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Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné

Tous les billets que je vous ai écrits sur cette affaire, reçus ou non reçus de vous, ne valent que pour un seul

... De Gabriel Attal à Emmanuel Macron et vice-versa , jusqu'aux nominations qui plaisent aux deux ( ou trois si Stéphane Séjourné a encore quelque influence auprès du président ).

 

 

« A Jacob Bouthillier de Beaumont

Dimanche au soir [15 mai 1768] à 10 heures

Je ne sais comment il s'est pu faire, monsieur, que vous n'ayez pas reçu le billet que je vous écrivis il y a deux jours 1 pour vous prier de donner cent cinquante louis d'or à l’ordre de M. Boissier, lieutenant-colonel au service des états généraux .

Ces cent cinquante louis d'or sont pour M. de Rosimond . Je viens de donner à M. de Rosimond un nouveau billet pour toucher cet argent chez vous, et ce billet est conçu à peu près dans les mêmes termes que le premier . Il se peut faire que ce premier billet ait été porté à votre maison de Genève . Mais, quoi qu'il en soit, je vous prie encore de donner cet argent à M. de Rosimond . Tous les billets que je vous ai écrits sur cette affaire, reçus ou non reçus de vous, ne valent que pour un seul .

Ainsi supposé que vous n'ayez donné à personne ces dits cent cinquante louis d'or, je vous prie de les donner à M. de Rosimond qui vous présentera demain le mandat nouveau que je viens de mettre entre ses mains . J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

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10/01/2024 | Lien permanent

Je dois être neutre, tranquille, impartial, bien recevoir tous ceux qui me font l’honneur de venir chez moi, ne leur par

... En un mot comme en cent , je suis un parfait ambassadeur !

Qu'on se le dise .

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« A Etienne-Noël Damilaville

13 novembre 1765

Mon cher ami, plus je réfléchis sur la honteuse injustice qu’on fait à M. d’Alembert, plus je crois que le coup part des ennemis de la raison : c’est cette raison qu’on craint et qu’on hait, et non pas sa personne. Je sais bien qu’un homme puissant 1 a cru, l’année passée, avoir lieu de se plaindre de lui ; mais cet homme puissant est noble et généreux, et serait beaucoup plus capable de servir un homme de mérite que de lui nuire. Il a fait du bien à des gens qui ne le méritaient guère. Je m’imagine qu’il expierait son péché en procurant à un homme comme M. d’Alembert, non-seulement l’étroite justice qui lui est due, mais les récompenses dont il est si digne.

Je ne connais point d’exemple de pension accordée aux académiciens de Pétersbourg qui ne résident pas, mais il mérite d’être le premier exemple, et assurément cela ne tirerait pas à conséquence. Il faudrait que je fusse sûr qu’il n’ira point présider à l’Académie de Berlin, pour que j’osasse en écrire en Russie. Rousseau doit être actuellement à Potsdam 2 ; il reste à savoir si M. d’Alembert doit fuir ou rechercher sa société, et s’il est bien déterminé dans le parti qu’il aura pris. J’agirai sur les instructions et les assurances positives que vous me donnerez.

L’impératrice de Russie m’a écrit une lettre à la Sévigné 3: elle dit qu’elle a fait deux miracles ; elle a chassé de son empire tous les capucins, et elle a rendu Abraham Chaumeix tolérant. Elle ajoute qu’il y a un troisième miracle qu’elle ne peut faire, c’est de donner de l’esprit à Abraham Chaumeix.

Auriez-vous trouvé Bigex 4 à Paris ? Pour moi, j’ai toujours mon capucin. Je fais mieux que l’impératrice ; elle les chasse, et je les défroque.

Il paraît à Genève un livre qui m’est en quelque sorte dédié : c’est une histoire courte, vive, et nette des troubles passés et des présents 5. Les citoyens y exposent de très-bonnes raisons ; il semble que l’auteur veuille me forcer par des louanges, et même par d’assez mauvais vers, à prendre le parti des citoyens contre le petit conseil ; mais c’est de quoi je me garderai bien. Il serait ridicule à un étranger, et surtout à moi, de prendre un parti. Je dois être neutre, tranquille, impartial, bien recevoir tous ceux qui me font l’honneur de venir chez moi, ne leur parler que de concorde : c’est ainsi que j’en use ; et s’il était possible que je leur fusse de quelque utilité, je ne pourrais y parvenir que par l’impartialité la plus exacte.

Je vais faire rassembler ce que je pourrai des anguilles de M. Needham pour vous les faire parvenir ; ce ne sont que des plaisanteries 6. Les choses auxquelles Bigex peut travailler sont plus dignes de l’attention des sages.

On m’a dit qu’on allait faire une nouvelle édition de l’ouvrage attribué à Saint-Évremont7, et de quelques autres pièces relatives au même objet. J’ai cherché en vain à Genève une lettre d’un évêque grec ; il n’y en a qu’un seul exemplaire, qui est, je crois, entre les mains de Mme la duchesse d’Anville. On prétend que c’est un morceau assez instructif sur l’abus des deux puissances. L’auteur prouve, dit-on, que la seule véritable puissance est celle du souverain, et que l’Église n’a d’autre pouvoir que les prérogatives accordées par les rois et par les lois. Si cela est, l’ouvrage est très-raisonnable. J’espère l’avoir incessamment.

Adieu, mon cher ami ; tout notre ermitage vous fait les plus tendres compliments.

