18/11/2020
Tâchez de n’avoir plus besoin de médecins ; on vit et on meurt très bien sans eux
... A propos, qu'on engueule le Pr Raoult, soit, il a eu la langue mal pendue et s'est marché sur le sac en s'en prenant au reste de la profession et défendant son traitement du Covid 19 ; mais qu'on lui fiche la paix, il a traité ses patients avec attention, selon ses recherches, et je ne pense pas qu'il ait plus de morts sur la conscience que ceux des confrères ( pas du tout fraternels ! ) qui l'ont vilipendé . Conseil de l'Ordre , tu te trompes de cible .
Qui veut encore faire médecine aujourd'hui ?
Pour info : http://docteurdu16.blogspot.com/2012/10/les-nouveaux-mede...
« A Nicolas-Claude Thieriot
12è juillet 1765 1
Mon cher et ancien ami, vous êtes en amitié pire que les mauvais chrétiens ne sont dans leurs dévotions ; ils les font une fois l’an, et vous n’écrivez qu’une fois en deux ans. Si c’est votre asthme qui vous a rendu si paresseux, j’en suis encore plus fâché que si l’indifférence seule en avait été cause ; car, quoique je fusse très sensible à votre oubli, je le suis encore davantage à vos maux. Je croyais que vous étiez guéri pour avoir vu Tronchin. Tâchez de n’avoir plus besoin de médecins ; on vit et on meurt très bien sans eux. Il y a bientôt trois ans que je n’ai parlé de ma santé au grand docteur ; elle est détestable, mais je sais souffrir. Un homme qui a été malade toute sa vie est trop heureux, à mon âge, d’exister. J’espère que je verrai bientôt l’aimable et vrai philosophe dont les amygdales vont si mal 2. C’est une des plus grandes consolations que je puisse recevoir dans ma vie languissante.
Je ne peux guère consulter actuellement l’Esprit des lois ; j’ai le malheur de bâtir, je suis obligé de transporter toute ma bibliothèque. Vous voulez parler apparemment de la police municipale, qui paraît si favorisée dans le nouvel édit que M. de Laverdy a fait rendre. Tout le système de M. le marquis d’Argenson roule entièrement sur cette idée. On ne connaissait pas le mérite de M. d’Argenson, qui était un excellent citoyen. Un édit conforme aux opinions de ces deux hommes d’État ne peut manquer d’être bien accueilli. Il me semble que les provinces en sont extrêmement contentes. Il n’en est pas ainsi du petit libelle contre notre Archimède 3. Le peu d’exemplaires qui en sont parvenus à Genève ont été reçus avec la même indignation et le même mépris qu’à Paris. Les temps sont bien changés ; les philosophes d’aujourd’hui écrivent comme Pascal, et les jansénistes comme le père Garasse.
J’ai chez moi actuellement un jeune homme qui promet beaucoup, c’est M. de La Harpe, auteur de Warwick. Je souhaiterais bien qu’il eût autant de fortune que de talents. Il aura de très grands obstacles à surmonter, c’est le sort de tous les gens de lettres.
Adieu ; quand vous vous porterez bien, et qu’il y aura quelque ouvrage qui soit digne que [vous en]4 parliez, n’oubliez pas votre vieil ami dans sa retraite.
V. »
1 V* répond à une lettre du 3 juillet 1765 : « Il y a dix-huit mois, mon très illustre et très tendre ami, que je cours après mon bien et ma santé . Je me suis sauvé entièrement des griffes de mon banqueroutier . Il s'agissait de quatre cents livres de rentes viagères, ce qui est chose considérable dans un nécessaire borné comme le mien ; mais ce qui me touche plus que cette délivrance est celle de mon asthme sec et convulsif .[...] Vous avez vu avec quelle chaleur je m'intéressais pour Damilaville . Il vous inspirera bien vite cette même inclination quand vous le verrez .[...] Faites-vous apporter je vous prie le IIè tome de l'Esprit des lois . Lisez les chapitres 17 et 18 du 26è livre . Rappelez-vous l'édit du roi [édit financier de décembre 1764 ; voir plutôt XXII, XVII-XVIII]. Il me paraît dressé sur ces deux chapitres . Si ma découverte est juste, je sais gré à M. Laverdy d'en faire son profit, et j'en admire davantage M. de Montesquieu . Vale. »
