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11/01/2013

Je l'aime, malgré le tourment qu'elle me donne, à cause du plaisir qu'elle me donnera.

... Combien de mains se lèvent pour dire que le sujet de tourment est une femme ?

Ouiiii ...

Combien  disent qu'il s'agit de leur nouvelle voiture ?

Ouiii ...

Combien ont lu le texte de Voltaire avant de répondre ?

Aucun ? Dommage, vous n'avez plus droit à aucun joker, le seul possible étant l'appel à un ami : Voltaire .

Comme Voltaire, il faut po-si-ti-ver; les tracas du jour, comme les bonnes choses aussi, peuvent passer , à nous de faire naître ce qu'il y a/aura de meilleur sur cette terre .

 

 

 

« A M. Elie BERTRAND.

Lausanne, 21 octobre [1757].

Il y a, mon très-cher philosophe, force méchants et force fous en ce bas monde, comme vous le remarquez très à propos mais vous êtes la preuve qu'il y a aussi des gens vertueux et sages. Les La Beaumelle et les insectes de cette espèce pourraient nous faire prendre le genre humain en haine; mais des cœurs tels que M. et Mme de Freudenreich nous raccommodent avec lui. Il s'en trouve de cette trempe à Genève. Les brouillons qui ont répondu avec amertume à vos sages insinuations sont désapprouvés de leurs confrères, et ont excité l'indignation des magistrats. Pour moi, j'ai tenu la parole que j'ai donnée de ne rien lire des pauvretés que des gens de très-mauvaise foi se sont avisés d'écrire. Toute cette basse querelle est venue de ce que j'ai donné l'Histoire générale aux Cramer, au lieu d'en gratifier un autre 1. Le chef de la cabale 2 est celui-là même qui avait fait imprimer l'Histoire générale en deux volumes, lorsqu'elle était imparfaite, tronquée, et très-licencieuse. Il s'élève contre elle lorsqu'elle est complète, vraie, et sage. Je n'ai fait que produire les lettres de ce tartufe, par lesquelles il me priait de lui donner mon manuscrit. Elles l'ont couvert de confusion. Il se meurt de chagrin, je le plains, et je me tais. Il demanda, il y a six semaines, au conseil, communication du procès de Servet. On le refusa tout net. Hélas! il aurait vu peut-être qu'on brûla ce pauvre diable avec des bourrées vertes où les feuilles étaient encore 3; il fit prier maître Jehan Calvin, ou Chauvin, de demander au moins des fagots secs et maître Jehan répondit qu'il ne pouvait en conscience se mêler de cette affaire. En vérité, si un Chinois lisait ces horreurs, ne prendrait-il pas nos disputeurs d'Europe pour des monstres?
Ajoutons, pour couronner l'œuvre, que c'est un anti-trinitaire qui veut aujourd'hui justifier la mort de Servet.
Quam temere in nosmet legem sancimus iniquam ! 4
Je vais écrire pour avoir des nouvelles de Syracuse. Il n'est pas juste qu'elle perde l'honneur de son tremblement; il faut qu'il soit enregistré dans le greffe de mon cher philosophe 5.
Je n'ai point encore déballé mes livres. La maison est pleine de charpentiers, de maçons, de bruit, de poussière, et de fumée. Je l'aime, malgré le tourment qu'elle me donne, à cause du plaisir qu'elle me donnera.
Bonsoir, mon vertueux ami. Dieu nous donne la paix cet hiver, ou au plus tard le printemps !

Si j'osais, je lui demanderais un peu de santé; mais je n'irai pas le prier de déranger l'ordre des choses pour donner un meilleur estomac à un squelette de cinq pieds trois pouces de haut sur un pied et demi de circonférence. Tout malingre que je suis, je ne me plains guère et je vous aime de tout mon cœur. 

V.»

1 Philibert Claude et Antoine , imprimeurs à Copenhague et à Genève .

2 Jacob Vernet .

3 Cette allégation doit venir de Christophorus Chr. Sandius dans Bibliotheca anti-trinitariorum, 1684 .

4 Horace., liv. I, Satires. III, v. 67 : Par quel aveuglement donnons-nous notre sanction à une loi inique envers nous-mêmes !