V. »

1 Le duc de Choiseul .

2 Non, à Strasbourg, puis en Angleterre .

7 C’est l’Analyse de la religion chrétienne, dont il a été question si souvent .

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09/03/2021 | Lien permanent

Vous êtes bien bons de céder à l'impétuosité de la nation, il faut la subjuguer

... Avis à tous les gouvernements .

 

Mis en ligne le 19/11/2020 pour le 25/9/2015

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

[25 septembre 1760]

Mes divins anges, il faut vous rendre compte de tout . Nous venons de jouer Tancrède en présence d'une douzaine de Parisiens à la tête desquels était M. le duc de Villars . Non, ne 1 vous imaginez pas quel talent Mme Denis a acquis . Je voudrais qu'on pût compter les larmes qu'on verse à Paris et chez nous, et nous verrions qui l'emporte . Je vous dois celles de Paris, car les longueurs tarissent les pleurs et vos coupures judicieuses en rapprochant l'intérêt l'ont augmenté . Détaillons un peu les obligations que je vous ai . Premier acte, premier remerciement . La première scène du 2 supprimée, profit tout clair ; le monologue que j'ai envoyé fait très bien chez nous, et doit réussir chez vous .

Au troisième acte, pardon . Ce n'est pas sûrement vous qui avez mis ces malheureux vers

Car tu m'as déjà dit que cet audacieux

A sur Aménaïde osé lever les yeux 2 etc.

On devrait lui répondre, mon ami si on t'a déjà dit qu'on te prend ta maîtresse tu devrais donc en parler d'abord, tu devrais donc être au désespoir . C'est un contresens horrible .

Écoutez-moi mes chers anges, on n'a pas fait réflexion qu'Aldamon n'est pas encore le confident de la passion de Tancrède . On a imaginé qu'il lui parlait comme à un homme instruit de l'état de son cœur . Il est évident que c'est et que ce doit être tout le contraire . Aldamon est un soldat attaché à Tancrède qui a favorisé son retour , et rien de plus . Il est si clair qu'il ne sait point la passion de Tancrède, que Tancrède lui dit, cher ami je te dois

Plus que je n'ose dire et plus que tu ne crois .3

Donc Aldamon ne sait rien . Peu à peu la confiance se forme dans cette scène, et Aldamon qui doit avoir assez de sens pour apercevoir une passion qu'il approuve, court faire son message en disant à Tancrède :

C'est vous qui m'envoyez je réponds du succès .4

Il est bien mieux de mettre ce je réponds du succès dans la bouche du confident que dans celle de Tancrède car alors Tancrède dit avec bien plus de bienséance et d'enthousiasme, il sera favorable 5. Nous demandons tous à genoux qu'on laisse le troisième acte comme il était . Est-il possible qu'on ait ôté ces vers :

Rien n'est changé, je suis encore sous le couteau

Tremblez moins pour ma gloire .6

Ces vers récités avec une fermeté attendrissante ont arraché des larmes. Si le père est si étriqué, s'il ne prend pas un intérêt tendre à la chose, s'il ne flotte pas entre la crainte et l'espérance, en vérité l'intérêt total diminue beaucoup , et la pièce en général est bien moins touchante . J'ai écrit à Lekain sur ce troisième acte, et je lui ai montré l'excès de ma douleur . Dans le quatrième acte il y a beaucoup d'art à fonder comme vous avez fait mes divins anges la crédulité de Tancrède . Je voudrais seulement qu'il dit pas qu'il a pénétré le fond de cet affreux mystère 7! mais qu'on ne l'a que trop dévoilé . Vous ne pouvez sans doute souffrir ces vers :

Dans le rapide cours des plus brillants succès

Solamir l'eût-il fait sans être sûr de plaire 8.

Je tiens toujours que c'est assez que le vieux Argire ait dit à Tancrède : elle est coupable . Un père au désespoir est le plus fort des témoignages . Mais si vous voulez que Tancrède invente encore des raisons pour se convaincre, à la bonne heure . Il faudra faire des vers mais je n'aurai pas le temps d'ici à demain . Il y a un couplet de Fanie avec Aménaïde dans le quatrième acte que vous avez admirablement ajusté . Vous avez recousu, élagué, remplacé en maîtres . Nous n'avons jamais fait dire sur notre théâtre dans ce quatrième acte :

Madame il ne faut point que je vous dissimule

etc.

je pensai avoir rayé ces autre vers dans votre exemplaire .

Au cinquième acte c'est encore un coup de maître d'avoir rendu à la fois le récit de Catane plus vraisemblable et plus intéressant .

Mais je ne peux concevoir pourquoi on a retranché :

Courez rendez Tancrède à ma fille innocente 9,

ce vers me paraît de toute nécessité .

Si Ô jour du changement Ô jour du désespoir 10 a fait un si mauvais effet cela prouve que Brizard a joué bien froidement . Mais bagatelle .

Je conviens que Mlle Clairon peut faire une très belle figure en tombant aux pieds de Tancrède . Mais si vous aviez vu Mme Denis pleurante et égarée, se relever d'entre les bras qui la soutiennent, et dire d'une voix terrible arrêtez, vous n'êtes point mon père,11 vous avoueriez que nul tableau n'approche de cette action pathétique, que c'est là la véritable tragédie, une partie des spectateurs se leva à ce cri par un mouvement involontaire, et pardonnez arracha l'âme . Il y a un aveuglement cruel à me priver du plus beau morceau de la pièce . Je vous conjure de me le rendre . Qui empêche Mlle Clairon de se jeter et de mourir au pied de Tancrède quand son père éperdu et immobile est éloigné d'elle ou qu'il marche à elle, qui l'empêche de dire j'expire et de tomber près de son amant .

