08/06/2015
il semble que vous m'ayez fait un de vos concitoyens
... Aurait pu dire Manuel Valls dans le même temps qu'il montrait son attachement pour le PS en fichant le camp aux frais de la princesse (vous et moi, joyeux contribuables) pour supporter le Barça en Allemagne !
Monsieur Valls vous êtes un grand jean-foutre et plus de trois millions et demi de chomeurs vous font une bronca monumentale bien méritée ; vous êtes bien mal placé pour vous gausser de l'autre bling-bling, Sarkozy . Deux têtes aussi vides que le ballon qu'elles suivent .
Il y a vraiment quelque chose de pourri dans ce royaume de France !
Comme larrons en foire ! et vous voudriez qu'on vous croie ?
« A Ivan Ivanovitch SCHOUVALOV
Aux Délices par Genève,
7è juin 1760.
Monsieur, par une lettre de M. de Keyserling votre ami, reçue aujourd'hui en même temps que la vôtre, je vois que vous avez eu la bonté de partager toutes mes inquiétudes, et je me flatte qu'elles sont calmées. Les ordres qu'on a donnés à Hambourg mettront probablement un frein à l'avidité des libraires; j'aurai le temps de consacrer tous mes soins au désir de vous plaire ; je pourrai attendre en paix les nouvelles instructions dont Votre Excellence m'a flatté. On se conformera en tout à vos volontés, tant dans la rédaction du second volume que dans les corrections nécessaires au premier. Ce qui n'était d'abord pour moi qu'une occupation agréable devient aujourd'hui mon principal devoir; il semble que vous m'ayez fait un de vos concitoyens, en me chargeant d'écrire une histoire qui doit faire voir combien votre pays est respectable. Le jeune M. de Voronzof m'a fait l'honneur de venir plusieurs fois dans ma retraite 1, et a augmenté mon zèle pour votre patrie. Tous les jeunes gens de votre cour que j'ai vus m'ont paru fort au-dessus de leur âge; mais M. de Voronzof m'a paru au-dessus d'eux. J'en excepte toujours M. de Soltikoff, car je ne peux donner à personne la préférence sur lui. Le mérite de tant de voyageurs de votre pays est une meilleure réfutation des injures atroces du philosophe 2 que tout ce que je pourrais dire. Je souhaite passionnément que les Autrichiens et les Français secondent cette année vos nobles efforts, et nous procurent une paix glorieuse devenue nécessaire à l'Europe.
J'ai l'honneur d'être, avec les sentiments les plus respectueux
et un attachement inviolable,
monsieur
de Votre Excellence
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire»
1 Le 30 mai, l'envoyé de France Montpéroux avait informé Choiseul que Vorontsof faisait un court séjour à Genève .
2 Des éditions changent du philosophe en de certaines gens .
00:06 | Lien permanent | Commentaires (0)
07/06/2015
Que l'orgueil et l'hypocrisie Contre les gens de jugement Étalent une frénésie Que l'on siffle unanimement
... C'est un voeu voltairien toujours actuel, car un exemple récent dit "Républicain" a montré l'opposé, le bon sens étant sifflé par les orgueilleux et les hypocrites qui ont changé d'étiquette mais qui sont toujours de la même daube sarkozyste .
« A Claude-Adrien Helvétius
Le 7 juin 1760
Qui eût cru que la V. dût venger la philosophie ? Il en est cependant quelque chose . Avant hier quelques médecins tinrent conseil pour savoir si on rognerait le monsieur ou si on ne le rognerait pas ; et je ne sais quel a été le résultat du conseil .
Vous me demandez pourquoi on a rejoué la pièce : ma foi je n'en sais rien, et dans cette affaire tout est inconcevable .
