02/06/2014
J'y achève ma vie en paix, mais il n'y a point de jour où je ne fasse des vœux pour la prospérité de la vôtre
...

« A Louise-Ulrique de Prusse, reine de Suède 1
Au château de Tournay
par Genève 9 avril 1759 2
Madame, le roi votre frère m'a ordonné de payer ce triste tribut à la mémoire de Mme la margrave de Bareith . Je sais qu’il aime votre Majesté pour le moins autant qu'il aimait celle qu'il regrette aujourd'hui . J'obéis à ses intentions et aux sentiments de mon cœur en mettant aux pieds de Votre Majesté ce faible monument qu'il a voulu que j'élevasse à une sœur qui était digne de vous , et qui était ornée de quelques unes de vos vertus . Puissent ces vertus madame vous procurer sur le trône une félicité qu'on ne trouve guère ni sur le trône ni ailleurs . Je ne vois guère que des calamités dans ce monde . Il me semble qu'il était moins malheureux et moins pervers quand je faisais ma cour à Votre Majesté à Montbijou . Je vis retiré dans un pays tranquille dont les orages n’approchent point . J'y achève ma vie en paix, mais il n'y a point de jour où je ne fasse des vœux pour la prospérité de la vôtre .
Je suis avec le plus profond respect
Madame
de Votre Majesté
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
comte de Tournay »
2 Cette lettre accompagne un exemplaire imprimé de l'ode .
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01/06/2014
Ainsi va le monde
..."pour que ces hommes ineptes ne mourussent pas de faim et de misère" dit Frédéric der Grosse, en préambule, ou en complément de Voltaire . Bien des rois en ce XXIè siècle correspondent exactement à ces déclarations du XVIIIè , hélas .
Bien des hommes politiques aussi ! sans avoir besoin de les chercher outre frontières, nous avons notre lot français qui se renouvelle sans trêve , et au fil d'élections qui mobilisent de moins en moins d'électeurs, ils ne vont bientôt représenter qu'eux mêmes . Et nous , éternels contribuables, allons-nous continuer à les nourrir grassement .
Quand je vois les sommes faramineuses dépensées pour quelques prétendues grand'messes de partis, comme à l'UMP avec Copé et Sarko, je frémis à l'idée de leur confier la gestion de la France . Pas vous ?

N'oublions pas les guignolos et guignolettes de la téléréalité qui n'intéressent qu'eux-mêmes .
« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha
Au château de Tournay par Genève
9 avril [1759]
Madame, daignez recevoir ces vers que le roi de Prusse m'ordonne absolument de publier 1 . Ils sont tristes et convenables au temps . Puissiez-vous madame vivre aussi heureuse que les dernières années de Mme la margrave de Bareith ont été cruelles,2 puisse le ciel donner à votre Altesse Sérénissime les jours qu'il lui a ôtés et prolonger votre vie précieuse 3.
Je ne lis point les gazettes sans frémissement et sans douleur . Je vois que les deux partis prennent toujours vos terres pour le champ de leurs dévastations . Il est vrai qu'il y a de vastes étendues de pays encore plus à plaindre . On écrit aujourd'hui que tout est en combustion dans le Portugal, que les jésuites ont trouvé le secret de faire soulever les peuples, secret connu d'eux depuis assez longtemps , mais je ne puis plaindre un pays d'inquisition quand vos forêts sont abattues . On va s'égorger encore en Allemagne, et on prépare des fêtes à Lyon . Ainsi va le monde . On apprend à cinq heures du soir la mort de cinq à six mille hommes et on va gaiement à l'Opéra à cinq heures et un quart . Le roi de Prusse pour s'amuser à Breslau a fait l'oraison funèbre d'un maître cordonnier . Il dit dans cette pièce d'éloquence que la plupart des rois auraient même été de mauvais cordonniers et que Dieu ne les a fait rois que parce qu'ils n'auraient pu gagner leur vie que dans ce métier là 4. Il a oublié nos talons rouges dans cette oraison funèbre . Cependant il les avait vus . Je fais des vœux pour que vos Altesses Sérénissimes et la grande maîtresse des cœurs voient les talons de tous ceux qui viennent vous piller . Que Votre Altesse Sérénissime daigne toujours agréer les souhaits et le profond respect du Suisse V. »
1 C'est donc un exemplaire imprimé que V* adresse .
2 Pour la vie de la margravine, soeur de Frédéric II, voir : http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-36489&M=pagination
3 Mot suivi de vie rayé .
4 V* adapte dans son style les dires du roi . Frédéric II avait écrit : « Oui, messieurs, ce bon citoyen que nous pleurons avait des qualités qui n'auraient point déparé le trône, tandis que nombre de ceux qui l'occupent sans talent et sans application ne seraient que de mauvais cordonniers, si l'aveugle fortune qui dirige les naissances ne les avaient faits ce qu'ils sont, par charité, et pour que ces hommes ineptes ne mourussent pas de faim et de misère . » (Œuvres de Frédéric, XV, 106)
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31/05/2014
Je n'ai que le temps de plier ce billet
... Avant de déplier mes draps .

