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13/06/2014

République de Genève je vous aime

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delices_1.jpg

 Les Délices, quartier St Jean , République de Genève

 

« A François Tronchin

[avril/ mai 1759]

République de Genève je vous aime et j'entends que votre chemin soit très embelli sans qu'il vous en coute rien, et à moi pas grand chose .

Au lieu de continuer notre muraille de trente toises je recule ma haie en ceintre, je prie M. Dunan d'en faire autant, je recule encore en ceintre la haie de mes vignes . Je vous fais une pièce immense, ronde , régulière, ornée d'arbres en boule . Grille à ma vigne, grille au bas de ma terrasse, grille à la haie ceintrée de M. Dunan, jolies vues de tous les côtés, entrée charmante à Genève, qu'en dites-vous, mon cher ami ? qui avez du goût et vous aussi messieurs Mallet 1 et Jacquier, dites si cela ne sera pas délicieux.

V. »

1 Jean-Jacques Mallet, Ami de Chapeaurouge, et François Tronchin avaient été nommés comme commissaires pour surveiller les travaux de la nouvelle route . Tronchin se déroba et fut remplacé par Pierre Jacquet .Voir aussi : http://www.ville-ge.ch/bge/imv/gazette/15/pdf_15/15_clin.pdf

et page 341 : http://books.google.fr/books?id=LQ4QVb1NWDsC&pg=PA340&lpg=PA340&dq=Ami+de+Chapeaurouge&source=bl&ots=Kk1Cv-eJN5&sig=TFh7E60aN1NEFN5qkXvUKdESiWA&hl=fr&sa=X&ei=hXGbU8PlEZKe0wW4oYDACg&ved=0CGUQ6AEwCQ#v=onepage&q=Ami%20de%20Chapeaurouge&f=false

Il faut que je connaisse mes devoirs pour les remplir

...

 

 

 

« A François Tronchin

Je vous prie mon cher ami de m'envoyer l'original ou du moins copie entière de mon accord avec la sérénissime république 1. Je vous serai très obligé . Il faut que je connaisse mes devoirs pour les remplir et quoique j'aie des ponts-levis et des créneaux je veux vous être très soumis . Il y a bien longtemps que l'oncle et la nièce n'ont eu l'honneur de vous voir .

Mercredi au soir [avril/mai 1759] »

1 De Genève, au sujet du mur à restaurer . Voir lettre précédente : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/06/13/voyez-si-la-republique-veut-payer-5390756.html

 

Voyez si la république veut payer

...

 

 

 

« A François Tronchin

[avril/mai 1759] 1

M. Murani 2 dit qu'il faut un mur pour soutenir les terres de votre immense domaine tronchinois nommé les Délices 3. Je l'en crois . Voyez si la république veut payer moitié pour son chemin et son mur , M. Tronchin quart , moi quart . Se no, no 4.

Mille tendres amitiés . »

1 Il est souvent question des travaux à faire ou faits aux Délices à cette époque, route, murs, terrasses . Il semble que les discussions préliminaires relatives à ce mur eurent lieu à la fin d'avril ou au début de mai, et qu'un arrangement fut conclu vers la mi-mai au plus tard . Le travail commença, mais V* s'aperçut en juillet qu'il ne conviendrait pas, d'où une seconde série de lettres , où V* fait appel à Mathey au lieu de Mirani . Cette lettres semble être la première de cette correspondance . Voir aussi du 5 mai au 6 octobre 1759 la fin des lettres : du 5 mai 1759 à Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine, du 7 mai , du 10 mai , du 21 juillet , du 28 juillet et du 6 octobre à Jean-Robert Tronchin .

2 Il s'appelait A. Mirani .

3 Ce mur fut construit . Quand Théodore Besterman fonda l’Institut et le Musée Voltaire aux Délices, en 1952, le mur était en mauvais état . Il s'écroula peu de temps après et fut reconstruit par les autorités genevoises en ciment, ce qui fit disparaître une des quelques traces subsistantes des travaux fait sous Voltaire .

