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30/06/2015

c'est dans le fond une très bonne fille, quoiqu’elle ait l'air un peu malin

... Mumu, Muriel Robin, une femme qui mérite nos applaudissements, notre affection et notre respect . Qui nous console des revers de la vie ordinaire . Longue et bonne  vie à toi .

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« Au baron Frédéric Melchior Grimm

Mlle Vadé a reçu la charmante lettre du cher prophète ; elle s'imagine qu'Habacuc ne paye point de ports de lettres attendu la secrétairerie du premier prince de Juda 1. Partant elle hasarde ce paquet, et en fera tenir incessamment un autre dans un autre goût pour varier . Elle aura toujours une grande attention pour les besoins de Lefranc, pour ceux de Me Abraham, du divin Palissot ; elle respectera comme le doit le Journal de Trévoux , le Journal chrétien, et tous les sages persécuteurs ; elle fait mille compliments au philosophe de la rue Tarane 2; s'il se trouve jamais à Paris quelque honnête libraire qui veuille imprimer le sermon du cousin Vadé il fera une bonne œuvre ; elle écrira demain un petit mot à la belle philosophe qui a de si beaux yeux et un si bon cœur .

Au reste, Mlle Vadé est un peu malade, mais elle croit que rien n'est plus sain que de rire, et elle rit beaucoup de tout ce qui se passe ; elle embrasse de tout son cœur le cher prophète ; c'est dans le fond une très bonne fille, quoiqu’elle ait l'air un peu malin .

[du 27 juin 1760]3 »

1 On se souvient que Grimm était secrétaire du duc d'Orléans .

2 Diderot .

3 Date ajoutée par Grimm .

 

on n'est pas de fer, quoiqu'on soit dans un siècle de fer

... Et Charles Pasqua , quoique n'ayant pas été en tôle, vient de finir sa carrière dont l'épisode politique (trop long ) n'est pas la meilleure partie . Que d'affaires louches pour démontrer s'il en était encore besoin que le pouvoir corrompt . Qui se souvient de tes quelques succès ? Je me marre déjà en entendant les louanges de ceux qui auraient tout fait pour te piquer ta place .

A toi, comme à tous ceux qui cassent leurs pipes, ce chant que j'aimerais voir entonné par tous nos papes, popes, imams, bonzes, pasteurs,...

https://www.youtube.com/watch?v=8FMFxaT-n7U

Allez, je me sers un petit 102, il fait soif .

Et pour toi, Charles  ? une bière !

Tchin tchin !

 pastis-102_design.png

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL.