5 Bertrand s'intéresse aux tremblements de terre .

 

10/01/2013

toute mon ambition se borne à n'avoir pas la colique

... Vade retro dragée Fuca !

Il est des plaisirs simples en ce bas monde, et pour y goûter lavons nous bien les mains et ne fréquentons pas les foules porteuses de germes pathogènes . Paroles d'homme en bonne santé et qui veut le demeurer .

Non ! pas la colique !!

bebe pas la colique.jpg

 

 

« A Jean-Robert Tronchin

 

Lausanne 20è octobre 1757

Votre amitié, monsieur et votre probité éclairée me fortifient contre la répugnance que j’aurais naturellement à communiquer des idées qui peut-être sont très hasardées . Je vous les soumets avec confiance .

Il n'a tenu qu'à moi il y a près de deux ans d'accepter du roi de Prusse des biens dont je n'ai pas besoin et ce qu'on appelle des honneurs dont je n'ai que faire ; il m'a écrit en dernier lieu avec une confiance que je juge même trop grande et dont je n'abuserai pas . Mme la margrave m'étonnerait beaucoup si elle faisait le voyage de Paris . Elle était mourante il y a quinze jours 1 et je doute qu'elle puisse et qu'elle veuille entreprendre ce voyage ; ce qu'elle m'a écrit , ce que le roi son frère m'a écrit est si étrange, si singulier, qu'on ne le croirait pas, que je ne le crois pas moi-même et que je n'en dirai rien de peur de lui faire trop de tort .

Je dois me borner à vous avouer qu'en qualité d'homme très attaché à cette princesse, d'homme qui a appartenu à son frère et surtout d'homme qui aime le bien public, je lui ai conseillé de tenter des démarches à la cour de France ; je n'ai jamais pu me persuader qu'on voulut donner à la maison d'Autriche plus de puissance qu'elle n'en a jamais eu en Allemagne sous Ferdinand II, et la mettre en état de s'unir à la première occasion avec l'Angleterre plus puissamment que jamais ; je ne me mêle point de politique mais la balance en tout genre me paraît bien naturelle .

Je sais bien que le roi de Prusse par sa conduite a forcé la cour de France à le punir et à lui faire perdre une partie de ses états . Elle ne peut empêcher à présent que la maison d'Autriche ne reprenne sa Silésie, ni même que les Suédois ne se ressaisissent de quelque terrain en Poméranie . Il faut sans doute que le roi de Prusse perde beaucoup mais pourquoi le dépouiller de tout ? Quel beau rôle peut jouer Louis XV en se rendant l'arbitre des puissances en faisant des partages en renouvelant la célèbre époque de la paix de Westphalie ? Aucun événement du siècle de Louis XIV ne serait aussi glorieux .