4 Sinon , non .

 

12/06/2014

Les maux de la guerre influent sur tout . On parle de paix et on couvre la terre de soldats

... D'abord les soldats sur terre et les patates dessous, puis l'inverse ! mais enterrer des hommes n'est pas encore le bon moyen de les multiplier .

Semez des pommes de terre pour les soldats de la France.jpeg

 C'est pas d'la soupe, c'est du rata ;

 C'est pas la mort mais ça viendra !

 

 

« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha

Aux Délices 29 avril 1759

Madame, j'userai donc de la permission de Votre Altesse Sérénissime veut bien me donner d'oser lui adresser une lettre pour Mme la comtesse de Bassevits, mais j'abuserai de cette permission et je vous supplie madame de pardonner le liberté que je prends . Je lui envoie des livres imprimés en échange de manuscrits que je devrai à vos bontés . Quelle autre protection que la vôtre puis-je choisir madame pour lui faire parvenir ce petit ballot . Les armées occupent tous les chemins ; la plupart des paquets qu'on m'envoyait de Pétersbourg se sont perdus ; les housards ont pillé les matériaux de l'histoire de Pierre le Grand . Les maux de la guerre influent sur tout . On parle de paix et on couvre la terre de soldats, et tandis qu'on va marier un archiduc 1, on célèbrera ses noces par l'effusion du sang humain . Je plains dans ces circonstances ceux qui demeurent dans le Mecklembourg, et sans les bontés de Votre altesse Sérénissime, j'aurais peur que ma lettre à Mme de Bassevits ne parvint pas à son adresse .

Je vous supplie madame de vouloir bien qu'elle passe par vos respectables et très aimables mains . J'aurai l'honneur de l'envoyer, quand le paquet qui va lentement sera à moitié chemin . La cousine de M. Pertriset 2 est toujours bien fière, elle a de la beauté, de l'esprit et de l'argent . Je vous tiens madame bien plus heureuse qu'elle . Je me mets aux pieds de Votre Altesse Sérénissime avec le plus profond respect . »

1 Ferdinand, fils de Marie-Thérèse d'Autriche, était à marier et le choix de sa femme fut longtemps discuté dans les négociations en vue de la paix . Il épousa finalement Maria-Béatrix, princesse ( puis plus tard duchesse en titre) de Modène .Voir : http://en.wikipedia.org/wiki/Maria_Beatrice_d%27Este,_Duchess_of_Massa

2 M. Pertriset serait Frédéric II ; le 8 décembre « Mlle de Pestris ou Pertris » serait la duchesse elle-même . Le 18 décembre, la duchesse écrira à V* : « La demoiselle Pertriset n'est gurère aimable, mais son adresse est excellente » Il y a là évidemment une couverture pour les messages adressés à Frédéric .Voir aussi page 422 : http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Revue_des_Deux_Mondes_-_1902_-_tome_7.djvu/428

 

11/06/2014

j'espère que tout ira comme je le voulais : ces petits succès m'arrivent rarement

... Rien n'est petit pour un grand esprit !

rien n est petit pour un grand esprit.png

 http://www.gameblog.fr/blogs/Mattsuda/

 

 

 

« A Sébastien Dupont

Aux Délices 29 avril 1759

Il y a longtemps mon cher Dupont que j'ai mandé à M. le prince de Bauffremeont le résultat des Goll 1, il se pourra que sa réponse tardera 2 un peu de temps ; le procès des Français et des Hanovriens attire un peu plus son attention que celui qui est entre vos mains . Les Français ont gagné un incident ; mais il y aura encore bien des chances à essuyer . Puissent les Goll finir les leurs ; j'espère que tout ira comme je le voulais : ces petits succès m'arrivent rarement ; celui-ci me sera cher, s'il vous en revient quelques petits avantages . J'ai cette affaire à cœur uniquement pour vous, c'est dans cette vue que j'avais écrit à Mme Goll avant que vous m’eussiez envoyé l'ultimatum de la négociation . Adieu, je voudrais m’entretenir avec vous plus longtemps, mais ma mauvaise santé et quelques affaires me rendent paresseux avec vous sans me rendre moins sensible .

