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16/09/2010

Il me sera impossible de refaire la scène d'Ève et du serpent, à moins que le diable lui-même ne vienne m'inspirer

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

16è septembre 1769

 

Je réponds, mon cher ange, à vos lettres du 4 et du 9. Vous devez actuellement avoir reçu par M. Marin la tragédie des Guèbres, avec les additions que le jeune auteur [i] à faites.

 

Lekain a joué à Toulouse Tancrède, Zamore [ii], et Hérode [iii] avec le plus grand succès. La salle était remplie à deux heures. On dit la troupe fort bonne ; plusieurs amateurs ont fait une souscription assez considérable pour la composer. Cette troupe a donné Athalie avec la musique des chœurs, et on me demande des chœurs pour toutes mes pièces. Les spectacles adoucissent les mœurs, et quand la philosophie s'y joint la superstition est bientôt écrasée. Il s'est fait depuis dix ans dans toute la jeunesse de Toulouse un changement incroyable. Sirven s'en trouvera bien. Il verra que votre idée de venir se défendre lui-même était la meilleure, mais plus il a tardé plus il trouvera les esprits bien disposés. Vous voyez qu'à la longue les bons livres font quelque effet, et que ceux qui ont contribué à répandre la lumière n'ont pas entièrement perdu leur peine.[iv]

 

On me presse d'aller passer l'hiver à Toulouse [v]. Il est vrai que je ne peux plus supporter les neiges qui m'ensevelissent pendant cinq mois de suite , au moins, mais il se pourra bien faire que Mme Denis vienne affronter auprès de moi les horreurs de nos frimas, et celles de la solitude et de l'ennui avec un pauvre vieillard qu'il est difficile de transplanter.

 

M. de Chimène [vi] m'a mandé que M. le maréchal de Richelieu avait mis Les Guèbres sur le répertoire de Fontainebleau ; je crois qu'il s'est trompé, car M. de Richelieu ne m'en parle pas. Il a assez de hauteur dans l'esprit pour faire cette démarche, et ce serait un grand coup. Les tribuns militaires vont au spectacle, et les prêtres de Pluton n'y vont point ; la raison gagnerait enfin sa cause, ce qui ne lui arrive pas souvent.

 

Je vois bien que je perdrai la mienne auprès de M. le duc d'Aumont [vii]. Il me sera impossible de refaire la scène d'Ève et du serpent, à moins que le diable lui-même ne vienne m'inspirer. Je suis à présent aussi incapable de faire des vers d'opéra que de courir la poste à cheval. Je prends mon parti sur Pandore, ce spectacle aurait pu être une occasion qui m'aurait fait faire un petit voyage que je désire depuis longtemps [viii], et que vous seul, mon cher ange, me faites désirer. Quand je vous dis seul, j'entends Mme d'Argental et vous ; mais encore une fois je ne suis pas heureux.

 

Adieu, mon très cher ange ; pardonnez à un pauvre malade, si je ne vous écris pas plus au long.

 

V. »

 

i V*.

ii Zamore, personnage d'Alzire.

iii Dans Hérode et Mariamne.

iv L'année précédente l'abbé Audra lui a écrit qu'il avait contribué aux progrès de la tolérance à Toulouse, en particulier chez les jeunes.

v Antoine Darquier de Pellepoix, auquel il répondait le 5 août, lui proposait de passer l'hiver à Toulouse pour diriger des représentations théâtrales, et en particulier « essayer quelques chœurs de tragédie ».

vi Le marquis de Ximenes.

vii Le 9 août, au duc d'Aumont, V* a demandé de faire jouer l'opéra de Pandore quand il « donnerait des fêtes » à marie-Antoinette en l'honneur de son mariage avec le dauphin.

viii Évidemment, un voyage à Paris ; il avait écrit au duc d'Aumont en lui demandant de faire jouer Pandore : « L'idée de paraître encore une fois devant vous avant de mourir semble consoler ma vieillesse, et j'aurais cette espérance si vous m'accordiez la grâce que j'ose vous demander » et de plus en terminant : « Et si la chose réussissait, je serais à portée alors d'avoir la consolation et l'honneur de venir vous faire mes remerciements et de revoir quelques amis que vous aimez... »

Mon cher philosophe, ce siècle-ci ne vous parait-il pas celui des révolutions

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« A Jean Le Rond d'Alembert

 

16è septembre 1772

 

Mon cher philosophe, ce siècle-ci ne vous parait-il pas celui des révolutions, à commencer par les jésuites et à finir par la Suède [i], et peut-être à ne point finir ? Voici une révolution qui m'arrive à moi . Vous avez sans doute entendu parler d'un abbé Pinzo qui a écrit , ou a laissé écrire sous son nom, une lettre à la Jean-Jacques, prodigieusement folle et insolente [ii]. On a imprimé cette lettre, l'imprimeur s'est servi de mon orthographe [iii], les sots l'ont crue de moi [iv], et un fripon l'a envoyée au pape [v]. Voilà où j'en suis avec Sa Sainteté . Elle est infaillible, mais je ne sais si c'est en fait de goût, et s'il démêlera que ce n'est pas là mon style.