Il m'a paru que madame la margrave avait une estime particulière pour un homme respectable 2 que vous voyez souvent. J'imagine que si elle écrivait directement au roi une lettre touchante et raisonnée, et qu'elle adressât cette lettre à la personne dont je vous parle, cette personne pourrait, sans se compromettre, l'appuyer de son crédit et de son conseil. Il serait, ce me semble, bien difficile qu'on refusât l'offre d'être l'arbitre de tout, et de donner des lois absolues à un prince qui croyait, le 17 juin 3, en donner à toute l'Allemagne. Qui sait même si la personne principale, qui aurait envoyé la lettre de madame la margrave au roi, qui l'aurait appuyée, qui l'aurait fait réussir, ne pourrait pas se mettre à la tête du Congrès qui réglerait la destinée de l'Europe? Ce ne serait sortir de sa retraite honorable que pour la plus noble fonction qu'un homme puisse faire dans le monde ce serait couronner sa carrière de gloire.
Je vous avouerai que le roi de Prusse était, il y a quinze jours, très-loin de se prêter à une telle soumission . Il était dans des sentiments extrêmes et bien opposés 4; mais ce qu'il ne voulait pas hier, il peut le vouloir demain; je n'en serais pas surpris, et, quelque parti qu'il prenne, il ne m'étonnera jamais.
Peut-être que la personne principale dont je vous parle ne voudrait pas conseiller une nouvelle démarche à madame la margrave, peut-être cet homme sage craindrait que ceux qui ne sont pas de son avis dans le conseil l'accusassent d'avoir engagé cette négociation pour faire prévaloir l'autorité de ses avis et de sa sagesse, peut-être verrait-il à cette entremise des obstacles qu'il est à portée d'apercevoir mieux que personne; mais s'il voit les obstacles, il voit aussi les ressources. Je conçois qu'il ne voudra pas se compromettre; mais si, dans vos conversations, vous lui expliquez mes idées mal digérées, s'il les modifie, si vous entrevoyez qu'il ne trouvera pas mauvais que j'insiste auprès de madame la margrave, et même auprès du roi son frère, pour les engager à se remettre en tout à la discrétion du roi, alors je pourrais écrire avec plus de force que je n'ai fait jusqu'à présent. J'ai parlé au roi de Prusse, dans mes lettres, avec beaucoup de liberté, il m'a mis en droit de lui tout dire; je puis user de ce droit dans toute son étendue, à la faveur de mon obscurité. Il m'écrit par des voies assez sûres, j'ose vous dire que, si ces lettres avaient été prises, il aurait eu cruellement à se repentir. Je continue avec lui ce commerce très-étrange; mais je lui écrirai ce que je pense avec plus de fermeté et d'assurance, si ce que je pense est approuvé de la personne dont vous approchez. Vous jugez bien que son nom ne serait jamais prononcé.
Je sais bien qu'après les procédés que le roi de Prusse a eus avec moi, il est fort surprenant qu'il m'écrive, et que je sois peut-être le seul homme à présent qu'il ait mis dans la nécessité de lui parler comme on ne parle point aux rois; mais la chose est ainsi.

C'est donc à vous, mon cher monsieur, à développer à l'homme respectable dont il est question ma situation et mes sentiments avec votre prudence et votre discrétion ordinaires. Je n'ai besoin de rien sur la terre que de santé; toute mon ambition se borne à n'avoir pas la colique, et je crois que le roi de Prusse serait très-heureux s'il pensait comme moi.

Je vous écris d'un cabinet d'où je vois douze lieues de lac et de campagne ; M. de Montferrat 5 a été bien content de ma retraite des Délices, mais dussiez-vous en être fâché, ma maison de Lausanne est encore plus agréable .

Il n'y a pas grand mérite à être philosophe dans de si beaux lieux avec ma chère liberté , Mme Denis, des amis et des livres . Tout ce dont je jouis est bien plus solide que ce que je viens d'écrire . A l'égard du liquide, c'est-à-dire des bons vins, je ne vous presse pas, mes besoins ne regardent que la fin de l'hiver .

Bonsoir mon très cher correspondant, je suis honteux d'avoir presque rempli huit pages .

 


[BILLET SÉPARÉ.]
[20 octobre 1757]
J'ai quelque envie de jeter au feu la lettre que je viens de vous écrire; mais on ne risque rien en confiant ses châteaux en Espagne à son ami. Vous pourriez, dans quelque moment de loisir, dire la substance de ma lettre à la personne en question vous pourriez même la lui lire, si vous y trouviez jour, si vous trouviez la chose convenable, s'il en avait quelque curiosité. Vous en pourriez rire ensemble; et, quand vous en aurez bien ri, je vous prierai de me renvoyer ce songe que j'ai mis sur le papier et que je ne crois bon qu'à vous amuser un moment. 

Je vous embrasse de tout mon cœur mon cher correspondant .

V.»

