29/04/2022
nous reprenons gaiement nos chaînes si elles ne sont pas déshonorantes
... L'élection présidentielle est passée, ne nous déshonorons pas en élisant des guignols à l'Assemblée . Le premier-ministrable auto-proclamé Mélenchon rappelle furieusement Georges Marchais, et l'on sait ce qu'il advint de ces épousailles forcées : divorce et funérailles .
https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_de_la_gauche
NDLR- Rédigé le 7 mai pour parution le 29 avril 2022.
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
13 janvier [1767], partira le 14 1
Nous venions, mon cher ange, d’envoyer le mémoire ci-joint à M. de Montyon 2, et d’en faire une copie pour vous, selon notre usage, lorsque nous avons reçu votre aimable lettre du 7 janvier.
1° C’est à votre sagesse à voir quel usage on peut faire de ce mémoire. C’est un grand bonheur que ce Jeannin n’ait nommé que la Doiret devant ces trois témoins ; il ne sera plus reçu à nommer un autre nom. Faites valoir ou supprimez ce mémoire, tout sera bien fait.
2° Que l’on prononce contre la dame Doiret toutes les condamnations possibles, cela ne nous fait rien. Que l’on fasse des livres ce que l’on voudra, nous ne nous y intéressons assurément point.
3° Nous ne concevons pas, notre cher ange, comment vous nous proposez d’écrire à M. de Chauvelin, lorsque vous êtes à portée de lui parler 3.
Est-il possible que vous nous proposiez de faire par lettres, à cent trente lieues d’éloignement, ce que vous pouvez faire de vive voix à Paris en deux minutes ! Nous ne demandons la prompte révocation de Jeannin qu’afin qu’il ne puisse apprendre le nom de Mme Lejeune au bureau de Collonges, et vous restez tranquille !4
4° Vous ne dites point quel est le président du bureau ; et vous devez bien présumer que nous le saurons sans vous, et que nous le saurons trop tard 5 . N. B. Nous l’apprenons dans le moment, et nous aurions tremblé à ce nom, sans M. de Praslin et M. de Chastellux .
5° Nous sommes aux pieds de M. le duc de Praslin, mais nous serions aussi à son cou s’il avait parlé d’abord à monsieur le vice-chancelier 6.
6° S’il était nécessaire que moi V. j’allasse arranger mes affaires avec M. le duc de Virtemberg, vous concevez bien que les discours de Paris ne m’en empêcheraient pas. Il est vrai que je suis bien malade, et que je risquerais ma vie au milieu des neiges ; mais si on me persécutait à soixante-treize ans, cette vie ne mériterait pas d’être conservée 7.
7° Permettez-nous d’insister plus que jamais sur la saisie de l’équipage de Mme Denis. Vous ne connaissez pas encore une fois la province où nous sommes. Cette saisie et la raison de la saisie ne lui permettraient pas de rester dans un château que j’ai bâti à si grands frais. Il faudrait tout abandonner, et j’irais certainement mourir dans les pays étrangers 8.
8° Moi V., je vous, conjure à présent de songer aux Scythes plus que jamais. C’est précisément dans ce temps-ci qu’il faut qu’ils paraissent pour faire diversion ; il est absolument nécessaire ou qu’on les joue ou qu’on les débite. Vous ne m’avez point accusé réception des deux exemplaires adressés à M. le duc de Praslin . Je lui en ai adressé encore un troisième, avec les directions nécessaires pour les acteurs. Puisse cette pièce être jouée comme elle va l’être à Ferney ! M. et Mme de La Harpe sont des acteurs excellents, et tout le reste est fort bon 9.
Maintenant vous me demanderez peut-être comment je ne me suis pas adressé à M. le duc de Choiseul dans l’affaire présente ? C’est que précisément, dans ce temps-là même, je prenais la liberté de lui en recommander d’autres auxquelles il se prêtait avec une bonté et un courage inexprimables. C’est enfin parce que, ne sachant pas quelle serait l’issue de cette abominable aventure, je réservais sa protection pour mes affaires avec M. le duc de Virtemberg 10.
Je vous supplie de remercier pour moi M. le chevalier de Chastellux. Je le connais par ricochet ; c’est un philosophe. On me mande qu’on exerce une furieuse tyrannie contre les autres philosophes. Jugez si j’ai dû commencer par faire mes paquets !
Songez bien aux dates, mon cher ange, je vous en conjure . Le mémoire pour M. de Montyon est parti un jour avant que je vous écrive cette lettre 11. Si vous jugez à propos que ce mémoire n’ait d’autre effet que celui de faire voir combien le receveur du bureau de Collonges est indigne de recevoir le prix de sa rapine, il suffira que M. de Montyon l’ait lu sans pousser les choses plus loin.
Songez bien encore que nous n’avons commencé un procès criminel contre des quidams inconnus que pour montrer combien nous avons à cœur de poursuivre les délinquants et de constater notre innocence. Ce procès criminel n’a point été suivi, et nous en avons effacé tous les vestiges.
Encore une fois, que la Doiret et le quidam soient condamnés à l’amende, c’est ce que nous demandons ; et que le nom de Jeannin même ni le mien ne paraissent point dans l’arrêt.
Nous aurions demandé un délai à M. de Montyon ; mais, sur votre lettre et sur la lettre détaillée de l’abbé Mignot, nous n’en demandons plus.