 

Mandez-moi, je vous prie, ce que c'est que cet abbé Pinzo, et au nom du grand être dont Ganganelli est le vicaire, da mi consiglio.

 

Nous avons ici Lekain ; il enchante tout Genève [vi]. Il a joué dans Adélaïde Du Guesclin, il jouera Mahomet et Ninias [vii], après quoi je vous le renverrai.

 

Voici mon petit remerciement au remerciement de M. Wattelet.

 

Je vous embrasse de toutes mes forces.

 

V. »

i « Relation de ce qui est arrivé à Stockholm du 19 août 1772 au 21 inclusivement » dont V* vient de prendre connaissance, après avoir déjà composé une Épître au roi de Suède Gustave III sur l'évènement « qui vient de réunir les bonnets et les chapeaux » ( à savoir les deux partis qui se disputaient le pouvoir) et dont il dira qu'il « aime surtout passionnément sa renonciation au pouvoir arbitraire » (cf. lettre à d'Alembert du 13 novembre 1772). V* va dire à ses correspondants que sa dernière tragédie Les Lois de Minos , faite « il y a plus de trois mois » , « est à quelque différences près, la révolution de Suède » ; pour la vérité historique Cf. lettre du 13 novembre à d'Alembert.

ii Lettre de M. l'abbé Pinzo au surnommé Clément XIV, son ancien camarade de collège, qui l'a condamné à une prison perpétuelle après lui avoir fait demander pardon d'avoir dit la vérité, 1772.

iii V* tenait, entre autres, à la graphie « ai », conforme à la prononciation, pour les imparfaits et pour « français »,...

iv La Correspondance littéraire du 15 septembre et les Mémoires secrets du 20 octobre la lui attribuent.

v Au cardinal de Bernis dès le 10 septembre : « L'on m'assure qu'on a envoyé cette lettre au pape comme étant mon ouvrage ... Comme il se peut faire qu'une telle imposture prenne quelque crédit dans Rome chez des gens moins éclairés que Sa sainteté, vous me pardonnerez de vous en prévenir, et même de joindre à cette lettre le témoignage de M. le Résident de France à Genève. » Le président Hennin écrivit le 12 septembre au duc d'Aiguillon que la lettre avait été envoyée de Paris.

vi Ce jour-même, du Pan écrit : « Le Kain ... veut bien, sans être payé, monter trois fois sur le théâtre de Châtelaine pour jouer Adélaïde du Guesclin, Mahomet et Sémiramis ... La première fur représentée lundi. Demain on donnera Mahomet, samedi la dernière... » Par la suite il ajoute : « George entendit hier Mahomet avec admiration, le théâtre était aussi plein qu'il pouvait l'être. Voltaire criait : bravo, bravo ! » V* écrira à La Harpe, le 29 septembre : « M. Lekain est chez moi ; il a joué six de mes pièces. »

vii Ninias, dans Sémiramis.

C'est une chose abominable qu'on aille quelquefois fourrer mon nom dans tous ces caquets-là ; mais il y aura toujours de méchantes langues

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« A Jean Le Rond d'Alembert

 

16 de septembre [1766]

 

Mon cher et grand philosophe, vous saurez que j'ai chez moi un jeune conseiller au parlement, mon neveu qui s'appelle d'Hornoy. La terre d'Hornoy est à cinq lieues d'Abbeville. C'est par le moyen d'un de ses plus proches parents qu'on est venu à bout de honnir ce maraud de Broutet [i]. Il broutera désormais ses chardons ; et voilà du moins cet âne rouge incapable de posséder jamais aucune charge ; c'est, comme vous dites, une bien faible consolation. Je voudrais que vous fussiez à Berlin ou à Pétersbourg ; mais vous êtes surtout nécessaire à Paris ; que ne pouvez-vous être partout !

 

Quand vous écrirez à celui qui a rendu le jugement de Salomon ou de Sancho Pança [ii], certifiez-lui, je vous prie, que je lui suis toujours attaché comme autrefois [iii], et que je suis fâché d'être si vieux.