Nous sommes las de si, de mais, de quand, de qu'est-ce, de pourquoi, et voilà que nous avons fait des que
Que Paul Lefranc de Pompignan
Ait fait en pleine académie
Un discours très impertinent,
Et qu'elle en soit toute endormie ;
Qu'il ait bu , jusques à la lie,
Le calice un peu dégoûtant
De vingt censures qu'on publie
Et dont je suis assez content ;
Que pour comble de châtiment
Quand le public le mortifie,
Jean Fréron le béatifie,
Ce qui redouble son tourment ;
Qu'ailleurs un noir petit pédant
Insulte à la philosophie
Et qu'il serve de truchement
A Chaumeix qui se crucifie ;
Que l'orgueil et l'hypocrisie
Contre les gens de jugement
Étalent une frénésie
Que l'on siffle unanimement ;
Que parmi nous à tout moment
Cinquante espèces de folie,
Se succèdent rapidement
Et qu'aucune ne soit jolie ;
Qu'un jésuite avec courtoisie
S'intrigue partout sourdement
Et reproche un peu d' hérésie
Aux gens tenant le parlement ;
Qu'un janséniste ouvertement
Fronde la cour avec furie ;
Je conclus très pertinemment
Qu'il faut que le sage s'en rie . »1
1 Quelques variantes dans les éditions : « brochures » pour « censures », « un » pou r « Jean », « J'en » pour « Je » dans l'avant dernier vers .
15:07 | Lien permanent | Commentaires (0)
il faut mettre les plaisirs dans la besace de devant, et les chagrins dans celle de derrière
...
« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck
née comtesse
d'Oldenbourg
à Vienne
Aux Délices 7è juin 1760
Je suis obligé de dicter, madame, étant assez malade mais il faudrait que je fusse mort pour ne pas vous remercier de vos bontés . Il n'y avait pas , à la vérité, de feuilles de laurier dans votre lettre, mais elle est pleine d'une bonté à laquelle je dois la plus vive reconnaissance ; je vous supplie, madame, d'ajouter à tous vos bons offices celui d'instruire M. de Durazzo de mon état ; c'est cet état cruel qui me prive de l'honneur de lui écrire .
Vous allez donc avoir de magnifiques fêtes à Vienne ; je me flatte que les décorations du théâtre seront ornées de drapeaux pris sur les ennemis ; vous aurez beau avoir une belle musique italienne, elle ne vaudra jamais les cors enroués d'une vingtaine de postillons crottés arrivant aux portes du palais sur des chevaux boiteux ; et je ne serais pas fâché que le nouveau marié 1 eût vu partir ces postillons .
Vous êtes bien heureuse, madame, de voir quelquefois le géomètre si admirable en fait de triangles 2 ; c'est lui qui est véritablement philosophe, et philosophe aimable ; ceux qui font de méchantes actions, et qui disent de grosses injures, ne sont ni géomètres ni philosophes .
Je voudrais, madame, que vous eussiez gagné ce que M. de La Trimouille a perdu 3; cela vous aiderait à solliciter votre procès . Savez-vous bien, madame, qu'il ne tiendrait qu'à moi d'avoir un procès à Vienne ? J'ai recouvré tous les papiers qui servent à prouver le vol qu'on nous fit à Francfort, quand cette pauvre Mme Denis , avec un passeport du roi de France, fut trainée dans les boues par le nommé Shmitt, marchand de Francfort, condamné comme faux monnayeur par une commission impériale, et conseiller du roi de Prusse ? Mais ce n'est pas aux vieillards infirmes à se souvenir des monstres et des voleurs, l'amitié dont vous m'honorez fait tout oublier . Vous savez qu'on a créé l'homme avec deux besaces 4, il faut mettre les plaisirs dans la besace de devant, et les chagrins dans celle de derrière .
J'ai Dieu merci, achevé mes petits châteaux ; j'en jouis paisiblement, et je ne regrette rien au monde que d'être éloigné de vous ; ne m'oubliez pas , madame, auprès de M. l'ambassadeur de France, et de Mme l'ambassadrice ; vous voyez que vous êtes ma protectrice en tous pays , excepté en Prusse, où les dames sont si fières qu'elle ne protègent personne .