Envoyé de

Parme,

conseiller d'honneur du parlement

rue de la Sourdière

à Paris
27è juin 1760 1
Mon cher ange pardonnera si je n'écris pas de ma main ; on n'est pas de fer, quoiqu'on soit dans un siècle de fer. M. Tronchin est étonné que vos médecins de Paris n'aient pas prévu la pierre bilieuse; je lui ai donné 36 livres 2; je l'ai consulté sur le rhumatisme; il demande des détails, et alors il dira son avis.
Il faudrait, mon divin ange, refondre l'Écossaise, changer absolument le caractère de Frelon, en faire un balourd de bonne volonté qui gâterait tout en voulant tout réparer, qui dirait toutes les nouvelles en voulant les taire, et qui influerait sur toute la pièce jusqu'au dernier acte. Cette pièce a été faite bonnement et avec simplicité, uniquement pour faire donner Fréron au diable; elle ne pourrait être supportée au théâtre qu'en cas qu'on la prît pour une comédie véritablement anglaise. Elle ressemble aux toiles peintes de Hollande, qui ne sont de débit que quand elles passent pour être des Indes. Je vous enverrai, je crois, demain cette misère, avec quelques légères corrections. Il est impossible de rien changer aux deux derniers actes, à moins de faire une pièce nouvelle. Je me trompe peut-être, mais je crois que le Droit du Seigneur vaut infiniment mieux. Vous aurez le petit embellissement de la fin de Tancrède en son temps, afin de ne pas mêler les espèces.
Pour Médime, j'en ai par-dessus la tête ; je ne puis rien faire pour elle; je suis son serviteur, et lui souhaite toutes sortes de prospérités. Vous devriez bien donner un Pauvre Diable à votre ancien portier; peut-être trouverait-il quelque honnête typographe qui s'en chargerait pour l'édification publique. Tout le monde admire la modestie de Lefranc de Pompignan, et on voit combien le roi et tout l'univers prennent le parti de ce grand homme ; je crois que Mlle Vadé lui en dira deux mots 3. J'ai pris la liberté de vous adresser ma seconde réponse à la seconde lettre du sieur Palissot. Cette lettre le met si fortement et si honnêtement dans tout son tort, elle justifie si pleinement Diderot; elle doit faire tellement rougir M. Joly de Fleury sans l'offenser, elle est si mesurée et si vraie dans tous ses points, que je crois que c'est une très-bonne œuvre de se la laisser dérober en ôtant votre nom.
Vous êtes un véritable ange d'avoir fait cette démarche auprès de Mme la comtesse de La Marck ; rien n'est plus digne de vous que de protéger Diderot, qui le mérite d'autant plus qu'il est malheureux. Je suis toujours émerveillé du silence de M. le maréchal de Richelieu ; s'il refuse un passeport à un huguenot, il faut au moins écrire à un catholique . Je suis bien affligé de la maladie de Mme d'ArgentaI . Je baise le bout de vos ailes .

V. »

1 L'édition de Kehl omet je lui ai donné 36 livres, et la fin à partir de Je suis toujours émerveillé ...

 

ces beaux mots : Vous ne savez ce que vous dites ; j'ajoute à présent que vous ne savez ce que vous faites

... Ô combien de nos politiques, combien de nos chefs (?) religieux, combien de syndicalistes à la petite semaine (qui ne représentent qu'eux mêmes ) sont justiciables de ce jugement qui n'a pas pris une ride .

 

 

 

« A Nicolas-Claude THIERIOT.
[Aux Délices, 23 juin 1760].
La poste part; je n'ai que le temps de vous dire, mon cher ami, que vous ne savez ce que vous dites ; que je sais mieux que vous l'aventure de Robin, et les sentiments de ceux qui l'ont fait coffrer, et le tort extrême qu'on a eu de fourrer Mme la princesse de Robecq dans une querelle de comédie; et qu'on trouve à Versailles le Mémoire de Pompignan aussi sot qu'à Paris, et qu'un compliment de M. de La Vauguyon 1 n'est qu'un compliment, et qu'il ne faut point s'alarmer, et que les bons cacouacs auront toujours le public pour eux, et qu'il faut rire.
Par quelle fatalité me dit-on toujours : « Vous avez lu le Mémoire de Pompignan ; que dites-vous de ce mémoire et de sa généalogie?» Et personne ne me l'envoie, et je suis tout honteux.
J'ai reçu une grande lettre de Jean-Jacques Rousseau 2; il est devenu tout à fait fou ; c'est dommage.
J'ai commencé ma lettre, mon cher ami, par ces beaux mots : Vous ne savez ce que vous dites ; j'ajoute à présent que vous ne savez ce que vous faites, car il vaudrait bien mieux venir aux Délices, dans la chambre des fleurs, que d'aller chez un médecin dont vous n'avez pas besoin, puisque vous êtes gros et gras.
J'ai vu Marmontel; il est gros et gras aussi, et, de plus, m'a paru fort aimable. Il soutient sa disgrâce en homme qui ne la méritait pas.
J'ai la Vision, j'en ai deux exemplaires ; mais, pour Dieu, faites- moi avoir Moses's Légation 3, et l'Interprétation de la Nature 4.
Je suis dans un commerce très-vif avec le bienheureux Palissot; je lui ai écrit une lettre paternelle 5, en dernier lieu, dans laquelle je lui propose de faire une rétractation publique.
Adieu, adieu; une autre fois je vous en dirai davantage ; mais il faudrait venir chez nous. Je vous embrasse tendrement. 