2 Damilaville .
3 De l'abbé Louis Guidi ; voir lettre du 25 juin 1765 à Chabanon : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/10/18/il-faut-que-le-petit-troupeau-des-gens-qui-pensent-se-tienne-serre-contre-l.html
4 Manuscrit endommagé .
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17/11/2020
Les avis sont toujours des objets de dissertation qui exigent plutôt des entretiens que des lettres
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« A Adrien-Michel-Hyacinthe Blin de Sainmore rue et près des Capucines
à Paris
Genève 10è juillet 1765
Vous pardonnez sans doute, monsieur, à un vieillard malade, les délais que son triste état le force de mettre à ses réponses . J'ai lu avec un extrême plaisir l'héroïde que vous avez bien voulu m'envoyer 1. Vous me demandez des avis, ils sont assez inutiles quand l'ouvrage est imprimé, et d'ailleurs vous n'en avez pas besoin . Les avis sont toujours des objets de dissertation qui exigent plutôt des entretiens que des lettres . Vous ne me parlez point de l'édition de Racine ; je souhaite que ceux qui se sont chargés de cet ouvrage aient autant de goût que vous . Pardonnez à mon triste état si ma lettre n'est pas plus longue . J'ai l'honneur d'être avec toute l'estime que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur .
V. »
1 Selon une note de Blin sur une copie de sa main, il s'agit d'une nouvelle édition de la Lettre de Biblis à Caunus son frère, 1765 . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5438810d.texteImage
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16/11/2020
Cette démarche est délicate ; mais je parle à des politiques, à des conjurés qui peuvent rectifier mes idées, et les faire réussir
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« A Charles-Augustin Ferriol,comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
10 juillet [1765]
Je dépêche à mes anges le dernier mot du petit prêtre tragique ; il vient de m’apporter ses Roués, et les voilà. Vous ne sauriez croire à quel point ce petit provincial vous respecte et vous aime. Je sens bien, m’a-t-il dit, que mon œuvre dramatique n’est pas digne de vos anges . Le sujet ne comporte pas ces grands mouvements de passions qui arrachent le cœur, ce pathétique qui fait verser des larmes ; mais on y trouvera un assez fidèle portrait des mœurs romaines dans le temps du triumvirat. Je me flatte qu’on trouvera plus d’union dans le dessein qu’il n’y en avait dans les premiers essais, que les fureurs de Fulvie sont plus fondées, ses projets plus dévoilés, le dialogue plus vif, plus raisonné, et plus contrasté, les vers plus soignés et plus vigoureux. Le sujet est ingrat, et les connaisseurs véritables me sauront peut-être quelque gré d’en avoir surmonté les difficultés.
Je vous avoue que j’ai à peu près les mêmes espérances que le petit novice ex-jésuite. Si vous trouvez la pièce passable, pourrait-on la faire jouer à Fontainebleau ? Les places sont prises. Ce serait peut-être un assez bon expédient de faire présenter la pièce à M. le maréchal de Richelieu par quelqu’un d’inconnu que Lekain détacherait, ou par quelque actrice que Lekain mettrait dans la confidence de l’ouvrage, sans lui laisser soupçonner l’auteur. Cette démarche est délicate ; mais je parle à des politiques, à des conjurés qui peuvent rectifier mes idées, et les faire réussir.
J’ai reçu de quelques amis d’assez amples paquets contresignés Courteil, qui n’ont point été ouverts, et qui sont venus très librement à mon adresse. Vous avez fait enfin, divins anges, précisément ce que je demandais ; vous m’avez instruit de ce que contenait la demi-page 1. Permettez que je pousse la curiosité jusqu’à demander si le maître de la maison 2 l’a vue, où si elle n’a été que jusqu’à monsieur son secrétaire.
Je voudrais bien que M. le d[uc] de P[raslin] protégeât fortement M. d’Alembert ; il ferait une action digne de lui.
Respect et tendresse.
