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31/10/2010

Vendredi, il y a anticonsistoire au château de Tournay

marquise de chauvelin carmontelle.jpg

http://www.deezer.com/listen-5721029

 

 Volti apprécie beaucoup la marquise de Chauvelin .

Qu'il me soit permis, en toute simplicité, de vous dire que je la trouve un peu trop grassouillette à mon goût !

 

 

 

 

 

 

 

 

 « A Horace Vasserot de Vincy [1]

 

Vendredi, il y a anticonsistoire [2] au château de Tournay, et probablement aussi samedi. Si M. de Vincy, M. et Mme de Sacconay daignent assister à cette œuvre de Satan, ils y trouveront la plus jolie ambassadrice qu'ait le roi Très-Chrétien [3]. Toute leur compagnie sera reçue avec plaisir, respect et reconnaissance. Point de billets, on leur retiendra des places pour quatre heures.

 

V.

Mardi [31 octobre 1759] »

 

1 Seigneur de Vincy et des Vaux, membre du Grand Conseil de Genève.

 

2 = Représentation théâtrale.

 

3 La jeune Mme de Chauvelin, femme de l'ambassadeur à Turin, voir page 164-165 de http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5698480t.image.f281...

 

http://www.photo.rmn.fr/cf/htm/CPicZ.aspx?E=2C6NU0BEA6FH

 

François-Claude-Bernard-Louis de Chauvelin ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Claude_Chauvelin

 

30/10/2010

Malheur aux détails : la postérité les néglige tous : c'est une vermine qui tue les grands ouvrages

Le diable est dans les détails :  http://www.deezer.com/listen-3756837

 Détails mineurs : http://www.deezer.com/listen-3266127

  Et si en plus les détails sont tout petits : http://www.deezer.com/listen-3734083 , chanson parfaitement et justement négligée (style bouche-trou pour boucler un disque ! oublions ! continuons à oublier ou à ignorer ! )

     Frais et sans prétention, j'aime bien cet air guilleret : http://www.deezer.com/listen-291806 

 

Et je vous passe les détails !

 

Dubos.jpg

 

 

 

« A Jean-Baptiste Dubos

[i]

 

A Cirey, 30 octobre [1738]

 

 

3

Il y a déjà longtemps, Monsieur,que je vous suis attaché par la plus forte estime ; je vais l'être par la reconnaissance. Je ne vous répèterai point ici que vos livres doivent être le bréviaire des gens de lettres, que vous êtes l'écrivain le plus utile et le plus judicieux que je connaisse ; je suis si charmé de voir que vous êtes le plus obligeant, que je suis tout occupé de cette dernière idée.

 

Il y a longtemps que j'ai assemblé quelques matériaux pur faire l'histoire du siècle de Louis XIV : ce n'est point simplement la vie de ce prince que j'écris, ce ne sont point les annales de son règne ; c'est plutôt l'histoire de l'esprit humain, puisé dans le siècle le plus glorieux à l'esprit humain.

 

Cet ouvrage est divisé en chapitres ; il y en a vingt environ destinés à l'histoire générale : ce sont vingt tableaux des grands évènements du temps. Les principaux personnages sont sur le devant de la toile ; la foule est dans l'enfoncement. Malheur aux détails : la postérité les néglige tous : c'est une vermine qui tue les grands ouvrages. Ce qui caractérise le siècle, ce qui a causé les révolutions, ce qui sera important dans cent années : c'est là ce que je veux écrire aujourd'hui.

 

Il y a un chapitre pour la vie privée de Louis XIV ; deux pour les grands changements faits dans la police du royaume, dans le commerce, dans les finances ; deux pour le gouvernement ecclésiastique, dans lequel la révocation de l'édit de Nantes et l'affaire de la régale [ii] sont comprises ; cinq ou six pour l'histoire des arts, à commencer par Descartes et à finir par Rameau.

