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15/05/2018

En vérité la plupart des hommes ressemblent aux moines, qui pensent qu’il n’y a rien d’intéressant dans le monde que ce qui se passe dans leur couvent

...

 

«  A Charles-Augustin Ferriol , comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

19è mai 1763 , aux Délices,

Je reçois la lettre et le paquet du 14 de mai, de mes anges. Non vraiment ils ne sont point exterminateurs ; et je les rétablis dans leur titre naturel, et dans leur dignité d’anges sauveurs. Ils ont daigné prendre le seul parti convenable ; je les remercie également de leurs bontés et de leur peine. Il est vrai que vous en aurez beaucoup, mes divins anges, à empêcher que l’Europe ne trouve les querelles pour les billets de confession, et pour une supérieure de l’hôpital 1, extrêmement ridicules. On n’avait parlé de ces misères que pour faire voir combien les plus petites choses produisent quelquefois des événements terribles. Il y a loin d’un billet de confession à l’assassinat d’un roi, et cependant ces deux objets tiennent l’un à l’autre, grâce à la démence humaine. C’était ce qu’il fallait faire sentir dans une histoire qui n’est que celle de l’esprit humain, et, sans cela, on aurait abandonné au mépris et à l’oubli toutes ces petites tracasseries passagères qui ne sont faites que pour le recueil D ou le recueil E 2.

Je vous avoue que je suis un peu étonné des remarques que vous m’avez envoyées . L’auteur de ces remarques semble marquer un peu d’aigreur. Est-il possible qu’il puisse me reprocher de n’avoir pas nommé, dans plusieurs endroits, un conseiller auquel je suis très attaché, et dont je rapporte une belle action 3, quoique étrangère à mon sujet ? Aurait-il fallu que je le nommasse dans ce vaste tableau des affaires de l’Europe, lorsque je ne nomme pas M. le duc de Praslin, à qui nous devons la paix, et que je me contente de dire : deux sages crurent la paix nécessaire, la proposèrent, et la firent 4 ? En vérité la plupart des hommes ressemblent aux moines, qui pensent qu’il n’y a rien d’intéressant dans le monde que ce qui se passe dans leur couvent.

J’ai peine à concilier ce que dit l’auteur des remarques sur les billets de confession, en deux endroits différents. Au premier, il prétend qu’il n’est pas dans l’exacte vérité  qu’il fallait que ces billets fussent signés par des prêtres adhérant à la bulle, sans quoi point d’extrême-onction, point de viatique. » Et, au second endroit, il dit que « dans les remontrances du parlement on prouvait jusqu’à la démonstration combien il était absurde d’attacher la réception ou l’exclusion des sacrements à un billet de confession. »

Il dit donc précisément ce que j’ai dit, et ce qu’il me reproche d’avoir dit.

Je vois en général, et vous le voyez bien mieux que moi, qu’il règne dans les esprits un peu de chaleur et de fermentation. J’ai été de sang-froid quand j’ai fait cette histoire ; on est un peu animé quand on la critique. Mes anges conciliants ont pris un messo termine 5 dont, encore une fois, je ne peux trop les remercier. Si le parlement brûle le livre, ce sera donc vous qu’il brûlera ; je serais enchanté d’être incendié en si bonne compagnie.

Je tâcherai de servir M. le duc de Praslin dans sa Gazette littéraire 6, qu’il protège. S’il le veut, je ferai moi-même les extraits de tout ce qui paraîtra en Suisse, où l’on fait quelquefois d’assez bonnes choses ; on me gardera le secret ; mais probablement M. l’ambassadeur en Suisse, et M. le résident à Genève, seront plus instruits que je ne pourrai l’être, et mon travail ne serait qu’un double emploi.

Je vous ai dépêché, mes anges, par la poste, sous l'enveloppe de M. de Courteilles, deux exemplaires d'Olympie , dont l'un est pour M. de Thibouville . Mais comme vous m'écrivez sous l'enveloppe de M. de Chauvelin, et que messieurs de la poste m'ont retenu plusieurs paquets sans respecter les adresse, je vous écris aujourd’hui à votre adresse même, M. de Courteilles étant à la campagne ; ayez donc la bonté de me faire savoir comment je dois adresser mes lettres dorénavant .7

Il me semble que les yeux chez un de mes anges et chez moi ne sont pas notre fort . J’en ai vu de fort beaux à l’un des deux anges, et je vois que ceux-là ne perdent rien de leur vivacité.