1 Du 16 octobre : « de madame la margrave de BAIREUTH.
Le 16 octobre.
Accablée par les maux de l'esprit et du corps, je ne puis vous écrire qu'une petite lettre. Vous en trouverez une ci-jointe qui vous récompensera au centuple de ma brièveté. Notre situation est toujours la même un tombeau fait notre point de vue. Quoique tout semble perdu, il nous reste des choses qu'on ne pourra nous enlever c'est la fermeté et les sentiments du cœur. Soyez persuadé de notre reconnaissance, et de tous les sentiments que vous méritez par votre attachement et votre façon de penser, digne d'un vrai philosophe.
WILHELMINE »
.

Voir lettre du 8 octobre 1757 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/09/je-suis-surprise-que-vous-soyez-etonne-de-notre-desespoir.html

2 Le cardinal de Tencin .

3 Veille de la bataille de Kolin, qui verra une grave défaite de Frédéric II .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Kolin

 

Je ne sais pas pourquoi on dit que les circonstances présentes pourraient me faire revenir

... Soupirait Sarko, petit homme aux dents longues, en encaissant le joli chèque des lèche-culs avides de se glorifier de sa proximité . Il a raison, cette race de gens friqués n'est pas encore près de s'éteindre , hélas pour nous .

Faire revenir à petit(s) feu(x) ! Par exemple, Hugo Chavez qui, pour d'autres raisons, légales, pourrait revenir , -comme Fidel Castro-, vient de me souffler mon petit diable personnel et individuel ; notre temps est vraiment amateur de morts-vivants . Cuba et le vaudou font des miracles , parfois ...

 

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« A François de CHENNEVIERES

Des Délices 16 octobre [1757]

Je vous remercie de l'opéra 1 et s'il est de vous, mon cher ami, je vous en ai une double obligation . Je ne sais pas pourquoi on dit que les circonstances présentes pourraient me faire revenir . Je ne suis établi à mes Délices que pour ma santé et pour mon plaisir . La beauté du lieu et l'agrément de ma retraite, la très bonne compagnie qui y vient sont des liens qui m'y attachent . Un malade qui est auprès de M. Tronchin ne doit pas se transplanter . Je regrette beaucoup des amis tels que vous mais je ne puis regretter le monde . Ma nièce vous fait ses compliments . Elle a été longtemps garde-malade . »

 1 Sans doute Célime : voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_de_Chennevi%C3%A8res

 

 

Les philosophes examinent avec peine ce que les rois détruisent si aisément

... D'autant plus aisément que ce sont des rois de quelque chose : pétrole, acier, cuivre, informatique , poubelles, etc . Destructeurs de vies, d'emplois, de territoires, de libertés . Les rois couronnés, fort démocrates de nos jours , me semblent nettement moins nocifs que les sus-nommés .

Faisons appel à un pacificateur (sic)

 destructeur.jpg

 

 

« A M. Élie BERTRAND
premier pasteur à Berne.

Aux Délices, 16 octobre [1757].

Mon cher ami, votre paquet doit être à Lausanne, avec celui de M. Polier de Bottens. Je lui écris pour qu'il vous le fasse tenir. Vos occupations sont tranquilles et agréables, tandis que le mal moral et le mal physique inondent la terre. On croyait le 7, à Strasbourg, qu'il y avait eu une bataille, et on craignait beaucoup, parce que le courrier ordinaire avait manqué. Travaillez, mon cher ami, sur les productions merveilleuses de la terre. Les philosophes examinent avec peine ce que les rois détruisent si aisément. Sondez la nature des métaux qu'ils ravissent ou qu'ils emploient à la destruction. Leur cœur et ceux de leurs importants esclaves est plus dur que tous les minéraux dont vous parlerez. Mes tendres respects à M. et à Mme de Freudenreich, qui ont, ainsi que vous, un cœur si différent de celui des princes.
V. »

 

 

 

 

 

09/01/2013

Je suis surprise que vous soyez étonné de notre désespoir

... S'ensuit une lettre que les tweetteurs ne peuvent convevoir, ni même imaginer . Une relation d'évènements, simple, sans fioritures inutiles voilà qui peut aussi être un modèle pour les journaleux pisse-copies qui jargonnent à n'en plus savoir que dire . Voilà mon désespoir, mais ne soyez pas surpris car je ne suis pas étonné par cette disette intellectuelle .