Mme Denis et moi nous sommes à vos pieds . Recevez mon tendre et profond respects .
V. »
1 Sur le mariage de l'archiduc, voir lettre du 26 avril 1760 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/26/qui-terre-a-et-qui-plume-a-guerre-a-5610855.html
2 Kaunitz ; voir lettre du 9 sptembre 1758 à la comtesse Bentinck : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/10/22/tout-le-monde-avoue-qu-il-faut-etre-philosophe-qu-il-faut-et.html
3 Dans la Pucelle, chant XIX : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-la-pucelle-d-orleans-chant-dix-neuvieme-86509140.html
4 Souvenir de La Fontaine ; La Besace : « Il fit pour nos défauts la poche de derrière
Et celle de devant pour les défauts d'autrui. » ; http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/besace.htm
08:04 | Lien permanent | Commentaires (0)
06/06/2015
veut-il venir aujourd'hui vendredi dîner aux Délices ?
...
« A François Tronchin
|6 juin 1760]1
Monsieur le conseiller Tronchin veut-il venir aujourd'hui vendredi dîner aux Délices ? Il y trouvera M. de Marmontel . »
1 Original sur une carte à jouer qui ne donne pas de date . Marmontel arriva aux Délices le 28 mai 1760 ou peu auparavant (voir lettre du 28 mai 1760 à Mme de Fontaine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/05/26/a... ) ; il y était encore le 13 juin [voir lettre du 13 juin à d'Argental ]et était reparti le 20 juin [voir lettre du 20 juin à Chennevières], d'où la date ici proposée .
21:29 | Lien permanent | Commentaires (0)
05/06/2015
il ne convenait guère à un insecte d'attaquer un lézard
...
« A Etienne-François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul-Stainville
[vers le 5 juin 1760]
[Conseille à Choiseul de ne pas trop insister sur les termes de la paix, tels qu'il les a suggérés pour la réponse de V* à Frédéric II ; lui reproche d'autre part trop de complaisance pour Fréron]1
1 Les indications données sur cette lettre sont déduites de la réponse de Choiseul qui est importante pour comprendre la suite des relations entre V* et le ministre : « A Versailles ce 16 juin [1760]
Vous êtes plus sage que moi et vous avez raison ; car , si c'est bien fait de n'être pas sage, il ne sied pas mal quelquefois de l'être . Tout bien considéré, il vaut mieux ne pas répondre aux injures ; je crois que c'est la guerre des gens de lettres et des philosophes qui avait échauffé ma tête sur les grossièretés de Luc . Restons-en là et contentons-nous, chacun pour notre rade, de ne le point craindre quand il pourfendait tous les Autrichiens, et de le mépriser quand il se battra sans esprit et sans talent avec des injures .