V. »
1 Voir lettre du 22 mai 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/09/16/il-ne-depend-pas-de-moi-de-rendre-les-fanatiques-sages-et-le-6263701.html
2 Louis XV .
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15/11/2020
Vous devez être un excellent acteur, si vous êtes sur le théâtre comme à souper ; et je vous soupçonne de vous tirer à merveille de tout ce que vous voudrez faire
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« A Charles Michel, marquis du Plessis Villette
Le vieux malade de Ferney présente ses très tendres respects au jeune malingre de l’hôtel d’Elbeuf. Je vois que vous vous regardez comme un homme dévoué à la médecine, et que vous passez votre temps entre les ragoûts et les drogues, cela rend mélancolique, mais cela fait aussi un grand bien, car on en aime mieux son chez soi, on réfléchit davantage, on se confirme dans sa philosophie, on fait moins de cas du monde, et dès qu’on a un rayon de santé, on court au plaisir. Une telle vie ne laisse pas d’avoir son mérite ; les malingres ont de très beaux moments.
Permettez-moi encore, monsieur, d’abuser de votre bonté, et de vous recommander cette lettre pour M. d’Alembert 1. Il faut que l’air de Ferney ne soit pas bon pour les tragédies, l’auteur de Warwick n’a pas encore fait une pauvre petite scène. Je serai bien honteux s’il sort de chez moi sans avoir travaillé. Si la pièce était prête, nous la jouerions. Je crois vous avoir mandé que madame Denis m’ayant demandé une grande salle pour repasser son linge, je lui avais donné celle du théâtre ; mais après y avoir pensé mûrement, elle a conclu qu’il vaut mieux être en linge sale, et jouer la comédie. Elle a rebâti le théâtre, et demain on joue Alzire, en attendant Warwick, et en attendant aussi mademoiselle Clairon, qui peut-être ne viendra point .2
Puissiez-vous, monsieur, visiter bientôt nos terres de Bourgogne ! Nous vous donnerons la comédie, et vous ne serez pas mécontent de Mme Denis. Je suis si vieux que je ne peux plus jouer les vieillards ; c’est grand dommage, car je vous avoue modestement que je jouais Lusignan beaucoup mieux que Sarrazin.
Lorsque vous ferez votre tournée, mandez-nous quels rôles vous voulez. Vous devez être un excellent acteur, si vous êtes sur le théâtre comme à souper ; et je vous soupçonne de vous tirer à merveille de tout ce que vous voudrez faire.3 Conservez-moi une amitié que je mérite par mes très tendres sentiments pour vous .
V.
8è juillet 1765 à Ferney »
1 Cette lettre que V* se garde bien de confier à la poste .
2 Ici, Villette introduit, dans la deuxième édition de ses « Oeuvres du marquis de Villette », un paragraphe de sa composition : « Vous me parlez avec bien de l’enjouement de mon Orphelin. J’aurais voulu la scène dans la maison de Confucius ; j’aurais voulu Zamti plus Chinois, et Gengis plus Tartare. Heureusement mon grand acte a raccommodé tout cela. »
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14/11/2020
Je vous aime assez pour vous apprendre des secrets que je ne devrais dire à personne , et je compte assez sur votre probité, sur votre amitié pour être sûr que vous garderez le silence que je romps avec vous
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« A Jean Le Rond d'Alembert
8 juillet [1765]1
Mon cher philosophe votre lettre m'a pénétré le cœur . Je vous aime assez pour vous apprendre des secrets que je ne devrais dire à personne , et je compte assez sur votre probité, sur votre amitié pour être sûr que vous garderez le silence que je romps avec vous . Je ne vous parle point de l'intérêt que vous avez à vous taire : tout intérêt est chez vous subordonné à la vertu .