Le mot d’amende qui se trouvait dans la lettre de Mme d’Argental, et qui semblait porter sur Mme Denis, nous avait cruellement alarmés ; nous étions résolus à tout hasarder plutôt que de nous soumettre à un tel affront 12.
Nous respirons depuis douze ans l’air des républiques ; mais nous reprenons gaiement nos chaînes si elles ne sont pas déshonorantes. Vous savez que, de cette petite affaire-là, j’ai eu une attaque d’apoplexie ; mais je ne veux pas en avoir deux, et je veux mourir tranquille 13.
Je me mets aux pieds du satrape Nalrisp 14. J’ai des raisons essentielles pour que l’on joue les Scythes, et pour qu’on les débite incessamment.
Le temps est horrible : le thermomètre est à quinze degrés au-dessous de la glace, comme en 1709, dans notre Sibérie. Le froid est, dit-on, excessif à Paris ; mais on peut apprendre ses rôles dans cette extrême rigueur de la saison, et jouer la pièce dans un temps plus doux.
Au reste, j’écris un mot de remerciement à M. le chevalier de Chastellux 15, et je vous supplie de vouloir bien le lui faire remettre.
Il ne me reste plus qu’a baiser les ailes de mes anges avec mon idolâtrie ordinaire.
V.»
1 Les commentaires qui figurent en notes sont de la main de d'Argental , rajoutés par lui en marge des paragraphes en question .
2 Lettre du 9 janvier 1767 à Montyon : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/04/19/n-ayant-rien-on-ne-peut-rien-m-oter-j-ai-tout-donne-6377302.html
3 « C'est pour gagner du temps que l'on a indiqué cette voie, persuadé que c'était tout perdre que de demander sur-le-champ la révocation . »
4 « C'est précisément ce qu'il ferait s'il était révoqué e ton ne douterait pas alors que M. de Voltaire n'eut favorisé le colportage « . Remarque fort judicieuse : l'insistance que met V* à réclamer la révocation du malheureux procède évidemment plus d'un désir de vengeance que d'un calcul raisonné .
5 M. d’Argental répond en marge : « On ne l’a point nommé parce que cela ne pouvait servir qu’à inquiéter. »
6 Note de M. d’Argental : « M. de Praslin n’était point à portée de parler au vice-chancelier ; sa recommandation aurait tout gâté. »
7 Note de M. d’Argental : « Le duc est parti pour Venise ; ainsi le prétexte serait tout trouvé. »
8 « Monsieur l'abbé a répondu à cet article du prétendu déshonneur. »
9 « On peut les jouer le mercredi des Cendres mais soit qu'on les joue, soit qu'on en distribue l'édition il est essentiel que M ; de V. retouche son Vè acte . »
10 Note de M. d’Argental : « Cette raison est mauvaise ; M. le duc de Choiseul n’aurait pas mieux demandé que d’ajouter ce service aux autres. »
11 Note de M. d’Argental : « Le mémoire et la lettre sont arrivés en même temps ; la poste n’est point exacte, et c’est ce qui fait que monsieur le chancelier a reçu le procès-verbal avant que nous en ayons eu l’avis. »
12 Note de M. d’Argental : « Mme d’Argental n’a jamais parlé d’amende que comme devant tomber sur la Doiret. »
13 « Il est affreux de reprocher à son ami qu'il a été cause de la prétendue attaque d'apoplexie . »
14 Praslin.
15 La lettre du 14 janvier 1767 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/04/correspondance-annee-1767-partie-7.html
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28/04/2022
s’il n’est pas un jour votre secrétaire, vous ne pourrez mieux faire que de le faire agréer à la bibliothèque du roi, place très conforme au genre d’étude vers lequel il se porte avec une espèce de fureur
... Je vois bien ce conseil donné à E. Macron à propos de cette Perrette-Mélenchon qui se hausse du col pour réclamer le poste de premier ministre : ce serait risible si ce n'était un bluff gros comme l'orgueil de ce hableur . Le bordel risquerait d'être infailliblement à notre portée .
NDLR- Rédigé le 7 mai pour parution le 28 avril 2022.
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
13 janvier [1767] au soir, par Genève, malgré les troupes.
Après avoir eu l’honneur de recevoir votre lettre de Bordeaux, concernant Gallien, je vous écrivis, monseigneur, le 9 de janvier. Je reçois aujourd’hui votre lettre du 29, par laquelle je vois que je suis heureusement entré dans toutes vos vues, et que j’avais heureusement prévenu vos ordres concernant ce jeune homme.
Je suis encore fort incertain si je partirai ou non pour aller chez monsieur l’ambassadeur en Suisse, et de là régler mes affaires avec M. le duc de Virtemberg. Vous seriez d’ailleurs bien étonné de la raison principale qui peut me forcer d’un moment à l’autre à faire ce voyage. C’est un homme que vous connaissez, un homme qui vous a obligation, un homme dont vous vous êtes plaint quelquefois à moi-même, un homme qui est mon ami depuis plus de soixante années, un homme enfin qui, par la plus singulière aventure du monde, m’a mis dans le plus étrange embarras Je suis compromis pour lui de la manière la plus cruelle ; mais je n’ai à lui reprocher que de s’être conduit avec un peu trop de mollesse ; et, quoi qu’il arrive, je ne trahirai point une amitié de soixante années, et j’aime mieux tout souffrir que de le compromettre à mon tour. Je vous défie de deviner le mot de l’énigme, et vous sentez bien que je ne puis l’écrire ; mais vous devinez aisément la personne 1. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut s’attendre à tout dans cette vie, se tenir prêt à tout, savoir se sacrifier pour l’amitié, et se résigner à la fatalité aveugle qui dispose des choses de ce monde.