J'ai vu un poème de vous qui s'appelle Le Pauvre Diable, que ni vous ni d'Argental ne m'avez envoyé ; vous en êtes sûrement l'auteur, comme vous l'êtes de L’Écossaise . Quoique vous disiez que je protège Fréron (qui m'intéresse autant que Palissot qui ne m'intéresse point du tout ) avec lequel j'ai été au collège sans nulle privauté ( il était cependant jésuite et moi écolier sans avoir eu la petite vérole ), je vous assure que ce que vous dites de lui me fait rire quand il est plaisant et m'est indifférent quand il ne me fait pas rire ; j'avais conseillé à Fréron de ne point parler de vous dans ses feuilles ; je lui avais même insinué qu'il ne convenait guère à un insecte d'attaquer un lézard ; il a depuis critiqué mal à propos La Femme qui a raison ; cette critique vous a fâché ; vous le maltraitez ; à la bonne heure, je vous le livre ; j'en fais de même de Palissot qui, quoi qu'on en dise , fait fort bien des vers, et sa pièce des Philosophes, que j'ai hautement désapprouvée et qui est certainement une mauvaise comédie, a des scènes très dialoguées et très bien écrites . Je ne me pique pas d'être un juge compétent, mais par exception je soutiendrai même à Diderot qu'il écrit aussi mal en prose que Palissot écrit fort bien des vers et a de la facilité et du talent . Après cela l'on dira que sa morale est indigne, qu'il est fripon, etc . Je l'abandonne à la malédiction de la philosophie et des philosophes et même aux coups de bâton qu'il pourra mériter . Si une pauvre femme qui se meurt et à qui un philosophe l'a appris galamment dans une préface était morte, je ne voudrais entendre parler de ma vie de ce Palissot, ni de tout ce train d'auteur qui ne m'est bon que pour faire diversion dans la tête des badauds de Paris à la guerre véritable . Je n'en ai jamais tant dit que je vous en écris sur cette matière ; c'est pour vous détromper sur un intérêt tendre que vous me supposez pour Fréron . Adieu, cher solitaire ; je vous embrasse de tout mon cœur et vous prie de m'envoyer ce chant de La Pucelle que vous m’avez promis . »
14:21 | Lien permanent | Commentaires (0)
Cela peut être vrai, mais cela n'est pas possible.
... Dur à concevoir ! non ?
Autre problème pour neurones survoltés
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL.
Aux Délices, 4 juin [1760]
Mon divin ange, la paix sera aussi difficile à établir parmi les gens de lettres qu'entre la France et l'Angleterre.
Palissot m'envoie sa pièce, et m'écrit. Jugez de sa lettre par ma réponse 1. Je prends la liberté de vous l'adresser, et en même temps je vous conjure de me dire s'il est vrai que Diderot ait fait deux libelles contre Mmes de Robecq et de La Marck 2. Cela peut être vrai, mais cela n'est pas possible.
Vous pourriez bien, avant d'envoyer ma réponse à Palissot, la faire transcrire, ne varietur : car je dois craindre qu'on ne me reproche d'être complice de la comédie des Philosophes. Dieu soit loué qu'on ne joue point Médime! elle viendrait mal à propos; elle serait sifflée. Il est très-heureux, très-décent, qu'on ne me joue pas après les Philosophes.
D'ailleurs, mon cher ange, je suis à vos ordres. Décidez pour Socrate, pour l'Écossaise; je ferai tout ce qu'il faudra. Je suis en train d'aimer le tripot, et de rire.
N'abandonnons point le droit de cuissage; il me semble qu'on en peut faire quelque chose de très-intéressant. Le IVe et le Ve étaient à la glace 3; mais en quinze jours on ne peut avoir un feu égal dans son fourneau.
Cela ne ressemblera point à Nanine.
Pourquoi ne feriez-vous point jouer Rome sauvée? Mais avez-vous des acteurs? Si vous n'en avez point pour Catilina, vous n'en aurez pas pour la Mort de César; et vice versa.
Mon cher ange, comment se porte Mme Scaliger? Il me prend parfois des fureurs de venir vous voir ; mais il faut se contenir ; il faut marcher toujours sur la même ligne.
Paris, que veux-tu de moi ?
Mon cœur n'est pas fait pour toi. 4
Il est fait pour vous, mon cher ange.
