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05/05/2022

Si vous voulez, mon cher président, quelques exemplaires du recueil fait par les Cramer, je vous en ferai tenir sans exiger seulement une bouteille de bourgogne

... Mais prendrez-vous seulement le temps, M. Macron, de lire Voltaire ? Et l'histrion Mélenchon ?

 

NDLR-Rédigé le 8 mai pour parution le 5 mai 2022.

 

« A Germain-Gilles-Richard de Ruffey

15è janvier 1767 , à Ferney 1

Mon cher président, il est vrai que je suis environné de deux fléaux : dix pieds de neige et des dragons 2 ; toute communication avec Genève est interrompue ; nous éprouvons la plus cruelle disette, et j’ai cent bouches à nourrir par jour. Je ne réponds pas des filles de Tournay, mais je réponds des bois qui sont encore plus vieux que moi, et beaucoup plus gros, et en fort petite quantité 3 ; il n’y a que les taillis qui soient la proie du soldat, et M. le président de Brosses ne m’a point laissé de taillis. Il n’y a pas, Dieu merci, dans son bouquet, qu’il appelle forêt, de quoi faire deux moules de bois pour me chauffer. J’ai dix fois plus de bois à Ferney qu’il n’y en a à Tournay, et il faut que j’en achète pour quatre mille francs par an. Si M. de Brosses m’avait connu, il aurait eu des procédés plus généreux avec moi. J’aimais Tournay, je me serais plu à l’embellir selon ma coutume. J’ai bâti onze maisons à Ferney, parmi lesquelles il y en a de très jolies, et qui produisent des lods considérables 4. J’ai augmenté le nombre des charrues et quadruplé celui des habitants. J’en aurais usé ainsi à Tournay ; j’aurais eu son amitié, et il aurait retrouvé après ma mort la plus jolie terre de la province. Mais je l’ai entièrement abandonnée. J’ai donné le château pour rien à mes libraires, et le rural à un Suisse, qui m’en rend environ dix-sept cents livres, en comptant ce qu’il fournit en nature 5. Il y a quatre ans que je n’y ai mis le pied. M. de Brosses me l’a vendue à vie, à l’âge de soixante et six ans, quarante-cinq mille livres. J’ai fait en ma vie de plus grandes pertes.

Présentez, je vous prie, mes tendres respects à M. l’ancien premier président de La Marche.

Je n’ai jamais fait qu’un bon marché, c’est avec M. Pourchet 6 ; je lui ai envoyé de mauvais ouvrages qu’il m’avait demandés, et il m’a donné de bon vin. Si vous voulez, mon cher président, quelques exemplaires du recueil fait par les Cramer, je vous en ferai tenir sans exiger seulement une bouteille de bourgogne ; mais je ne pourrai vous les envoyer reliés, parce qu’il n’y a plus moyen de faire travailler un seul ouvrier de Genève. En vous remerciant de la bonté avec laquelle vous avez parlé de moi à M. le chevalier de Boufflers. Ne m’oubliez pas auprès de M. Le Gouz 7.

V. »

1 Edition Correspondance inédite, 1836, éditeur TH. Foisset (auteur des notes suivantes)

2 La frontière de France était garnie de troupes, à raison des troubles qui agitaient Genève malgré notre médiation. (Th. F.)

3 Ceci a trait sans doute à quelques nouveaux abus de jouissance à Tournay, dont M. de Brosses avait entretenu M. de Ruffey, qui en avait écrit à Voltaire. (Th. F.)

4 Les lods étaient un droit pécuniaire dû au seigneur lorsqu’un immeuble dépendant de sa terre changeait de main par vente, échange ou donation. (Th. F.)

5 Voltaire varie continuellement sur cette évaluation. (Th. F.)

6 Le nom de Pourcher est assez répandu et celui dont il est question n'a pu être identifié à coup sûr . Je trouve un M. Pourcher, ingénieur en chef du canal du Charolais, mort en 1778, auteur de planches géographiques gravées par Monnier.

7 Bénigne Le Gouz de Garland, né à Dijon en 1695, mort le 17 mars 1774, avait étudié avec Voltaire au collège de Clermont, aujourd’hui de Louis-le-Grand. (Th. F.)