 

Je n'ai d'autres mémoires pour l'histoire générale qu'environ deux cents volumes de mémoires imprimés que tout le monde connaît ; il ne s'agit que de former un corps bien proportionné à tous ces membres épars, et de peindre avec des couleurs vraies, mais d'un trait, ce que Larrey, Limiers, Lamberty, Roussel [iii]etc., etc. falsifient et délaient dans des volumes.

 

J'ai pour la vie privée de Louis XIV les mémoires de M. Dangeau, en quarante volumes dont j'ai extrait quarante pages ; j'ai ce que j'ai entendu dire à de vieux courtisans, valets, grands seigneurs, et d'autres ; et je rapporte les faits dans lesquels ils s'accordent. J'abandonne le reste aux faiseurs de conversations et d'anecdotes. J'ai un extrait de la fameuse lettre du roi au sujet de M. de Barbésieux [iv] dont il marque tous les défauts auxquels il pardonne en faveur des services du père : ce qui caractérise Louis XIV bien mieux que les flatteries de Péllisson [v].

 

Je suis assez instruit de l'aventure de l'homme au masque de fer, mort à la Bastille [vi]. J'ai parlé à des gens qui l'ont servi.

 

Il y a une espèce de mémorial [vii], écrit de la main de Louis XIV, qui doit être dans le cabinet de Louis XV, M. Hardion le connait sans doute ; mais je n'ose en demander communication.

 

Sur les affaires de l'Église, j'ai tout le fatras des injures de parti ; et je tâcherai d'extraire une once de miel de l'absinthe des Jurieu, des Quesnel, des Doucin, etc.

 

Pour le dedans du royaume, j'examine les mémoires des intendants, et les bons livres qu'on a sur cette matière. M. l'abbé de Saint-Pierre a fait un journal politique [viii] de Louis XIV que je voudrais bien qu'il me confiât. Je ne sais s'il fera cet acte de bienfaisance [ix] pour gagner le paradis.

 

A l'égard des arts et des sciences, il n'est question, je crois, que de tracer la marche de l'esprit humain en philosophie, en éloquence, en poésie, en critique ; de marquer les progrès de la peinture, de la sculpture, de la musique, de l'orfèvrerie, des manufactures de tapisserie, de glaces, d'étoffes d'or, de l'horlogerie. Je ne veux que peindre, chemin faisant, les génies qui ont excellé dans ces parties. Dieu me préserve d'employer 300 pages à l'histoire de Gassendi ! La vie est trop courte, le temps trop précieux pour dire des choses inutiles.

 

En un mot, voyez , Monsieur, mon plan mieux que je ne pourrais vous le dessiner. Je ne me presse point d'élever mon bâtiment . Pendent opera interrupta, minaeque merorum ingentes [x]. Si vous daignez me conduire, je pourrai dire alors : aequataque machina coelo [xi]. Voyez ce que vous pouvez faire pour moi, pour la vérité, pour un siècle qui vous compte parmi ses ornements [xii].

 

A qui daignerez-vous communiquer vos lumières, si ce n'est à un homme qui aime sa patrie et la vérité, et qui ne cherche à écrire l'histoire ni en flatteur, ni en panégyriste, ni en gazetier, mais en philosophe ? Celui qui a si bien débrouillé le chaos de l'origine des Français m'aidera sans doute à répandre la lumière sur les plus beaux jours de la France. Songez, Monsieur, que vous rendrez service à votre disciple et à votre admirateur.

 

Je serai toute ma vie avec autant de reconnaissance que d'estime etc.

 

Voltaire.

 

 

Je vous prie de me dire si le livre de La Hode [xiii] mérite que je l'achète et ce que c'est que La Hode. »

 

ii Droit que possédéait le roi de toucher les revenus des évêchés vacants et d'y faire lui-même des nominations écclésiastzaiqueq, ce qui fut l'occasion d'un conflit entre Louis XIV et le pape.

http://www.histariege.com/regale.htm

 

iii Roussel ou Rousset (de Missy) ?

iv « Mémoire ..., sur l'inconduite du marquis de Barbésieux », Revue encyclopédique, 1925.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Fran%C3%A7ois_Marie_Le...