Le Suisse V.»

1 Antoine-Paul-Jacques de Quélen, duc de La Vauguyon, nommé dans le Poème de Fontenoy, vers 195 (voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-poeme-de-fonten... ). Il était alors gouverneur du duc de Bourgogne, mort en 1761. Il n'est plus guère connu aujourd'hui que par son billet d'enterrement, que Grimm rapporte tout au long dans sa Correspondance littéraire, février 1772. Voir aussi : https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_de_Qu%C3%A9len_de_S...

4 Voir lettre du 19 juin à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/06/18/o...

 

29/06/2015

il faut dans toutes les nouvelles attendre le sacrement de confirmation

... Ainsi de "La Grèce sort de l'Europe" sera peut-être aussi vrai que "La Grèce ne payera pas ses dettes" ou "Enfin , les Grecs cessent de frauder le fisc " , n'en déplaise à ce foutraque Jean-Luc Mélenchon supporter de Tsipras  . A suivre ...

 

 

 

« A François de Chennevières

23è juin 1760 1

On parle d'un gros magasin pris au roi de Prusse à Landshut , et de cinquante mille Autrichiens dans la Silésie ; il faut dans toutes les nouvelles attendre le sacrement de confirmation . Les Délices sont plus charmantes que jamais . Nous n'y vendons point d'orviétan comme les jésuites 2. Voilà donc des bons pères reconnus apothicaires ; gare qu'ils ne soient empoisonneurs . Vous qui êtes à la tête des hôpitaux militaires, vous devez vous intéresser, mon cher monsieur, à cette découverte . Voulez-vous bien avoir la bonté de faire mettre deux enveloppes aux incluses ?

Je me flatte que le roi de Prusse ne sera pas longtemps en état de donner 1200 livres à d'Alembert, et que le roi de France qui est le véritable roi lui en donnera 4000 ; en attendant , il faut lui épargner des ports de lettres, aussi bien qu'à l'ami Thieriot, qui n'a point de pension . [Je vo]us remercie , et je vous embrasse, vous et la [soeur du] pot . »

1 Manuscrit original légèrement troué .

2 Ce mot est à rapprocher de la note de V* sur Le Russe à Paris, 74 . en outre on y voit l'amorce du thème fondamental du Pot pourri qui commence à germer dans l'esprit de V* vers cette époque .

Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-satires-le-russe-a-paris-partie-1-123258991.html

et : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64819016/f5.image

 

 

Il m'a écrit des lettres captieuses

... Ni capiteuses, ni capricieuses .

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL.
Aux Délices, 23 juin 1760
Mon divin ange, M. le duc de Choiseul m'a mandé qu'il avait vu le Pauvre Diable. Vous devez l'avoir chez vous; mais en voici, je crois, une meilleure édition,1 que la cousine Catherine Vadé m'a envoyée, et que je remets dans vos mains pour vous amuser, car il faut s'amuser. Voici encore l'amusement d'une nouvelle réponse à une nouvelle lettre de Palissot de Montenoy . Puisque vous avez eu la bonté de lui faire parvenir ma première, j'ose encore vous supplier de lui faire tenir ma seconde. Elle est argumentée ad hominem ; et, s'il ne fait pas ce que je lui demande, je pense qu'on peut alors rendre ma lettre publique ; mais ce ne sera pas sans votre consentement.
Vous aurez, par le premier ordinaire, le drame de Jodelle , ajusté au théâtre moderne par Hurtaud.2 Si cela ressemble à Nanine, j'ai tort; si cela n'est pas gai et intéressant, j'ai encore tort .

 

Si cela peut être joué sans qu'on soupçonne le moins du monde un autre que Hurtaud, j'aurai un vrai plaisir. Voulez- vous m'en faire un ? C'est de m'envoyer un des Mémoires de M. Lefranc de Pompignan. Tout le monde m'en parle, et je ne l'ai point vu.

 

Je suppose que vous daignerez faire prendre copie de ma réponse à Palissot . Il ne manque pas d'esprit ce drôle-là . Il m'a écrit des lettres captieuses 3.