04/05/2022

Voici , monsieur, bien des matériaux après quoi j'espère vous procurer une tragédie

... Laquelle, je ne sais, mais notre monde n'en manque pas : https://www.francetvinfo.fr/societe/8-mai/direct-suivez-l...

 

NDLR- Rédigé le 8 mai pour parution le 4 mai 2022.

 

« A Jacques Lacombe, Libraire

Quai de Conti

à Paris

14è janvier 1767 1

Les comédiens, monsieur, demandent que vous ayez la bonté de leur donner des exemplaires de la tragédie du Triumvirat . Cependant, ils sont absolument hors d'état de jouer cette pièce . Il n'y a d'acteurs que M. Lekain, et quand même il y aurait des comédiens ce ne serait pas le temps de la jouer . Si vous leur envoyez des exemplaires, je vous prie de corriger à la main quelques fautes essentielles comme page 29 , J'irai chercher Pompée, pour J'irais chercher Pompée, et, page 138, Mintiane pour Minturne .

Les autres corrections qui sont sur le compte de l'auteur, serviraient pour une nouvelle édition, et alors on pourrait la jouer avec deux comédiens dont on dit beaucoup de bien, et qui vont débuter incessamment .

Je vous prie de m'envoyer trois exemplaires à M. Damilaville, quai Saint-Bernard . Faites coller, je vous prie, un petit papier blanc, sur deux de ces volumes, l'un pour M. Thieriot, l'autre pour M. Leclerc de Montmercy.

Je vous conseille, et je vous prie encore une fois de sacrifier le reste de l'édition, et d'en faire une nouvelle corrigée et augmentée, et qui soit en plus petit caractère, et avec moins de blanc ; cela diminuera vos frais .

Comptez que Les Scythes sont à vous, et je voudrais que vous puissiez me faire l'honneur d'imprimer tous mes ouvrages .

Je vous embrasse toujours sans cérémonie .

V.

 

J'ai oublié, monsieur,de vous prier d'envoyer un exemplaire corrigé à M. d'Alembert, et un autre à M. de Marmontel .

Voici une nouvelle provision pour votre errata :

page 96, Je n'ai pu vous frapper au milieu des combats,

mettez :

je n'ai pu vous punir.

page 29, pardonne Cicéron, de Rome heureux génie

mettez :

Cicéron, j'outrageai ta cendre et ton génie.

Voici , monsieur, bien des matériaux après quoi j'espère vous procurer une tragédie de M. de La Harpe qui sera moins indigne de vos soins . »

1 Original ;les deux derniers paragraphes sont autographes (Voici une nouvelle provision...)

03/05/2022

Les choses dans ce monde prennent des faces bien différentes ; tout ressemble à Janus ; tout, avec le temps, a un double visage

... Les paris sont ouverts: combien de temps avant l'éclatement de la Nouvelle Union Populaire écologique et sociale ? Pas chiche de tenir un quinquennat !

NDLR- Rédigé le 7 mai pour parution le 3 mai 2022 .

 

 

« A Philippe-Antoine de Claris, marquis de

Florian

rue d'Anjou, au Marais

à Paris

14è janvier 1767 1

Mon cher grand écuyer de Babylone, il est juste qu’on vous envoie les Scythes et les Persans : cela amusera la famille . Notre abbé turc 2 y a des droits incontestables. Vous pourrez prier Mlle Durancy à dîner : elle trouvera son rôle noté dans l’exemplaire que je vous enverrai ; voilà pour votre divertissement du carnaval. Nous répétons la pièce ici ; elle sera parfaitement jouée par M. et Mme de La Harpe, et j’espère qu’après Pâques M. de La Harpe vous rapportera une pièce intéressante et bien écrite.

Nous remercions mon Turc bien tendrement. Mme Denis et moi, nous l’aimons à la folie, puisqu’il a du courage et qu’il en inspire 3 ; c’est une énigme dont il devinera le mot aisément.

