
Tu conduisis mes pas dans ces tristes déserts,
Tu posas cette tombe, et tu gravas ces vers
Que mes yeux arrosaient de larmes .
Au dos de cette carte, Hennin écrivit : « Ces vers sont de M. de Voltaire et de sa main . Il les fit pour être mis par M. H, à la fin de l'épitaphe qu'il se proposait d'élever à la mémoire de son ami Patu à St Jean-de-Maurienne. » [lieu du décès de Patu le 20 août 1757 , à son retour d'Italie].
Avec cette carte s'en trouve une autre portant également une note de la main de V*, en italien : « Venezia, il signor Algarotti ./ a Padua la comtesse Wortley Montaigu ./ a Sienna l'abbate Franquini , governatore./ a Firenze alcuni academici mei buoni fratelli ./ a Roma il cardinale Passionei . » Hennin a noté : « Commissions que M. de Voltaire m'a données de sa main à Genève le 4 septembre .
Le 17 septembre Hennin écrira de Turin à V* : « Arrivé à St Jean de Maurienne, je me suis informé de la fin de mon pauvre Patu . Ses hôtes m'ont dit qu'un instant après être descendu de sa voiture il était tombé en faiblesse et s'était endormi insensiblement du sommeil éternel . Le curé était venu l'oindre sur le champ et craignait beaucoup, à ce qu'il m'a dit, que ce ne fut de l'huile perdue parce que le patient ne paraissait pas prendre goût à la cérémonie ./ […] ces bonnes gens […] l'enterrèrent parmi les nobles à la cathédrale . […]
/ J'ai réfléchi , monsieur, sur l'inscription que vous avez eu la bonté de faire […] outre qu'elle ne parle pas de lui, il me semble qu'on ne peut guère traiter un pays de tristes désert à la barbe de ses habitants . Je joins ici celle que je me propose d'y faire graver si vous l'approuvez . [à la fin de la lettre ]/ A la mémoire de Claude Pierre Patu écuyer / avocat au parlement de Paris / né à Paris le [un blanc] octobre 1729 . / Il eut dans un corps faible/un coeur sensible et généreux / un esprit vif et pénétrant . / Il cultiva la littérature et la poésie / et ses premiers succès/ lui présageaient une grande réputation . Estimé en Angleterre/ applaudi à Rome / chéri dans sa patrie / il mourut à St Jean de Maurienne / dans le cours de ses voyages / le 20 août 1757 . / P.M.H. Son compatriote et son ami / après avoir versé des pleurs sur sa tombe, / y a fait graver cette épitaphe/ le 9 septembre 1758. »
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19/10/2013
Je cours un très grand risque d'être ruiné en France
... Dit Nanard le Malin !
Et paraphrasant Voltaire je lui dirais "Tâchez de ne pas l'être en Belgique, ou autre pays qu'il vous plaira d'utiliser ." Il est beau de penser à sa progéniture (en lui assurant un pactole), et ce cher Laurent Tapie suit les traces de son illustre géniteur . Hélas !
Toujours la frite ?
« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck
née comtesse d'Oldembourg
à Lausanne
Aux Délices 5 septembre [1758]
On ne se porte pas trop bien aux Délices, madame, mais on vous y est très attaché . Nos désastres publics sont grands . Le naufrage paraît universel . Il faut que chaque particulier songe à rassembler les débris de son vaisseau . Je cours un très grand risque d'être ruiné en France . Tâchez de ne pas l'être en Allemagne . Les princes font le malheur du genre humain . Heureux qui se met à portée d'être indépendant d'eux .
J'espère avoir l'honneur de vous voir avant votre triste voyage de Vienne . Puissiez-vous en rapporter deux choses nécessaires , fortune et tranquillité . Je vous plains d'être à Montriond par un si mauvais temps . Nous ne sommes pas moins à plaindre d'être loin de vous . Vous m'appelez donc ingrat 1 à votre tour ! Mais je ne passe pas six mois sans vous écrire .
Mille respects .