Je comprends, et je partage, l'attachement de Voltaire pour cette dame et son admiration sincère qui ne se démentira pas .

 

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« De madame la margrave de Baireuth.

Le 8 octobre [1757].

Vos lettres me sont toutes bien parvenues. L'agitation de mon esprit a si fort accablé mon corps que je n'ai pu vous répondre plus tôt. Je suis surprise que vous soyez étonné de notre désespoir. Il faut que les nouvelles soient bien rares dans vos cantons, puisque vous ignorez ce qui se passe dans le monde. J'avais dessein de vous faire une relation détaillée de l'enchainement de nos malheurs. Ma faiblesse y a mis obstacle. Je ne vous la ferai que très-abrégée. La bataille de Kollin était déjà gagnée, et les Prussiens étaient les maîtres du champ de bataille, sur la montagne, à l'aile droite des ennemis, lorsqu'un certain mauvais génie 1, que vous n'aimez point, s'avisa, contre les ordres exprès qu'il avait reçus du roi, d'attaquer le corps de bataille autrichien; ce qui causa un grand intervalle entre l'aile gauche prussienne, qui était victorieuse, et ce corps. Il empêcha aussi que cette aile fût soutenue. Le roi boucha le vide avec deux régiments de cavalerie. Une décharge de canons à cartouches les fit reculer et fuir. Les Autrichiens, qui avaient eu le temps de se reconnaître, tombèrent en flanc et à dos sur les Prussiens. Le roi, malgré son habileté et ses peines, ne put
remédier au désordre. Il fut en danger d'être pris ou tué. Le premier bataillon des gardes à pied lui donna le temps de se retirer, en se jetant devant lui. Il vit massacrer ces braves gens, qui périrent tous, à la réserve de deux cents, après avoir fait une cruelle boucherie des ennemis. Le blocus de
Prague fut levé le lendemain 2. Le roi forma deux armées; il donna le commandement de l'une à mon frère de Prusse 3, et garda l'autre. Il tira un cordon depuis Lissa jusqu'à Leutmeritz, où il posa son camp. La désertion se mit dans son armée. De près de trente mille Saxons, à peine il en resta
deux à trois mille. Le roi avait en face l'armée de Nadasti; mon frère, qui était à Lissa, celle de Daun. Mon frère tirait ses vivres de Zittau; le roi, du magasin de Leutmeritz. Daun passa l'Elbe, et déroba une marche au prince de Prusse. Il prit Gabel, où étaient quatre bataillons prussiens, et
marcha à Zittau. Le prince décampa pour aller au secours de cette ville. Il perdit les équipages et les pontons, les voitures étant trop larges et ne pouvant passer par les chemins étroits des montagnes. Il arriva à temps pour sauver la garnison, et une partie du magasin. Le roi fut obligé de rentrer en Saxe. Les deux armées combinées campèrent à Bautzen et Bernstadt; celle des Autrichiens, entre Gorlitz et Schonaw, dans un poste inattaquable. Le 17 de septembre, le roi marcha à l'ennemi pour tâcher de s'emparer de Gorlitz. Les deux armées en présence se canonnèrent sans effet; mais les Prussiens
parvinrent à leur but, et prirent Gorlitz. Ils se campèrent alors depuis Bernstadt, sur les hauteurs de Jauornick, jusqu'à la Neiss, où le corps du général Winterfeld commençait, s'étendant jusqu'à Radomeritz. L'armée du prince de Soubise, combinée avec celle de l'empire, s'était avancée jusqu'à
Erfurt. Elle pouvait couper l'Elbe, en se postant à Leipsick, ce qui aurait rendu la position du roi fort dangereuse. Il quitta donc l'armée, dont il donna le commandement au prince de Bevern, et marcha avec beaucoup de précipitation et de secret sur Erfurt 4. Il faillit à surprendre l'armée de l'empire; mais ces troupes craintives s'enfuirent en désordre dans les défilés impénétrables de la Thuringe, derrière Eisenach. Le prince de Soubise, trop faible pour s'opposer aux Prussiens, s'y était déjà retiré. Ce fut à Erfurt, et ensuite à Naumbourg, où le destin déchaîna ses flèches empoisonnées
contre le roi Il apprit l'indigne traité conclu par le duc de Cumberland 5, la marche du duc de Richelieu, la mort et la défaite de Winterfeld 6, qui fut attaqué par tout le corps de Nadasti, consistant en vingt-quatre mille hommes, et n'en ayant que six mille pour se défendre; l'entrée des Autrichiens en Silésie, et celle des Suédois dans l'Ucker-Marck 7, où ils semblaient prendre la route de Berlin. Joignez à cela la Prusse, depuis Nemmel jusqu'à Kœnigsberg, réduite en un vaste désert, voilà un échantillon de nos infortunes. Depuis, les Autrichiens se sont avancés jusqu'à Breslau . L'habile conduite du prince de Bevern les a empêchés d'y mettre le siège. Ils sont présentement occupés à celui de Schweidnitz. Un de leurs partis, de quatre mille hommes, a tiré des contributions de Berlin même. L'arrivée du prince Maurice 8 leur a fait vider le pays du roi. Dans ce moment, on vient me dire que Leipsick est bloqué; mon frère de Prusse y est fort malade; le roi est à Torgau; jugez de mes inquiétudes et de mes douleurs; à peine suis-je en état de finir cette lettre. Je tremble pour le roi, et qu'il ne prenne quelque résolution violente. Adieu; souhaitez-moi la mort, c'est ce qui pourra m'arriver de plus heureux.
Mais avec ces sentiments, je suis bien loin de condamner Caton et Othon; le dernier n'a eu de beau moment en sa vie que celui de sa mort.
Croyez que si j'étais Voltaire,... »