Je viens d’écrire à Maurival, ou plutôt de lui faire écrire ; et dès que j’aurai sa réponse j’agirai fortement auprès du prince dont il dépend. Ce prince m’écrit tous les quinze jours ; il fait tout ce que je veux. Les choses dans ce monde prennent des faces bien différentes ; tout ressemble à Janus ; tout, avec le temps, a un double visage. Ce prince ne connait point Maurival, sans doute ; mais il connaît très bien son désastre. Il m’en a écrit plusieurs fois avec la plus violente indignation, et avec une horreur presque égale à celle que je ressens encore. Il y a des monstres qui mériteraient d’être décimés. Je vous prie de me dire bien positivement si le premier mémoire que vous eûtes la bonté de m’envoyer de la campagne 4 est exactement vrai. En cas que le frère de Maurival veuille fournir quelques anecdotes nouvelles, vous pourrez nous les faire tenir sous l’enveloppe de M. Hennin, résident du roi à Genève.

Vous savez que nous sommes actuellement environnés de troupes, comme de tracasseries. Nous mangeons de la vache : le pain vaut cinq sous la livre ; le bois est plus cher qu’à Paris. Nous manquons de tout, excepté de neige. Oh ! pour cette denrée, nous pouvons en fournir l’Europe. Il y en a dix pieds de haut dans mes jardins, et trente sur les montagnes. Je ne dirai pas que je prie Dieu qu’ainsi soit de vous. Florianet5 a écrit une lettre charmante, en latin, à père Adam. Je vous prie de le baiser pour moi des deux côtés. J’embrasse de tout mon cœur la mère et le fils. »

 

1 L'édition de Kehl rattache une partie de cette lettre à une autre très postérieure du 3 avril 1767 .

2 L’abbé Mignot, neveu de Voltaire, travaillait à son Histoire de l’empire ottoman, qui vit le jour en 1771. quatre volumes in-12 : https://data.bnf.fr/fr/14572485/vincent_mignot/

Et voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Vincent_Mignot

3 Il s’était remué plus que d'Argental pour l’affaire Lejeune et les Recueils nécessaires .

4 Il s'agit du mémoire que V* a utilisé pour écrire la « lettre à lui-même » dont le texte est donné à propos de la lettre du 14 juillet 1766 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/10/06/v... . Celui-ci répond en gros que les informations que V* a reçues reposent sur des « bruits publics », mais seraient « très difficiles à prouver ».

02/05/2022

Je puise ma sensibilité pour les innocents malheureux dans le même fonds dont je tire mon inflexibilité envers les perfides

... C'est clair .

 

NDLR- Rédigé le 7 mai pour parution le 2mai 2022.

 

« A Etienne-Noël Damilaville

14 janvier 1767 1

Votre lettre du 8 de janvier, mon cher ami, m’a remis un peu de baume dans le sang ; c’est le sort de toutes vos lettres. Le président du bureau n’est pas pour les fidèles , mais le chevalier de Chastellux est fidèle . M. de Montyon 2 est fidèle aussi, et c’est beaucoup. Il y a vingt ans qu’on n’aurait pas trouvé les mêmes appuis. Laissez crier les barbares, laissez glapir les Velches ; la philosophie est bonne à quelque chose.

Il se peut faire qu’en brûlant une toise cube de papiers, lorsque je faisais mes paquets, j’aie brûlé aussi le billet de onze cents livres dont vous me parlez 3; mais le remède est entre vos mains.

Je suppose que vous avez déjà donné les trois cents francs à M. Lemberta . Il faut pardonner si on n’a pas encore exécuté tous ses ordres. Il doit deviner la confusion horrible où l’on est . Nous avons des troupes, et nous ne mangeons actuellement que de la vache.

Les Sirven ont de l’argent pour leur voyage et pour leur séjour . Ils sont à vos ordres. Je mourrai content quand nous aurons joint la vengeance des Sirven à celle des Calas.