Cela n’empêchera pas que je ne vous envoie ma tragédie des Scythes pour votre carnaval, dès que vous m’en aurez donné l’ordre ; cela vous amusera, et il faut s’amuser.
Je vous demande très humblement pardon de la prière que je vous ai faite 2; mais l’état où je suis m’y a forcé. Si je reste dans mes montagnes, nous serons obligés d’envoyer à dix lieues chercher des provisions, parce que la communication est interrompue avec Genève par des troupes ; nos fermiers se sont enfuis sans nous payer ; et, si je vais en Suisse et ailleurs, le secours que j’ai pris la liberté de vous demander ne me sera pas moins nécessaire.
Je suis bien de votre avis quand vous me marquez que Gallien 3 n’est pas encore en état de faire l’histoire du Dauphiné ; mais je pense qu’il est très à propos de lui laisser amasser les matériaux qu’il trouve dans ma bibliothèque, et dans celles de plusieurs maisons de Genève, où on se fait un plaisir de l’aider dans ses recherches. Il travaille beaucoup, et même avec passion ; il cultive sa mémoire, qui est, comme tout le monde en conviendra, tout à fait étonnante ; et, s’il n’est pas un jour votre secrétaire, vous ne pourrez mieux faire que de le faire agréer à la bibliothèque du roi, place très conforme au genre d’étude vers lequel il se porte avec une espèce de fureur. Quand même je ne serais pas à Ferney, il pourra toujours assembler ses matériaux dans ma bibliothèque et dans celles dont je vous ai parlé ; après quoi son style, que je ne trouve rien moins que mauvais, venant à se perfectionner au bout de quelque temps, on le confiera à quelque savant bénédictin du Dauphiné, pour en tirer les anecdotes les plus curieuses pour l’embellissement de l’histoire de cette province, pour laquelle il a un violent penchant, et sur laquelle il a déjà huit portefeuilles d’anecdotes et de recherches qu’il a faites depuis son arrivée, sans compter ce qu’il avait déjà recueilli dans l’endroit 4 où vous l’avez si judicieusement tenu pendant deux ans, temps qu’il a mis à profit, contre l’ordinaire. Enfin j’augure bien de cette histoire du Dauphiné. Cette province, heureusement pour lui, n’a pas un écrivain dont la lecture soit supportable. Elle peut être enfin le fondement de sa fortune.
En vous priant d’agréer mes hommages et ceux de Mme Denis, permettez que je vous envoie un fragment d’un endroit de ma lettre 5 à la personne dont je vous ai parlé . Vous verrez par là à quel homme j’ai affaire. Je vous conjure de me garder le plus profond secret.
V. »
1 D’Argental. Voltaire explique encore ici les choses à sa manière. (Georges Avenel.)
2 Voltaire, créancier de Richelieu, avait demandé deux cents louis à son débiteur ; voir lettre du 9 janvier 1767 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/04/20/votre-banquier-de-bordeaux-peut-aisement-vous-avancer-pour-s-6377475.html
3 Voir lettre 6530 du 8 octobre 1766 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/01/10/il-n-y-a-point-assurement-de-facon-de-pisser-plus-noble-que-6359638.html
4 Ce doit être quelque maison de correction.
5 La lettre précédente du 12 janvier 1767 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/04/24/les-ministres-s-etaient-fait-une-loi-de-ne-point-se-comprome-6378278.html
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27/04/2022
je prends la liberté de vous envoyer pour vos étrennes un petit éloge de l’hypocrisie
... Adressé au premier ministre qui doit se faire bien voir des membres de son gouvernement , lesquels sont aux aguets pour remporter les palmes de bonne conduite .
"Lève les yeux, parle en citoyen libre :
Sois franc, sois simple; et, sans affecter rien,
Essaye un peu d'être un homme de bien."
NDLR- Rédigé le 6 mai pour parution le 27 avril 2022 .
« A Frédéric II, landgrave de Hesse-Cassel
À Ferney, le 13 janvier 1767 1
Monseigneur,
Comme je sais que vous aimez passionnément les hypocrites, je prends la liberté de vous envoyer pour vos étrennes un petit éloge de l’hypocrisie 2, adressé à un digne prédicant de Genève. Si cela peut amuser Votre Altesse sérénissime, l’auteur, quel qu’il soit, sera trop heureux.