La somme totale de ce compte est remerciement, tendresse, respects, et envie de ne point mourir sans vous revoir .

V.

Barbare, laisse là ce repentir si vain

ce vers fait un très bel effet parmi nous qui n'avons pas la ridicule impatience de votre parterre . Vous êtes bien bons de céder à l'impétuosité de la nation, il faut la subjuguer .12 ».

1 Précédé de vous dans toutes les éditions, mais peut-être oublié par V*.

2 Sur ce vers voir lettre du 24 septembre 1760 à Lekain : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/11/19/j...

3 Tancrède , III, 1 .

4 Tancrède III, 1 ; voir lettre à Lekain du 24 :

5 Ibid. III, 2 ; voir lettre à Lekain du 24

6 Ibid . , III, 7 ; voir lettre du 23 septembre 1760 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/09/23/c...

7 Ibid. IV, 2

8 Ces vers furent supprimés .

9 Tancrède, V, 2 .

10 Ibid . V, 5 .

11 Ibid. V, 6.

12 Ce post-scriptum est écrit au bas de la quatrième page .

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25/09/2015 | Lien permanent

dans ce livre, qui est un plan d’éducation, il y a bien des choses ridicules et absurdes

... ce qui n'est pas étonnant de la part de cet individu, à commencer par le titre "Les leçons du pouvoir" . Et je ne suis pas le seul à déplorer l'abattage de tant d'arbres pour l'impression de 90000 exemplaires de ce pensum .

Heureusement Voltaire me console et annihile l'écho des platitudes d'un ex-président .

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... Oui !

 

 

« A François Achard de Joumard Tison, marquis d'Argence

22è avril 1763

Le bon Dieu vous le rende, monsieur, d’avoir guéri M. le comte de Brassac de sa peur. Non seulement vous êtes philosophe, mais vous en faites. Je suis bien fâché de n’avoir plus de sermons 1, mais vous aurez des Curés Meslier tant que vous en voudrez. Je ne sais si le dernier ouvrage de Jean-Jacques Rousseau, intitulé Emile, est parvenu jusqu’à vous. Il est vrai que dans ce livre, qui est un plan d’éducation, il y a bien des choses ridicules et absurdes. Il a un jeune homme de qualité à élever, et il en fait un menuisier . Voilà le fond de ce livre . Mais il introduit au troisième tome un vicaire savoyard, qui sans doute était vicaire du curé Jean Meslier. Ce vicaire fait une sortie contre la religion chrétienne avec beaucoup d’éloquence et de sagesse 2. Vous avez su que l’archevêque de Paris a donné un mandement violent contre Jean-Jacques, que Jean-Jacques, poursuivi d’ailleurs par le parlement de Paris, brûlé à Genève sa patrie, brûlé à Berne, c’est-à-dire dans la personne de son livre, s’est retiré dans un désert près de Neuchâtel, qui appartient au roi de Prusse. C’est de là que ce pauvre martyr écrit une lettre de deux cents pages à l’archevêque de Paris, intitulée Lettre de Jean-Jacques Rousseau à Christophe de Beaumont. Il est fort difficile d’en avoir des exemplaires . S’il m’en tombe un entre les mains, je tâcherai de vous le faire parvenir contre-signé. Adieu, monsieur . Continuez à détruire l’erreur et à aimer vos amis. Daignez toujours me compter parmi ceux qui vous sont le plus dévoués.

V. »

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14/04/2018 | Lien permanent

Que je suis heureux d'être étranger à tout ce qui s'écrit et se dit en ce monde !

... Sur les réseaux dits sociaux .

Quelles économies d'énergies on ferait en faisant taire cet intolérable et inepte bavardage qui constitue 99,99999% des messages , et je parie qu'on pourrait se passer du gaz de schiste rien qu'en interdisant les messages contenant des fautes d'or tograf d'orthographe . Je n'en dis pas plus . Logique .

 Afficher l'image d'origine

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

[1761-1762] 1

Vous n'avez pas lu le tome II d'un mauvais livre ? Si cela va chez vous, ne lui ouvrez pas, car s'il est bon que Memnon soit partout, il est bon que Candide ne soit nulle part .

Que je suis heureux d'être étranger à tout ce qui s'écrit et se dit en ce monde !

C'en est fait : dans les bois je veux vivre à mon gré,

Et du sentier des sots je me retirerai.

J'éviterai le jeu, la table, les querelles,

Les vains amusements, les spectacles, les belles.

Quel plaisir noble et doux de haïr les plaisirs ;

De se dire en secret : me voilà sans désirs,

Je suis maître de moi, juste, insensible, sage,

Et mon âme est un roc au milieu de l'orage .

J'oubliais que je joue la comédie ce soir et que mon rôle est de fondre en larmes, de mourir d'amour, de me tuer de désespoir . »

1 André Delattre, en 1752, place cette lettre à la fin de 1765 ; mais quel est alors le « tome II » contenant à la fois Memnon et Candide ? Ou du moins Candide, car Memnon pourrait figurer dans un tome I.