 

Le procureur général de Besançon [iv], dont la tête ressemble comme deux gouttes d'eau à celle dont la langue est si bonne à cuire [v], fit mettre en prison, ces jours passés , un pauvre libraire [vi] qui avait vendu des livres très suspects. Il n'y allait pas moins que de la corde, par les dernières ordonnances . Le Parlement a absous le libraire tout d'une voix, et le procureur général a dit à ce pauvre diable : Mon ami, ce sont les livres que vous vendez qui ont corrompu vos juges.

 

La discorde règne toujours dans Genève, mais la moitié de la ville ne va plus au sermon. Je demande grâce à l'abbé de La Porte ; je ne sais plus ni ce que je suis, ni ce que j'ai fait ; il faudra que je me recueille [vii].

 

Il pleut des Fréret, des Du Marsais, des Bolingbroke [viii]. Vous savez, que Dieu merci, je ne me mêle jamais d'aucune de ces productions ; je ne les garde pas même chez moi ; je les rends quand je les ai parcourues . C'est une chose abominable qu'on aille quelquefois fourrer mon nom dans tous ces caquets-là ; mais il y aura toujours de méchantes langues . Prenez toujours le parti de l'innocence ; je vous embrasse très tendrement. Les philosophes ne sont guère tendres, mais je le suis . »

 

 

i A Damilavile, ce même jour : « un de ces malheureux juges qui avait tout embrouillé dans l'affaire d'Abbeville (à savoir dans le jugement du chevalier de La Barre...)... vient d'être flétri par la Cour des Aides de Paris ... Ce scélérat nommé Broutet, qui a osé être juge sans être gradué ...C'est, Dieu merci, un des parents de mon neveu d'Hornoy, le conseiller , à qui l'on doit la flétrissure de ce coquin. »

ii Frédéric II ; V* à d'Alembert le 25 août : « Le roi de Prusse me mande qu'il aurait fait condamner ces cinq jeunes gens à marcher quinze jours chapeau bas, à chanter des psaumes, et à lire quelques pages de la Somme de Saint-Thomas. Gardez-vous bien de dire à qui il a écrit ce jugement de Salomon. »

iii V* à Frédéric le 5 janvier 1767 : « Où est le temps, Sire, où j'avais le bonheur de mettre les points sur les i à sans-Souci et à Potsdam ? Je vous assure que ces deux années ont été les plus agréables de ma vie. »

iv Doroz.

v Pasquier ; cf. lettre du 23 juillet à d'Alembert.

http://books.google.be/books?id=KiwTAAAAQAAJ&pg=PA469...

 

vi Fantet ; cf. lettre à Damilaville du 4 août.

http://books.google.be/books?id=33cPAAAAQAAJ&pg=PA178...

 

vii Le 9 septembre, d'Alembert écrit : « ... l'abbé de La Porte, qui a fait un almanach des gens de lettres (La France littéraire), m'a chargé de vous demander à vous-même votre article contenant votre nom, les titres que vous voulez prendre, ceux de vos ouvrages que vous avouez, ceux même qu'on vous attribue, c'est à dire que vous avez faits sans les avouer etc. ... »

http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_de_La_Porte

 

viii Ou plutôt les ouvrages publiés sous leurs noms !

 

 

15/09/2010

C'est la honte de la nature humaine que des gens qui se sont toujours plaints de l'intolérance, deviennent eux-mêmes les plus intolérants des hommes

 "Il y a tel hypocrite qui a l'insolence de faire sur son palier le petit persécuteur, et que je pourrai bien faire sauter par les fenêtres quand je le rencontrerai sur le mien"

J'adore Volti quand il prend ce ton goguenard et combattif.



Et surtout, vous qui geignez sans cesse, qui voulez le beurre, l'argent du beurre (pour les intégristes juifs , l'argent du Beur ! )et la main de la crémière (hallal ou casher, la crémière ? ), qui voulez imposer vos religions, vos idées plus ou moins ineptes par la force, la guerre, vous qui vous dîtes les élus de Dieu(x), -de tous bords-, lisez et réfléchissez à cette simple pensée d'un homme de bonne volonté : Voltaire .

 

"C'est la honte de la nature humaine que des gens qui se sont toujours plaints de l'intolérance, deviennent eux-mêmes les plus intolérants des hommes."

 

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« A Paul-Claude Moultou

 

15è septembre 1764

 

C'était à vous, mon cher philosophe, à faire La Philosophie de l'Histoire [i]. J'étais déjà bien convaincu que les misérables habitants d'un petit pays resserré de tous côtés par des nations puissantes avaient puisé chez ces nations toutes les fables absurdes que son infâme superstition a consacrées. Tout est phénicien, ou égyptien chez ces misérables Hébreux. Le nom de Jéhovah même était phénicien.