Toujours à l’ombre de vos ailes.

V. 

N.B. – Je viens de dicter quelques extraits d’ouvrages nouveaux qui ne sont pas indifférents ; je les enverrai à M. de Montpéroux, notre résident, afin qu’il en ait le mérite, si la chose comporte le mot de mérite ; et quand on sera content de cet essai, je continuerai, supposé qu’il me reste au moins un œil. »

2 Il s'agit d'un recueil périodique publié sous le titre Recueil A (B, C, etc.) de 1745 à 1762 , chaque volume portant une marque différente, et fausse ( la première Fontenoy, la seconde Luxembourg, etc.) . Les éditeurs étaient Gabriel-Louis Calabre, Pérau et d'autres personnages . Prault en avait entretenu Voltaire dans une lettre du 1er décembre 1759 ; voir lettre du 7 janvier 1760 à Prault : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/01/17/s-il-se-presente-quelque-occasion-de-vous-marquer-l-envie-ex-5536020.html

3L'abbé de Chauvelin ; voir le Précis du siècle de Louis XV, XXXVII (https://fr.wikisource.org/wiki/Pr%C3%A9cis_du_si%C3%A8cle_de_Louis_XV/Chapitre_37 ) ; sur l'auteur des remarques, voir lettre du 23 mai 1763 à d'Argental : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-18.html

4Sous une forme ultérieurement amendée, ce passage se trouve dans le même ouvrage, chap. XXXV : « … le duc de Praslin, ministre alors des Affaires étrangères, fut assez habile et assez heureux pour conclure la paix, dont le duc de Choiseul, ministre de la Guerre, avait entamé les négociations. »

5Moyen terme .

6 La Gazette littéraire de l'Europe, qui paraissait chaque semaine, était publiée sous les auspices de Praslin et rédigée par François Arnaud et Jean-Baptiste-Antoine Suard ; le prospectus en fut distribué en juillet 1763, mais le premier numéro ne parut que le 7 mars 1764 . la publication dura trois ans .

7 Ce paragraphe , biffé sur la copie du manuscrit, manque dans toutes les éditions .

14/05/2018

Ah je n'ai pas un secrétaire

... et c'est tant mieux, mes horaires ne conviendraient sans doute pas à qui que ce soit de salarié , et quant au meuble dit secrétaire, je l'ignore superbement , une chaise et mes genoux suffisent, n'en déplaise à Théodore Tronchin . Seul maître à bord, pilote et matelot, c'est OK .

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Avant le PC portable, et plus beau, jamais en panne .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol , comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

Aux Délices, 18 mai 1763 1

Je mets ces deux copies corrigées 2 au bout des ailes de mes anges exterminateurs . Un de ces exemplaires est pour M. de Thibouville qui m'a ordonné de l'envoyer sous le couvert de mes anges .

Eh bien voilà-t-il pas encore mes yeux qui me refusent le service ? Ah je n'ai pas un secrétaire comme M. d'Argental 3. Mme Denis toujours souffrante et moi aussi . Dieu ait pitié de moi ! Amen . »

1 L'édition Cayrol date du 14 mai .

2 D'Olympie .

3 Mme d'Argental , secrétaire de son mari .

Per mio grande malanno, non so se posso stabbilire il tempo de la mia venuta

... et je ne serai pas au château de Voltaire, ni le 30 mai, ni le 31, ni le 1er juin, dates de sa réouverture après sa longue  restauration . That's life ! Puisse Mam'zelle Wagnière y être, j'en serais plus qu'heureux .

"Nous allons être ouverts toute l'année en continu" dit François-Xavier Verger, administrateur (entre autres) du château, qui est remarquablement actif pour animer et faire connaitre ce lieu ; qu'il en soit félicité justement .

Le 3 mai 2018, le Dauphiné libéré titre "Château de Voltaire, l'esprit des lieux ressuscité", qu'il en soit ainsi pour le grand bonheur de ses visiteurs , dans la suite de tous ces "touristes" du XVIIIè siècle chez l' "aubergiste de l'Europe" .

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Que la fête commence !

