17/07/2021
Il me semble qu’un bénéfice simple de chef du conseil des finances, avec cinquante mille livres de rente, est beaucoup plus plaisant
... C'est ainsi que pourrait répondre, pour une piètre défense, Me Dupont-Moretti . Quoi qu'il lui soit reproché, n'ayons aucun souci pour lui, cet animal du barreau a la griffe acérée et une grande gueule .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
18è avril 1766 1
Je remercie bien l’une de mes anges de son aimable lettre. Je conviens avec elle que la première maxime de la politique est de se bien porter. Il est certain que le travail forcé abrège les jours ; mais vous conviendrez aussi, mes anges, que la correspondance avec les cabinets de tous les princes de l’Europe est plus agréable qu’une relation suivie avec des charpentiers de vaisseaux, et avec des entrepreneurs vous faisant le détail de leur équipement et de tous leurs agrès ; c’est une langue toute nouvelle, et que je soupçonne d’être fort rebutante 2. Il me semble qu’un bénéfice simple de chef du conseil des finances, avec cinquante mille livres de rente, est beaucoup plus plaisant. Je tiens d’ailleurs qu’il n’est beau d’être à la tête d’une marine que quand on a cent vaisseaux de ligne, sans compter les frégates.
À propos de marine, le Sextus-Pompée 3 de mon petit ex-jésuite était un très-grand marin ; il désola quelque temps ces marauds de triumvirs sur mer. L’auteur a bien retravaillé, il a radoubé son vaisseau tant qu’il a pu ; mais il dit que sa barque n’arrivera jamais à Tendre 4. Ce qui lui plaît actuellement de cet ouvrage, c’est qu’il a fourni des remarques assez curieuses sur l’histoire romaine, et sur les temps de barbarie et d’horreur que chaque nation a éprouvés. Le tout pourra faire un volume qui amusera quelques penseurs ; c’est à quoi il faut se réduire.
Mlle Clairon me mande qu’elle ne rentrera point. On veut s’en tenir à la déclaration de Louis XIII. On ne songe pas, ce me semble, que du temps de Louis XIII les comédiens n’étaient pas pensionnaires du roi, et qu’il est contradictoire d’attacher quelque honte à ses domestiques. Je ne puis blâmer une actrice qui aime mieux renoncer à son art que de l’exercer avec honte. De mille absurdités qui m’ont révolté depuis cinquante ans, une des plus monstrueuses, à mon avis, est de déclarer infâmes ceux qui récitent de beaux vers par ordre du roi. Pauvre nation, qui n’existe actuellement dans l’Europe que par les beaux-arts, et qui cherche à les déshonorer !
Je vois rarement M. le chevalier de Beauteville, tout grand partisan qu’il est de la comédie ; il y a deux ans que je ne sors point de chez moi, et je n’en sortirai que pour aller où est Pradon. Pour le peu que j’ai vu M. de Beauteville, il ma paru beaucoup plus instruit que ne l’est d’ordinaire un chevalier de Malte et un militaire. Il a de la fécondité dans la conversation, simple, naturel, mettant les gens à leur aise ; en un mot, il m’a paru fort aimable. M. Hennin est fort fâché de la retraite de M. le duc de Praslin, et de celle de M. de Saint-Foix 5. M. de Taulès, qui a aussi beaucoup d’esprit, ne me paraît fâché de rien.
Vous reverrez bientôt M. de Chabanon avec un plan 6, et ce plan me parait prodigieusement intéressant. L’ex-jésuite dit que, s’il y avait songé, il lui aurait donné la préférence sur ce maudit Triumvirat, qui ne peut être joué que sur le théâtre de l’abbé de Caveyrac, le jour de la Saint-Barthélemy. Je lui ai proposé de donner les Vêpres Siciliennes 7 pour petite pièce.
Je viens de lire une seconde édition des Nouveaux Mélanges de Cramer 8. Je me suis mis à rire à ces mots : « L’âme immortelle a donc son berceau entre ces deux trous ! Vous me dites, madame, que cette description n’est ni dans le goût de Tibulle, ni dans celui de Quinault ; d’accord, ma bonne ; mais je ne suis pas en humeur de te dire ici des galanteries.9 »
J’ai demandé à Cramer quel était l’original qui avait écrit tout cela. Il m’a répondu que c’était un vieux philosophe fort bizarre, qui tantôt avait la nature humaine en horreur, et tantôt badinait avec elle.
Je me mets sous les ailes de mes anges pour le reste de mes jours. Mme Denis et moi, nous vous remercions d’avoir lavé la tête à Pierre 10. M. Dupuits n’en sait encore rien, parce qu’il est en Franche-Comté . Sa petite femme, qui en sait quelque chose, est à vos pieds ; elle est très avisée. »
1 Beuchot ajoute un membre de phrase omis dans le premier paragraphe de l'édition de Kehl (des entrepreneurs vous faisant le détail de leur équipement et de ) ainsi que le avant Sextus ,au début du deuxième paragraphe, ce qui indique qu'il a disposé de l'original .