 

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02/01/2017 | Lien permanent

nous serons également satisfaits si vous voulez bien, monsieur, insérer dans les papiers publics un mot qui fasse voir q

... 16H 23 . En attendant la proclamation des nouveaux ministres, les déçus et les triomphants .

 

« A Claude-Joseph Dorat

28è janvier 1767 à Ferney 1

La rigueur extrême de la saison, monsieur, a trop augmenté mes souffrances continuelles pour me permettre de répondre, aussitôt que je l’aurais voulu, à votre lettre du 14 de janvier. L’état douloureux où je suis a été encore augmenté par l’extrême disette où la cessation de tout commerce avec Genève nous a réduits. Ma situation, devenue très désagréable, ne m’a pas assurément rendu insensible aux jolis vers dont vous avez semé votre lettre. Il aurait été encore plus doux pour moi, je vous l’avoue, que vous eussiez employé vos talents aimables à répandre dans le public les sentiments dont vous m’avez honoré dans vos lettres particulières. Personne n’a été plus pénétré que moi de votre mérite ; personne n’a mieux senti combien vous feriez d’honneur un jour à l’Académie française, qui cherche, comme vous savez, à n’admettre dans son corps que des hommes qui pensent comme vous. J’y ai quelques amis, et ces amis ne sont pas assurément contents de la conduite de Rousseau, et le sont très peu de ses ouvrages. M. d’Alembert et M. Marmontel n’ont pas à se louer de lui.

Vous savez d’ailleurs que M. le duc de Choiseul n’est que trop informé des manœuvres lâches et criminelles de cet homme ; vous savez que son complice 2 a été arrêté dans Paris. J’ignore, après tout cela, comment vous avez appelé du nom de grand homme un charlatan qui n’est connu que par des paradoxes ridicules et par une conduite coupable.

Vous sentez d’ailleurs la valeur de ces expressions, à la page 8 de votre Avis 3 :

Achevez enfin par vos mœurs
Ce qu’ont ébauché vos ouvrages.

Je n’avais point vu votre avis imprimé ; on ne m’en avait envoyé que les premiers vers manuscrits. Je laisse à votre probité et aux sentiments que vous me témoignez le soin de réparer ce que ces deux vers ont d’outrageant et d’odieux. Pesez, monsieur, ce mot de mœurs. J’ose vous dire que ni ma famille, ni mes amis, ni la famille des Calas, ni celle des Sirven, ni la petite-fille du grand Corneille, ne m’accuseront de manquer de mœurs. Vous conviendrez du moins qu’il y a quelque différence entre votre compatriote, qui a marié un gentilhomme de beaucoup de mérite avec Mlle Corneille, et un garçon horloger de Genève, qui écrit que monsieur le dauphin doit épouser la fille du bourreau 4 si elle lui plaît.

Les mœurs, monsieur, n’ont rien de commun avec les querelles de littérature ; mais elles sont liées essentiellement à l’honnêteté et à la probité dont vous faites profession. C’est à vos mœurs mêmes que je m’adresse. Les deux lettres que vous avez eu la bonté de m’écrire, l’amitié de M. le chevalier de Pezay, la vôtre, que j’ambitionne, et dont vous m’avez flatté, me donnent de justes espérances. Ce sera pour moi la plus chère des consolations de pouvoir me livrer sans réserve à tous les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire.

Ma famille, mes amis et moi nous serons également satisfaits si vous voulez bien, monsieur, insérer dans les papiers publics un mot qui fasse voir qu'ayant été mieux informé vous rendez justice à la vérité . »

1 L'édition de Kehl, suivant la copie Beaumarchais, et suivie par toutes les éditions, omet la formule et le post-scriptum à partir de votre très humble ...

4 Voir le cinquième livre de l'Émile de J.  J. Rousseau.

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20/05/2022 | Lien permanent

Quand on se trouve en état de faire du bien à une demi-lieue de pays cela est fort honnête

... Faire le bien, ne serait-ce qu'à ses voisins, combien sommes-nous à penser comme Voltaire et surtout à agir comme lui ? Cet homme d'esprit ne manquait surtout pas de coeur .

 Celui qui suit, (lui/luit  avec le Saint Esprit), non plus .

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« A Nicolas-Claude Thieriot

Délices 17 septembre [1759]

Il y a bien longtemps que je ne vous ai écrit, mon cher et ancien ami, mais je suis le rat des champs et vous le rat de ville .

Rusticus urbanum murem mus paupere fertur

Accepisse cavo veterem vetus hospes amicum .1

Vous n'en avez pas tant fait . Vous avez laissé là votre rat des champs . Ce n'est pourtant pas comme un rat piqué de votre négligence qu'il n'a point écrit, c'est qu'il a été fort occupé dans tous ses trous . Car tandis que votre destinée vous a fait faire le long voyage de la rue Saint-Honoré à l'Arsenal 2 et que vous avez ainsi couru d'un pôle à l'autre, j'ai bâti, labouré, planté et semé .