Votre Altesse sérénissime est informée, sans doute, de la guerre que les troupes invincibles de Sa Majesté très chrétienne font à l’auguste république de Genève. Le quartier général est à ma porte. Il y a déjà eu beaucoup de beurre et de fromage d’enlevé, beaucoup d’œufs cassés, beaucoup de vin bu, et point de sang répandu. La communication étant interdite entre les deux empires, je me trouve bloqué dans ce petit château que Votre Altesse sérénissime a honoré de sa présence. Cette guerre ressemble assez à la Secchia rapita 3; et si j’étais plus jeune, je la chanterais assurément en vers burlesques 4. Les prédicants, les catins, et surtout le vénérable Covelle, y joueraient un beau rôle. Il est vrai que les Genevois ne se connaissent pas en vers ; mais cela pourrait réjouir les princes aimables qui s’y connaissent. La seule chose que j’ambitionne à présent, monseigneur, ce serait de venir au printemps vous renouveler mes sincères hommages.
J’ai l’honneur d’être, etc.
Voltaire.»
1 L'orignal signé est passé en vente chez Charavay à Paris le 18 mars 1899 .
2 Cette pièce en vers a été publiée pour la première fois dans les Honnêtetés littéraires sous le titre « Maître Guignard, ou De l’hypocrisie, diatribe par M. Robert Covelle », parmi les Satires : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome10.djvu/147
3 Voir lettre du 4 février 1766 à Moultou : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/05/25/vos-genevois-sont-malades-d-une-indigestion-de-bonheur-ils-sont-trop-a-leur.html
4 Par ce passage on voit que V* a commencé à écrire La Guerre civile de Genève : https://books.google.fr/books?id=Gy8HAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
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26/04/2022
Ayez la bonté de faire savoir à quoi vous vous sentez le plus propre
... D'un président à un ministre potentiel .
NDLR - Rédigé le 6 mai pour parution le 26 avril 2022 .
« A Jacques-Marie-Bertrand Gaillard d'Etallonde 1
13 de janvier 1767
Un homme qui a été sensiblement touché de vos malheurs 2, monsieur, et qui est encore saisi d’horreur du désastre d’un de vos amis 3, désirerait infiniment de vous rendre service. Ayez la bonté de faire savoir à quoi vous vous sentez le plus propre ; si vous parlez allemand, si vous avez une belle écriture, si vous souhaiteriez d’être placé chez quelque prince d’Allemagne, ou chez quelque seigneur, en qualité de lecteur, de secrétaire, de bibliothécaire ; si vous êtes engagé au service de Sa Majesté le roi de Prusse, si vous souhaitez qu’on lui demande votre congé, si on peut vous recommander à lui comme homme de lettres ; en ce cas on serait obligé de l’instruire de votre nom, de votre âge, et de votre malheur. Il en serait touché ; il déteste les barbares ; il a trouvé votre condamnation abominable.
Ne vous informez point qui vous écrit, mais écrivez un long détail à Genève, à M. Misopriest 4, chez M. Souchay, marchand de draps, au Lion d’or. Ayez la bonté de dire à M. Haas, chez qui vous logez, qu’on lui remboursera tous les ports de lettres qu’on vous enverra sous enveloppe.
Voulez-vous bien aussi, monsieur, nous faire savoir ce que monsieur votre père vous donne par an, et si vous avez une paye à Vesel ? On ne peut vous rien dire de plus pour le présent, et on attend votre réponse. »
1 Gaillard d’Étallonde, condamné par contumace dans l’horrible affaire du chevalier de La Barre, était fils du président de l’élection d’Abbeville. Échappé aux bourreaux, il prit du service sous le nom de Morival. Voltaire le recommanda au roi de Prusse, qui, plusieurs années après, permit à d’Étallonde de venir en France pour faire casser sa condamnation. Ce fut alors (1775) que Voltaire écrivit le Cri du sang innocent (voyez tome XXÏX, page 375). On offrit à d’Étallonde des lettre de grâce ; il les refusa, et sortit de France. Il alla voyager en Russie. Ayant obtenu, en 1788, des lettres d’abolition, il revint en France, se fixa à Amiens, où il est mort pendant les premières années de la Révolution. (Beuchot.)
2 Hennin a fait part de ces sentiments à V* dans une lettre du 21 juin 1766 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6369
3 Le chevalier de La Barre .
4 Pseudonyme déjà employé depuis le début de 1766 ; ce mot signifie ennemi des prêtres.
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25/04/2022
interea patitur justus /Entre temps, c'est le juste qui pâtit
... Comme d'hab !
« A Pierre de Buisson, chevalier de Beauteville
À Ferney, 13è janvier 1767
Monsieur,
Votre Excellence va être bien étonnée, et va prendre ceci pour une plaisanterie fort indiscrète ; mais comme je suis un peu embarrassé avec mes banquiers de Genève, tant pour leur argent de change inintelligible 1 que par leur agio trop intelligible, je suis obligé d’avoir recours à votre protection . Je suis un pauvre Scythe qui implore les bontés d’un ambassadeur persan. La lettre de change ci-jointe vous dira de quoi il est question. Si vous daignez engager M. le trésorier des Suisses à faire tenir cette lettre de change à Montbéliard, elle sera acceptée sans difficulté, et j’espère venir prendre cet argent chez monsieur le trésorier quand je serai assez heureux pour sortir de mon lit, et pour venir vous faire ma cour dans votre royaume.
Il est bien vrai que nous n’avons point eu aujourd’hui de bœuf pour faire du bouillon. Nous manquons de tout ; les Genevois mangent de bonnes poulardes de Savoie ; on s’imagine les avoir punis, et c’est nous que l’on punit. Le mal tombe surtout sur notre maison. Je prends la liberté grande de dire à M. le duc de Choiseul qu’il a le diable au corps , mais interea patitur justus 2.