 

Il me parait démontré d'ailleurs que les Juifs écrivent très tard, et eurent tard des lois, puisque ces voleurs vagabonds ne s'établirent en Canaan que lorsque les Chaldéens, les Égyptiens, les Syriens, les Phéniciens faisaient déjà une très grande figure dans le monde. C'est un grand malheur que les livres de leurs maîtres soient perdus et que les fables des esclaves soient restées.

 

Je ne savais pas un mot, mon cher philosophe, des passages singuliers dont vous voulez bien me faire part.

 

C'est la honte de la nature humaine que des gens qui se sont toujours plaints de l'intolérance, deviennent eux-mêmes les plus intolérants des hommes. Il y a tel hypocrite qui a l'insolence de faire sur son palier le petit persécuteur, et que je pourrai bien faire sauter par les fenêtres quand je le rencontrerai sur le mien. Je prévois qu'il est impossible qu'un homme de votre mérite et de votre probité reste dans ce malheureux tripot [ii], et je crois qu'il viendra un temps où vous irez vous établir dans la France, votre patrie. Rien ne vous sera plus aisé que d'être de l'Académie des belles-lettres, vous serez aimé et considéré à Paris, et cent fois plus libre que vous ne l'êtes dans un pays qui se dit libre.

 

Je ne vous ai point renvoyé, je crois, le Persan Hyde [iii], je pense que c'est Cramer qui l'a remis à la bibliothèque. J'ai encore le Van Dale [iv], je le renverrai par la première occasion. Quand vous n'aurez plus besoin du premier tome de Bolingbroke, je vous supplierai de me le renvoyer. C'est bien dommage qu'il soit trop bavard ; un bon abrégé de son livre eût fait un effet prodigieux.

 

Je vous embrasse en Platon, en Cicéron, en Pythagore, en Confucius etc. etc. »

 

i Elle paraitra en 1765.

ii Genève, où Moultou est pasteur.

iii Historia religionis veterum Persarum eorumque magorum ... Zoroastris vita ... Oxonoii, 1700, que v* demanda vers juin .

iv De oraculis veterum ethnicorum dissertationes duae ou Dissertations de origine ac progressu idolatriae et superstitionum : de vera et falsa prophetia , 1683, 1696.



"C'est la honte de la nature humaine que des gens qui se sont toujours plaints de l'intolérance, deviennent eux-mêmes les plus intolérants des hommes"

L'intolérance ne m'étonne plus ; si elle me dégoûte, elle n'est que le reflet de l'avidité des hommes qui se cachent lâchement derrière une volonté divine ; je me crois dans une vaste cour de récréation où de sales mômes disent sempiternellement :" M'dame/M'sieur ! c'est pas moi qui ai commencé, c'est lui ! "

Plus petit que ça, tu meurs !

 

Tâchez de votre côté d'éclairer la jeunesse autant que vous le pourrez

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« A Jean Le Rond d'Alembert

 

Au château de Ferney, par Genève,

15 de septembre [1762]

 

 

Mon très aimable et très grand philosophe, je suis emmitouflé. Je vise à être sourd et aveugle. Si je n'étais qu'aveugle, je reviendrais voir Mme du Deffand [i]; mais étant sourd il n'y a pas moyen.

 

Je vous prie de dire à l'Académie que je la régalerai incessamment de l'Héraclius de Calderon, qui pourra réjouir autant que César de Shakespeare [ii]. Soyez très persuadé que j'ai traduit Gille Shakespeare selon l'esprit et selon la lettre [iii]. L'ambition qui paie ses dettes est tout aussi familier en anglais qu'en français [iv], et le dimitte nobis debita nostra n'en est pas plus noble pour être dans le Pater.

 

On a bien de la peine avec les Calas ; on n'a été instruit que petit à petit, et ce n'est qu'avec des difficultés extrêmes qu'on a fait venir les enfants à Genève, l'un après l'autre, et la mère à Paris. Les mémoires ont été faits successivement, à mesure qu'on a été instruit. Ces mémoires ne sont faits que pour préparer les esprits, pour acquérir des protecteurs, et pour avoir le plaisir de rendre un parlement et des pénitents blancs [v] exécrables et ridicules.