Rident vicini glebas et saxa moventem .3

Vous êtes retiré dans Paris monsieur le paresseux . Vous philosophez à votre aise chez M. de Paulmy,4 mais moi il faut que je visite mes métairies ; que je guérisse mes paysans et mes bœufs quand ils sont malades, que je marie des filles, que je mette en valeur des terres abandonnées depuis le déluge . Je vois autour de moi la plus effroyable misère dans le pays le plus riant . Je me donne des airs à remédier un peu à tout le mal qu'on a fait pendant des siècles . Quand on se trouve en état de faire du bien à une demi-lieue de pays cela est fort honnête . J'entends parler de gens qui vous ravagent, qui vous appauvrissent des deux ou trois cents lieues ou avec leur plume ou avec des canons . Ces gens-là sont des héros, des demi-dieux à pendre , mais je les respecte beaucoup . On dit qu'à Paris vous n'avez ni argent ni sens commun . On dit que vous êtes malmenés sur terre et sur mer . On dit que vous allez perdre le Canada . On dit que vos rentes, vos effets publics courent grand risque . Quand je dis vous, j'entends nous, car je vogue dans le même vaisseau . Mais en qualité de pauvre ermite habitant de frontière je parle respectueusement devant un habitant de la capitale .

Comme il faut lire quelquefois après avoir conduit sa charrue et son semoir, dites-moi je vous en prie ce que c'est qu'une histoire des jésuites , ou la morale des jésuites, ou des dogmes des jésuites prouvés par les faits, en trois ou quatre volumes . En un mot c'est une compilation de tout ce qu'ils ont fait de mémorable depuis frère Guignard jusqu'à frère Malagrida 5. J'ai demandé ce livre à Paris mais je n'en sais pas e titre .

Quid novi ?6 Comment vous portez-vous? n'êtes vous pas gras à lard , et assez honnêtement heureux ? Si ita est congratulator . Farewell my dear .7

V. »

1 On dit qu'un rat des champs reçut un rat des villes dans son pauvre trou, vieil hôte traitant un vieil ami ; Horace, Satires, II, vi, 80-81 : voir : http://www.poetryintranslation.com/PITBR/Latin/HoraceSatiresBkIISatVI.htm#_Toc98155109

3 Les voisins rient de le voir remuer les mottes de terre et les pierres ; Horace, Épîtres, I, xiv, 39 : « à l'intendant de sa terre » : http://www.espace-horace.org/trad/patin/epitres1.htm#xiv

4 Réponse de Thieriot, du 4 octobre 1759 : « M. le marquis de Paulmy n'a guère le loisir de philosopher . Il est tout absorbé dans les affaires de l'ambassade qu'il va faire . Il m'a dit de vous offrir ses services dans ces pays-là […] Nous sommes une demi-douzaine de philosophes dans son voisinage qui n'approuvent pas non plus que M. le comte d'Argenson son ardeur pour la politique [...] »

Paulmy fut ambassadeur de France en Pologne de 1759 à 1765 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine-Ren%C3%A9_de_Voyer_de_Paulmy_d%27Argenson

5 Voir lettre de février 1759 à François Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/03/20/tachez-de-nous-honorer-dimanche-de-votre-presence-reelle-5327905.html

La description de V* peut correspondre à plusieurs ouvrages sur le sujet, et la réponse de Thieriot ne nous renseigne guère plus : « L'histoire des jésuites en 4 vol. n'est pas de fraiche date . Il y a trois ans qu'elle a été achevée . », « Il a paru depuis peu les Jésuites convaincus de lèse-majesté par théorie et par pratique […] Il y a aussi un livre en 2 vol . sous le titre de Problème de la morale […] Il s’est publié aussi une grande quantité de brochures depuis l'affaire de Portugal ... » Le premier de ces livres est Les Jésuites criminels de lèse-majesté dans la théorie et dans la pratique, 1758 ; l'autre na pas été identifié .Voir : http://books.google.fr/books?id=x2k9AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

6 Quoi de neuf ?

7 S'il en est ainsi je te félicite . Adieu mon cher .

 

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10/10/2014 | Lien permanent

Il n'est pas mal de couper une tête de l'hydre de la calomnie dès qu'on en trouve une qui remue

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 https://www.youtube.com/watch?v=IfyCau4yyBkhttps://www.yo...

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

[vers le 10 décembre 1762]

Salut à mes frères en Dieu et en la nature . Je prie mon frère Thieriot de m'aider dans mes besoins, et de m'envoyer la meilleur histoire du Languedoc 1, cela ne sera peut-être pas inutile aux Calas, et pourra produire un écrit intéressant 2.

On a fini par se moquer de moi de ce que j'avais pris tant à cœur la tracasserie de la lettre 3; mais si je n'avais pas tant crié, on aurait peut-être crié contre moi . Il n'est pas mal de couper une tête de l'hydre de la calomnie dès qu'on en trouve une qui remue . »

1 Le meilleur ouvrage est (et il l'est toujours) l'Histoire générale de Languedoc ,1730-1745, attribué principalement à Claude Devic et Jean-Joseph Vaissette . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_g%C3%A9n%C3%A9rale_de_Languedoc

2 Le Traité sur la tolérance ; l'histoire du Languedoc laisse aussi des traces dans le Pot pourri .

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22/10/2017 | Lien permanent

Je crois que j’ai très bien pris mon temps pour me tirer de la cohue

... Mais ça commence à être un peu longuet . Je vois rouge .

Mam'zelle Wagnière, vous êtes au vert, mais soyez prudente , ce foutu virus ose s'attaquer à tous, même aux belles personnes .

Le gouvernement peine à trouver le plan de sortie de crise ...