V. »

1 Voir lettre du 24 mars 1759 à Sébastien Dupont : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/05/08/j...

2 Cet emploi de l'indicatif futur après il se pourra que (ou des locutions analogues) n'est pas fréquent et il est fort rare chez V* ; voir Guillerargues, Lettres portugaises, 1972 et sa notice grammaticale page 205-206, où l'on trouve des exemples de cette construction « gasconne ».

 

Vous avez toujours aimé les femmes, comme disait le cardinal

... Avec une pointe d'envie (oh ! péché capital ! ), car sous la calotte écarlate et la soutane est un corps d'homme qui ne vit pas que d'hostie et d'eau bénite .

 

aime les femmes.jpg

 http://www.youtube.com/watch?v=NdWTcRcm_pY

 

« A François de Bussy 1

Au château de Ferney

par Genève 18 avril 1759

Vous avez toujours aimé les femmes, comme disait le cardinal de Noailles, or, monsieur, ma nièce Mme Denis compte sur vous 2 ; et moi, tout vieux Suisse que je suis, j'y compte aussi . Elle a eu l'honneur de vous importuner pour un brevet et M. le duc de Choiseul a eu la bonté de le promettre . Je lui ai envoyé un extrait de nos pièces avec toute la soumission, toute la reconnaissance et toute l'exactitude possible, et puis j'ai craint de ne l'avoir pas assez ennuyé, et vous aussi monsieur .

Voici donc pour perfection d'ennui tout le contrat d'acquisition sans qu'il s'en manque un mot . Les notaires sont comme les théologiens, ils disent force choses inutiles . Il n'y a dans ce contrat qu'un mot à la page 3 qui regarde mon affaire, c'est celui où il est dit que le château et les terres sont de l'ancien dénombrement . Connaissez-vous, monsieur, cet ancien dénombrement, parmi tous les traités qui sont dans votre tête ? C'est assurément le plus petit dénombrement qui soit au monde, mais enfin ce pauvre petit drACoit est fondé sur des pancartes sacrées de nos rois . Nous avons ou raison ou prétexte d'en demander très humblement la confirmation . Nos joignons à notre contrat la copie du brevet accordé à M. de Brosses en pareil cas . Nous avons eu l'honneur d'envoyer à Mgr le duc de Choiseul nos motifs, nous attendons vos bontés et les siennes, c'est une bagatelle je le sais bien mais rien est beaucoup pour des marmottes du mont Jura . J'ai bien une autre grâce à vous demander . Je vous supplie de renvoyer cet énorme paquet contenant contrat et brevet, à M. d'Espagnac,3 conseiller clerc de grand chambre, demeurant dans la grande ville de Paris, rue Verneuil, lequel abbé d'Espagnac est chef du petit conseil de finances de Mgr le comte de La Marche, mon seigneur suzerain à qui je dois argent, foi et hommage, et pour qui je dois combattre à la tête de douze hommes armés pour l'honneur des dames et de la chevalerie ainsi que le portent les inféodations . Ce grand chambrier veut avoir mon contrat . Pardon, monsieur de vous entretenir de mes misères, quand vous êtes occupé de celles de l'Europe, mais vous suffisez à tout . Secourez-nous . Je suis pour ma vie, et en franc Suisse

votre très humble et très obligé serviteur

Voltaire

gentilhomme ordinaire du roi

Ah si vous saviez à quel point le roi de Prusse est un drôle de corps ! »