1 On ne sait si la margrave fait allusion ici à quelque manœuvre imprudente du prince Maurice d'Anhalt, nommé vers la fin de cette lettre, ou à Sa sacrée Majesté le Hasard, dont Voltaire parle à Frédéric II au commencement de sa lettre du 30 mars 1759. (Clogenson)

2 Le 19 juin 1757.

3 Auguste-Guillaume, mort en juin 1758.

4 Ce fut à Erfurt que Frédéric composa son Épître au marquis d'Argens, citée plus haut.

5 Celui du 8 septembre, à Closter-Sewen.

6 J.-Ch. Winterfeld, mort le 7 septembre, l'un des meilleurs lieutenants du roi de Prusse, devenu son ami, s'était engagé comme simple soldat vers 1725.

7 L'Ucker-Marck (et non Uter-Marc) était autrefois une des trois Marches de l'électorat de Brandebourg.

8 Maurice d'Anhalt, né en 1712 comme le roi de Prusse, qui le fit feld-maréchat de ses troupes; mort le 12 avril 1760. II est nommé dans la lettre

 

08/01/2013

Les enfants ne se font pas à coups de plume

... Je confirme, par expérience ! Ou alors on m'a menti sur la cigogne et les roses et les choux et les abeilles, enfin tout ce qui concourt à faire augmenter la population de charmante manière . Point de plumes donc, si ce ne sont celles de la cigogne, livreur express doué d'ubiquité comme le père Noël  .

De toutes façons, ...

 http://www.youtube.com/watch?v=zuNmzTLwjcc

 

 

« A M. Jean-Baptiste-François de La MICHODIÈRE
intendant d'Auvergne.