 

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

20è février 1765

Mon cher frère, j’ai lu une partie de ce Pluquet 1 . Cet homme est ferré à glace sur la métaphysique ; mais je ne sais s’il n’a pas fourni un souper dont plusieurs plats seraient assez du goût des spinozistes. Je voudrais bien savoir ce que les d’Alembert et les Diderot pensent de ce livre.

La Destruction doit être partie, ou partira à la fin de cette semaine. Je ne suis pas exactement informé ; trois pieds de neige interrompent un peu la communication. Je crois que cette neige refroidira les esprits de Genève, qui étaient un peu échauffés ; on disputera, mais il n’y aura point de guerre civile.

Je crois que j’ai très bien pris mon temps pour me tirer de la cohue, et pour me défaire des Délices, d’autant plus que mon bail était fini, et que je ne l’avais pas renouvelé. Un M. Labat, qui avait dressé les  articles du contrat, me faisait quelques difficultés, comme vous l’avez pu voir. Ces difficultés ont dû vous paraître extraordinaires, aussi bien que le contrat même. On ne ferait pas de tels marchés en France . Celui-là est plus juif que calviniste.

Je me flatte que tout s’accommodera à l’amiable, et beaucoup plus facilement que les affaires de Genève. MM. Tronchin, qui sont mes amis, m’y aideront ; mais je serai toujours bien aise d’avoir le sentiment de M. Elie de Beaumont au bas de mes petites questions. J’attends avec impatience son mémoire pour les Calas 2. Voilà un véritable philosophe ; il venge l’innocence opprimée, il n’écrit point contre la comédie, il n’a point un orgueil révoltant, il n’est point le délateur de ceux dont il aurait dû être l’ami et le défenseur. Le cœur me saigne de deux grandes plaies, la première que Rousseau soit fou, la seconde que nos philosophes de Paris soient tièdes. Dieu merci, vous ne l’êtes pas. Vous m’avez glissé deux lignes, dans votre lettre du 12è février, qui font la consolation de ma vie.

Je soupçonne que le paquet de Franche-Comté est tombé entre les mains des barbares . Il faut mettre cette petite tribulation aux pieds du crucifix. Je me recommande à vos saintes prières. J’entre aujourd’hui dans ma soixante-douzième année, car je suis né en 1694, le 20è Février, et non le 20è de novembre, comme le disent les commentateurs mal instruits . Me persécuterait-on encore dans ce monde, à mon âge ? cela serait bien welche. Je me flatte au moins, qu’on ne me fera pas grand mal dans l’autre.

Je vous embrasse bien tendrement. Ecr l'inf. »

1 Examen du Fatalisme […] ; sur cet ouvrage , voir lettre du 28 janvier 1765 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/04/12/si-nous-avions-une-douzaine-d-ames-aussi-zelees-que-la-votre-nous-ne-laisse.html

2 Mémoire à consulter et consultation pour les enfants de défunt Jean Calas, marchand à Toulouse, signé Elie de Beaumont , daté du 22 janvier 1765 : https://tolosana.univ-toulouse.fr/fr/notice/044283709

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07/05/2020 | Lien permanent

Il y a des articles pitoyables sans doute, et les miens pourraient bien être du nombre; mais le bon l'emporte si prodigi

... qu'en toute modestie je vais persévérer dans mes publications .

 

 

 