 

v Paul Pellisson, historiographe de Louis XIV. Il « abusait de la permission que les hommes ont d'être laids ! » dit une de ses contemporaines.

http://books.google.be/books?id=TQYUAAAAQAAJ&printsec...

 

 

vi Dans Le siècle de Louis XIV, V* en parle sous « Particularités et anecdotes du règne... »

http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Si%C3%A8cle_de_Louis_XIV...

 

vii Les Mémoires du roi, publiés en 1806 seulement.

http://books.google.be/books?id=4rxWAAAAMAAJ&printsec...

 

viii Les Annales politiques -de Charles-Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre,-qui paraitront en 1757 seulement.

http://books.google.be/books?id=PHQ2AAAAMAAJ&printsec...

http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Ir%C3%A9n%C3%A9e_Cas...

 

 

ix On attribua -à tort- à l'abbé la création du mot « bienfaisance » qui « plait » à V* ; cf. Septième Discours sur l'homme : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-poeme-sur-la-vr...

http://www.monsieurdevoltaire.com/article-dictionnaire-ph...

 

x Les ouvrages interrompus restent en suspens, ainsi que les murs qui dressaient leurs énormes menaces.

 

xi Et tout un appareil élevé jusqu'au ciel.

 

xii Dubos est secrétaire perpétuel de l'Académie française et a écrit entre autres, Histoire de l'établissement de la monarchie française dans les Gaules et Réflexions critiques sur la poésie et la peinture.

 

xiii La Mothe appelé La Hode, auteur de la Vie de Philippe d'Orléans, 1736 et de l'Histoire des Révolutions de France ; La Martinière va publier l'Histoire de la vie et du règne de Louis XIV ... rédigée sur les mémoires de feu M. le cte de ***, 1740-1742.

 

Faire recherche « La Mothe » dans : http://www.marelibri.com/search/current?maximumPrice=0&am...

 

Voir aussi : http://books.google.be/books?id=iE4OAAAAQAAJ&printsec...

 

29/10/2010

cette lettre est bien sotte, cependant je ne l'ai point écrite

Note mise en ligne après rédaction le 15 août 2011 .

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 Augustus Fitz Roy

 

 

« A Augustus Henry Fitzroy, troisième duc de Grafton 1

 

J'ai vu dans le The Whitehall Evenening Post, du 7 octobre 1769, n° 3668, une prétendue lettre de moi à Sa majesté le roi de Prusse 2; cette lettre est bien sotte, cependant je ne l'ai point écrite.

 

Voltaire

 

Fait à Ferney le 29 octobre 1769 »

2 Le 31 octobre, V* en écrivant à Frédéric, traduit assez exactement un passage de cette prétendue lettre : « Quelle pitié si l'étendue de vos connaissances, vos talents et vos vertus ne vous servaient qu'à pervertir ces dons du ciel pour faire la misère et la désolation du genre humain. Vous n'avez rien à désirer, Sire, dans ce monde que l'auguste titre d'un héros chrétien » ; et V* dit qu'il « ne répond autre chose à l'auteur qui (lui) impute cette belle lettre que ces quatre lignes-ci : « J'ai vu ... ». » :

page 309 : http://books.google.fr/books?id=LR0-AAAAYAAJ&pg=PA310&lpg=PA310&dq=The+Whitehall+Evening+Post+,+du+7+octobre+1769,+n%C2%B0+3668&source=bl&ots=bLxEFgCO4c&sig=tGtvY6JL29jTTBUsUPEWCmX63yY&hl=fr&ei=9W5JTuXaJc7pOaTM_NMD&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CBwQ6AEwAA#v=onepage&q=The%20Whitehall%20Evening%20Post%20%2C%20du%207%20octobre%201769%2C%20n%C2%B0%203668&f=false

Il serait bien beau à la philosophie de forcer l'ancienne magistrature à extirper ses atrocités, ou d'obtenir de la nouvelle troupe une réparation solennelle

 Note rédigée le 13 août 2011 pour parution le 29 octobre 2010 .