Bravo Toulon, bravo Castres , la troisième mi-temps va durer plus que la nuit , Toulonnais vous pouvez oublier de dormir , évitez de prendre le volant, il va y avoir de la viande saoule en pagaille .
« Au baron Heinrich Anton von Beckers
Monsieur, j'apprends dans le moment que Son Altesse Électorale m'a rendu justice et qu'elle a ordonné avec sa générosité ordinaire que je fusse payé sans aucun frais . C'est une obligation que j'ai à Votre Excellence . C'est l'accomplissement de ses promesses . Je lui souhaite dans son séjour à Paris autant de succès qu'elle a pour moi de bonté . Je lui fais mille excuses de tant de petites importunités pour une bagatelle . Je la prie de recevoir les sentiments de la respectueuse reconnaissance du Suisse Voltaire .
Au château de Tournay
8 avril 1759 1
Je n'ai que le temps de plier ce billet . »
1 On trouve cette lettre dans « Trois lettres inédites de Voltaire : sur les rentes viagères à Mannheim », Revue du XVIIIè siècle, 1976 .Elle ne figure pas dans l'édition Besterman . V* l'avait envoyée par Jean-Robert Tronchin , voir la lettre du 6 avril 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/05/30/on-va-faire-de-si-grands-efforts-cette-annee-qu-il-faudra-to-5380963.html
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30/05/2014
on va faire de si grands efforts cette année qu'il faudra tout l'esprit de M. le contrôleur général pour trouver, l'année qui vient, de l'argent au trésor royal
... Remplacez "royal" ( et par la même occasion , si le coeur vous en dit remplacez Royal ! ) par "public", et vous voyez, que la France soit en guerre armée (XVIIIè siècle et suivants, et précédents ) ou en guerre économique (XIXè, XXè, XXIè siècle), le résultat est identique : il faut trouver des sous, du pèze, du flouze, des picaillons, de l'oseille par tous les moyens et pas question de perdre du temps à rechigner, ça ne fait qu'empirer la dette .
Vous voulez des espèces sonnantes et trébuchantes ? des clous !

« A Jean-Robert Tronchin
[6è avril 1759]
Vous verrez, monsieur, par cette lettre pour M. le baron de Beckers 1, envoyé extraordinaire de Son Altesse Sérénissime Électorale palatine, et son premier ministre d’État, de quoi il s'agit . Je vous supplie de souffrir en paix la manière dont j'y parle de vous , et de vouloir bien avoir la bonté d'accompagner ma dépêche d'un petit mot de certificat, conforme à ce que j'écris à M. le baron de Beckers . Je vous supplie de vouloir bien cacheter le tout et de le lui faire tenir à Paris . J'ai oublié sa demeure, mais les lettres aux ministres étrangers sont rendues aussi exactement qu'elles sont ouvertes .
Je viens encore de faire quelques petites acquisitions à Ferney . Quand l’Électeur palatin, le duc de Virtemberg et le roi me payeraient aussi mal qu'on fait à Cadix, nous aurons toujours le lait de nos vaches Mme Denis et moi pour nous nourrir ; il n'y a que cela de bien sûr dans ce monde . On peut mourir de faim avec des rois, mais jamais avec des terres . Il me paraît qu'on va faire de si grands efforts cette année qu'il faudra tout l'esprit de M. le contrôleur général pour trouver, l'année qui vient, de l'argent au trésor royal .
J'embrasse tendrement mon cher correspondant .
V. »
1 Cette lettre n'est pas connue ; elle ne fut sans doute pas transmise, car en en accusant la réception le 9 avril, Jean6robert Tronchin fit des objections, fondées sans doute, aux réclamations que V* présentait à Beckers . Voir lettre du 11 avril 1759 à Jean-Robert Tronchin : « … J'ai donné sur le champ avis au baron de Beckers de la générosité avec laquelle l’Électeur palatin en a usé et je remercie même M. de Beckers qui n'y a contribué en rien . Ainsi vous avez très bien fait de ne lui point envoyer ma lettre, qui n'est plus de saison . »
Voir aussi lettre du 16 mars 1759 au baron von Beckers : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/05/01/vous-verrez-que-le-temps-se-consume-en-frais-et-que-chaque-moment-accumule.html
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29/05/2014
Donné au milieu des masures sur une escabelle dans un grenier, de notre palais des chauve-souris