2 Mme Denis avait écrit le 31 mars à François de Bussy pour lui demander de suivre et d'accélérer l'affaire de la conservation des droits de l'ancin dénombrement pour la terre de Ferney . Lalettre de V* provoquera la réponse à celle de Mme Denis sur lemanuscrit de laquelle est portée la mention : «  Mme Denis . R[épon]du le 8 mai 1759 » Cependant l'affaire suit son cours puisque le 19 avril le duc de Choiseul demande à Joly de Fleury son « avis, tant sur le fond que sur la forme de brevet à accorder par le roi », lequel est « disposé à accorder cette grâce à M. de Voltaire » Le 20 avril, Chopiseul écrit assez longuement à V*, précisant qu'il ne « néglige pas ce qui [l']intéresse » ; c'est la répponse à lalettre au sujet des « deux strophes terribles » du roi de Prusse ; voir lettre du 30 mars 1759 à Etienne-François de Choiseul : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/05/20/mes-eloges-et-mes-remerciements-de-la-maniere-honnete-dont-v-5373884.html

et du 6 avril 1759 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/04/05/est-ce-l-infame-amour-propre-dont-on-ne-se-defait-jamais-bie.html

 

10/06/2014

la rage du Dogme : c'est la plus abominable maladie du genre humain, la peste n'en approche pas

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« Au baron Albrecht von Haller

[17 avril 1759]

J'ai l'honneur de vous renvoyer, monsieur, la lettre que vous avez bien voulu me confier . C'est le malheur des gens oisifs de s'occuper profondément de ces misères qu'on oublie au bout de deux jours . Le monde ne se soucie guère, si un curé de village a eu sa part ou non à une sottise . Je suis très aise que vous soyez aussi des nôtres , que vous donniez dans les Bucoliques . Tout ce que nous avons de mieux à faire sur la terre, c'est de la cultiver : les autres expériences de physique ne sont que des jeux d'enfants ne comparaison des expériences de Triptolème,, de Vertumne , et de Pomone ; ce sont là de grands physiciens . Notre semoir qui épargne la moitié de la semence est très supérieur aux coquilles du jardin du roi . Honneur à celui qui fertilise la terre, malheur au misérable ou couronné, ou encasqué 1, ou tonsuré qui la trouble .

Je ne vous passerai jamais qu'on ait été excusable de brûler avec des fagots verts un pauvre diable de médecin 2, pour avoir pensé à peu près comme on pensait dans les trois premiers siècles, cela me paraitra toujours très cannibale . Les monstres papistes , qui firent pis,étaient des démons déchainés . Voilà la suite de la rage du Dogme : c'est la plus abominable maladie du genre humain, la peste n'en approche pas .

Felix qui potuit rerum cognoscere causas,

Fortunatus et ille deos qui novit agrestes .3

Éclairez le monde, et desséchez les marais, il n'y aura que les grenouilles qui auront à se plaindre 4. J'ai voulu faire taire d'autres grenouilles qui croassaient, je ne sais pourquoi . Cette affaire impertinente est heureusement finie ; il ne fallait pas qu'elles importunassent un homme qui a six charrues à conduire , des maisons à bâtir et qui n'a pas de temps de reste . J'en aurai toujours quand il faudra vous prouver que je vous estime et même que je vous aime, car je veux bien que vous sachiez , que vous êtes aimable .

L'ermite V. »

1Ce mot n'est pas enregistré, mais on peut en relever de même formation dans l’Histoire de la langue française de Alexis François .

2 Michel Servet, au sujet duquel Haller écrivait , dans la lettre du 11 avril 1759, à laquelle V* répond ici : « Pour le triste sort de Servet il a souffert par les lois, qui étaient en vigueur alors dans toute la chrétienté […] de nos jours même on l'enfermerait . Mais qu'est-ce qu'un Servet vis-à-vis des milliers de protestants qui ont été brûlés par l’Église romaine ? »

3 Heureux qui a pu connaître les causes des choses . Heureux aussi celui qui connait les dieux agrestes . Virgile, Georgiques, II, 490-493.

4 «  Vous ignorez apparemment que je suis cultivateur et que je me plais à lutter contre les mauvaises qualités du terroir […] Un marais desséché, sur lequel je ferais une récolte, une colline couverte d'épines qui rendrait de l'esparsette par mes soins, voilà les conquêtes que j'aime à faire » disait aussi Haller dans sa lettre du 11 avril .