 

Comment peut-on imaginer que j'aie persécuté Jean-Jacques ? voilà une étrange idée ; cela est absurde. Je me suis moqué de son Émile, qui est assurément un plat personnage ; son livre m'a ennuyé ; mais il y a cinquante pages que je veux faire relier en maroquin [vi]; en vérité , ai-je le nez tourné à la persécution ? croit-on que j'aie un grand crédit auprès des prêtres de Berne ?[vii] Je vous assure que la prêtraille de Genève aurait fait retomber sur moi, si elle avait pu, la petite correction qu'on a faite à Jean-Jacques, et j'aurais pu dire : jam proximus ardet Eucalegon [viii], si je n'avais pas des terres en France, avec un peu de protection [ix]. Quelques cuistres de calvinistes ont été fort ébahis et fort scandalisés que l'illustre république me permît d'avoir une maison dans son territoire, dans le temps qu'on brûle et qu'on décrète de prise de corps Jean-Jacques le citoyen [x], mais comme je suis fort insolent, j'en impose un peu, et cela contient les sots. Il y a d'ailleurs plus de Jean Meslier et de Sermon des cinquante dans l'enceinte de nos montagnes qu'il n'y en a à Paris. Ma mission va bien, et la moisson est assez abondante [xi]. Tâchez de votre côté d'éclairer la jeunesse autant que vous le pourrez.

 

J'ai envoyé à frère Damilaville un long détail d'une bêtise imprimée dans les journaux d'Angleterre ; c'est une lettre qu'on prétend que je vous ai écrite [xii]; vous auriez un bien plat correspondant, si je vous avais en effet écrit dans ce style.

 

Le factum de l'archevêque de Paris contre Jean-Jacques [xiii] me parait plus plat que l'éducation d'Émile ; mais il n'approche pas du réquisitoire d'Omer. Quand un homme public est bête, il faut l'être comme Omer, ou ne point s'en mêler. Je suis très sûr qu'on a proposé Berthier pour la place de maître Editue [xiv]. Il faut avouer qu'il y a certaines familles où l'on élève fort bien les enfants ; mais, Dieu merci, nous n'avons eu qu'une fausse alarme.

 

Je vous parle rarement de Luc [xv], parce que je ne pense plus à lui ; cependant, s'il était capable de vivre tranquille et en philosophe, et de mettre à écraser l'Infâme la centième partie de ce qu'il lui en a coûté pour faire égorger du monde, je sens que je pourrais lui pardonner.

 

Vous avez vu , sans doute, la belle lettre que Jean-Jacques a écrite à son pasteur, pour être reçu à la sainte table : je l'ai envoyée à frère Damilavile [xvi]. Vous voyez bien que ce pauvre homme est fou : pour peu qu'il eût eu un reste de sens commun, il serait venu au château de Tournay que je lui offrais, c'est une terre entièrement libre. Il y eût bravé également et les prêtres ariens et l'imbécile Omer et tous les fanatiques ; mais son orgueil ne lui a pas permis d'accepter les bienfaits d'un homme qu'il avait outragé.

 

Criez partout, je vous en prie, pour les Calas et contre le fanatisme, car c'est l'Infâme qui a fait leur malheur. Vous devriez bien venir un jour à Ferney avec quelque bon cacouac [xvii]. Je voudrais vous embrasser avant de mourir, cela me ferait grand plaisir. »

 

 

i Aveugle elle-même.

ii V* a inclus ces traductions dans ses Commentaires sur Corneille pour comparer les Héraclius de Calderon et de Corneille, et aussi le César avec Cinna ; cf. lettres du 4 juin à Cappacelli et 17 juin à d'Alembert.

iii Le 8 septembre, de d'Alembert : « j'ai peine à croire qu'en certains endroits l'original soit aussi mauvais qu'il le parait dans cette traduction. »

iv D'Alembert avait posé la question .

v Le parlement de Toulouse, et les pénitents blancs, qui, selon V* ont inspiré la sentence.

vi Lettre à Damilaville le 14 juin : les « pages contre le christianisme, des plus hardies qu'on ait jamais écrites » = la Profession de foi du vicaire savoyard .

vii D'Alembert lui avait écrit : « Les amis de Rousseau ... répandent ici que vous le persécutez, que vous l'avez fait chasser de Berne, et que vous travaillez à le faire chassez de Neuchâtel... »

viii Déjà tout près brûle Ucalegon .

ix Celle de Choiseul et de Mme de Pompadour.

x Après la condamnation le 19 juin de l'Emile, du Contrat social et de JJ Rousseau lui-même, Charles Pictet écrivait à Duvillars le 22 juin : « Ce tribunal flétrit par un jugement infamant un citoyen de la république qui a jusqu'à présent bien mérité d'elle ... pendant que le même tribunal permet qu'on imprime avec l'approbation publique les ouvrages d'un homme qui insulte à Genève et à la religion qu'on y professe ...; et en faveur de qui le conseil fait-il cette distinction ? en faveur d'un étranger auquel on a accordé une retraite dans le temps où toute l'Europe la lui refusait ... »

xi Charles Pictet l'accusait le 22 juin d' « infecte(r) tout ce qui l'environne du poison de ses sentiments erronés » et d'avoir « fait à Genève plus de déistes que Calvin n'y a fait de protestants » . Pictet avait été condamné le 23 juillet pour avoir critiqué la sentence du Petit Conseil.