V. »
1 Voir lettre du 29 juin 1758 à la comtesse : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/09/06/malgre-l-oubli-de-l-usage-ou-l-on-est-de-charger-ces-paquets.html
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17/10/2013
Sa présomption le rangea dans la classe de ces hommes odieux nés pour le malheur de leur patrie qui, à quelque prix que ce soit, veulent être fameux
... C'est le sentiment que j'ai eu en apprenant l'existence de Patrick Elineau, qui, directeur de l'ANPAA (association nationale de prévention en alcoologie et addictologie), tout nourri par nos impôts et imbu de son titre, se permet de descendre en flammes la consommation et publicité de tout ce qui est alcoolisé, donc sa production . Comment ? tout simplement si je peux dire, en mettant en place une censure de la publicité dont le modèle est, ni plus ni moins, copié sur la censure à la chinoise . Voir l'article d'Etienne Gernelle dans le Point du 17 octobre 2013 .
Ce type d'individus qui n'ont que leurs menaces à offrir pour se faire mousser sont de bien tristes sires .
« A Charles-Louis-Auguste Fouquet, duc de Belle-Isle
A vous seul
Aux Délices près de Genève 4 septembre 1758
Monseigneur,
Mon devoir de sujet, mon estime et mon attachement pour vous dont j'ai donné plus d'une preuve publique m'obligent de confier à vos lumières et à votre prudence l'avis suivant :
« Il y a dans Bruxelles à présent un aventurier qui se nomme Maubert 1 . Cet homme a été capucin à Paris . Il s'est enfui de son couvent il y a longtemps . Il a été en Saxe avant la guerre, il a été mis en prison pour ses intrigues . Échappé de sa prison il est venu à Lausanne où il a fait imprimer un mauvais livre intitulé Le testament du cardinal Alberoni . Dans ce livre il déchire la France, il s'attaque à la personne sacrée du roi, et voici comme il parle de M. le maréchal de Belle-Isle, page 253 : Sa présomption le rangea dans la classe de ces hommes odieux nés pour le malheur de leur patrie qui, à quelque prix que ce soit, veulent être fameux etc . Ce misérable a été chassé de Lausanne ; et a passé en Angleterre depuis le commencement de la guerre présente . Il a écrit publiquement à Londres contre la France et il sert actuellement d'espion à la cour de Bruxelles, de la part des Anglais . On le croit chargé même de quelque négociation dangereuse . »
Je croirais, monseigneur, manquer à ce que je dois au roi et à vous si je ne vous communiquais pas cet avis qui peut être important .
Tout ce qu'on mande de cet homme est d'autant plus vraisemblable, que je viens de vérifier ce qu'on lui impute de la manière punissable dont il ose parler de votre personne .
Je sais que les injures personnelles ne vous touchent pas, mais l'intérêt de l’État vous touche, et vos soins infatigables en ont été la preuve dans un temps où il vous était permis de ne vous livrer qu'à la douleur 2.
Daignez recevoir ce témoignage de mon zèle avec autant de bonté, que je suis avec attachement et avec respect,
Monseigneur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
gentilhomme ordinaire du roi . »
1 Jean-Henri Maubert de Gouvest, auteur du Testament politique du cardinal Alberioni, et divers autres ouvrages . Sur les rai=sons de la haine de V* envers lui, voir lettre du 29 juillet 1755 à Clavel de Brenles : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/03/03/je-n-ai-jamais-rien-vu-de-plus-plat-et-de-plus-horrible-cela.html
Voir aussi : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Henri_Maubert_de_Gouvest
2 Le fils unique de Belle-Isle, le comte de Gisors avait été tué à la bataille de Crefeld le 23 juin 1758 .
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16/10/2013
On n'entend point, à cent lieues, le petit bruit des louanges, celui des sifflets est perçant, et porte au bout du monde.
... Qu'il me soit permis, ici, d'offrir mes louanges à LoveVoltaire en lui souhaitant un bon cinquième anniversaire pour la création de http://www.monsieurdevoltaire.com/ .