...
« A Gabriel Cramer
Monsieur de Voltaire reviendra samedi au soir aux Délices afin de ne pas figurer le dimanche dans sa paroisse de Ferney, mais surtout pour voir monsieur Gabriel Cramer qu'il prie à souper et à coucher samedi .
Ce cher Gabriel aura les sujets d'estampes de Gravelot 1 qu'il fera partir lundi ; mais ce cher Gabriel aurait bien dû envoyer certaines épreuves ; il met ses amis à une rude épreuve en les négligeant ainsi ; qu'il ne s'avise pas d'être pococurante 2 comme monsieur son frère le cadet ; car comme dit l'autre je vomis les tièdes 3. Sur ce Dieu ait en sa sainte garde mon cher Gabriel .
Donné au milieu des masures sur une escabelle dans un grenier, de notre palais des chauve-souris, au milieu des maçons qui m'empêchent de dormir et qui me ruinent .
V.
Jeudi matin [5 avril 1759?]"
1 Voir lettre du 3 avril au même : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/05/28/j-ai-peur-d-avoir-trop-vinaigre-la-salade-5379648.html
2 Pococuranté est le noble vénitien du chapitre xxv de Candide ; ce nom signifie « négligent » ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-candide-ou-l-optimisme-chapitre-xxv-120364038.html
3 Révélation, III,16 : http://saintebible.com/revelation/3-16.htm
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28/05/2014
J'ai peur d'avoir trop vinaigré la salade
... Ce qui n'aurait pas gêné le Vert Galant amateur d'ail et autres senteurs vigoureuses .

Dans un domaine plus actuel, la déclaration tartuffière de Copé , l’UMP avait «très vraisemblablement réglé des factures qu’elle n’aurait pas dû honorer», elles "auraient en réalité servi à financer des dépenses de la campagne présidentielle de 2012, afin de masquer un dépassement du plafond de dépenses.", à l'insu de son plein gré , évidemment . Dans le monde des tricheurs, je crois qu'on a là un des membres du top ten.
Nicolas Sarkozy tenant lui aussi le flambeau, bien entendu, doit trouver ces affirmations bien acides, et loin de la voix mielleuse de Carla ; tant pis ou tant mieux, selon vos goûts politiques et artistiques !
« A Gabriel Cramer
[3 avril 1759 ?]
Je vais travailler à Ferney aux sujets de Gravelot 1: mais apprenez mon cher Gabriel que le libraire Granger a l'agrément de M. de Malesherbes pour une nouvelle édition et qu'il fait des estampes qu'il prétend admirables . Je crois qu'il faudrait pour votre avantage vous entendre avec Granger, et qu'il se chargeât de votre nouvelle édition . Il n'y a service que je ne sois prêt à vous rendre .
On a fait cinq éditions de Candide à Paris, et à la fin on l'a défendu 2. Aussitôt on a commencé la sixième . L'épilogue de l'ode fera beau bruit . Ne manquez pas d'envoyer un exprès avec l'épreuve . Il faudra peut-être emmieller quelques endroits . J'ai peur d'avoir trop vinaigré la salade . »
1 Hubert-François Bourguignon Gravelot venait d'écrire à V* : Extrêmement flatté, monsieur, du choix que M. Cramer fait de moi pour les dessins de la grande édition qu'il projette de vos ouvrages … je soumets à votre révision le choix que j'ai fait des sujets pour votre Henriade … il fallait retrouver dans les tableaux la marche du poème … Quant au talent … vous en jugerez par les deux dessins que j'ai remis à M. Cramer » Voir également au sujet de cette édition et de celle de Granger une lettre de Gabriel Cramer à Gravelot écrite le 10 avril 1759 . Voir aussi : http://danville.hypotheses.org/924
2 C'est le 25 février que l'on commença à saisir Candide à Paris et le 26 qu'on en fit autant à Genève . Le 11 mai, le libraire Gosse devait encore signaler, dans une lettre de Genève à Tomaso Beccari « deux visites successives et inattendues [des magistrats et de la police] à l'occasion de deux livres qu'on avait soupçonnés d'avoir été imprimés ici sans permission,l'un intitulé Candide ou l'obtimisme [sic] imprimé Lyon, l'autre La Guerre littéraire entre M. de Voltaire et autres savants … imprimé à Lausanne où l'édition a été confisquée par ordre souverain. »
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un vieux fou qui se ruine avec deux châteaux
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« A Jean-Louis Labat, baron de Grandcour
à Genève
Il faut, mon cher baron, que vous me rendiez un service . Vous en êtes bien capable . Ordonnez demain mercredi à votre correspondant de Paris de porter cent beaux louis d'or chez M. d'Argental, conseiller d'honneur du parlement , rue de la Sourdière à Paris et de lui dire que j'aurai l'honneur de lui confier bientôt l'usage qu'il aura d'en faire .
Je reviens de Ferney samedi . J'espère que dans le saint jour dominical je trouverai chez vous 4000 livres tournois nécessaires à un vieux fou qui se ruine avec deux châteaux .
Mille tendres respects à toute votre famille .
V.
Mardi [3 avril 1759] »1
1 Sur le manuscrit olographe, mention de Labat « aux Délices le 3 avril 1759 /De Voltaire / R[épondu] le 4è de / que j'ai fait sa commission / et qu'il aura 4000- /lundi » Voltaire toucha 4800 francs le 10 avril .
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