 [vers octobre 1757]1

Monsieur, c'est à Breslau, à Londres, et à Dordrecht, qu'on commença, il y a environ trente ans, à supputer le nombre des habitants par celui des baptêmes. On multiplia, dans Londres, le nombre des baptêmes par 35, à Breslau, par 33. M. de Kerseboum, magistrat de Dordrecht, prit un milieu. Son calcul se trouva très-juste : car, s'étant donné la peine de compter un par un tous les habitants de cette petite ville, il vérifia que sa règle de 34 était la plus sûre.
Cependant elle ne l'est ni dans les villes dont il part beaucoup d'émigrants, ni dans celles où viennent s'établir beaucoup d'étrangers et, dans ce dernier cas, on ajoute pour les étrangers un supplément qu'il n'est pas malaisé de faire.
Toutes ces règles ne sont pas d'une justesse mathématique; vous savez mieux que moi, monsieur, qu'il faut toujours se contenter de l'à-peu-près. La fameuse méridienne de France n'est certainement pas tirée en ligne droite, le roi n'a pas le même revenu tous les ans, et le complet n'est jamais dans les troupes. Il n'y a que Dieu qui ait fait au juste le dénombrement des combattants du peuple d'Israël, qui se trouva de six cent mille hommes 2 au bout de deux cent quinze ans, tous descendants de Jacob, sans compter les femmes, les vieillards, et les enfants. Les habitants de Clermont en Auvergne ne peuvent avoir augmenté dans cette miraculeuse progression. Ceux qui ont attribué quarante-cinq mille citoyens à cette ville ont presque autant exagéré que l'historien Josèphe,3 qui comptait douze cent mille âmes dans Jérusalem pendant le siége. Jérusalem n'en a jamais pu contenir trente mille.
Lorsque j'étais à Bruxelles 4, on me disait que la ville avait cinquante mille habitants, le pensionnaire, après avoir pris toutes les instructions qu'il pouvait, m'avoua qu'il n'en avait pas trouvé dix-sept mille 5.
J'ai fait usage de la règle de 34 à Genève elle s'est trouvée un peu trop forte. On compte dans Genève environ vingt-cinq mille habitants; il y naît environ sept cent soixante-quinze enfants, année commune or 775 multiplié par 34 donne 26,350.
La règle de 33 donnerait 25,575 têtes à Genève 6. Cela posé, monsieur, il paraît évident qu'il y a tout au plus vingt mille personnes à Clermont, et ce nombre ne doit pas vous paraître extraordinaire, les hommes ne peuplent pas comme le prétendent ceux 7 qui nous disent froidement qu'après le déluge il y avait des millions d'hommes sur la terre. Les enfants ne se font pas à coups de plume, et il faut des circonstances fort heureuses pour que la population augmente d'un vingtième en cent années. Un dénombrement fait en 1718, probablement très-fautif, ne donne à Clermont que 1,324 feux; si on comptait (en exagérant) dix personnes par feu, ce ne serait que 13,240 têtes; et si, depuis ce temps, le nombre en était monté à vingt mille, ce serait un progrès dont il n'y a guère d'exemples. Il vaut mieux croire que l'auteur du dénombrement des feux s'est trompé mais, quand même il se serait trompé de moitié, quand même il y aurait eu le double de feux qu'il suppose, c'est-à-dire 2,648, jamais on ne compte que cinq à six habitants par feu mettons-en six il y aurait eu 15,888 habitants à Clermont; et, depuis ce temps, le nombre se serait accru jusqu'à vingt mille par une administration heureuse, et par des événements que j'ignore.
Tout concourt donc, monsieur, à persuader que Clermont ne contient en effet que vingt mille habitants s'il s'en trouvait quarante mille sur environ 588 baptêmes par an, ce serait un prodige unique dont je ne pourrais demander la raison qu'à vos lumières.
Voilà, monsieur, ce que mes faibles connaissances me permettent de répondre à la lettre dont vous m'avez honoré. Cette lettre me fait voir quelle est votre exactitude et votre sage application dans votre gouvernement; elle me remplit d'estime pour vous, monsieur; et ce n'est que par pure obéissance à vos ordres que je vous ai exposé mes idées, que je dois en tout soumettre aux vôtres. Vous êtes à portée de faire une opération beaucoup plus juste que ma règle. On vient, dans toute l'étendue de la domination de Berne, d'envoyer dans chaque maison compter le nombre des maîtres, des domestiques, et même des chevaux 8. Il est vrai qu'on s'en rapporte à la bonne foi de chaque particulier, dans le seul pays de l'Europe où l'on ne paye pas la moindre taxe au souverain, et où cependant le souverain est très-riche. Mais, sous une administration telle que la vôtre, quel particulier pourrait déranger, par sa réticence, une opération utile qui ne tend qu'à faire connaître le nombre des habitants, et à leur procurer des secours dans le besoin ?
J'ai l'honneur d'être avec la plus respectueuse estime, etc.
VOLTAIRE