Si je ne connaissais pas votre extrême bonté, je n’aurais pas tant d’effronterie.
Au reste, je vous réponds que je ne jouer[ai] pas mes deux cents louis au pharaon, comme le chevalier de Boufflers , mais aussi il ne m’est pas permis, à mon âge, d’être aussi plaisant que lui. Permettez-moi de dire les choses les plus tendres à M. le chevalier de Taulès, et daignez agréer l’attachement inviolable et le profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être ,
monsieur, de Votre Excellence le très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire. »
1 L'édition Garnier met « par leur argot de change inintelligible »
2 Entre temps, c'est le juste qui pâtit .
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24/04/2022
On peut regarder leur opinion comme un ordre
... L'opinion des électeurs ordonne l'exécution du programme du candidat à la présidence, désormais élu pour cinq ans : Emmanuel Macron (sa challenger, soulagée, peut retourner faire des grattouilles à ses chats et vivre aux crochets de son parti ) .
L'extrême-droite a atteint ses limites : plouf!
« A Jacques Lacombe
12è février 1767, à Ferney par Lyon 1
Non, monsieur, vous n’êtes point mon libraire, vous êtes mon ami, vous êtes un homme de lettres et de goût, qui avez bien voulu faire imprimer un ouvrage d’un de mes autres amis 2, et qui voulez bien vous charger de donner une édition correcte des Scythes, dès que je pourrai vous faire connaître l’original. Je vous avoue que l'auteur du Triumvirat m'a confié qu'il est fort affligé que vous ayez tiré plus de sept cent cinquante exemplaires de son ouvrage . Vous ne pouviez guère en débiter un plus grand nombre dans l'indifférence où l'on est aujourd'hui sur tout ce qui peut n'être que bon, et qui n'est pas annoncé au public par un grand succès au théâtre . La multitude de ces écrits est si prodigieuse que les nouveaux venus se perdent dans la foule . S'il est vrai que vous n'avez tiré qu'environ sept cents exemplaires, il dit que c'est cent cinquante de trop . Il vous prie d'en envoyer des exemplaires à M. de Lutteau, correspondant du Journal encyclopédique et du Mercure, à M. Gaillard, chargé de la partie des belles-lettres au Journal des savants, à M. Damilaville au bureau des vingtièmes, quai Saint-Bernard (deux exemplaires ) . Il vous supplie de faire corriger à la main, dans tous ces exemplaires que vous enverrez, la page 29 J'irai chercher Pompée, mettez : J'irais chercher Pompée, et à la page 138 ceux de Mintiane, corrigez : ceux de Minturne.
On vous prie aussi d'ajouter à l'errata qu'on vous a envoyé un changement nécessaire à la page 29 . Mon ami a raison de vouloir que, sa pièce n'étant point intéressante, elle soit au moins correcte . Il y a deux fois heureux à cette page 29 à trois vers l'un de l'autre ,
Pardonne Cicéron, de Rome heureux génie,
mettez :
Cicéron, j'outrageai ta cendre et ton génie.
Si vous vouliez faire plaisir à l'auteur de l'ouvrage, vous en feriez une seconde édition en sacrifiant les exemplaires de la première qui vous restent . Cette seconde édition se vendrait surtout à la faveur de celle des Scythes avec une petite préface par laquelle vous avertiriez que vous joignez ces deux pièces ensemble ainsi que d'autres morceaux de littérature que vous avez cru mériter l'attention des connaisseurs .
Au reste, j'ai préparé un avis au public 3 dans lequel je dis que le sieur Duchesne qui demeurait au Temple du goût, mais qui n'en avait aucun, s'est avisé de défigurer tous mes ouvrages, et qu'il a obtenu un privilège du roi pour me rendre ridicule . Je crois du moins que son privilège est expiré, et qu’il m’est permis de donner mes ouvrages à qui bon me semble. MM. Cramer ont imprimé Les Scythes au milieu des troubles de Genève , et la pièce est si fautive qu'elle est toute corrigée à la main . On n'en débitera aucune exemplaires en France . Le sentiment de M. le duc de Praslin et de M. le duc de Choiseul , à qui la pièce est dédiée, est qu'on puisse la jouer à Paris avant qu'on la débite . On peut regarder leur opinion comme un ordre . Vous pourriez toujours vous munir d'une permission . Je vous enverrai la pièce dès que vous le voudrez . Vous en garderez tous les exemplaires presqu'à ce qu'il soit convenable de faire la vente, et je vous prierai toujours de n'en tirer d'abord que sept cent cinquante en conservant les dernières planches pour me donner le loisir de corriger dans une nouvelle édition ce qu'on aura trouvé de répréhensible. J’attends votre réponse en vous embrassant de tout mon cœur .
V. »
1 L'édition de Kehl amalgame cette lettre, réduite à des fragments, avec des fragments de lettres du 7 février et du 14 mars 1767 .