V. »
1 Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/06/04/il-y-a-des-articles-pitoyables-sans-doute-et-les-miens-pourr-5634190.html
2 Palissot avait écrit à Voltaire, le 28 mai 1760, qu'il donnait le nom de faux philosophe « à celui qui, à la tète d'une traduction du Vero Amico et du Padre- di famiglia de Goldoni, a osé imprimer deux libelles scandaleux contre deux dames infiniment respectables ». Comme Diderot est auteur du drame du Père de famille, qu'on disait une copie de Goldoni, Voltaire crut qu'il s'agissait de Diderot; en 1758 avaient paru des traductions, par Deleyre, du Père de famille et du Véritable Ami, de Goldoni. Grimm, qui en fut éditeur (voyez la seconde édition du Dictionnaire des anonymes de Barbier, n° 14025), y mit deux épîtres dédicatoires satiriques adressées à la princesse de Robecq et à la comtesse de La Marck. Ces dames voulaient faire punir l'auteur des dédicaces. Diderot, pour calmer les offensées, se donna pour le coupable. Mmes de Robecq et de La Marck apprirent bientôt après que Diderot s'était chargé du délit de Grimm, et l'affaire n'eut pas de suite. (Beuchot.)
3 Le Droit du Seigneur, d'abord en cinq actes, a ensuite été réduit en trois; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-theatre-le-droit-du-seigneur-partie-1-121767950.html
Sur le prétendu droit , voir l'Essai sur les mœurs chapitre LII ainsi que l'article « cuissage » des Questions sur l'Encyclopédie : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-dictionnaire-philosophique-c-comme-cuissage-ou-culage-84651088.html
4 D'après Philippe Quinault , Amadis, ac. II, sc. 1, où l'apostrophe est adressée à l'Amour . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Quinault
00:17 | Lien permanent | Commentaires (0)
04/06/2015
Il y a des articles pitoyables sans doute, et les miens pourraient bien être du nombre; mais le bon l'emporte si prodigieusement sur le mauvais
... qu'en toute modestie je vais persévérer dans mes publications .
« A Charles Palissot de Montenoy
Aux Délices, 4 juin 1760.
Je vous remercie, monsieur, de votre lettre 1 et de votre ouvrage; ayez la bonté de vous préparer à une réponse longue : les vieillards aiment un peu à babiller.
Je commence par vous dire que je tiens votre pièce pour bien écrite ; je conçois même que Crispin philosophe, marchant à quatre pattes 2, a dû faire beaucoup rire, et je crois que mon ami Jean-Jacques en rira tout le premier. Cela est gai ; cela n'est point méchant ; et d'ailleurs le citoyen de Genève, étant coupable de lèse-comédie, il est tout naturel que la comédie le lui rende 3.
Il n'en est pas de même des citoyens de Paris que vous avez mis sur le théâtre ; il n'y a pas là certainement de quoi rire. Je conçois très-bien qu'on donne des ridicules à ceux qui veulent bien nous en donner ; je veux qu'on se défende, et je sens par moi-même que, si je n'étais pas si vieux, MM. Fréron et de Pompignan auraient affaire à moi : le premier, pour m'avoir vilipendé cinq ou six ans de suite, à ce que m'ont assuré des gens qui lisent les brochures; l'autre, pour m'avoir désigné en pleine Académie comme un radoteur qui a farci l'histoire de fausses anecdotes. J'ai été tenté de le mortifier par une bonne justification, et de faire voir que l'anecdote [de l'Homme]4 au masque de fer, celle du testament du roi d'Espagne Charles II, et autres semblables, sont très-vraies, et que, quand je me mêle d'être sérieux, je laisse là les fictions poétiques.
J'ai encore la vanité de croire avoir été désigné dans la foule de ces pauvres philosophes qui ne cessent de conjurer contre l'État, et qui certainement sont cause de tous les malheurs qui nous arrivent : car enfin j'ai été le premier qui aie écrit en forme en faveur de l'attraction, et contre les grands tourbillons de Descartes, et contre les petits tourbillons de Malebranche; et je défie les plus ignorants, et jusqu'à Fréron lui-même, de prouver que j'ai falsifié en rien la philosophie newtonienne. La Société de Londres a approuvé mon petit catéchisme d'attraction. Je me tiens donc comme très-coupable de philosophie.