xii La lettre du 29 mars 1762 à d'Alembert (au sujet d'un compte-rendu fait par le Journal encyclopédique , d'un « impertinent petit libelle », et surtout au sujet de l'affaire Calas) avait parue, lourdement falsifiée dans le St James chronicle du 17 juillet. Le 29 août, V* à Damilaville : « Vous ne vous souvenez peut-être pas d'une lettre qui est, je crois la première que je vous écrivis sur cette affaire, et qui était adressée à M. d'Alembert. Je vous l'envoyais afin que tous les frères fussent instruits de cet horrible exemple de fanatisme. Je ne sais quel exécrable polisson ... y a ajouté tout ce qu'on peut dire ... de plus punissable contre le gouvernement. L'auteur a poussé la sottise jusqu'à dire du mal du roi... Il se trouve encore que le Journal encyclopédique, qui est le seul journal que j'aime, est attaqué violemment dans ce bel écrit qu'on m'attribue ... quand vous verrez M. d'Alembert, je vous prie de l'instruire de tout cela. »

xiii Mandement de mgr l'archevêque de Paris portant condamnation d'un livre qui a pour titre :Émile ou l'éducation , 1762, daté du 20 août.

xiv A savoir, comme sous-précepteur du dauphin. D'Alembert ne le croyait pas ; mais le père Berthier fut effectivement nommé à ce poste ; l'expression est inspirée du Pantagruel de Rabelais.

xv D'Alembert lui avait demandé ce qu'il disait de son « ancien disciple dont (il) s'obstin(ait) à ne (lui) point parler ».

xvi Lettre de Rousseau du 24 août adressée à Frédéric-Guillaume de Montmolin, ministre à Motiers et que V* envoya à Damilaville le 9 septembre .

xvii Cf. lettre à d'Alembert du 8 janvier 1758 sur les « cacouacs » nom moqueur pour désigner les philosophes.

C'est d'ordinaire aux grands seigneurs, aux hommes puissants et riches, qu'on donne un ouvrage, on doit faire précisément le contraire.

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 NDLR -- Mise en ligne complétée le 23 août 1761 .

 

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

 

15 de septembre [1761]

 

Vos très plaisantes lettres, mon cher philosophe, égayeraient Socrate tenant en main son gobelet de cigüe, et Servet sur ses fagots verts [i]. Vous demandez qui nous défera des Omérites [ii]; ce sera vous, pardieu, en vous moquant d'eux tant que vous pourrez, et en les couvrant de ridicule par vos bons mots.

 

Notre nation ne mérite pas que vous daigniez raisonner beaucoup avec elle ; mais c'est la première nation du monde pour saisir une bonne plaisanterie, et ce qu'assurément vous ne trouverez pas à Berlin, souvenez-vous-en .

 

Je vous remercie de toute mon âme de l'attention que vous donnez à Pierre. Songez , s'il vous plait, que je n'avais point son édition de 1664, quand j'ai commencé mon commentaire [iii]. Soyez sûr que tout sera très exact. Je n'oublierai pas surtout les petits persécuteurs de la littérature, quand je pourrai tomber sur eux.

 

J'ai déjà mandé à M. Duclos que je n'envoyais que des esquisses ; mon unique but est d'avoir le sentiment de l'Académie, après quoi je marche à mon aise et d'un pas sûr.

 

Je n'ai pas été assez poli, je le sais bien ; les compliments ne me coûteront rien ; mais en attendant, il faut tâcher d'avoir raison. Ou mon cœur est un fou, ou j'ai la plus grande raison quand je dis que les remords de Cinna viennent trop tard ; que son rôle serait attendrissant, admirable, si le discours d'Auguste, au second acte, le touchait tout d'un coup du noble repentir qu'il doit avoir. J'étais révolté, à l'âge de quinze ans, de voir Cinna persister avec Maxime dans son crime, et joindre la plus lâche fourberie à la plus horrible ingratitude. Les remords qu'il a ensuite ne paraissent point naturels, ils ne sont plus fondés, ils sont contradictoires avec cette atrocité réfléchie qu'il a étalée devant Maxime ; c'est un défaut capital que Metastasio a soigneusement évité dans sa Clémence de Titus. Il ne s'agit pas seulement de louer Corneille, il faut dire la vérité. Je la dirai à genoux, et l'encensoir dans la main.