 

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« A Jean Le Rond d’Alembert

 

Mon cher et grand philosophe, je vous ai légué d'Etallonde 1, comme je ne sais quel Grec 2 donna en mourant sa fille à marier à je ne sais quel autre Grec . Il s'agit de savoir si on peut obtenir en France la grâce d’un brave officier prussien accusé d'avoir chanté à l'age de seize ans une vieille chanson de corps de garde, et d'avoir récité l'Ode à Priape de Piron connu par cette seule ode à la cour, et récompensé par une pension du roi de 1500 livres sur la cassette 3. Certainement le poing coupé, la langue arrachée 4, la torture ordinaire et extraordinaire, la roue et le bûcher n'étaient pas en raison directe du crime .

 

J'avais supplié le roi de Prusse de vous envoyer ou un passeport pour d'Etallonde, dit Morival, ou une attestation de son général, qui servira de ce qu'elle pourra 5. Il me mande qu'il vous l'envoie 6, et peut-être avez-vous déjà reçu cette pancarte . Vous en ferez, après la Saint-martin, l'usage que votre bienfaisance et votre sagesse vous conseilleront ; rien ne presse . Ce jeune homme reste toujours chez moi, et Mme Denis le gardera si je meurs avant que son affaire soit consommée .

 

Le roi de Prusse m'a dit qu'il charge son ministre de recommander d'Etallonde au garde des Sceaux . Mme la duchesse d'Anville a déjà disposé M. de Miromesnil 7 à être favorable à d'Etallonde . Nous avons dans l'ancien parlement et dans le nouveau des hommes sages et justes , qui m'ont donné parole de faire réparer autant qu'il sera en eux l'arrêt des cannibales, qui d'un trait de plume ont assassiné La Barre en personne, et d'Etallonde en peinture 8, arrêt qui par parenthèse ne passa que de deux voix 9.

 

Il reste à voir s'il faut ou qu'il fasse juger son procès, ou qu'il demande des lettres honteuses de grâce . Je suis absolument pour la révision, parce que j'ai vu les charges . Une grâce n'est que l'aveu d'un crime . Il serait bien beau à la philosophie de forcer l'ancienne magistrature à extirper ses atrocités, ou d'obtenir de la nouvelle troupe une réparation solennelle des infamies punissables de l’autre tripot . Ce problème des deux corps est aussi digne d'être résolu par vous que le problème des trois corps .

 

Nous en parlerons dans quelque temps . Je recommande aux deux Bertrands 10 cette bonne œuvre ; Raton mourant n'est plus bon à rien.

 

Ne voyez-vous pas quelquefois M. d'Argental ? Il connait cette affaire, il a un grand zèle .

 

Tout cela n'est pas trop académique, mais cela est humain et digne de vous . Ce n'est plus Damilaville minor dont je vous parle, j'espère qu'il ne vous importunera plus 11.

 

Adieu, digne homme .

 

V. 

 

N.B.- Un fils du comte de Romanzof vient de faire des vers français dont quelques-uns sont encore plus étonnants que ceux du comte de Chowalof . C'est un dialogue entre Dieu et le Révérend Père Hayer, auteur du Journal chrétien . Dieu lui recommande la tolérance, Hayer lui répond :

 

Ciel ! que viens-je d'entendre , ah ! ah ! je le vois bien,

Que vous-même, Seigneur, vous ne valez plus rien .

 

Tout n'est pas de cette force .

 

29 d'octobre [1774]»

 

 

 

1 Le 28 septembre, V* a écrit à d'Alembert et à Condorcet : «  … je vous confie une affaire plus intéressante, et je la mets sous votre protection ... » ; voir page 375 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f380.image.r=.langFR

3 Ce n'est pas pour cette ode que Piron composa dans sa jeunesse qu'il reçut une pension de mille livres , mais pour le dédommager d'avoir été exclu de l'Académie française à la demande de Boyer, ancien évêque de Mirepoix (l' « âne de Mirepoix » comme disait V*).

Ode à Priape (NDLR : ode au langage cru, appréciée par Fontenelle entre autres) : page 9 : http://books.google.fr/books?id=wQ0_AAAAcAAJ&pg=PA9&a...