 

 

« A Fontana Zorzi

1763, 16 mai

Madame, mi ricordo anchor à delle soavi hore con voi passate nella venuta costi, e mi ralegro della vostra excellente saluti nella quale vi trovate .

Amirato delle vostre doti, del vostro sapere alorchè veniste a me, ora riserbo un caro souvenir di tutte esse cose, e me provo un desiderio molto vivo di venire fra dolcissime climat della vostra bella Italia . Per moi grande malanno, non so se posso stabbilire il tempo de la mia venuta, perchè l'anima mi conforta , ma le forze mi vengono insufficiente .

Si compiaccia agradire V. Excellenza li sensi del moi vivo sentimento e mi creda .

Dev tmo amico 1.

Voltaire . »

1 « Madame, / Je me souviens encore des douces heures passées en votre compagnie lorsque vous arrivâtes ici, et je me réjouis de l'excellente santé dont vous jouissez . / Admirateur de vos dons et de votre savoir quand vous vîntes à moi, je garde à présent un souvenir cher de toutes ces choses, et j'éprouve un désir très vif de venir dans les doux climats de votre belle Italie . Pour mon grand malheur, je ne puis fixer le temps de ma venue, parce que si mon cœur m'y pousse, mes forces s'avèrent insuffisantes . / Plaise à Votre Excellence d'agréer l'expression de mes sentiments bien vifs et de me croire / son ami très dévoué, /Voltaire. »

13/05/2018

savoir s'il faut laisser paraître quelque écrit sur la barbare procession de Toulouse

... Rendez-vous compte, des supporters du Toulouse Football Club qui se désolidarisent de leur équipe , n'est-ce pas un acte d'une barbarie inouïe ? J'en frémis  d'horreur . Pas vous ?

Les supporters du TFC, devant le Stadium de Toulouse, vendredi.

https://www.20minutes.fr/sport/2269515-20180511-tfc-degou...

 

 

« A Philippe Debrus

derrière le Rhône .

16è mai [1763]1

Je reçois monsieur une lettre de M. Dumas sur deux objets .

Le premier est son affaire de la Martinique . J'ai pris la liberté d'implorer pour lui les bontés de M. le duc de Choiseul et j'en espère une heureuse issue .

Le second objet est de savoir s'il faut laisser paraître quelque écrit sur la barbare procession de Toulouse avant l'envoi des procédures . Non sans doute .

Si vous lui écrivez vous voilà au fait .

Mille compliments à M. de Végobre . »

1 Sur le manuscrit olographe Debrus a porté : »Re[çu] le 14 », sans doute un lapsus .

12/05/2018

Il y avait beaucoup de fautes qui n'étaient pas dans l'errata

... Ce qui, selon les professeurs, ne peut être le cas des copies inexistantes de ces étudiants à la petite semaine qui ont empêché le passage des examens partiels, sous des prétextes "altruistes" alors qu'en fait je les suppose totalement incapables de s'y présenter honorablement , plus forts en gueule qu'en savoir, plus casseurs que bâtisseurs, têtes à claques . On a pu voir , solidairement à l'oeuvre pour le désordre, des hommes de lettres  -des postiers- et des professionnels de la grève -des cheminots, des élus du peuple qui font de la retape : ô les beaux mentors !

 Image associée

... Vous avez deux heures pour m'expliquer ce slogan !

 

 

« A Gabriel Cramer

[vers mai 1763]

On envoie à monsieur Cramer la Tolérance 1 avec des corrections qui étaient absolument nécessaires . Il y avait beaucoup de fautes qui n'étaient pas dans l'errata . On enverra incessamment la préface et le 26è chapitre . »

11/05/2018

Quelle plus belle vengeance à prendre de la sottise et de la persécution que de les éclairer ... la vérité ne doit point être vendue

...