2 La tragédie du Triumvirat, que Voltaire voulait qu’on attribuât à un jésuite.
3 C’est l’Avis au lecteur imprimé à la fin de l'édition de Lacombe des Scythes : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome6.djvu/345
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les ministres s’étaient fait une loi de ne point se compromettre pour leurs amis, et de ne se rien demander les uns aux autres
... Voulez-vous que je vous dise : j'en doute , et même je suis quasiment sûr que c'est exactement le contraire qui prévaut . On ne devient pas ministre sans accointances . Les paris sont ouverts à partir de ce soir à 20H .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
12è janvier 1767
Vous serez peut-être impatienté, mon adorable ange, de recevoir si souvent de mes lettres ; mais c’est que je suis bien affligé d’en recevoir si peu de vous. Pardonnez, je vous en conjure, aux inquiétudes de Mme Denis et aux miennes.
Voyez encore une fois dans quel embarras cruel nous a jetés le délai de parler à monsieur le vice-chancelier, que dis-je, mon cher ange, de lui faire parler ? On s’est borné à lui faire écrire, et il n’a reçu la lettre de recommandation qu’après avoir porté l’affaire à un bureau de conseillers d’État. Voilà certainement de ces occasions où M. le duc de Praslin aurait pu parler sur-le-champ, interposer son crédit, donner sa parole d’honneur, et finir l’affaire en deux minutes.
Vous nous mandâtes quelque temps auparavant, à propos de M. de Sudre, que les ministres s’étaient fait une loi de ne point se compromettre pour leurs amis, et de ne se rien demander les uns aux autres. Ce serait assurément une loi bien odieuse que l’indifférence, la mollesse et un amour-propre concentré en soi même, auraient dictée. Je ne puis m’imaginer qu’on n’ait de chaleur que pour des vers de tragédie, et qu’on n’en mette pas dans les choses les plus intéressantes pour des amis tels que vous.
Il ne m’appartient pas de me dire l’ami de M. le duc de Choiseul, comme Horace l’était de Mécène ; mais il m’honore de sa protection. Sachez que, dans le temps même que vous ne vous adressiez pas à votre ami pour une affaire essentielle qui peut vous compromettre autant que moi-même, M. le duc de Choiseul, accablé d’affaires, parlait à monsieur le vice-chancelier pour un maître des comptes, beau-frère de Mlle Corneille qui a épousé M. Dupuits. M. le duc de Choiseul, qui ne connaît ni M. Dupuits ni ce maître des comptes, faisait un mémoire à ma seule recommandation, le donnait à M. de Maupéou, m’envoyait copie du mémoire, m’envoyait une lettre de quatre pages de monsieur le vice-chancelier sur cette affaire de bibus 1. Voilà comme on en agit quand on veut obliger, quand on veut se faire des créatures. M. le duc de Choiseul a tiré deux hommes 2 des galères à ma seule prière, et a forcé M. le comte de Saint-Florentin à faire cette grâce. Je ne connaissais pas assurément ces deux galériens ; ils m’étaient seulement recommandés par un ami.
Est-il possible que dans une affaire aussi importante que celle dont il s’agit entre nous, votre ami, qui pouvait tout, soit demeuré tranquille ! Pensez-vous qu’une lettre de Mme la duchesse d’Anville, écrite après coup, ait fait une grande impression, et ne voyez-vous pas que le président du bureau peut, s’il le veut, faire un très grand mal ?
Quand je vous dis que Lejeune passe pour être l’associé de Merlin, je vous dis la vérité, parce que La Harpe l’a vu chez Merlin, parce que sa femme elle même a dit à son correspondant qu’elle faisait des affaires avec Merlin. En un mot, pour peu que le président du bureau ait envie de nuire, il pourra très aisément nuire ; et je vous dirai toujours que cette affaire peut avoir les suites les plus douloureuses si on ne commence par chasser de son poste le scélérat Jeannin. Dès qu’il sera révoqué, je trouverai bien le moyen de lui faire vider le pays sur-le-champ ; ne vous en mettez pas en peine.
Est-il possible que vous ne vouliez jamais agir ! Quelle difficulté y a-t-il donc d’obtenir de M. de La Reynière ou de M. Rougeot la révocation soudaine d’un misérable et d’un criminel ? N’est-ce pas la chose du monde la plus aisée de parler et de trouver quelqu’un qui parle à un fermier général ? Je vous répète encore ce que nous avons dit, Mme Denis et moi, dans notre dernière lettre : demandons des délais à M. de Montyon. Faites agir cependant, ou agissez vous-même auprès de M. de Maupéou ; qu’on lui fasse sentir l’impertinente absurdité de m’accuser d’être le colporteur de quatre-vingts (car je sais à présent qu’il y en a tout autant) exemplaires du Vicaire savoyard 3 de Jean-Jacques, mon ennemi déclaré ! Songez bien surtout à notre dernier mémoire, signé de Mme Denis, du 28 décembre, commençant par ces mots : Le sieur de Voltaire étant retombe malade . Observez que tous nos mémoires sont uniformes. Réparez, autant que vous le pourrez, le dangereux énoncé que vous avez fait que la femme Doiret était parente de notre femme de charge ; nous avons toujours affirmé tout le contraire, selon la plus exacte vérité. Nous avons même donné à monsieur le vice-chancelier, et par conséquent au président du bureau, la facilité de savoir au juste cette vérité par le moyen du président du grenier à sel de Versailles, beau-frère de notre femme de charge. Nous n’avons épargné aucun soin pour être en tout d’accord avec nous-mêmes, et cette malheureuse invention de rendre la femme Doiret parente de nos domestiques est capable de tout perdre.