gentilhomme ordinaire du roi. »

1 Cette lettre, datée ainsi Ferney, novembre, dans l'édition de Kehl, ne fut certainement écrite ni à Ferney, ni en novembre 1757. Voltaire n'acheta Ferney que vers octobre 1758, et ce fut dès octobre 1757 que J.-B.-Fr. de La Michodière, né le 2 septembre 1720, passa de l'intendance de Riom à celle de Lyon. (Clogenson.)

 

2 Il est question de six cent trois mille cinq cent cinquante dans le chapitre Ier des Nombres, verset 46 ; Exode XII, 37 .

 

3 Flavius Josèphe donne différentes indications sur la population de Jérusalem dans De bello judaïco VI, xi, 3 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58257f/f37.image

 

4 En 1740, 1741, et 1742.

 

5 En 1824, on comptait cent douze mille habitants à Bruxelles. (Clogenson)

 

6 C'était ce nombre d'habitants que des hommes bien informés comptaient encore à Genève en 1823. (Clogenson)

 

7 Le père Petau; voyez tome XXVII, page 73.

 

8 Un recensement fut fait en 1757 du nombre d'hommes aptes à servir et des chevaux disponibles en cas de mobilisation .

 

07/01/2013

la casse absorbe toutes mes idées

... Dit le loubard de banlieue en mettant le feu à la voiture qu'il vient de voler .

Eh bien ! moi cette casse, tout comme celle que prenait Voltaire, vulgairement parlant, ça me fait ch... !

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« A Jean-Robert TRONCHIN

à Lyon

12 octobre [1757]

Je laisse là les rois pour cet ordinaire mon cher monsieur et je me borne à mes petits besoins dont vous m'avez permis de vous faire l'exposé et auxquels vous subvenez si humainement . Il faut que vous sachiez que tous les bons vins de liqueur que vous m'avez envoyés seront bus à Lausanne et qu'il ne me restera rien pour le petit ermitage auprès de Genève . Si donc vous trouvez en votre chemin et à votre loisir des vins de liqueur qui vous plaisent et dont vous vouliez me faire part je vous supplierai de les adresser à M. Cathala, me flattant qu'il voudra bien les garder jusqu'à mon retour . Il ne m'importe de la quantité pourvu qu'ils puissent se garder et à l'égard du temps vous en êtes le maitre pendant tout l'hiver . Mais il y a un objet bien plus important . M. le docteur Tronchin m'ordonne plus de casse 1 qu'il ne me permet de vin . Au nom d'Hippocrate ne me laissez point manquer de casse . Ayez la bonté monsieur de me recommander à votre droguiste . Je ne dis pas à votre apothicaire car vous n'en avez point . Faites moi avoir vingt livres de casse en bâton pour mon hiver . Ce n'est pas trop . Les vins de liqueur sont pour mes convives et la casse pour moi . Les tapis d'Aubusson peuvent plaire à Mme Denis mais à moi, il faut plus de casse qu'au malade imaginaire . Les affaires de la Saxe iront comme elles voudront mais je ne peux vivre sans casse .

Après avoir traité cette importante matière je pourrais vous dire que j'attends la confirmation du voyage prétendu du comte de Gotter et même celui de la margrave de Bareith . Mais la casse absorbe toutes mes idées . Bonsoir mon cher correspondant . Je vous embrasse du meilleur de mon cœur .

V. »