 

« A Claude-Adrien Helvétius

[vers le 15 mai 1763] 1

Orate fratres et vigilate 2. Sera-t-il donc possible que depuis quarante ans la Gazette littéraire ait infecté Paris et la France, et que cinq ou six honnêtes gens bien unis ne se soient pas avisés de prendre le parti de la raison ? Pourquoi ses adorateurs restent-ils dans le silence et dans la crainte ? Ils ne connaissent pas leurs forces . Qui les empêcherait d'avoir chez eux une petite imprimerie, et de donner des ouvrages utiles et courts dont leurs amis seraient les seuls dépositaires ? C'est ainsi qu'en ont usé ceux qui ont imprimé les dernières volontés de ce bon et honnête curé . Il est certain que son témoignage est du plus grand poids, et qu'il peut faire un bien infini . Il est encore certain que vous et vos amis vous pourriez faire de meilleurs ouvrages avec la plus grande facilité, et les faire débiter sans vous compromettre . Quelle plus belle vengeance à prendre de la sottise et de la persécution que de les éclairer . Soyez sûr que l'Europe est remplie d'hommes raisonnables, qui ouvrent les yeux à la lumière . En vérité le nombre en est prodigieux, et je n'ai pas vu depuis dix ans un seul honnête homme de quelque pays et de quelque religion qui fût, qui ne pensât absolument comme vous . Si je trouve en mon chemin quelque étranger qui aille à Paris et qui soit digne de vous connaître, je le chargerai pour vous de quelques exemplaires ( que j'espère avoir bientôt) du même ouvrage qu'un Anglais vous a déjà remis . C'est à peu près dans ce goût simple que je voulais qu'on écrivît . Il est à la portée de tous les esprits . L'auteur ne cherche point à se faire valoir, il n'envie point la réputation, il est bien loin de cette faiblesse . Il n'en a qu'une, c'est l'amour extrême de la vérité . Vous m'objecterez qu'il ne l'a dite qu'à sa mort . Je l'avoue, et c'est par cela même que son ouvrage doit faire le plus grand fruit, et qu'il faut le distribuer . Mais si on peut en faire un meilleur sans rien risquer, sans attendre la mort pour donner la vie aux âmes, pourquoi ne pas le faire ?3

Il y a cinq ou six pages excellentes et de la plus grande force dans une petite brochure qui paraît depuis peu, qui perce avec peine à Paris et que vous avez vue sans doute . C'est grand dommage que l'auteur y parle sans cesse de lui-même, quand il ne doit parler que de choses utiles . Son titre est d'une indécence impertinente, son ridicule d'amour-propre révolte . C'est Diogène, mais il s'exprime quelquefois en Platon . Croiriez-vous que ses audacieuses sorties contre un monstre respecté n'ont révolté personne et que sa philosophie a trouvé autant de partisans que sa vanité cynique a eu de censeurs ? Oh si quelqu'un pouvait rendre aux hommes le service de leur montrer les mêmes vérités dépouillées de tout ce qui les défigure et les avilit chez cet écrivain ! Que je le bénirais ! Vous êtes l'homme, mais je suis bien loin de vous prier de courir le moindre risque . Je suis idolâtre du vrai, mais je ne veux pas que vous hasardiez d'en être la victime . Tâchez de rendre service au genre humain sans vous faire le moindre tort . Ce sont là monsieur les vœux de la personne du monde qui vous estime le plus et qui vous est le plus attachée . J'ai l'honneur d'être votre très humble et très obéissante servante.

De Mitele. 4»

1 L'édition de Kehl date cette lettre de fin mars . La lettre semble suivre la lettre du 1er mai 1763 au même ; l' « Anglais » est Macartney et l'ouvrage qu'il porte le Catéchisme de l'honnête homme . D'autre part, V* a lu la Lettre à Christophe de Beaumont de JJ Rousseau .

2 Priez frères et soyez vigilants .

3 Dans l'édition originale de la Correspondance littéraire est imprimée à la date du 1er août 1763 une « Épître aux fidèles, par le grand apôtre des Délices  », suivie d'une « Seconde épître aux fidèles par le grand apôtre des Délices du 12 juillet 1763 » et d'une « Troisième épitre du grand apôtre à son fils Helvétius, du 26 juillet 1763 » . Toutes les éditions subséquentes dérivent de celle-là et n'apportent aucun renseignement nouveau . La première de ces trois lettres fut imprimée par Lefèvre comme une lettre à Helvétius du 2 juillet 1763 ; les Lettres inédites (1821) la donnent comme une lettre à Diderot placée en 1763 . depuis on est généralement revenu à la date du 2 juillet avec Helvétius comme destinataire . On peut conjecturer qu'il ne s'agit pas à proprement parler d'une « lettre » mais qu'en recevant la présente lettre Helvétius aurait demandé à V* de lui rédiger à partir de là un document destiné aux « fidèles » . Quoi qu'il en soit voici la première de ces trois lettres . On observera que les références ( notamment dans le titre) aux apôtres et à leurs « épîtres » rappellent qu'à cette époque (voir surtout Le Pot pourri) V* est en quelque sort jaloux de l’œuvre des fondateurs du christianisme, et rêve d'en être le prophète qui, avec ses « fidèles » ruinerait l'oeuvre du Christ :