Pardon, mon cher ange, si je vous parle ainsi. L’affaire est beaucoup plus grave que vous ne pensez, et il faut, en affaires, s’expliquer sans détour avec ceux qu’on aime tendrement.
Ne dites point que les mots d’affaire cruelle et déshonorante soient trop forts ; ils ne le sont pas assez : vous ne connaissez pas l’esprit de province, et surtout l’esprit de notre province. Il y a un coquin de prêtre 4 contre lequel j’ai fait intenter, il y a quelques années, un procès criminel pour une espèce d’assassinat dévotement commis par lui ; il lui en a coûté quatre mille francs, et vous pensez bien qu’il ne s’endort pas : et quand je vous dis qu’il faut faire chasser incessamment Jeannin, qui est lié avec ce prêtre, je vous dis la chose du monde la plus nécessaire et qui exige le plus de promptitude.
On parle déjà d’engager l’évêque 5 du pays à faire un mandement allobroge. Vous ne pouvez concevoir combien le tronc de cette affaire a jeté de branches, et tout cela pour n’avoir pas parlé tout d’un coup, pour avoir perdu du temps, pour n’avoir pas employé sur-le-champ l’intervention absolument nécessaire d’un ministre qui pouvait nous servir, d’un ami qui devait vous servir.
Si la précipitation gâte des affaires, il y en a d’autres qui demandent de la célérité et du courage : il faut quelquefois saper ; mais il faut aussi aller à la brèche.
Pardon encore une fois, mon très cher ange, mais vous sentez que je ne dis que trop vrai.
Pour faire une diversion nécessaire au chagrin qui nous accable, et pour faire sentir à toute la province que nous ne redoutons rien des deux plus détestables engeances de la terre, c’est-à-dire des commis et des prêtres, nous répétons les Scythes ; nous les allons jouer, on va les jouer à Genève et à Lausanne ; nous vous conseillons d’en faire autant à Paris. J’envoie la pièce corrigée avec les instructions nécessaires en marge, sous l’enveloppe de M. le duc de Praslin. Je souhaite que la pièce soit représentée à Paris comme elle le sera chez moi. Je me joins à Mme Denis pour vous embrasser cent fois, avec une tendresse qui surpasse de bien loin toutes mes peines.
V.
Ah ! il est bien cruel que M. de Praslin ne se mêle que des Scythes 6. »
1 Sur cette expression , voir lettre du 17 janvier 1765 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/03/29/on-a-tres-bien-fait-de-supposer-que-la-trinite-ne-compose-qu-un-seul-dieu-c.html
2 Condamnés pour un délit de chasse commis dans un domaine de la couronne.
3 Le Vicaire savoyard faisait partie du Recueil nécessaire, dont presque toutes les pièces sont de Voltaire. Un passage comme celui-ci montre peut-être pourquoi V* l'y a inséré : il y joue en quelque sorte le rôle d'alibi en suggérant que V* ne peut être responsable du recueil, car il n'y aurait pas inclus une œuvre de son ennemi Rousseau .
4 Ancian, curé de Moëns. Voir , au sujet de leur différend : https://voltaire.bge-geneve.ch/archive/fonds/ms_imv_PVA
et : https://voltaire-lire.msh-lse.fr/IMG/pdf/RV_10_4_4_JHanrahan.pdf
5 Jean-Pierre Biord. Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Biord
6 Cette lettre de V* à d'Argental est complétée et éclairée par une lettre de Mme Denis à la comtesse d'Argental, que V* a certainement vue , sinon dictée pour le plus grande partie ; la voici :
« A Ferney 10 janvier 1767 / « Dans l'excès de ma douleur, madame, votre lettre a été pour moi d'une grande consolation. Il est vrai que cette douceur est encore empoisonnée par mes craintes car quelle faveur a faite monsieur le vice-chancelier en faisant juger l'affaire par une commission dont le président peut la criminaliser? Il est certain que si on lui avait parlé d'abord au lieu de lui écrire trop tard, l'affaire aurait été étouffée comme le demandait mon oncle dans ses premières démarches. M. d'Argental lui mande aujourd'hui qu'il lui a fallu du temps pour se bien assurer que c'était à monsieur le vice-chancelier qu'il fallait s'adresser et à quel autre, madame, était-il possible de recourir, lorsqu'on mandait le 23 décembre que c'était à monsieur le vice-chancelier que le malheureux receveur de Collonges venait d'écrire en droiture? Collonges est le premier bureau de France, et monsieur le vice-chancelier lui a donné depuis longtemps les ordres les plus rigoureux, de sa propre main. M. d'Argental reçut le billet avant que monsieur le vice-chancelier, occupé d'autres affaires, pût recevoir le procès-verbal. C'était le cas de courir sur-le-champ à Versailles on arrêtait tout, on prévenait tout. Si M. d'Argental ne pouvait prendre sur lui de parler lui-même, c'était assurément le cas d'employer le crédit de M. le duc de Praslin. Mme la duchesse d'Anville n'a rien fait, si elle s'est contentée d'écrire; il faut parler, dans une affaire aussi importante, et parler fortement.