 

Je suis enchanté , on a pris un gros magasin à Luc,4 on est en Silésie … (cela est douteux) .

 

Et je me sens par ma planète

 

A la malice un peu porté 5.

 

Comment se porte Mme d'Argental ? Comment M. de Courteilles se trouve-t-il de la tronchinade 6?
Mon cœur est aussi tendre avec vous que coriace avec Pompignan. Trublet travaille au Journal chrétien 7. Il a imprimé que je le faisais bâiller; Catherine Vadé dit qu'il est plus ennuyeux encore que moi.8 Mes respects, je vous prie, à Abraham Chaumeix, si vous le voyez chez M. Joly de Fleury.
Je ne vous en aime pas moins, mon divin ange.

 

V .

 

Mon cher ange , j'ai demandé un passeport pour un huguenot de Guyenne au gouverneur de Guyenne 9 . Il ne m'a fait seulement réponse , il n'a tenu compte de deux lettres que je lui ai écrites . Il a d'autres torts avec moi . Il devrait au moins être civil . Le voyez-vous ? »

 

1 On connait au moins 6 éditions du Pauvre Diable de 1758 (en fait 1760).

 

 

3 Le mot est joli, sur le mode des Lettres intéressantes, etc. Voir : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/captieux

 

4 A Landshut .

 

5 Nouveau souvenir d'Amphitryon, de Molière, acte III, sc. 2 .

 

6 Néologisme après palissoterie et fréronade (voir lettre du 3mars 1760 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/03/05/les-delices-remercient-tres-humblement-madame-cramer-de-ses-5572054.html)

 

7 Depuis le début de 1758, Trublet avait dirigé le Journal chrétien, fondé en 1754 sous le titre de Lettres sur les ouvrages de piété .

 

8 Allusion aux vers 222 et suivants du pauvre Diable :

« L'abbé Trublet alors avait la rage

D'être à paris un petit personnage ;

Au peu d'esprit que le bonhomme avait

L'esprit d'autrui par supplément servait .

Il entassait adage sur adage ;

Il compilait, compilait, compilait [...]

Le dernier vers était cruel et poursuivit Trublet jusqu'à sa mort ; il était aussi injuste car les détails que recueillait Trublet sur la vie des grands hommes qu'il fréquentait , La Motte, Fontenelle et Marivaux, notamment, gardent à nos yeux la valeur de documents irremplaçables .

 

9 Le duc de Richelieu .

 

 

28/06/2015

Je voudrais que vous écrasassiez l'infâme; c'est là le grand point

... Le plus grand point !

Notre infâme du XXIè siècle mélange fanatisme religieux -vrai ou parfaitement frelaté- et avidité matérielle, et ne semble pas être supprimée de sitôt . A la suite de Voltaire, continuons le combat sans relâche et n'économisons pas notre peine .

 