4 La condamnation fut adoucie , on se contenta de le décapiter et de brûler le corps .

5 D'Etallonde est entré dans l'armée prussienne, où il a pris le nom de Morival .

6 Le 8 octobre, Frédéric II avait répondu à V* qui lui avait demandé un témoignage qu'il ne pouvait intervenir personnellement, qu’il pouvait seulement « envoyer le témoignage du général à M. d'Alembert » et faire « écrire à mon ministre à Paris qu'il dise un mot en faveur du jeune homme au nouveau chancelier ». Le 20 octobre, il écrit qu'il envoie à d'Alembert un « attestat » du commandant de Wesel.

Voir page 378 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f383.image.r=.langFR

et page 382 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f387.image.r=.langFR

7 Successeur de Maupéou .

8 D'Etallonde qui avait réussi à fuir ne fut que brûlé en effigie .

10 D’Alembert et Condorcet.

11 V* avait demandé à d'Alembert et à Condorcet d'obtenir un poste pour le frère de Damilaville qui s'était plaint d'être persécuté à cause des opinions philosophiques de son frère .

 

 

Frère Rhubarbe à frère Gaillard, salut

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rhubarbe-01.jpg

 

 

« A Jean-Martin de Prades

[à Monsieur l'Abbé de Prades lecteur du Roi à Potsdam

(endossé)par l'adresse de votre très humble et très obéissant serviteur Leipsic ce 8 9bre 1755 . Ami Dumont.]

 

Aux Délices près de Genève

29 octobre [1755]

 

 

Frère Rhubarbe à frère Gaillard, salut,

 

Je suis très fâché que frère en Belzébuth, frère Isaac [i] soit malingre et mélancolique. C'est la pire des damnations. Conservez votre santé et votre gaieté. J'enverrais de tout mon cœur aux pieds du très révérend père prieur [ii] le seizième chant de scandale [iii] qu'il demande. Mais je n'en ai point fait [iv]. Une douzaine de jeunes Parisiens plus gais que moi s'amusent tous les jours à remplir mon ancien canevas, chacun y met du sien. On dit qu'on imprime l'ouvrage de deux ou trois façons différentes [v]. Tout ce que je peux faire, c'est de protester en face de la sainte Église . Si le très révérend père prieur voulait mettre dans son cabinet de livres un exemplaire corrigé de L'Orphelin de la Chine, j'aurais l'honneur de le lui adresser en toute humilité, car malgré l'excommunication que l'exaltation de l'âme, les frictions de poix-résine, et la dissection des cerveaux de géant [vi] m'ont attirée, je crois que sa noble paternité a des entrailles de charité ; et elle doit savoir que j'étais un frère servant très attaché au père prieur, pensant comme lui et disant mon office à son honneur et gloire. J'ai un petit monastère auprès de Lausanne sur le chemin de Neuchâtel, et si ma santé me l'avais permis j'aurais été jusqu'à Neuchâtel pour voir milord Maréchal [vii], mais j'aurais voulu pour cela des lettres d'obédience.

 

Il m'est venu ici deux jeunes gens de Paris [viii], qui m'ont dit qu'il y a un nommé Poinsinet [ix] à qui on a fait accroire que le roi de Prusse l'avait choisi pour être précepteur de son fils, mais que l'article du catholicisme était embarrassant. Il a signé qu'il serait de la religion que le roi voudrait.

 

Il apprend actuellement à danser et à chanter pour donner une meilleure éducation au fils de Sa Majesté, et il n'attend que l'ordre du roi pour partir. Pour moi, j'attends tout doucement la fin de mes coliques, de mes rhumatismes, de mes ouvrages et de toutes les misères de ce monde. Je vous embrasse.

 

V. »

 

i D'Argens.

 

ii Frédéric.