Mon "petit bruit", à cent lieues de vous, grâce au Net devrait porter au bout du monde avant que j'aie eu le temps de dire "bravo et merci" . Nul sifflet, si ce n'est d'admiration, pour vous et Voltaire, surtout pour vous oserais-je avouer .
Coeur d'or , tempérament de feu, comme vous
Mille voeux de longue vie à Monsieur de Voltaire
« A Marie-Anne Fiquet du BOCCAGE.
Aux Délices, 3 septembre[1758] .
En revoyant, madame, mon petit ermitage, mon premier devoir est de vous remercier, vous et M. du Boccage, de l'honneur que vous avez bien voulu faire aux ermites. Je pourrais en concevoir bien de la vanité, je pourrais vous redire ici tout ce que vous avez entendu de Paris jusqu'à Rome mais vous devez être lasse de compliments. Permettez-moi seulement de vous dire que, malgré tous vos talents et tout votre mérite, je vous ai trouvée la femme du monde la plus simple, la plus aisée à vivre, la plus digne d'avoir des amis, quoique vous soyez très-faite pour avoir mieux. Si l'intérêt que j'ai toujours pris, madame, à vos succès et à votre gloire, pouvait me donner quelques droits à votre amitié, j'oserais vous la demander instamment. Il y a grande apparence que je finirai dans la retraite une vieillesse infirme mais ce sera pour moi une grande consolation de pouvoir compter sur la bienveillance d'une personne qui fait tant d'honneur à son siècle et à son sexe. Quel triste siècle, madame et que la disette des talents en tous genres est effrayante ! Je ne vois que des livres sur la guerre, et nous sommes battus partout; que des brochures sur la marine et sur le commerce, et notre commerce et notre marine s'anéantissent ; que de fades raisonneurs qui ont un peu d'esprit, et il n'y a pas un homme de génie. Notre siècle vit sur le crédit du siècle de Louis XIV. On parle, il est vrai, dans les pays étrangers, la langue que les Pascal, les Despréaux, les Bossuet, les Racine, les Molière, ont rendue universelle et c'est dans notre propre langue qu'on dit aujourd'hui dans l'Europe que les Français dégénèrent. S'il y a quelque homme de mérite en France, il est persécuté . Diderot, d'Alembert, n'y trouvent que des ennemis. Helvétius a fait, dit-on, un excellent ouvrage 1, et on s'efforce de le rendre criminel. Il faut, madame, que le petit nombre des sages ne s'expose pas à la méchanceté des fous il faut qu'ils vivent ensemble, et qu'ils fuient le public.
J'ai eu la faiblesse, madame, de laisser sortir de notre petit coin des Alpes cette Femme qui a raison. Si elle avait raison, elle n'aurait pas fait le voyage de Paris, c'est un amusement de société mais vous avez voulu la porter à M. d'Argental. J'ai été trop flatté de vos bontés pour résister à vos ordres mais il faudra que cette bagatelle, qui a servi à nous amuser, reste dans les mains de nos amis. Je suis las du triste métier de paraître en public, cela est pardonnable dans le temps des illusions, et ce temps est passé pour moi. J'aime les Muses pour elles-mêmes, comme Fénelon voulait qu'on aimât Dieu mais je redoute le public. Que revient-il de se commettre avec lui ? de l'embarras, des tracasseries de comédiens, des jalousies d'auteurs, des critiques, des calomnies. On n'entend point, à cent lieues, le petit bruit des louanges, celui des sifflets est perçant, et porte au bout du monde. Pourquoi troubler mon repos, que j'ai cherché, et que j'ai trouvé après tant d'orages ?
Vos bontés pour moi sont plus précieuses sans doute que toute la petite fumée de la vaine gloire dont il n'arrive pas un atome dans mon ermitage, j'y ai vu la vraie gloire, quand je vous y ai possédée je n'en veux pas d'autre.