Si j'avais de la vanité, je me croirais encore plus criminel, sur le rapport d'un gros livre intitulé l'Oracle des nouveaux philosophes 5, lequel est parvenu jusque dans ma retraite. Cet oracle, ne vous déplaise, c'est moi. Il y aurait là de quoi crever de vaine gloire ; mais malheureusement ma vanité a été bien rabattue quand j'ai vu que l'auteur de l'Oracle prétend avoir plusieurs fois dîné chez moi, près de Lausanne, dans un château que je n'ai jamais eu. Il dit que je l'ai très-bien reçu, et, pour récompense de cette bonne réception, il apprend au public tous les aveux secrets qu'il prétend que je lui ai faits. Je lui ai avoué, par exemple, que j'avais été chez le roi de Prusse pour y établir la religion chinoise ; ainsi me voilà pour le moins de la secte de Confucius. Je serais donc très en droit de prendre ma part aux injures qu'on dit aux philosophes.
J'ai avoué de plus à l'auteur de l'Oracle que le roi de Prusse m'a chassé de chez lui, chose très-possible, mais très-fausse, et sur laquelle cet honnête homme en a menti.
Je lui ai encore avoué que je ne suis point attaché à la France, dans le temps que le roi me comble de ses grâces, me conserve la place de gentilhomme ordinaire, et daigne favoriser mes terres des plus grands privilèges. Enfin j'ai fait tous ces aveux à ce digne homme, pour être compté parmi les philosophes.
J'ai trempé de plus dans la cabale infernale de l'Encyclopédie; il y a au moins une douzaine d'articles de moi imprimés dans les trois derniers volumes. J'en avais préparé pour les suivants une douzaine d'autres qui auraient corrompu la nation, et qui auraient bouleversé tous les ordres de l'État.
Je suis encore des premiers qui aient employé fréquemment ce vilain mot d'humanité, contre lequel vous avez fait une si brave sortie dans votre comédie 6. Si, après cela, on ne veut pas m'accorder le nom de philosophe, c'est l'injustice du monde la plus criante.
Voilà, monsieur, pour ce qui me regarde. Quant aux personnes que vous attaquez dans votre ouvrage, si elles vous ont offensé, vous faites très-bien de le leur rendre ; il a toujours été permis par les lois de la société de tourner en ridicule les gens qui nous ont rendu ce petit service. Autrefois, quand j'étais du monde, je n'ai guère vu de souper dans lequel un rieur n'exerçât sa raillerie sur quelque convive, qui, à son tour, faisait tous ses efforts pour égayer la compagnie aux dépens du rieur. Les avocats en usent souvent ainsi au barreau. Tous les écrivains de ma connaissance se sont donné mutuellement tous les ridicules possibles. Boileau en donna à Fontenelle, Fontenelle à Boileau.
L'autre Rousseau, qui n'est pas Jean-Jacques, se moqua beaucoup de Zaïre 7 et d'Alzire 8; et moi, qui vous parle, je crois que je me moquai aussi de ses dernières épîtres 9, en avouant pourtant que l'Ode 10 sur les conquérants est admirable, et que la plupart de ses épigrammes sont très-jolies : car il faut être juste, c'est le point principal.
C'est à vous à faire votre examen de conscience, et à voir si vous êtes juste en représentant MM. d'Alembert, Duclos, Diderot, Helvétius, le chevalier de Jaucourt, et tutti quanti, comme des marauds qui enseignent à voler dans la poche.
Encore une fois, s'ils ont voulu rire à vos dépens dans leurs livres, je trouve très-bon que vous riiez aux leurs ; mais, pardieu, la raillerie est trop forte. S'ils étaient tels que vous les représentez, il faudrait les envoyer aux galères, ce qui n'entre point du tout dans le genre comique. Je vous parle net ; ceux que vous voulez déshonorer passent pour les plus honnêtes gens du monde ; et je ne sais même si leur probité n'est pas encore supérieure à leur philosophie. Je vous dirai franchement que je ne sais rien de plus respectable que M. Helvétius, qui a sacrifié deux cent mille livres de rente pour cultiver les lettres en paix.