 

iv En 1755, il y eut trois éditions pirates avec six états typographiques différents.

http://www.eroticabibliophile.com/books_pucelleorleans.php

www.frissonesthetique.com/revue/no5/pdf/54voltaire.pdf

 

v V* soupçonna Frédéric d'être à l'origine de la fuite ;

cf. lettre du 15 juin 1755 à d'Argental : pages 656-657 : http://books.google.be/books?id=7SQtAAAAYAAJ&pg=PA795...

 

vi Références aux théories de Maupertuis dont V* se moqua en 1752-1753 (cf. Diatribe du docteur Akakia :

http://www.voltaire-integral.com/Html/23/08DIAL.htm#DIATRIBE DU DOCTEUR AKAKIA): « il a imaginé le moyen de connaître la nature de l'âme ... en disséquant des têtess de géants », « il conseille d'enduire un malade de poix-résine », « il espèrequ'un peu plus de chaleur et d'exaltation dans l'imagination pourra servir à montrer l'avenir... »

 

vii Envoyé de Prusse, gouverneur de Neuchâtel ; V* n'aura pas les lettres demandées.

http://fr.wikipedia.org/wiki/George_Keith

http://books.google.be/books?id=ERI6AAAAcAAJ&printsec...

 

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viii Pierre Patu (26 ans) et Charles Palissot (25 ans).

Patu : http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude-Pierre_Patu

Palissot : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Palissot_de_Montenoy

 

 

ix Antoine-Alexandre-Henri Poinsinet, auteur comique à qui il semble que l'on ait fait croire que Frédéric a un fils .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine-Alexandre-Henri_Poin...

 

28/10/2010

votre Majesté comme le modèle de toutes les nations, et en cela l’auteur ne se trompe point

Note rédigée le 16 août 2011 pour parution le 28 octobre 2010 .

Merci à Mam'zelle Wagnière qui m'a permis de copier la lettre qu'elle avait mise en ligne le 30 janvier 2010, et je vous invite à vous rendre sur son site sans tarder : 

http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-catherine-ii-et-voltaire---suite-et-fin-43922384.html

 

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« A Catherine II, impératrice de Russie

A Ferney, 28 Octobre 1777.

Madame,

Si votre Majesté impériale a le temps et la bonté de jeter un coup d’œil sur les trois feuillets que je mets à ses pieds, les deux premiers contiennent le sujet du prix de cent louis d’or 1, dont je donne la moitié, pour celui qui osera imiter votre jurisprudence. Le troisième n° 32, cite votre Majesté comme le modèle de toutes les nations, et en cela l’auteur ne se trompe point.

 

Le roi de Prusse en use dans ses États comme votre Majesté dans les siens 2. Plusieurs princes font le même changement dans les lois de leur pays. Cette révolution s’étendra jusqu’à Rome et jusqu’aux pays d’Inquisition 3. C’est un siècle nouveau qui va naître et dont vous aurez été la créatrice.

 

Je fais partir pour Pétersbourg des exemplaires complets que je mets à vos pieds 4. Je vous supplie de pardonner à ma hardiesse en faveur de mes intentions. Je ne puis finir mes jours par un hommage plus pur et plus sincère que celui que je rends à votre Majesté Impériale.

 

Daignez agréer, Madame, le profond respect et la reconnaissance de votre très humble admirateur et adorateur.

 

Le vieux malade de Ferney. »

 

1 Il s'agit du prix proposé par la Société économique de Berne dont il est question dans la lettre au landgrave de Hesse-Cassel du 16 juillet : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/07/16/c...

Le 25 juillet, V* avait demandé à Catherine de « favoriser cette entreprise de deux cents roubles ». V* disait qu'il ajouterait lui-même cinquante louis d'or et qu'il proposait « aux concurrents le plan d'une nouvelle loi contraire à tout ce qui se pratique autour de nos provinces et conforme à tout ce qu'il sait des lois émanées de Vote majesté Impériale . » ; il lui demandait à cet effet le recueil de ses lois.