Envoyez, je vous prie, à M. Lemberta la copie de ma lettre à M. le chevalier de Pezay 4; elle le regarde beaucoup. Rousseau est un scélérat qui périrait par la corde s' il reparaissait sur le territoire de Genève 5 . Il importe de faire connaître entièrement ce misérable . Je puise ma sensibilité pour les innocents malheureux dans le même fonds dont je tire mon inflexibilité envers les perfides. Si je haïssais moins Rousseau je vous aimerais moins. Écrasez l’infâme 6. »

1 L'édition de Kehl expurge la lettre de ce qui concerne Rousseau .

3 Ces quatre mots ne sont pas sur le manuscrit copié .

4 La copie Darmstadt B. porte M. de Pezay .

5 Cette phrase et la suivante manquent sur toutes les éditions ; la copie Darmstadt B. donne seulement Rousseau est un scélérat . Le reste de la phrase est pris d'une autre copie contemporaine .

6 Cette formule finale manque dans la copie Darmstadt .

01/05/2022

J'ai un besoin pressant

... Je reviens ...

NDLR- Rédigé le 7 mai pour parution le 1er mai 2022.

 

« A Gabriel Cramer

chez monsieur Ponchara

à Genève

Mon cher Gabriel, malgré toutes vos discussions politiques sur la manière dont Genève sera toujours une ville libre, à l'abri des lettres de cachet et des édits bursaux, etc., etc., etc., etc., trouvez je vous en supplie un petit moment pour me faire avoir Dion Cassius grec et latin qui est à la bibliothèque . J'ai un besoin pressant de le consulter . Vous me ferez un extrême plaisir de l'envoyer chez Souchay aujourd'hui . Je le rendrai demain . Je vous serai bien obligé .

Un plaisant bruit court que Jean-Jacques est à Genève avec sa sorcière 1.

Mercredi matin [14 janvier 1767] »

1 V* nomme ainsi Thérèse Levasseur dans La Guerre civile de Genève, III, 28 : voir page 29 et 37 : https://books.google.fr/books?id=Gy8HAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=sorci%C3%A8re&f=false

30/04/2022

Souffrez aussi que je félicite mon siècle de ce qu’il produit des âmes comme la vôtre, qui désarment la superstition

... Vive Pierre-François Moreau !

Et Spinoza, le véritable insoumis !*

https://www.philomag.com/articles/la-raison-contre-la-sup...

*Pas comme le   Mélenchon politicard, insoumis de pacotille.

Qu'est-ce que la pensée magique et la superstition? | Psychomédia

 

NDLR - Rédigé le 7 mai pour parution le 30 avril 2022

 

« Au chevalier François-Jean de Chastellux

Au château de Ferney, par Genève, 14è janvier 1767

Monsieur,

Il y a des malheurs 1 qui produisent les choses du monde les plus heureuses. Votre philosophie et votre générosité ont secouru l’innocence menacée. Permettez-moi de vous témoigner la reconnaissance dont je serai pénétré toute ma vie. Souffrez aussi que je félicite mon siècle de ce qu’il produit des âmes comme la vôtre, qui désarment la superstition . Cela ne serait pas arrivé il y a vingt ans.

J’ai l’honneur d’être, avec autant de reconnaissance que de respect,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

1 Le chevalier de Chastellux a écrit en marge la note suivante : « Il s’agissait dans cette lettre de livres arrêtés. Je ne me rappelle pas à quel propos ; mais c’était toujours une recommandation auprès de M. d’Aguesseau (fils du chancelier et oncle de Chastellux) que M. de V. avait demandée. »

D'Aguesseau de Fresne, doyen du conseil, beau-frère du comte de Chastellux, père du chevalier François-Jean de Chastellux ; voir : https://portail.biblissima.fr/ark:/43093/pdatab534c2a39c3... et : https://gw.geneanet.org/arnac?lang=fr&n=de+chastellux&oc=0&p=francois+jean

29/04/2022

nous reprenons gaiement nos chaînes si elles ne sont pas déshonorantes

... L'élection présidentielle est passée, ne nous déshonorons pas en élisant des guignols à l'Assemblée . Le premier-ministrable auto-proclamé Mélenchon rappelle furieusement Georges Marchais, et l'on sait ce qu'il advint de ces épousailles forcées : divorce et funérailles .

https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_de_la_gauche

NDLR- Rédigé le 7 mai pour parution le 29 avril 2022.