S'il a, dans un gros livre, avancé une demi-douzaine de propositions téméraires et malsonnantes, il s'en est assez repenti 11, sans que vous dussiez déchirer ses blessures sur le théâtre.
M. Duclos, secrétaire de la première Académie du royaume, me paraît mériter beaucoup plus d'égards que vous n'en avez pour lui ; son livre sur les mœurs n'est point du tout un mauvais livre, c'est surtout le livre d'un honnête homme 12. En un mot, ces messieurs vous ont-ils publiquement offensé? Il me semble que non. Pourquoi donc les offensez-vous si cruellement?
Je ne connais point du tout M. Diderot ; je ne l'ai jamais vu ; je sais seulement qu'il a été malheureux et persécuté: cette seule raison devait vous faire tomber la plume des mains. Je regarde d'ailleurs l'entreprise de l'Encyclopédie comme le plus beau monument qu'on pût élever à l'honneur des sciences ; il y a des articles admirables, non-seulement de M. d'Alembert, de M. Diderot, de M. le chevalier de Jaucourt, mais de plusieurs autres personnes, qui, sans aucun motif de gloire ou d'intérêt, se font un plaisir de travailler à cet ouvrage.
Il y a des articles pitoyables sans doute, et les miens pourraient bien être du nombre; mais le bon l'emporte si prodigieusement sur le mauvais que toute l'Europe désire la continuation de l'Encyclopédie. On a traduit déjà les premiers volumes en plusieurs langues; pourquoi donc jouer sur le théâtre un ouvrage devenu nécessaire à l'instruction des hommes et à la gloire de la nation ?
J'avoue que je ne reviens point d'étonnement de ce que vous me mandez sur M. Diderot. Il a, dites-vous, imprimé deux libelles contre deux dames du plus haut rang 13, qui sont vos bienfaitrices. Vous avez vu son aveu signé de sa main. Si cela est, je n'ai plus rien à dire; je tombe des nues, je renonce à la philosophie, aux philosophes, à tous les livres, et je ne veux plus penser qu'à ma charrue et à mon semoir.
Mais permettez-moi de vous demander très-instamment des preuves ; souffrez que j'écrive aux amis de ces dames. Je veux absolument savoir si je dois mettre ou non le feu à ma bibliothèque.
Mais si Diderot a été assez abandonné de Dieu pour outrager deux dames respectables, et, qui plus est, très-belles, vous ont- elles chargé de les venger? Les autres personnes que vous produisez sur le théâtre avaient-elles eu la grossièreté de manquer de respect à ces deux dames ?
Sans jamais avoir vu M. Diderot, sans trouver le Père de famille plaisant, j'ai toujours respecté ses profondes connaissances ; et, à la tête de ce Père de famille, il y a une épître à Mme la princesse de Nassau qui m'a paru le chef-d'œuvre de l'éloquence et le triomphe de l'humanité 14; passez-moi le mot. Vingt personnes m'ont assuré qu'il a une très-belle âme. Je serais affligé d'être trompé, mais je souhaite d'être éclairé.
La faiblesse humaine est d'apprendre
Ce qu'on ne voudrait pas savoir 15.
Je vous ai parlé, monsieur, avec franchise. Si vous trouvez dans le fond du cœur que j'aie raison, voyez ce que vous avez à faire. Si j'ai tort, dites-le-moi, faites-le-moi sentir, redressez-moi.
Je vous jure que je n'ai aucune liaison avec aucun encyclopédiste, excepté peut-être avec M. d'Alembert, qui m'écrit, une fois en trois mois, des lettres de Lacédémonien 16. Je fais de lui un cas infini; je me flatte que celui-là n'a pas manqué de respect à Mmes les princesses de Robecq et de La Marck. Je vous demande encore une fois la permission de m'adresser sur cette alfaire à M. d'Argental.