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« A Jean Le Rond d'ALEMBERT.
Je voudrais que Thieriot m'envoyât les nouveautés, et surtout le Mémoire de M. Lefranc de Pompignan, natif de Montauban; et Thieriot m'abandonne.
Je voudrais avoir perdu toutes mes vaches, et qu'on n'eût pas mêlé Mme de Robecq dans la Vision, parce que c'est un coup terrible à la bonne cause, parce que tous les amis de cette dame lui cachaient son état, parce que le prophète lui a appris ce qu'elle ignorait, et lui a dit : Morte morieris 1; parce que c'est avancer sa mort ; parce qu'elle n'avait d'autre tort que de protéger une pièce dont elle ne sentait pas les conséquences ; parce qu'elle n'avait jamais persécuté aucun philosophe; parce que cette cruauté de lui avoir appris qu'elle se meurt est ce qui a ulcéré M. le duc de Choiseul ; parce que je le sais, et je le sais parce qu'il me l'a écrit ; et je vous le confie, et vous n'en direz rien.
Je voudrais que mon cousin Vadé eût pu parler de la querelle présente ; mais, comme il est mort deux ans auparavant, et qu'il n'était pas prophète, il ne pouvait avoir une vision 2.
Je voudrais voir, après ces déluges de plaisanteries et de sarcasmes, quelque ouvrage sérieux, et qui pourtant se fît lire, où les philosophes fussent pleinement justifiés et l'infâme confondue.
Je voudrais que les philosophes pussent faire un corps d'initiés, et je mourrais content.
Je voudrais pouvoir vous envoyer une seconde réponse que je viens de faire 3 à une seconde lettre de Palissot 4, réponse qui passe par M. d'Argental, réponse dans laquelle je lui prouve qu'il a déféré et calomnié le chevalier de Jaucourt, ce qu'il me 5 niait; qu'il a confondu La Mettrie avec les philosophes ; qu'il a falsifié les passages de l'Encyclopédie, etc. Je lui parle paternellement; je lui fais un tableau du bien que l'Encyclopédie faisait à la France; puis vient un Abraham Chaumeix qui fournit des mémoires absurdes à maître Joly de Fleury, frère de l'intendant de ma province. Joly croit Chaumeix, le parlement croit Joly ; on persécute, et c'est dans ces circonstances que vous venez percer, vous Palissot, des gens qu'on a garrottés! vous les calomniez! Votre feuille peut être lue de la reine et des princes qui lisent volontiers une feuille, et qui ne confronteront point sept volumes in-folio, etc. Vous faites donc un très-grand mal. Qu'y a-t- il à faire ? Votre pièce a réussi ; il faut ajouter à ce succès la gloire de vous rétracter. Il n'en fera rien, et alors j'aurai l'honneur de vous envoyer ma lettre. Je la crois hardie et sage ; nous verrons si M. d'Argental la trouvera telle.
Je voudrais savoir quel est l'ouvrage auquel vous vous occupez. On dit qu'il est admirable ; je le crois : il n'y a que vous qui écriviez toujours bien, et Diderot parfois; pour moi, je ne fais plus que des coïonneries 6. Je voudrais vous voir avant de mourir.
Je voudrais que Rousseau ne fût pas tout à fait fou, mais il l'est. Il m'a écrit une lettre 7 pour laquelle il faut le baigner, et lui donner des bouillons rafraîchissants.
Je voudrais que vous écrasassiez l'infâme; c'est là le grand point. Il faut la réduire à l'état où elle est en Angleterre, et vous en viendrez à bout, si vous voulez. C'est le plus grand service qu'on puisse rendre au genre humain.
Adieu, mon grand homme ; je vous embrasse tendrement.

 

23 [juin 1760] 8»

 

 

1 Tu es en train de mourir de ta mort ; I. Rois, XXII, 16; Ézéchiel, XXXIII, 8.

 

2 Dans la satire du Pauvre Diable.

 

 

4 Cette lettre datée du 17 juin 1760 est conservée ; elle est très longue et d'un ton modéré .

 

5 Me est ajouté au dessus de la ligne sur le manuscrit .

 

6 Cette phrase est ajoutée entre les lignes .

 

7 Voyez sa lettre du 17 juin 1760 : « Je ne vous aime point monsieur ; [,,,] . Je vous hais, enfin , [,,,] » ; page 422 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b.texte.r=rousseau.f436

, qu'il reproduira dans Les Confessions en notant que V* ne lui répondit pas ; voir les lettres de Voltaire des 19 mars 1761 et 9 janvier 1765.

 

8 Le manuscrit porte d'une main plus tardive un post-scriptum ajouté puis rayé : « Vous pensez bien que je ne parle que de la superstition, car pour la religion, je l'aime et la respecte comme vous . »

 

 

27/06/2015

Un Français qui n'est pas gai est un homme hors de son élément

... Et si tu es gai, ris donc !

guéridon vache qui rit.JPG

 Humour vache !