2 Allusion au passage de Praslin à la Marine ; voir lettre du 10 avril 1766 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/07/12/le-grand-point-mon-cher-caro-c-est-d-imprimer-correctement-6326657.html
3 Personnage de la tragédie du Triumvirat.
4 La carte du pays de Tendre est au premier livre de Clélie, roman de Mlle de Scudéri. Voir : http://www.cosmovisions.com/textClelie.htm
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cl%C3%A9lie,_histoire_romaine
5 Ou plutôt Sainte-Foix, trésorier général de la Marine.
6 Le plan de la tragédie d'Eudoxie, qui sera publiée en 1769, mais non représentée . Voir : https://www.whitman.edu/VSA/visitors/Chabanon.html
7 M. Casimir Delavigne a fait une tragédie sur ce sujet, en 1819. Voir : https://data.bnf.fr/fr/see_all_activities/12052639/page2
et : https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/casimir-delavigne
8 Le 17 avril 1766, dans une lettre qui « ne p[ouvait] partir que le 19 » , La Condamine écrit à Trublet : « Il paraît trois volumes de mélanges de V. pour servir de supplément à l'édition de Genève. » . Dans le contenu de ces volumes, il mentionne le Traité sur la tolérance, la Philosophie de l'histoire, les pièces sur les Calas, l'Examen de la religion attribué à Saint-Evremond, et l’Évangile de la raison .
9 Ceci figure dans l'article « Ignorance », actuellement inclus dans le Dictionnaire philosophique ; la première phrase apparaît sous une forme non textuelle dans la première édition des Nouveaux mélanges ; le reste fut ajouté dans la seconde édition .
Cette première phrase est la seule qu’on lise dans le tome III des Mélanges, page 92, de la première édition. Tout le passage doit se trouver dans la seconde édition, qui est de la même année ; il est dans l’édition in-4° ; voir la note, tome XIX, page 425 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvre....
10 Pierre Corneille, père de Mme Dupuits.
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16/07/2021
Les louanges ne me sont chères Que par la main qui les écrit
... En toute amitié et modestie .
« A Jean-Baptiste-Antoine Suard
[avril 1766] 1
J’ai lu ce que vous avez dit
De mes lambeaux épistolaires ;
Les louanges ne me sont chères
Que par la main qui les écrit.
Combien les vôtres sont légères !
Déjà l’amour-propre aux aguets
Venait me tendre ses filets,
Et me bercer de ses chimères ;
Soudain, avec dextérité,
Une critique délicate,
Et que j’approuve et qui me flatte,
Me vient offrir la vérité.
Que vous la rendez séduisante !
J’ai cru la voir dans sa beauté 2;
Elle n’a Jamais d’âpreté
Quand c’est le goût qui la présente.
Sous nos berceaux l’arbre étalé
Doit sa vigueur à la nature ;
Mais il doit au moins sa parure
Aux soins de l’art qui l’a taillé.
J’aime l’éloge et je l’oublie,
Je me souviens de la leçon :
L’un plut à ma coquetterie,
Et l’autre plait à ma raison.
Voudrez-vous bien vous charger de mes compliments pour madame ? Je vous envoie une bouffonnerie que j’ai adressée à Mlle Clairon. De grâce, ne nommez pas l’auteur.
V. »
1 Le manuscrit original est passé à la vente Henkels le 8 juin 1917.
Voir : Ch. Nisard, Mémoires et Correspondances historiques et littéraires ; Paris, 1858, page 59 (65 sur le pdf ): https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1092657.pdf
2 On a rectifié le texte donné par Besterman , J'ai cru la voir sans sa beauté .
19:02 | Lien permanent | Commentaires (0)
c'est un morceau très curieux
... Le rien vaut-il quelque chose ? Si on parle en dollars, oui, et même beaucoup ! Le crétinisme et la vanité des acheteurs sont égaux , et même supérieurs à la malice et l'inutilité des pseudo-artistes .
Voir : https://www.franceculture.fr/sculpture/plagiat-doeuvre-in...
Rien de rien, non rien de rien, mais encadré : les marchands de cadres devraient se faire des ... en or
« A François-Louis-Claude Marin
[avril 1766]
Si vous n'avez pas lu le mémoire de M. de La Chalotais, j’aurai l'honneur de vous l'envoyer dès que ceux à qui je l'ai prêté me l'auront rendu ; c'est un morceau très curieux .
La France détruite existe 1; il y en a à Genève deux exemplaires, et je n'ai pu les avoir . Je soupçonne que cela a été imprimé à Paris .