2 Frédéric II a écrit à cette occasion, le 11 octobre,une lettre où il exposait ses idées en matière de jurisprudence .Voir page 114 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80043w/f119.image.r=.langFR

3 Voltaire avait écrit à Frédéric − qui ne s’en étonnait pas (le 5 septembre ; page 101 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80043w/f106.image.r... )- que l’Inquisition, jugulée par d’Aranda, avait été rétablie en Espagne.

4Le Prix de la justice et de l’humanité; Catherine parle à Grimm de cet envoi le 22 décembre (date « vieux style »)

Voir : http://www.fabula.org/actualites/voltaire-oeuvres-completes-prix-de-la-justice-et-l-humanite-commentaire-sur-l-esprit-des-lois-de-_27655.php

et le texte : http://books.google.com/books?id=RTQHAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false

 

 

 

il est bien étrange qu'on craigne d'être cité quand il s'agit de secourir une malheureuse famille qui demande justice de la mort abominable de son père .

Note rédigée le 17 août 2011 pour parution le 28 octobre 2010

 

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

 

28 octobre [1769]

 

Mme Denis, mon très cher et très grand philosophe, m'apporte votre lettre du 15 1. J'aurais encore mieux aimé causer avec vous dans Paris, mais le triste état où je suis ne m'a pas permis de voyager 2, et je crois, entre nous que ni messieurs ni les révérends pères n'auront plus désormais de querelle avec moi .

Soyez très sûr que l'histoire de Martin est dans la plus exacte vérité 3. Martin fut condamné il y a environ trois ans , à Paris, comme je vous l'ai mandé . Les annales du pays ne m'ont point encore annoncé la date de sa mort, mais je vous ai mandé celle de la déclaration que fit le coupable de l'innocence de Martin . On a rassemblé la pauvre famille dispersée . On a fait un mémoire actuellement en sa faveur . Je suis bien sûr que vous ne me citerez pas, mais il est bien étrange qu'on craigne d'être cité quand il s'agit de secourir une malheureuse famille qui demande justice de la mort abominable de son père .

Mme Denis m'a parlé d'une pièce de vers intitulée Michaut, ou Michon et Michelle 4; elle dit que c'est une pièce satirique contre les conseillers du parlement, mais qu'elle ne l'a pas vue . Elle ajoute qu'on a la fureur de me l'attribuer . Je suis si malade que je ne puis me livrer à une juste colère, ces infâmes calomnies m'empêcheront de revenir à Paris, quand même j'aurais la force de soutenir la vie qu'on y mène, et qui ne me plait point du tout .

Vous savez peut-être que Panckoucke m'a proposé de travailler à la partie littéraire du supplément de l'Encyclopédie 5. Je m'en chargerai avec grand plaisir, si la nature m'en donne le temps et le force ; j'ai même des matériaux assez curieux . Il se vante que vous travaillez à tout ce qui regarde les mathématiques et la physique . Comment ferez-vous quand il faudra combattre les molécules organiques, les générations sans germe, et les anguilles de blé ergoté ?6 Laissera-t-on subsister dans l'Encyclopédie des exclamations ô mon cher ami Rousseau ?7 deshonorera-t-on un livre utile par de pareilles pauvretés ? laissera-ton subsister cent articles qui ne sont que des déclamations insipides ? et n’êtes vous pas honteux de voir tant de fange à côté de votre or pur ?

Je vous demanderais aussi de retrancher un petit mot, à la fin d'un article concernant Maupertuis 8. Il n'est pas bien sûr qu'il eût raison, mais il est très sûr qu'il a été fou et persécuteur . Mme Denis m'a bien étonné en m'apprenant le déplorable état où se sont trouvées les affaires de Damilaville à sa mort . Je plains beaucoup son pauvre domestique . Permettez que je vous adresse ce petit billet 9 qui me coûte beaucoup plus qu'il ne coûte d'argent, car à peine puis-je me servir de ma main .

Si je puis travailler à la partie littéraire, il faudra toujours que je dicte .

Vous m'avez fait un vrai plaisir, en réduisant dans plus d'un article l'infini à sa juste valeur 10.

Je vous prie, mon cher philosophe, de me mander si, dans mille cas, les diagonales des rectangles ne sont pas aussi incommensurables que les diagonales des carrés . C'est une fantaisie de malade .