« A Charles Palissot de Montenoy
Aux Délices, 4 juin 1760.
Je vous remercie, monsieur, de votre lettre 1 et de votre ouvrage; ayez la bonté de vous préparer à une réponse longue : les vieillards aiment un peu à babiller.
Je commence par vous dire que je tiens votre pièce pour bien écrite ; je conçois même que Crispin philosophe, marchant à quatre pattes 2, a dû faire beaucoup rire, et je crois que mon ami Jean-Jacques en rira tout le premier. Cela est gai ; cela n'est point méchant ; et d'ailleurs le citoyen de Genève, étant coupable de lèse-comédie, il est tout naturel que la comédie le lui rende 3.
Il n'en est pas de même des citoyens de Paris que vous avez mis sur le théâtre ; il n'y a pas là certainement de quoi rire. Je conçois très-bien qu'on donne des ridicules à ceux qui veulent bien nous en donner ; je veux qu'on se défende, et je sens par moi-même que, si je n'étais pas si vieux, MM. Fréron et de Pompignan auraient affaire à moi : le premier, pour m'avoir vilipendé cinq ou six ans de suite, à ce que m'ont assuré des gens qui lisent les brochures; l'autre, pour m'avoir désigné en pleine Académie comme un radoteur qui a farci l'histoire de fausses anecdotes. J'ai été tenté de le mortifier par une bonne justification, et de faire voir que l'anecdote [de l'Homme]4 au masque de fer, celle du testament du roi d'Espagne Charles II, et autres semblables, sont très-vraies, et que, quand je me mêle d'être sérieux, je laisse là les fictions poétiques.
J'ai encore la vanité de croire avoir été désigné dans la foule de ces pauvres philosophes qui ne cessent de conjurer contre l'État, et qui certainement sont cause de tous les malheurs qui nous arrivent : car enfin j'ai été le premier qui aie écrit en forme en faveur de l'attraction, et contre les grands tourbillons de Descartes, et contre les petits tourbillons de Malebranche; et je défie les plus ignorants, et jusqu'à Fréron lui-même, de prouver que j'ai falsifié en rien la philosophie newtonienne. La Société de Londres a approuvé mon petit catéchisme d'attraction. Je me tiens donc comme très-coupable de philosophie.
Si j'avais de la vanité, je me croirais encore plus criminel, sur le rapport d'un gros livre intitulé l'Oracle des nouveaux philosophes 5, lequel est parvenu jusque dans ma retraite. Cet oracle, ne vous déplaise, c'est moi. Il y aurait là de quoi crever de vaine gloire ; mais malheureusement ma vanité a été bien rabattue quand j'ai vu que l'auteur de l'Oracle prétend avoir plusieurs fois dîné chez moi, près de Lausanne, dans un château que je n'ai jamais eu. Il dit que je l'ai très-bien reçu, et, pour récompense de cette bonne réception, il apprend au public tous les aveux secrets qu'il prétend que je lui ai faits. Je lui ai avoué, par exemple, que j'avais été chez le roi de Prusse pour y établir la religion chinoise ; ainsi me voilà pour le moins de la secte de Confucius. Je serais donc très en droit de prendre ma part aux injures qu'on dit aux philosophes.
J'ai avoué de plus à l'auteur de l'Oracle que le roi de Prusse m'a chassé de chez lui, chose très-possible, mais très-fausse, et sur laquelle cet honnête homme en a menti.
Je lui ai encore avoué que je ne suis point attaché à la France, dans le temps que le roi me comble de ses grâces, me conserve la place de gentilhomme ordinaire, et daigne favoriser mes terres des plus grands privilèges. Enfin j'ai fait tous ces aveux à ce digne homme, pour être compté parmi les philosophes.
J'ai trempé de plus dans la cabale infernale de l'Encyclopédie; il y a au moins une douzaine d'articles de moi imprimés dans les trois derniers volumes. J'en avais préparé pour les suivants une douzaine d'autres qui auraient corrompu la nation, et qui auraient bouleversé tous les ordres de l'État.
Je suis encore des premiers qui aient employé fréquemment ce vilain mot d'humanité, contre lequel vous avez fait une si brave sortie dans votre comédie 6. Si, après cela, on ne veut pas m'accorder le nom de philosophe, c'est l'injustice du monde la plus criante.
Voilà, monsieur, pour ce qui me regarde. Quant aux personnes que vous attaquez dans votre ouvrage, si elles vous ont offensé, vous faites très-bien de le leur rendre ; il a toujours été permis par les lois de la société de tourner en ridicule les gens qui nous ont rendu ce petit service. Autrefois, quand j'étais du monde, je n'ai guère vu de souper dans lequel un rieur n'exerçât sa raillerie sur quelque convive, qui, à son tour, faisait tous ses efforts pour égayer la compagnie aux dépens du rieur. Les avocats en usent souvent ainsi au barreau. Tous les écrivains de ma connaissance se sont donné mutuellement tous les ridicules possibles. Boileau en donna à Fontenelle, Fontenelle à Boileau.
L'autre Rousseau, qui n'est pas Jean-Jacques, se moqua beaucoup de Zaïre 7 et d'Alzire 8; et moi, qui vous parle, je crois que je me moquai aussi de ses dernières épîtres 9, en avouant pourtant que l'Ode 10 sur les conquérants est admirable, et que la plupart de ses épigrammes sont très-jolies : car il faut être juste, c'est le point principal.
C'est à vous à faire votre examen de conscience, et à voir si vous êtes juste en représentant MM. d'Alembert, Duclos, Diderot, Helvétius, le chevalier de Jaucourt, et tutti quanti, comme des marauds qui enseignent à voler dans la poche.
Encore une fois, s'ils ont voulu rire à vos dépens dans leurs livres, je trouve très-bon que vous riiez aux leurs ; mais, pardieu, la raillerie est trop forte. S'ils étaient tels que vous les représentez, il faudrait les envoyer aux galères, ce qui n'entre point du tout dans le genre comique. Je vous parle net ; ceux que vous voulez déshonorer passent pour les plus honnêtes gens du monde ; et je ne sais même si leur probité n'est pas encore supérieure à leur philosophie. Je vous dirai franchement que je ne sais rien de plus respectable que M. Helvétius, qui a sacrifié deux cent mille livres de rente pour cultiver les lettres en paix.
S'il a, dans un gros livre, avancé une demi-douzaine de propositions téméraires et malsonnantes, il s'en est assez repenti 11, sans que vous dussiez déchirer ses blessures sur le théâtre.
M. Duclos, secrétaire de la première Académie du royaume, me paraît mériter beaucoup plus d'égards que vous n'en avez pour lui ; son livre sur les mœurs n'est point du tout un mauvais livre, c'est surtout le livre d'un honnête homme 12. En un mot, ces messieurs vous ont-ils publiquement offensé? Il me semble que non. Pourquoi donc les offensez-vous si cruellement?
Je ne connais point du tout M. Diderot ; je ne l'ai jamais vu ; je sais seulement qu'il a été malheureux et persécuté: cette seule raison devait vous faire tomber la plume des mains. Je regarde d'ailleurs l'entreprise de l'Encyclopédie comme le plus beau monument qu'on pût élever à l'honneur des sciences ; il y a des articles admirables, non-seulement de M. d'Alembert, de M. Diderot, de M. le chevalier de Jaucourt, mais de plusieurs autres personnes, qui, sans aucun motif de gloire ou d'intérêt, se font un plaisir de travailler à cet ouvrage.
Il y a des articles pitoyables sans doute, et les miens pourraient bien être du nombre; mais le bon l'emporte si prodigieusement sur le mauvais que toute l'Europe désire la continuation de l'Encyclopédie. On a traduit déjà les premiers volumes en plusieurs langues; pourquoi donc jouer sur le théâtre un ouvrage devenu nécessaire à l'instruction des hommes et à la gloire de la nation ?
J'avoue que je ne reviens point d'étonnement de ce que vous me mandez sur M. Diderot. Il a, dites-vous, imprimé deux libelles contre deux dames du plus haut rang 13, qui sont vos bienfaitrices. Vous avez vu son aveu signé de sa main. Si cela est, je n'ai plus rien à dire; je tombe des nues, je renonce à la philosophie, aux philosophes, à tous les livres, et je ne veux plus penser qu'à ma charrue et à mon semoir.
Mais permettez-moi de vous demander très-instamment des preuves ; souffrez que j'écrive aux amis de ces dames. Je veux absolument savoir si je dois mettre ou non le feu à ma bibliothèque.
Mais si Diderot a été assez abandonné de Dieu pour outrager deux dames respectables, et, qui plus est, très-belles, vous ont- elles chargé de les venger? Les autres personnes que vous produisez sur le théâtre avaient-elles eu la grossièreté de manquer de respect à ces deux dames ?
Sans jamais avoir vu M. Diderot, sans trouver le Père de famille plaisant, j'ai toujours respecté ses profondes connaissances ; et, à la tête de ce Père de famille, il y a une épître à Mme la princesse de Nassau qui m'a paru le chef-d'œuvre de l'éloquence et le triomphe de l'humanité 14; passez-moi le mot. Vingt personnes m'ont assuré qu'il a une très-belle âme. Je serais affligé d'être trompé, mais je souhaite d'être éclairé.