 

 

« A Charles PALISSOT de MONTENOY

rue Basse-du-Rempart

à Paris
Aux Délices, 23 juin [1760]
Vous me faites enrager, monsieur; j'avais résolu de rire de tout dans mes douces retraites, et vous me contristez. Vous m'accablez de politesses, d'éloges, d'amitiés; mais vous me faites rougir, quand vous imprimez que je suis supérieur à ceux que vous attaquez. Je crois bien que je fais des vers mieux qu'eux, et même que j'en sais autant qu'eux en fait d'histoire ; mais, sur mon Dieu, sur mon âme, je suis à peine leur écolier dans tout le reste, tout vieux que je suis. Venons à des choses plus sérieuses.
M. d'Argental m'a assuré, dans ses dernières lettres, que M. Diderot n'était point reconnu coupable des faits dont vous l'accusez. Une personne non moins digne de foi m'a envoyé un très-long détail de cette aventure, et il se trouve qu'en effet M. Diderot n'a eu nulle part aux deux lettres condamnables qu'on lui imputait . Encore une fois, je ne le connais point, je ne l'ai jamais vu ; mais il avait entrepris, avec M. d'Alembert, un ouvrage immortel, un ouvrage nécessaire, et que je consulte tous les jours. Cet ouvrage était d'ailleurs un objet de 300 000 écus dans la librairie ; on le traduisait déjà dans trois ou quatre langues ; questa rabbia, detta gelosia,1 s'arme contre ce monument cher à la nation, et auquel plus de cinquante personnes de distinction s'empressaient de mettre la main !
Un Abraham Chaumeix s'avise de donner à M. Joly de Fleury un mémoire contre l'Encyclopédie, dans lequel il fait dire aux auteurs ce qu'ils n'ont point dit, empoisonne ce qu'ils ont dit, et argumente contre ce qu'ils diront. Il cite aussi faussement les Pères de l'Église que le Dictionnaire. M. de Fleury, accablé d'affaires, a eu le malheur de croire maître Abraham ; le parlement croit M. Joly de Fleury; monsieur le chancelier retire le privilège; les souscripteurs en sont pour leurs avances, les libraires sont ruinés; M. Diderot est persécuté. Je me trouve, pour ma part, désigné très-injustement dans le réquisitoire de M. de Fleury; et, quoique le public n'ait pas approuvé le réquisitoire, la persécution subsiste, malgré les cris de la nation indignée.
C'est dans ces circonstances odieuses que vous faites votre comédie contre les philosophes ; vous venez les percer quand ils sont sub gladio. Vous me dites que Molière a joué Potin et Ménage : soit; mais il n'a point dit que Cotin et Ménage enseignaient une morale perverse ; et vous imputez à tous ces messieurs des maximes affreuses dans votre pièce et dans votre préface.
Vous m'assurez que vous n'avez point accusé M. le chevalier de Jaucourt ; cependant c'est lui qui est l'auteur de l'article Gouvernement; son nom est en grosses lettres à la fin de cet article.
Vous en déférez plusieurs traits qui pourraient lui faire grand tort, dépouillés de tout ce qui les précède et qui les suit, mais qui, remis dans leur tout ensemble, sont dignes des Cicéron, des de Thou et des Grotius.
Vous n'ignorez pas d'ailleurs que M. le chevalier de Jaucourt homme d'une très-grande maison, et beaucoup plus respectable par ses mœurs que par sa naissance est dans des circonstances délicates qui exigent de tout honnête homme le plus grand ménagement .2
Vous voulez rendre odieux un passage de l'excellente Préface que M. d'Alembert a mise au devant de l'Encyclopédie; et il n'y a pas un mot de ce passage. Vous imputez à M. Diderot ce qui se trouve dans les Lettres juives 3; il faut que quelque Abraham Chaumeix vous ait fourni des mémoires comme il en a fourni à M. Joly de Fleury, et qu'il vous ait trompé comme il a trompé ce magistrat. Vous faites plus; vous joignez à vos accusations contre les plus honnêtes gens du monde des horreurs tirées de je ne sais quelle brochure intitulée la Vie heureuse, qu'un fou, nommé La Mettrie, composa un jour, étant ivre, à Berlin, il y a plus de douze ans. L’homme-plante est encore de La Mettrie 4. Cette sottise de La Mettrie, oubliée pour jamais, et que vous faites revivre, n'a pas plus de rapport avec la philosophie et l'Encyclopédie que le Portier des Chartreux 5 n'en a avec l'Histoire de l'Église; cependant vous joignez toutes ces accusations ensemble.