La plupart des lettres sont ouvertes à la poste . Les vôtres l'ont été depuis longtemps . Il y a quelque mois que vous m'écrivîtes, que direz-vous des ministres vos protecteurs ou plutôt vos protégés ?2 Et l'article n'était pas à leur louange . Un ministre m'écrivis quinze jours après, je ne suis pas honteux d'être votre protégé, mais etc.3 Ce ministre paraissait très irrité . On prétend encore qu'on a vu une lettre de vous à l'impératrice de Russie dans laquelle vous disiez, la France ressemble à une vipère, tout est bon , hors la tête 4. On ajoute que vous avez écrit dans ce goût au roi de Prusse . Vous sentez bien mon cher philosophe combien il a été inutile que je vous aie rendu justice, et que j'aie écrit à ceux qui se plaignaient ainsi de vous que vous êtes l'homme qui fait le plus d'honneur à la France . La voix d'un pauvre Jean criant dans le désert 5, et surtout d'un Jean persécuté ne fait pas un grand effet . Voilà donc où vous en êtes . C'est à vous à tout peser, voyez si vous voulez vous transplanter à votre âge, et s'il faut que Platon aille chez Denis, ou que Platon reste en Grèce . Votre cœur et votre raison sont pour la Grèce . Vous examinerez si en restant dans Athènes vous devez rechercher la bienveillance des Périclès . Je suis persuadé que le ministre qui n'a rien répondu sur votre pension ne garde ce silence que parce qu'un autre ministre lui a parlé 6. On est fâché contre vous depuis la Vision 7. Je sentis cruellement le coup que cette Vision porterait aux philosophes . Je vous le mandai 8, vous ne me crûtes pas mais j'étais très instruit . Mme la princesse de Robecque n'apprit qu'elle était en danger de mort que par cette brochure . Jugez quel effet elle dut faire . Depuis ce temps des trésors de colère se sont amassés contre nous, et vous ne l'ignorez pas .
J'ai cru apercevoir au travers de ces nuages qu'on vous estime comme on le doit, et qu'on aurait désiré votre estime .
Je sais bien que vous ne ferez jamais de démarche qui répugne à la hauteur de votre âme, mais il vous faut votre pension . Voulez-vous me faire votre agent quoique je ne sois pas sur les lieux ? Il y a un homme qui est dans une très grande place, et qui est mécontent de vous 9. Il n'est pas impossible que son ressentiment ait influé sur le refus ou sur le délai de la justice qu'on vous doit . Permettez-vous que je prenne la liberté de lui écrire ? Je suis sans conséquence, je ne compromettrais ni lui ni vous . Je lui proposerai une action généreuse . Il est très capable de la faire , très capable aussi de se moquer de moi, mais j'en courrai volontiers les risques, et rien ne retombera sur vous . Je ne ferai rien assurément sans avoir vos instructions que vous pourriez me faire parvenir en toute sûreté par la voie dont vous vous êtes déjà servi .
On crie contre les philosophes . On a raison , car si l'opinion est la reine du monde, les philosophes gouvernent cette reine . Vous ne sauriez croire combien leur empire s'étend . Votre Destruction a fait beaucoup de bien . Bon soir, je suis las d'écrire, je ne le serai jamais de vous lire et de vous aimer .
V. »
1 D'Alembert a écrit le 30 juin à V* : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_(d%E2%80%99Alembert)/Correspondance_avec_Voltaire/062
Le même jour Du Pan écrit à Freudenreich : « Il y a peut-être demain comédie à Ferney , on y attend à la fin du mois Mlle Clairon . Voltaire avait détruit son théâtre . Il vient de le faire raccommoder, mais il n'y a place que pour vingt-cinq spectateurs . »
2 Voir lettre du 27 avril : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_(d%E2%80%99Alembert)/Correspondance_avec_Voltaire/060
3 Lettre non connue, mais il est clair par la réponse de d'Alembert qu'il s'agit de Choiseul .
4 D'Alembert a bien écrit cela à Catherine II le 16 juin 1764 ; http://dalembert.academie- sciences.fr/Correspondance/oeuvres.php?Datedeb=01-01-1764&Datefin=31-12-1764
Sa lettre a dû être ouverte par le cabinet noir et Choiseul informé en parler à V*.
5 Évangile selon Matthieu, III, 3 ; Marc, I, 3 ; Luc, III, 4 ; Jean , I, 23.