La faiblesse humaine est d'apprendre
Ce qu'on ne voudrait pas savoir 15.


Je vous ai parlé, monsieur, avec franchise. Si vous trouvez dans le fond du cœur que j'aie raison, voyez ce que vous avez à faire. Si j'ai tort, dites-le-moi, faites-le-moi sentir, redressez-moi.
Je vous jure que je n'ai aucune liaison avec aucun encyclopédiste, excepté peut-être avec M. d'Alembert, qui m'écrit, une fois en trois mois, des lettres de Lacédémonien 16. Je fais de lui un cas infini; je me flatte que celui-là n'a pas manqué de respect à Mmes les princesses de Robecq et de La Marck. Je vous demande encore une fois la permission de m'adresser sur cette alfaire à M. d'Argental.
J'ai l'honneur d'être, monsieur, avec une estime très-véritable de vos talents, et un extrême désir de la paix, que MM. Fréron, de Pompignan, et quelques autres, m'ont voulu ôter,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

gentilhomme ordinaire du roi . »

1 Palissot avait écrit à Voltaire, le 28 mai 1760, qu'il donnait le nom de faux philosophe « à celui qui, à la tète d'une traduction du Vero Amico et du Padre- di famiglia de Goldoni, a osé imprimer deux libelles scandaleux contre deux dames infiniment respectables avec des épigraphes [sic] du style de l'Arétin ». Comme Diderot est auteur du drame du Père de famille, qu'on disait une copie de Goldoni, Voltaire crut qu'il s'agissait de Diderot; en 1758 avaient paru des traductions, par Deleyre, du Père de famille et du Véritable Ami, de Goldoni. Grimm, qui en fut éditeur (voyez la seconde édition du Dictionnaire des anonymes de Barbier, n° 14025), y mit deux épîtres dédicatoires satiriques adressées à la princesse de Robecq et à la comtesse de La Marck. Ces dames voulaient faire punir l'auteur des dédicaces. Diderot, pour calmer les offensées, se donna pour le coupable. Mmes de Robecq et de La Marck apprirent bientôt après que Diderot s'était chargé du délit de Grimm, et l'affaire n'eut pas de suite. (Beuchot.) . Palissot répondra longuement à la présente lettre le 17 juin 1760 .

2 Acte III, scène IX.

3 Dans une note sur ce passage, Palissot proteste contre l'imputation d'avoir désigné J.-J. Rousseau par le Crispin de la comédie des Philosophes.

4 Wagnière a oublié de l'homme .

  1. 5 Claude-Marie Guyon , L'Oracle des nouveaux philosophes . Pour servir de suite et d'éclaircissement aux oeuvres de M . de Voltaire, 1759 ; voir : https://books.google.fr/books?id=v_8FAAAAQAAJ&printse...

6 Les Philosophes , acte II, sc v : « Je ne sais, masi enfin dussè-je vous déplaire,

Ce mot d'humanité ne m'en impose guère,

Et par tant de fripons je l'entends répéter

Que je les crois d'accord pour le faire adopter,

Ils ont quelque intérêt à le mettre à la mode [...]

7 Sur les attaques de Rousseau contre Zaïre, voir la correspondance entre ce dernier et Launay de janvier et février 1733 . on rouverait des échos de ces critiques dans la presse du temps, notamment dans les Lettres sérieuses et badines et dasn Le Glaneur de J.-B. De la Varenne .

8 On ne connait pas d'attaques publiées de Rousseau à l'égard d'Alzire .

9 Dans L'Utile examen des trois dernières épîtres du sieur Rousseau ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-utile-examen-de...

10 L'Ode à la Fortune. Voir :

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