Tous les habitants de notre retraite se joignent à moi, madame, pour vous dire combien vous êtes aimable. Conservez quelque bonté, je vous en conjure, pour le vieux Suisse Voltaire, à qui vous faites encore aimer la France, et qui est plein pour vous de respect, d'estime, et de tous les sentiments que vous méritez. »
1 De l'Esprit, 1758, in-4°. Le privilège accordé le 12 mai pour l'impression de ce livre avait été révoqué le 10 août. Voir : http://gallica.bnf.fr/dossiers/html/dossiers/Voltaire/D3/Stenger_VF.htm
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15/10/2013
la première place qui vaquera sera pour vous, mais vous savez qu'on attend quelquefois longtemps.
...C'est à n'en pas douter une phrase qui doit être au top ten dans tous les partis en période pré-électorale (je ne me fais aucune illusion car en ce domaine, il me semble que les faux jetons sont légions, avec peut-être/certainement une majorité côté UMP ) , -à savoir tout le temps -, dans toutes les entreprises où les PDG et DRH distribuent les postes comme on fait l'aumone (avec parcimonie), à Pôle Emploi le si mal nommé côté emploi et si près de la vérité côté pôle, glacial, immuable, hostile , désespérant .
Qui veut la première place vacante ?
J'ai hésité entre la semaine du blanc, -avec trois mois d'avance-, ou Halloween ; je dois être complètement givré !
« A Cosimo Alessandro COLLINI
gouverneur de M. le comte de Sauer [à Strasbourg] 1
Aux Délices, 2 septembre [1758]
Mon cher Collini, je n'ai que le temps de vous dire, en partant pour Lausanne, que ma lettre à Pierron 2 a été lue par l'Électeur, que la première place qui vaquera sera pour vous, mais vous savez qu'on attend quelquefois longtemps. Je vous assure que je ne négligerai aucune occasion de vous trouver quelque place qui vous convienne. Je vous prie de faire pour moi les plus tendres remerciements à M. l'amtmeister 3 [sic] Langhans 4, dont je n'oublierai jamais les procédés charmants. Souvenez-vous de moi auprès de M. Schœpling et de M. de Gervasi.
Si Marie-Thérèse et mes Russes ont quelques succès, ne me les laissez pas ignorer . Il faut avoir de quoi se consoler de tout le mal qui nous arrive.
Quel est donc l'aimable Italien qui m'envoie des choses si agréables ? Quel qu'il soit, je le remercie de tout mon cœur, et je lui dois autant d'estime que de reconnaissance. »
1 Collini ne quittera Strasbourg que fin 1759 pour Manheim . Sur sa fonction , voir page 186 et suivantes : http://books.google.fr/books?id=HTlBAQAAIAAJ&pg=PA205&lpg=PA205&dq=collini+colini++strasbourg+1758&source=bl&ots=v06KQzk_8j&sig=xxi_QgtGnbNsO-Rdnk2qIIgwAuI&hl=fr&sa=X&ei=42dcUuyhOuaY1AWKqoCQCA&ved=0CDIQ6AEwAA#v=onepage&q=baver&f=false
2 Nicolas Pierron était le secrétaire privé et chambellan de l’Électeur Charles-Théodore . Une lettre du 2 août 1758, de Montpéroux à Collini , disait : « Ce que vous me demandez serait bien aisé, puisqu’il ne s'agirait que de dire un mot . Mais il y a deux observations,l'une que pour dire ce mot il faut que M. de Voltaire me parle de vous puisque vous ne voulez pas que je le prévienne, l'autre que ce mot sera peut-être dit trop tard si j'attends son retour […] il serait mieux et plus simple que vous lui écrivissiez pendant qu'il est à Manheim […] vous saurez plus tôt ce qu'il veut et peut faire pour vous . Son séjour à cette cour le mettra plus en état de vous y procurer un établissement [...]. »
4 Johann Georg Langhans, que Wagnière écrit Langman et qui est corrigé par Voltaire ou Collini en Langhans .Voir : http://www.alsatica.eu/alsatica/domain/label,identifier.html?alsaticaParam[domain]=bnus&alsaticaParam[identifier]=1%2F636178&alsaticaParam[label]=Johann+Georg+Langhans+der+177.+Ammeister+1752%2C+58%2C+64
A revoir dans la lettre du 14 décembre 1758 à Collini :page 549 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f552.image
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