« La seule vengeance qu'on puisse prendre de l'absurde insolence avec laquelle on a condamné tant de vérités en divers temps, est de publier souvent ces mêmes vérités, pour rendre service à ceux mêmes qui les combattent . Il est à désirer que ceux qui sont riches veuillent bien consacrer quelque argent à faire imprimer des choses utiles ; des libraires ne doivent point les débiter ; la vérité ne doit point être vendue .

Deux ou trois cent exemplaires, distribués à propos entre les mains des sages, peuvent faire beaucoup de bien sans bruit et sans danger . Il paraît convenable de n'écrire que des choses simples, courtes, intelligibles aux esprits les plus grossiers ; que le vrai seul, et non l'envie de briller, caractérise ces ouvrages ; qu'ils confondent le mensonge et la superstition, et qu'ils apprennent aux hommes à être justes et tolérants . Il est à souhaiter qu'on ne se jette point dans la métaphysique, que peu de personnes entendent, et qui fournit depuis toujours des armes aux ennemis . Il est à la fois plus sûr et plus agréable de jeter du ridicule et de l'horreur sur les disputes théologiques, de faire sentir aux hommes combien la morale est belle et les dogmes impertinents, et de pouvoir éclairer à la fois le chancelier et le cordonnier . On n'est parvenu, en Angleterre, à déraciner la superstition que par cette voie .

Ceux qui ont été quelquefois les victimes de la vérité, en faisant débiter par des libraires des ouvrages condamnés par l'ignorance et par la mauvaise foi, ont un intérêt sensible à prendre le parti qu'on propose . Ils doivent sentir qu'on les a rendus odieux aux superstitieux, et que les méchants se sont joints à ces superstitieux pour décréditer ceux qui rendaient service au genre humain .

Il paraît donc absolument nécessaire que les ages se défendent , et ils ne peuvent se justifier qu'en éclairant les hommes . Ils peuvent former un corps respectable, au lieu d'être des membres désunis que les fanatiques et les sots hachent en pièces. Il est honteux que la philosophie ne puisse faire chez nous ce qu’elle faisait chez les anciens ; elle rassemblait les hommes, et la superstition a seule chez nous ce privilège . »

4 Cette signature est fortement biffée sur le manuscrit . Il n'est pas possible de l'expliquer, quoiqu'elle ait certainement un sens à la façon des anagrammes du Pot pourri (Mansebo = Böseman ; etc.) et des romans et contes .

10/05/2018

Ajoutons encore, je vous en prie, que des discours entortillés de politique sont encore pires que la fadeur

... Et ceux de la religion sont bien du même tonneau, imbuvables , en ce jour où l'on célèbre un des premiers astronautes, Jésus, qui rejoint la cohorte aérienne des prophètes juifs anciens , Mohammed et son cheval volant, et la foule des dieux que se plaisent à adorer tant d'humains crédules .

 

 

« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis

Aux Délices , 14 mai [1763] 1

Votre Éminence m’a écrit une lettre instructive et charmante. Je pense comme elle . L’extravagant vaut mieux que le plat . Ajoutons encore, je vous en prie, que des discours entortillés de politique sont encore pires que la fadeur. Je pousse le blasphème si loin, que si j’étais condamné à relire ou l’Héraclius de Corneille ou celui de Calderon, je donnerais la préférence à l’espagnol.

J’aime mieux Bergerac et sa burlesque audace,

Que ces vers où Motin se morfond et nous glace.2

Daignez donc me rendre raison de la réputation de notre Héraclius. Y a-t-il quelque vraie beauté, hors ces vers :

O malheureux Phocas ! ô trop heureux Maurice !