6Voir lettre du 24 juin 1765 à d'Alembert, le ministre en question est alors Saint-Florentin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/10/16/nous-avons-besoin-des-hommes-d-etat-pour-nous-defendre-contr-6270423.html
7 La Vision de Palissot, de Morellet, 1760 ; voir lettre du 31 mai 1760 à Chennevières : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/05/29/faites-moi-le-plaisir-mon-cher-ami-5631086.html
8 Voir lettre du 10 juin 1760 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-avec-d-alembert-partie-12-123115262.html
9 Sans doute encore Choiseul .
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13/11/2020
Le mot l'infâme a toujours signifié le jansénisme, secte dure et barbare, plus ennemi de l'autorité royale que le presbytérianisme ( et ce n'est pas peu dire ) et plus dangereuse que les jésuites
... Et on peut ajouter aujourd'hui, sans hésiter, l'islamisme qui dépasse en erreurs et horreurs les "infâmes" du XVIIIè siècle .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
Ferney le 6 juillet 1765 1
Voici, mes divins anges, ce qui est advenu . Votre paquet, adressé à M. Camp, et contre-signé Chauvelin, arriva en son temps à Lyon, à l’adresse de M. Camp. Les fermiers-généraux des postes l’avaient contre-signé à Paris d’une autre façon, en mettant en gros caractères sur l'enveloppe et avec une encre rouge : paquet suspect. M. Camp est toujours malade ; M. Tronchin, qui est toujours à Lyon, fut étonné du suspect en lettres rouges, il ouvrit le paquet. Les directeurs des postes disputèrent ; ils exigèrent, je crois, un louis. Enfin le paquet qui portait une sous-enveloppe,à l'adresse de Wagnière, chez Souchai à Genève, m’a été rendu aujourd’hui . La même chose m’était arrivée à peu près au sujet d’un très petit paquet, aussi contre-signé Chauvelin, que vous m’aviez adressé il y a environ trois semaines . Ainsi vous voyez que les fermiers préfèrent le port aux conseillers d’État intendants des finances. Je pense donc que n’ayant jamais à m’envoyer que des paquets honnêtes, le meilleur parti est de les mettre avec les dépêches pour le résident de Genève, vous voudrez bien m'informer du départ par une simple lettre par la poste, à Wagnière, chez Souchai, à Genève sans autre enveloppe.
J'étais curieux avec juste raison de savoir ce que contenait cette vieille demi-page . Le mot l'infâme a toujours signifié le jansénisme, secte dure et barbare, plus ennemi de l'autorité royale que le presbytérianisme ( et ce n'est pas peu dire ) et plus dangereuse que les jésuites . Si le roi sait mon grimoire il sait que je n’écris jamais qu'en loyal sujet à des sujets très loyaux .
Lekain est sombre, et moi aussi : je lui conseille de venir chez moi en Suisse pour s’égayer. Mlle Clairon viendra à Ferney ; j’y passerai quelques jours pour elle, et la tragédie que nous jouerons tous ensemble nous remettra de la gaieté dans le cœur. Ferney n’est point à moi, comme vous savez ; il est à Mme Denis. J’ai le malheur de n’avoir rien en France et même nulle part, mais je vous remercie pour Mme Denis, vous et M. le duc de Praslin, comme si c’était pour moi-même ; et jamais ses bontés et les vôtres ne sortiront de mon cœur. Je crois qu’il est très convenable que j’écrive à M. de Calonne 2 ; je regarde sa commission de rapporteur comme un de vos bienfaits.
Je viens de vous dire, mes anges, que si Lekain fait bien, il viendra dans ma Suisse ; mais je le prierai de rester au théâtre. On est donc revenu sur les six pendus 3? Je suis très aise pour l’auteur que l’illusion l’ait si bien et si longtemps servi. Le ridicule n’est que dans l’enthousiasme qui a pris pour une chose honorable à la nation l’époque honteuse de trois batailles perdues coup sur coup et d’une province subjuguée : vous apprêtez trop à rire aux Anglais, et j’en suis fâché.
Comme je ne reçois le manuscrit du petit prêtre 4 qu’aujourd’hui, vous ne pourrez recevoir la nouvelle leçon que dans quinze jours. Il est bon d’ailleurs d’accorder du temps au zèle de ce jeune homme. Il dit que la scène des deux tyrans ne fera jamais un bon effet parce qu’une conférence entre deux méchants hommes n’intéresse point ; mais elle peut attacher par la grandeur de l’objet et par la vérité des idées, surtout si elle est bien dialoguée et bien écrite : selon lui, c’est la scène de Julie 5 errant dans les rochers de cette île triumvirale qui doit intéresser ; mais il faut des actrices.