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

13 janvier [1767], partira le 14 1

Nous venions, mon cher ange, d’envoyer le mémoire ci-joint à M. de Montyon 2, et d’en faire une copie pour vous, selon notre usage, lorsque nous avons reçu votre aimable lettre du 7 janvier.

1° C’est à votre sagesse à voir quel usage on peut faire de ce mémoire. C’est un grand bonheur que ce Jeannin n’ait nommé que la Doiret devant ces trois témoins ; il ne sera plus reçu à nommer un autre nom. Faites valoir ou supprimez ce mémoire, tout sera bien fait.

2° Que l’on prononce contre la dame Doiret toutes les condamnations possibles, cela ne nous fait rien. Que l’on fasse des livres ce que l’on voudra, nous ne nous y intéressons assurément point.

3° Nous ne concevons pas, notre cher ange, comment vous nous proposez d’écrire à M. de Chauvelin, lorsque vous êtes à portée de lui parler 3.

Est-il possible que vous nous proposiez de faire par lettres, à cent trente lieues d’éloignement, ce que vous pouvez faire de vive voix à Paris en deux minutes ! Nous ne demandons la prompte révocation de Jeannin qu’afin qu’il ne puisse apprendre le nom de Mme Lejeune au bureau de Collonges, et vous restez tranquille !4

4° Vous ne dites point quel est le président du bureau ; et vous devez bien présumer que nous le saurons sans vous, et que nous le saurons trop tard 5 . N. B. Nous l’apprenons dans le moment, et nous aurions tremblé à ce nom, sans M. de Praslin et M. de Chastellux .

5° Nous sommes aux pieds de M. le duc de Praslin, mais nous serions aussi à son cou s’il avait parlé d’abord à monsieur le vice-chancelier 6.

6° S’il était nécessaire que moi V. j’allasse arranger mes affaires avec M. le duc de Virtemberg, vous concevez bien que les discours de Paris ne m’en empêcheraient pas. Il est vrai que je suis bien malade, et que je risquerais ma vie au milieu des neiges ; mais si on me persécutait à soixante-treize ans, cette vie ne mériterait pas d’être conservée 7.

7° Permettez-nous d’insister plus que jamais sur la saisie de l’équipage de Mme Denis. Vous ne connaissez pas encore une fois la province où nous sommes. Cette saisie et la raison de la saisie ne lui permettraient pas de rester dans un château que j’ai bâti à si grands frais. Il faudrait tout abandonner, et j’irais certainement mourir dans les pays étrangers 8.

8° Moi V., je vous, conjure à présent de songer aux Scythes plus que jamais. C’est précisément dans ce temps-ci qu’il faut qu’ils paraissent pour faire diversion ; il est absolument nécessaire ou qu’on les joue ou qu’on les débite. Vous ne m’avez point accusé réception des deux exemplaires adressés à M. le duc de Praslin . Je lui en ai adressé encore un troisième, avec les directions nécessaires pour les acteurs. Puisse cette pièce être jouée comme elle va l’être à Ferney ! M. et Mme de La Harpe sont des acteurs excellents, et tout le reste est fort bon 9.

Maintenant vous me demanderez peut-être comment je ne me suis pas adressé à M. le duc de Choiseul dans l’affaire présente ? C’est que précisément, dans ce temps-là même, je prenais la liberté de lui en recommander d’autres auxquelles il se prêtait avec une bonté et un courage inexprimables. C’est enfin parce que, ne sachant pas quelle serait l’issue de cette abominable aventure, je réservais sa protection pour mes affaires avec M. le duc de Virtemberg 10.

Je vous supplie de remercier pour moi M. le chevalier de Chastellux. Je le connais par ricochet ; c’est un philosophe. On me mande qu’on exerce une furieuse tyrannie contre les autres philosophes. Jugez si j’ai dû commencer par faire mes paquets !