Monsieur le vice-chancelier a fait tout le contraire de ce que nous espérions . Nous nous flattions qu'il retiendrait le fond de l'affaire à lui seul, et qu'il laisserait à la justice ordinaire le soin de décider si la saisie de mon équipage était légale ou non.
Nous demandions qu'il se fît instruire de ce que c'est qu'une femme Doiret de Châlons ; nous empêchions par là qu'on ne perçât jusqu'à une dame Lejeune, trop connue dans le pays où nous sommes, et surtout par les domestiques de M. de Beauteville, qui n'est que trop instruit de cette affaire.
Un malheureux délai, dans des circonstances qui demandaient la plus grande célérité, nous jette dans un abîme nouveau et l'idée de faire passer la dame Lejeune pour la parente de notre femme de charge, idée contraire à tout ce que nous avions mandé et à la vérité, a augmenté notre malheur et notre désespoir. Il n'y a rien de si funeste dans les affaires de cette espèce que les contradictions elles peuvent tenir lieu de conviction d'un délit que nous n'avons certainement pas commis, et ce n'est pas à moi de payer l'amende et d'être déshonorée dans le pays pour une femme étrangère, dont j'ignore absolument le commerce.
Il était tout naturel de penser que M. le duc de Praslin, ou M. d'Argental, aurait prévenu d'un mot le funeste état où nous sommes.
Tout ce qui reste à faire, à mon avis, c'est d'engager M. de Montyon à différer son rapport, sous prétexte que nous avons. encore des pièces essentielles à produire. C'est ce que mon oncle lui mande, et ce que mon frère , son ami intime, lui certifiera.
On pourra, pendant ces délais, parler à monsieur le vice-chancelier, qui est le maître absolu de cette affaire, comme on l'avait marqué d'abord à M. d'Argental, et qui peut encore tout assoupir.
Je vous avoue que je suis toute confondue que M. le duc de Praslin ne se soit pas mis en quatre dans cette occasion. Ce n'est certainement pas notre affaire, puisque les livres appartiennent à Mme Lejeune, et non à nous. Il serait affreux que je fusse condamnée à l'amende pour elle. Cet affront serait capable de me faire mourir de douleur. La saisie est pleine d'irrégularités, et les gens du bureau de Collonges ne méritent que punition . Il est peut-être encore temps d'assoupir cette affaire, si on s'y prend avec la vivacité et la chaleur qu'elle mérite. Songez, madame, que, si elle était portée au criminel, il ne s'agit pas moins que de la vie pour les accusés, et qu'il y en a des exemples. Prenez sur vous, madame, de dire à M. le duc de Praslin la chose tout comme elle est. Il aura sans doute le courage de parler à monsieur le vice-chancelier, et de faire enterrer dans un profond oubli une affaire dont l'éclat serait épouvantable.
Pourquoi n'a-t-on pas pris ce parti d'abord ? Je m'y perds car il est bien certain que M. d'Argental a été instruit qu'il fallait parler à monsieur le vice-chancelier plus de cinq ou six heures avant que ce magistrat, occupé de l'affaire de M. de La Chalotais, ait pu lire la lettre du bureau de Collonges. Ce moment manqué, et toute notre maison ayant été, ainsi que la pauvre Lejeune, dans des transes continuelles depuis le 23 décembre jusqu'au 8 janvier, sans recevoir aucun mot d'avis, en proie aux discours affreux de la province et de Genève, nous nous voyons enfin traduits à un tribunal, et personne ne peut savoir, quand un procès commence, comment il finira. Il ne faut pas se flatter que les conseillers d'État, que les maîtres des requêtes qui composent ce bureau se tairont . Il y aura de l'éclat si l'affaire n'est pas étouffée. Il faudra bien que le receveur de Collonges dise ses raisons. Il nommera le quidam qui a accompagné Mme Lejeune, et ce quidam se trouve tout juste celui qui peut tout perdre c'est ce fripon de Jeannin qui l'a vendue, après lui avoir fait les offres les plus pressantes . C'est ce Jeannin, contrôleur du bureau de Sacconex, dont nous obtiendrons probablement la destitution par M. Rougeot, fermier général, notre ami, et par M. de La Reynière, à qui nous avons écrit. Mais nous ne tenons rien si nous ne sommes secondés. 11 est si aisé de faire parler à des fermiers généraux que je ne conçois pas qu'on ait pu manquer ce préliminaire, qui est d'une nécessité absolue. Si ce nommé Jeannin reste encore au pays de Gex quinze jours, j'aimerais autant que toute cette histoire fût dans la gazette, et vous verrez qu'elle y sera pour peu qu'on se néglige. Car malheureusement, en quelque endroit que soit mon oncle, il est sous le chandelier. Croyez-moi, madame, je vous en conjure; exigeons de M. de Montyon qu'il diffère le rapport. Engagez M. le duc de Praslin à demander très sérieusement que tout soit assoupi. Je l'estime trop pour penser qu'il craigne de se compromettre pour une amie telle que vous. Il aurait dû parler dès le 28 décembre. A quoi sert l'amitié, si elle n'agit pas? Votre cœur entend le mien; je vous suis attachée pour le reste de ma vie. Pardonnez-moi si je ne vous écris point de ma main je ne sais plus où j'en suis. Tout ce que je puis faire, madame, est de vous assurer des tendres sentiments que je vous ai voués pour jamais. »
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