Je me mets sous les ailes de mes anges.
V.»
1 Voir lettre de mars à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/06/03/voyez-s-il-n-est-pas-de-l-interet-du-ministere-et-du-bien-pu-6243345.html
2 A propos de l'affaire des dîmes .
3 Les six bourgeois du Siège de Calais .
4 Le Triumvirat .
5 Le Triumvirat, II, 4 : http://www.théâtre-documentation.com/content/le-triumvirat-voltaire#Scene_IV-3
« J’ai marché quelque temps dans cette île escarpée ;/Mes yeux ont vu de loin des tentes, des soldats ; /Ces rochers ont caché ma terreur et mes pas ;/Celui qui me guidait a cessé de paraître. »
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12/11/2020
Je les reçus à l’anglaise, peu de façons, un peu de disputes sur Shakespeare, des propos vagues
... Et donc toujours pas d'accord pour le Brexit ; là, c'est plutôt filer à l'anglaise .
Wait and see
Et chantons en choeur : https://www.youtube.com/watch?v=69S4GTFJg3A
« A Claude-Philippe Fyot de La Marche
À Ferney, 3 juillet 1765
Il faut vous dire, mon cher et respectable magistrat, que deux jours avant de recevoir la lettre dont vous m’avez honoré, on vint m’avertir dans mon sale cabinet, vers les deux heures, qu’il y avait dans mon petit salon grand comme la main une douzaine d’Anglais et d’Anglaises qui venaient dîner. Je les reçus à l’anglaise, peu de façons, un peu de disputes sur Shakespeare, des propos vagues ; ensuite envisageant une dame de la compagnie autant que mes faibles yeux peuvent envisager, je dis à une de mes nièces : « Voilà une Anglaise qui a bien de l’air de M. le premier président de La Marche ; je la prendrais pour sa fille, si je ne savais qu’elle vient de Londres. » Elle entendit mon propos ; elle me dit qu’elle ne venait point d’Angleterre, mais de Lyon, et qu’elle était votre nièce 1. M. de Longecour, que j’avais pris pour un officier de dragons anglais, m’apprit qu’il était votre parent 2; je me trouvai tout d’un coup dans votre famille. Jugez si mon cœur tressaillit ; j’oubliai alors mes Anglais, et Shakespeare, et Milton, et jusqu’à tous les maux qui m’accablent, pour demander de vos nouvelles, et pour me vanter de vous être attaché depuis environ soixante ans au moins. On me dit que vous êtes plus heureux dans votre château que moi dans ma chaumière, et cela me consola ; que vous jouissez d’une santé que je n’ai point, et j’en fus ravi : que vous êtes vraiment philosophe, et je voudrais l’être. Il y a des années que je ne vous ai écrit. Mais j’ai été longtemps persécuté d’une fluxion cruelle sur les yeux, et ce n’est que depuis peu que j’ai recouvré la vue. Mme la marquise d’Allemand et compagnie m’ont trouvé entouré de maçons qui font deux ailes à mon bouge pour avoir l’honneur de vous recevoir si jamais vous revoyez nos déserts. Je suis bien coupable de n’être pas encore venu vous faire ma cour. Je le sens. J’en suis encore plus fâché que honteux ; ma misérable santé en est la seule cause. Je suis condamné à souffrir. Vivez heureux, philosophez, continuez-moi vos bontés. Si jamais je peux faire un petit voyage, ce sera assurément pour vous renouveler le tendre respect et tous les sentiments qui m’attachent inviolablement à vous jusqu’au dernier moment de ma vie.
V. »
1Marie-Judith, fille de Jacques-Philippe Fyot de La Marche, comte de Neuilly, ex-ministre plénipotentiaire de France à Gènes, frère de l'ami de V*, femme de Pierre Allemand, seigneur de Champier .
2 Nicolas-Philippe Berbis de Longecour, officier de cavalerie, né à Dijon en 1727,(père de M. Berbis de Rancy, mort en cette ville en 1814 ).
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