Qu'arrive-t-il ? Votre délation peut tomber entre les mains d'un prince, d'un ministre, d'un magistrat, occupé d'affaires graves, de la reine même, plus occupée encore à faire du bien, à soulager l'indigence, et à qui d'ailleurs les bienséances de la grandeur laissent peu de loisir. On a bien le temps de lire rapidement votre préface, qui contient une feuille ; mais on n'a pas le temps d'examiner, de confronter les ouvrages immenses auxquels vous imputez ces dogmes abominables. On ne sait point qui est ce La Mettrie; on croit que c'est un des encyclopédistes que vous attaquez, et les innocents peuvent payer pour le criminel, qui n'existe plus. Vous faites donc beaucoup plus de mal que vous ne pensiez et que vous ne vouliez; et certainement, si vous y réfléchissez de sang-froid, vous devez avoir des remords.

Voulez-vous à présent que je vous dise librement ma pensée ?
Voilà votre pièce jouée : elle est bien écrite, elle a réussi ; il y aurait une autre sorte de gloire à acquérir : ce serait d'insérer dans tous les journaux une déclaration bien mesurée, dans laquelle vous avoueriez que, n'ayant pas en votre possession le Dictionnaire encyclopédique, vous avez été trompé par les extraits infidèles qu'on vous en a donnés; que vous vous êtes élevé avec raison contre une morale pernicieuse ; mais que, depuis, ayant vérifié les passages dans lesquels on vous avait dit que cette morale était contenue; ayant lu attentivement cette préface de l'Encyclopédie, qui est un chef-d'œuvre, et plusieurs articles dignes de cette préface, vous vous faites un plaisir et un devoir de rendre au travail immense de leurs auteurs, à la morale sublime répandue dans leurs ouvrages, à la pureté de leurs mœurs, toute la justice qu'ils méritent. Il me semble que cette démarche ne serait point une rétractation (puisque c'est à ceux qui vous ont trompé à se rétracter); elle vous ferait beaucoup d'honneur, et terminerait très-heureusement une très-triste querelle.
Voilà mon avis, bon ou mauvais ; après quoi je ne me mêlerai en aucune façon de cette affaire : elle m'attriste, et je veux finir gaiement ma vie. Je veux rire ; je suis vieux et malade, et je tiens la gaieté un remède plus sûr que les ordonnances de mon cher et estimable Tronchin. Je me moquerai tant que je pourrai des gens qui se sont moqués de moi ; cela me réjouit, et ne fait nul mal. Un Français qui n'est pas gai est un homme hors de son élément. Vous faites des comédies, soyez donc joyeux, et ne faites point de l'amusement du théâtre un procès criminel. Vous êtes actuellement à votre aise; réjouissez-vous, il n'y a que cela de bon.
Si quid novisti rectius istis,
Candidus imperti ; si non, his utere mecum.6

E per fine, sans compliment, votre très-humble et très obéissant serviteur

Le Suisse V. »

1 Cette rage dite jalousie .(italien)

2 J. Lough, dans « Louis, chevalier de Jaucourt », essays presented to C. M. Girdlestone, 1960, émet l'hypothèse que la famille de Jaucourt le pressait de renoncer à collaborer à l'Encyclopédie .

3 Du marquis d'Argens .

Cette dernière phrase est ajoutée par V* en marge

5 Cet ouvrage licencieux a été publié vers 1745 sous le titre Histoire de dom B... ; portier des Chartreux, est de J.-C. Gervaise de Latouche .

6 Horace, Épîtres, I, vi, 67-68 : Si tu connais quelque règle de conduite meilleure, fais-m'en part sans détour, sinon, suis avec moi celle que je propose .