Voici une chose plus intéressante . Grimm assure que l'Empereur est des nôtres 11; cela est heureux, car la duchesse de Parme, sa sœur, est contre nous 12. Saepe, premente deo, fert deus alter opem .13

 

Fers mihi opem quand vous m'écrivez . Ce n'est pas seulement parce que je vous regarde comme le premier écrivain du siècle, mais parce que je vous aime de tout mon cœur . »


2 Il avait été question de permettre à V* de revenir à paris ; voir lettre du 10 octobre à Richelieu ( http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/10/j... ), mais Mme Denis, le 15 , lui écrivait : « … notre grande affaire [celle de son retour à Ferney] est si longue et vous me paraissez vous soucier si peu de sa réussite que je prends le parti de la planter là . . J'ai reçu une lettre de M. de La Sourdière [=Richelieu] qui m'a mandé qu'il ne peut me donner de réponse de sitôt . Cela me détermine à partir . »

3 V* donne des détails sur cette affaire à son petit-neveu d'Hornoy vers le 20 décembre : « … Ce fut le 26è juillet de cette année qu'un scélérat avoua sur la roue que c'était lui qui avait commis le meurtre pour lequel Martin avait été condamné et exécuté auparavant . C'est le juge du bailliage de La Marche qui fit rouer Martin … Il y a environ trois ans que Martin a été roué, et son innocence n'a été reconnue que depuis deux mois . Voici les deux motifs de sa condamnation . Ses souliers et un mot qui lui échappa ... »

4 Michaut et Michel, satire de Condorcet dirigée contre Michau de Montaran, Michau de Montblin et Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, conseillers au parlement .Voir page 32 : http://books.google.fr/books?id=NgbudRvP71YC&pg=PA32&...

5 V* a répondu à Panckoucke le 29 septembre : «  … je pourrai dans deux ou trois mois commencer à vous faire les articles suivants : ... » ; voir page 374 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80039n/f379.image.r...

Beaucoup de ces article parurent dans les Questions sur l'Encyclopédie .

6 Le « Jésuite Needham … s'imagina avoir produit des anguilles avec de la farine et du jus de mouton ... » écrivait V* le 26 août 1768 , et il ajoutait le 20 août 1770 par exemple, que Buffon, Maupertuis et le traducteur de Lucrèce Lagrange avaient « adopté » ces anguilles .

7 Diderot avait écrit dans l'article Encyclopédie : « Ô Rousseau, mon cher et digne ami ; je n'ai jamais eu la force de me refuser à ta louange ... » ; voir aussi : http://caphi.univ-nantes.fr/IMG/pdf/F-_Guenard-_L_ordre_d...

8 D’Alembert, dans l'article « cosmologie » se montrait favorable aux idées de Maupertuis et se terminait par : « M. de Maupertuis n'a jamais répondu aux injuresqu'on a vomies contre lui à cette occasion [la querelle avec Koenig]. » Voir pages 294-297 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50536c/f299.image.r...

9 D’Alembert, le 15 octobre avait écrit à V* :  « Damilaville avait un pauvre domestique, qui l'a logé pendant longtemps, et à qui son maître avait promis de lui procurer pour cette boenne oeuvre quelque gratification... » V* lui fait remettre trois louis d'or par son notaire parisien Laleu .

10 « Je conçois bien mieux la nature bornée que la nature infinie » écrivit V* vers cette époque à un correspondant non identifié .

11 Le 31 octobre ; à Frédéric II, V* écrit : « … M. Grimm m'a mandé que vous aviez initié l'Empereur à nos saints mystères » . Frédéric II et Joseph II s'étaient rencontrés à Neisse les 25-28 août 1769 .

Voir page 387 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80039n/f392.image.r...

12 D’Alembert avait écrit : «  J’espérais un peu de l'infant duc de Parme … sa femme autrichienne et superstitieuse sera la maîtresse . »

13 Souvent lorsqu'un dieu persécute, un autre dieu porte secours .