J'ai l'honneur d'être, monsieur, avec une estime très-véritable de vos talents, et un extrême désir de la paix, que MM. Fréron, de Pompignan, et quelques autres, m'ont voulu ôter,
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
gentilhomme ordinaire du roi . »
1 Palissot avait écrit à Voltaire, le 28 mai 1760, qu'il donnait le nom de faux philosophe « à celui qui, à la tète d'une traduction du Vero Amico et du Padre- di famiglia de Goldoni, a osé imprimer deux libelles scandaleux contre deux dames infiniment respectables avec des épigraphes [sic] du style de l'Arétin ». Comme Diderot est auteur du drame du Père de famille, qu'on disait une copie de Goldoni, Voltaire crut qu'il s'agissait de Diderot; en 1758 avaient paru des traductions, par Deleyre, du Père de famille et du Véritable Ami, de Goldoni. Grimm, qui en fut éditeur (voyez la seconde édition du Dictionnaire des anonymes de Barbier, n° 14025), y mit deux épîtres dédicatoires satiriques adressées à la princesse de Robecq et à la comtesse de La Marck. Ces dames voulaient faire punir l'auteur des dédicaces. Diderot, pour calmer les offensées, se donna pour le coupable. Mmes de Robecq et de La Marck apprirent bientôt après que Diderot s'était chargé du délit de Grimm, et l'affaire n'eut pas de suite. (Beuchot.) . Palissot répondra longuement à la présente lettre le 17 juin 1760 .
2 Acte III, scène IX.
3 Dans une note sur ce passage, Palissot proteste contre l'imputation d'avoir désigné J.-J. Rousseau par le Crispin de la comédie des Philosophes.
4 Wagnière a oublié de l'homme .
-
5 Claude-Marie Guyon , L'Oracle des nouveaux philosophes . Pour servir de suite et d'éclaircissement aux oeuvres de M . de Voltaire, 1759 ; voir : https://books.google.fr/books?id=v_8FAAAAQAAJ&printse...
6 Les Philosophes , acte II, sc v : « Je ne sais, masi enfin dussè-je vous déplaire,
Ce mot d'humanité ne m'en impose guère,
Et par tant de fripons je l'entends répéter
Que je les crois d'accord pour le faire adopter,
Ils ont quelque intérêt à le mettre à la mode [...]
7 Sur les attaques de Rousseau contre Zaïre, voir la correspondance entre ce dernier et Launay de janvier et février 1733 . on rouverait des échos de ces critiques dans la presse du temps, notamment dans les Lettres sérieuses et badines et dasn Le Glaneur de J.-B. De la Varenne .
8 On ne connait pas d'attaques publiées de Rousseau à l'égard d'Alzire .
9 Dans L'Utile examen des trois dernières épîtres du sieur Rousseau ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-utile-examen-de...
10 L'Ode à la Fortune. Voir : http://www.paradis-des-albatros.fr/?poeme=rousseau-j-b/od...
11 La rétractation qu'avait faite Helvétius n'empêcha pas son livre d'être brûle ; voyez lettre du 2 février 1759 à Mme du Boccage : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/02/20/i...
12 Cet éloge mitigé fut attribué à d'autres qu'à V* . On attribue ce mot à Louis XV. (Beuchot.) .
13 Mmes de Robecq et de La Marck .
14 Sur cette publication, voir lettre du 16 novembre 1758 à Diderot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/12/09/v...
15 La faiblesse humaine est d'avoir
La curiosité d'apprendre
Ce qu'on ne voudrait pas savoir.
(MOLIÈRE, Amphitryon, acte II, scène III.
16 C'est-à-dire laconiques ; on retrouve cette expression dans la lettre du 8 février 1760 à De Brosses : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/02/08/o...
15:30 | Lien permanent | Commentaires (0)