Tu recouvres deux fils pour mourir après toi :

Je n’en puis trouver un pour régner après moi.3

et encore ces vers ne sont-ils pas pris de l’espagnol ?4

Cette Léontine, qui se vante de tout faire et qui ne fait rien, qui n’a que des billets à montrer, qui parle toujours à l’empereur comme au dernier des hommes, dans sa propre maison, est-elle bien dans la nature ? Et ce Phocas, qui se laisse gourmander par tout le monde, est-il un beau personnage ? Vous voyez bien que je ne suis pas un commentateur idolâtre, comme ils le sont tous. Il faut tâcher seulement de ne pas donner dans l’excès opposé. Je tremble de vous envoyer Olympie, après avoir osé vous dire du mal d’Héraclius. Si Votre Éminence n’a pas encore reçu Olympie imprimée, elle la recevra bientôt d’Allemagne . C’est toujours une heure d’amusement de lire une pièce bonne ou mauvaise, comme c’est un amusement de six mois de la composer, et il ne s’agit guère, dans cette vie, que de passer son temps.

Votre Éminence passera toujours le sien d’une manière supérieure ; car, avec tant de goût, tant de talent, tant d’esprit, il faut bien qu’un cardinal vive plus agréablement qu’un autre homme. Je conçois bien que le doyen du sacré-collège, avec la gravelle et de l’ennui, ne vaut pas un jeune cordelier . Mais vous m’avouerez qu’un cardinal de votre âge et de votre sorte, qui n’a devant lui qu’un avenir heureux, peut jouir comme vous faites, d’un présent auquel il ne manque que des illusions.

Vous êtes bon physicien, monseigneur ; vous m’avez dit que je perdrais ma qualité de quinze-vingts avec les neiges. Il est vrai que la robe verte de la nature m’a rendu la vue ; mais que devenir quand les neiges reviendront ? Je suis voué aux Alpes. Le mari de mademoiselle Corneille y est établi. J’ai bâti chez les Allobroges ; il faut mourir allobroge. Il nous vient toujours du monde des Gaules ; mais des passants ne font pas société . Heureux ceux qui jouissent de la vôtre, et qui s'instruisent dans votre conversation charmante,5 s’ils en sont dignes ! Je ne jouirai pas d’un tel bonheur, et je m’en irai dans l’autre monde sans avoir fait que vous entrevoir dans celui-ci. Voilà ce qui me fâche .

Je mets à la place le souvenir le plus respectueux et le plus tendre ; mais cela ne fait pas mon compte.

Consolez-moi, en me conservant vos bontés.

Relisez l’Héraclius de Corneille, je vous en prie. »

1 Bernis a écrit à V* le 24 avril 1763 : « Notre secrétaire m'a envoyé l'Héraclius de Calderon, mon cher confrère, et je viens de lire Jules César de Shakespear […] il faut pourtant convenir que ces tragédies, toutes extravagantes ou grossières qu'elles soient, n'ennuient point . Je vous dirai à ma honte, que ces vielles rapsodies,où il y a de temps en temps des traits de génie et des sentiments fort naturels, me sont moins odieuses que les froides élégies de nos tragiques médiocres . Voyez les tableaux de Paul Véronèse, de Rubens et de tant d'autres peintres flamands ou italiens ; ils pêchent souvent contre le costume, ils blessent les convenances et offensent le goût, mais la force de leur pinceau et la vérité de leurs coloris font excuser ces défauts […] J'espère que la fonte des neiges vous rendra la vue, et que vous perdrez bientôt ce côté de ressemblance avec le bon Homère […] Le château du Plessis dont vous me demandez des nouvelles, appartient à un de mes parents qui me le prête six mois de l'année . Il est à dix lieues de Paris, dans une situation riante, à côté de la forêt d'Hallate […] Quand vous voudrez me renvoyer Olympie au sortir de sa toilette, elle sera bien reçue . Je retourne dans quinze jours à Vic-sur-Aisne, pour y passer l'été . Ainsi adressez, à cette époque , vos lettres à Soissons . »

2 Art poétique, IV, 39-40 ; Boileau .

3 Héraclius, IV, 4 ; Corneille . trop heureux est corrigé en malheureux sur le manuscrit .

4 Voir l'article « Art dramatique [du théâtre espagnol] » dans le Dictionnaire philosophique ; https://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_philosophique/Garnier_(1878)/Art_dramatique

 

5 Ces huit mots manquent dans les éditions .