 

Il est vrai que, dans l'examen de Polyeucte, je me suis armé quelquefois de vessie de cochon au lieu d'encensoir . Laissez faire, ne songez qu'au fond des choses ; la forme sera tout autre. Ce n'est pas une petite besogne d'examiner trente-deux pièces de théâtre, et de faire un commentaire qui soit à la fois une grammaire et une poétique. Ainsi donc, Messieurs, quand vous vous amuserez à parcourir mes esquisses, examinez-les comme s'il n'était pas question de Corneille ; souvenez-vous que les étrangers doivent apprendre la langue française dans ce livre. Quand j'aurai oublié une faute de langage, ne l'oubliez pas ; c'est là l'objet principal. On apprend notre langue à Moscou, à Copenhague, à Bude et à Lisbonne. On n'y fera point de tragédies françaises ; mais il est essentiel qu'on n'y prenne point des solécismes pour des beautés : vous instruirez l'Europe, en vous amusant.

 

Vous serez, mon cher ami, colloqué pour deux [iv]; mais si le roi, les princes et les fermiers généraux, qui ont souscrit, paient les Cramer, vous nous permettez de présenter humblement le livre à tous les gens de lettres qui ne sont ni fermiers généraux ni rois. Vous verrez ce que j'écris sur cela in mea epistola Olivetum Ciceronianum [v]. Adieu. Je suis absolument touché de l'intérêt que vous prenez de notre petite drôlerie [vi].

 

Je suis harassé de fatigue ; je bâtis, je commente, je suis malade ; je vous embrasse de tout mon cœur. »

i Rappel des démêlés avec certains pasteurs qu'ont eus V* pour avoir qualifié d'atroce l'âme de Calvin qui avait fait brûler Servet, et d'Alembert pour avoir écrit l'article « Genève » de l'Encyclopédie ; cf. lettres du 20 mai 1757 à Thiriot, 2 septembre 1757 à François Tronchin, 6 septembre 1757 à Le Fort, 12 décembre 1757 à d'Alembert, du 8 janvier 1758 à d'Alembert.

ii A savoir les émules d'Omer de Joly de Fleury, qui a fait notamment suspendre l'Encyclopédie par le Parlement .

Le 8 septembre, d'Alembert avait écrit à V* : "... nous avons reçu à l'Académie vos remarques sur les Horaces, sur Cinna et sur Le Cid, la préface du Cid, et l'Epître dédicatoire . Tout cela a été lu avec soin dans les assemblées, et DUclos nous dit hier que vous aviez reçu nos remarques et que vous en paraissiez content . N'oubliez pas d'insiter plus que vous ne faites dasn votre épître sur la protection qu'on accordait aux précurseurs de Corneille, et sur l'oubli profond où sont tombées toutes les infamies qu'on imprimait contre lui et qui vraisemblablement lui causaient beaucoup de chagrin .  ... Nous avons été très contents des remarques sur les HOraces, beaucoup mons de celles sur Cinna, qui nous ont paru faites à la hâte .  Les remarques sur le Cid sont meilleures mais ont encore besoin d'être revues . Il nous a semblé que vous n'insistiez pas toujours assez sur les beautés de l'auteur et quelquefois trop sur des  fautes qui peuvent n'en pas paraitre à tout le monde . Dans les endroits où vous critiquez Corneille il faut que vous ayez si évidemment raison que personne ne puisse être d'un avis contraire . dans les autres il faut ou ne rien dire ou ne parler qu'en doutant . ... Cependant le parelemnt se bat à outrance avec les jésuites, et Paris en est plus occupé que de la guerre d'Allemagne ... . La philosophie touche peut-être au moment où elle va être vengée des jésuites ; mais qui la vengera des  Omer et compagnie ? Pouvons-nous nous flatter que la destruction de la canaille jésuitique entrainera après elle l'abolition de la canaille jansénienne, et de la canaille intolérante ? ... N'oubliez pas de me faire inscrire pour deux exemplaires  ; oubliez-moi encore moins auprès de Mme Denis."

iii Cf. lettre à Duclos du 12 juillet 1761.

iv D'Alembert souscrit pour deux exemplaires.

v A d'Olivet, le 20 août : « On compte ... présenter (le livre) aux gens de lettres qui ne seraient pas en état de l'acquérir. C'est d'ordinaire aux grands seigneurs, aux hommes puissants et riches, qu'on donne un ouvrage, on doit faire précisément le contraire. »

vi Le Droit du Seigneur.

14/09/2010

Ah ! pauvres Français ! Réjouissez-vous ; car vous n'avez pas le sens d'une oie

Texte de Gainsbourg :  http://www.deezer.com/listen-6136064 ; étonnant, non ?

http://www.deezer.com/listen-268586 : voila qui correspond bien aux Français dont nous parle Volti !