Songez bien aux dates, mon cher ange, je vous en conjure . Le mémoire pour M. de Montyon est parti un jour avant que je vous écrive cette lettre 11. Si vous jugez à propos que ce mémoire n’ait d’autre effet que celui de faire voir combien le receveur du bureau de Collonges est indigne de recevoir le prix de sa rapine, il suffira que M. de Montyon l’ait lu sans pousser les choses plus loin.

Songez bien encore que nous n’avons commencé un procès criminel contre des quidams inconnus que pour montrer combien nous avons à cœur de poursuivre les délinquants et de constater notre innocence. Ce procès criminel n’a point été suivi, et nous en avons effacé tous les vestiges.

Encore une fois, que la Doiret et le quidam soient condamnés à l’amende, c’est ce que nous demandons ; et que le nom de Jeannin même ni le mien ne paraissent point dans l’arrêt.

Nous aurions demandé un délai à M. de Montyon ; mais, sur votre lettre et sur la lettre détaillée de l’abbé Mignot, nous n’en demandons plus.

Le mot d’amende qui se trouvait dans la lettre de Mme d’Argental, et qui semblait porter sur Mme Denis, nous avait cruellement alarmés ; nous étions résolus à tout hasarder plutôt que de nous soumettre à un tel affront 12.

Nous respirons depuis douze ans l’air des républiques ; mais nous reprenons gaiement nos chaînes si elles ne sont pas déshonorantes. Vous savez que, de cette petite affaire-là, j’ai eu une attaque d’apoplexie ; mais je ne veux pas en avoir deux, et je veux mourir tranquille 13.

Je me mets aux pieds du satrape Nalrisp 14. J’ai des raisons essentielles pour que l’on joue les Scythes, et pour qu’on les débite incessamment.

Le temps est horrible : le thermomètre est à quinze degrés au-dessous de la glace, comme en 1709, dans notre Sibérie. Le froid est, dit-on, excessif à Paris ; mais on peut apprendre ses rôles dans cette extrême rigueur de la saison, et jouer la pièce dans un temps plus doux.

Au reste, j’écris un mot de remerciement à M. le chevalier de Chastellux 15, et je vous supplie de vouloir bien le lui faire remettre.

Il ne me reste plus qu’a baiser les ailes de mes anges avec mon idolâtrie ordinaire. 

V.»

1 Les commentaires qui figurent en notes sont de la main de d'Argental , rajoutés par lui en marge des paragraphes en question .

3 « C'est pour gagner du temps que l'on a indiqué cette voie, persuadé que c'était tout perdre que de demander sur-le-champ la révocation . »

4 « C'est précisément ce qu'il ferait s'il était révoqué e ton ne douterait pas alors que M. de Voltaire n'eut favorisé le colportage « . Remarque fort judicieuse : l'insistance que met V* à réclamer la révocation du malheureux procède évidemment plus d'un désir de vengeance que d'un calcul raisonné .

5 M. d’Argental répond en marge : « On ne l’a point nommé parce que cela ne pouvait servir qu’à inquiéter. »

6 Note de M. d’Argental : « M. de Praslin n’était point à portée de parler au vice-chancelier ; sa recommandation aurait tout gâté. »

7 Note de M. d’Argental : « Le duc est parti pour Venise ; ainsi le prétexte serait tout trouvé. »

8 « Monsieur l'abbé a répondu à cet article du prétendu déshonneur. »

9 « On peut les jouer le mercredi des Cendres mais soit qu'on les joue, soit qu'on en distribue l'édition il est essentiel que M ; de V. retouche son Vè acte . »

10 Note de M. d’Argental : « Cette raison est mauvaise ; M. le duc de Choiseul n’aurait pas mieux demandé que d’ajouter ce service aux autres. »

11 Note de M. d’Argental : « Le mémoire et la lettre sont arrivés en même temps ; la poste n’est point exacte, et c’est ce qui fait que monsieur le chancelier a reçu le procès-verbal avant que nous en ayons eu l’avis. »

12 Note de M. d’Argental : « Mme d’Argental n’a jamais parlé d’amende que comme devant tomber sur la Doiret. »

13 « Il est affreux de reprocher à son ami qu'il a été cause de la prétendue attaque d'apoplexie . »

14 Praslin.