Ravel n'a pas écrit que le Bolero : http://www.deezer.com/listen-4043319

Et à vous qui avez au moins le sens d'une oie ... vivat Voltaire !

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

14 septembre [1761]

 

Dès que je sus que mes anges avaient fait consulter M. Tronchin je fus un peu alarmé, j'écrivis, voici sa réponse. Elle est bonne à montrer au docteur Fournier, il n'en sera pas mécontent . Que mes anges ne soient pas surpris de l'étrange adresse . Viro immortali veut dire qu'on vit longtemps quand on suit ses conseils, et Deo immortali est une allusion à l'inscription que j'ai mise sur le fronton de mon église : Deo erexit Voltaire . Ma prière, est : vivat d'Argental.

 

Vous êtes bien bon d'envoyer votre billet aux Cramer . Ont-ils besoin de votre billet ? [i]

 

Et moi bien bon d'avoir cru M. le comte de Choiseul ministre d'État quand vous ne m'en disiez rien . Je m'en réjouissais, je ne veux plus rien croire si cela n'est pas vrai.

 

Si Mlle Gaussin a encore un visage, Acanthe est fort bien entre ses mains, et tout est fort bien distribué. M. Picardin sera fort bien joué . Que dites-vous de la préface du sieur Picardin ?[ii] ne l'enverrez-vous pas à frère Damilaville ? Il a un excellent sermon qu'il montrera à mes anges pour les réjouir [iii]. M. de La Marche a été d'une humeur charmante . Il n'y parait plus [iv]. C'est de plus une belle âme. C'est dommage qu'il ait certains petits préjugés de bonne femme.[v]

 

Daignez, mes anges, envoyer l'incluse [vi] au secrétaire perpétuel après l'avoir lue .

 

Zarucma ! quel nom ! d'où vient-il ? Le père de Zarucma n'est il pas monsieur Cordier ? Il est vrai que Zarucma ne rime pas à sifflets, mais il peut les attirer [vii]. Zulime au moins est plus doux à l'oreille . Nous nous mîmes quatre à lire Zulime à M. de La Marche. Il avait un président avec lui [viii] qui dormit pendant toute la pièce comme s'il avait été au sermon ou à l'audience . Ainsi il ne critiqua point . M. de La Marche fut ému, attendri, pleura, et quand Mme Denis s'écria en pleurant : J'en suis indigne,[ix] il n'y put pas tenir . Je fus touché aussi . Je dis : Zulime consolera Clairon de Zarucma .

 

Je vous avais dit que j'étais content de M. de Montmartel . Point . J'en suis mécontent . Il ne veut pas avancer trois cents louis [x]. Le contrôleur général propose des effets royaux, des feuilles de chêne. Nous aurons du bruit !

 

La paix ! il n'y aura point de paix . C'est un labyrinthe dont on ne peut se tirer [xi]. Ah ! pauvres Français ! Réjouissez-vous ; car vous n'avez pas le sens d'une oie .

 

Divins anges, je baise le bout de vos ailes. »

 

i Souscription aux Commentaires sur Corneille ?

ii « Picardin » ou « Picardet », pseudo de V*, auteur du Droit du seigneur ; il avait demandé à La Marche « le nom de quelques académiciens de Dijon ses confrères. » Picardet, académicien de Dijon, avait publié un Prospectus d'un ouvrage intitulé la religion donnée en spectacle à l'esprit humain, 1754 ; pour la préface cf. lettre du 5 septembre.

iii La religion d'accord avec la raison, dont il est question dans la lettre à Damilaville le 7 septembre.

iv Cf. lettre du 5 septembre.

v Vers le 23 août, V* en indiquant le chemin de Ferney ajouta : « Venez, si vous aimez tant les jésuites, il y en a six à ma porte » ; cf. lettre du 26 janvier 1762 à d'Argental.

vi Lettre à Duclos concernant les Commentaires sur Corneille le 14 septembre.

vii La Zarucma de Cordier ne fut jouée que le 17 mars 1762 grâce à des « illustres protecteurs ». Elle était « envoyée à correction » par les Comédiens depuis 1758 au moins ; elle le sera encore le 21 septembre 1761 et les Comédiens décideront « de se mettre à l'étude pour la représentation de Zulime. »

viii Ruffey.

ix Dernières paroles de Zulime avant de se tuer.

x Subvention promise pour les Commentaires sur Corneille.

xi Entreprises par Choiseul en 1760, les négociations de paix avec l'Angleterre aboutissent le 25 juillet 1761 à un ultimatum anglais auquel Choiseul répondit le 9 septembre par un « Ultimatissimum » modéré.

 

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