Je souhaite passionnément que vous puissiez faire un tour à Genève quelque jour : je vous ai vu peu, et vous m'avez inspiré un très grand désir d'avoir l'honneur de vous revoir . »
1 Voir lettre du 6 avril 1766 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/07/10/deux-personnes-qui-manquent-a-la-fois-leur-coup-font-encore-6326373.html
00:36 | Lien permanent | Commentaires (0)
15/07/2021
j’attends d’ailleurs quelque instruction métaphysique sur les choses de ce bas monde
... Et, alleluiah ! je viens de la recevoir : Bolsonaro n'a pas un simple hoquet ridicule, il est heureusement atteint d'une occlusion intestinale, c'est donc au sens propre une enflure, et mon hypothèse thérapeutique , hier, des lavements une solution pour démerder ce danger public . Voila ce qui arrive quand on amasse tout sans rien donner . S'il finit comme la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf, je serai heureux que la sélection naturelle fasse encore son office .
Voltaire a bien décrit ce genre de personnage -- constipé-- dans son conte Les Oreilles du comte de Chesterfield, que je vous conseille si vous aimez rire : page 591 et suiv. : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome21.djvu/617
Quand on se prend pour le roi, on a droit à un trône .
« A Gabriel Cramer
[vers le 15 avril 1766]
J'avais demandé le livre qui contient la Vie de Charlemagne par Éginhard, mais il n'y a pas un mot d'Eginhard dans le livre qu'on m'a envoyé . Je le garde pour quelque temps, parce qu'il y a des choses curieuses, mais je demande la Vie de Charlemagne par Éginhard .
Je me fie à la bonne volonté de M. Caro, de qui j’attends d’ailleurs quelque instruction métaphysique sur les choses de ce bas monde . »
...
« A Gabriel Cramer
[avril 1766]
Je renvoie X et Y .
Je prie instamment M. Cramer de donner à Jacoby un quatrième volume avec l'errata, et de m'en envoyer deux avec ce même errata .
J'attends aussi les volumes qu'il m'a promis, c'est-à-dire ceux où se trouvent les Épîtres, Le Pauvre Diable et Ce qui plait aux dames .
Plus je songe à son idée de la comédie 1 et de l'hôpital, plus je la trouve admirable . »
1 Le 16 avril le Conseil de Genève a débattu d'une requête présentée par Beauteville visant à être autorisé à donner des représentations théâtrales à Genève ; voir Archives de l’État, CCLVI, 830 .
19:55 | Lien permanent | Commentaires (0)
oublier sous mes rustiques toits vos crevailles et vos affaires
... Tel est mon but actuel, ô gouvernants corrompus de tous pays !
https://www.la-croix.com/Economie/Monde/Transparency-publ...
L'ONU semble en avoir parlé ; avec quels résultats ? https://www.un.org/press/fr/2021/ag12330.doc.htm
« Au chevalier Pierre de Taulès
Je retrouve dans mes paperasses, monsieur, une lettre qui vous appartient, et que je croyais vous avoir rendue . J’ai l’honneur de vous la renvoyer, en vous faisant mon compliment de condoléance de la perte que vous faites de M. le duc de Praslin , et en vous félicitant sur le retour de M. le duc de Choiseul . Il faut avoir une tête d’or et une santé de fer pour entrer à la fois dans les départements de la guerre et des affaires étrangères . S’il ne tombe pas malade, il m’étonnera beaucoup.
Je vous supplie de me mettre aux pieds de monsieur le gouverneur de Saint-Omer 1 . Je suis bien languissant, mais je serais fâché de mourir sans vous avoir vus encore une fois l’un et l’autre, oublier sous mes rustiques toits vos crevailles 2 et vos affaires.
Mille tendres respects.
V.
15è avril 1766 à Ferney . »
1 Cette charge de gouverneur vient d'être accordée à Beauteville ; voir Archives de Genève , CCLXXVI, 812 .
2 Ce sont des repas où l'on mange avec excès . Admis comme « bas » dans le Dictionnaire de l'Académie en 1740, ce mot en fut exclus en 1835 .
00:07 | Lien permanent | Commentaires (0)
14/07/2021
il fallait prendre un lavement . Il faut qu’un malade soit le maître de son temps
... A tous les médecins de Jair Bolsonaro, je recommande pour leur détestable malade atteint de hoquet de pratiquer matin, midi et soir des lavements salvateurs , un des rares traitements qu'il n'ait pas évoqué contre le Covid . Si ça ne le guérit pas, au moins pendant quelques heures il n'osera plus brailler .
https://www.cnews.fr/jair-bolsonaro
« A Pierre-Michel Hennin
M. le Résident de
France
à Genève
Je me doutais bien, monsieur, que la santé de M. le duc de Praslin ne tiendrait pas longtemps à la nécessité de parler d’affaires, quand il fallait prendre un lavement . Il faut qu’un malade soit le maître de son temps. Mais comment M. le duc de Choiseul pourra-t-il suffire aux détails des deux ministères 1 les plus assujettissants ? Il faudra que ses journées soient aussi longues que la nuit d’Alcmène 2. Je suis effrayé de la seule idée de ce travail. Quand aurons-nous des feuilles ? quand aurai-je le bonheur de vous revoir ?
V.
15 avril [1766].3 »
1 Voir lettre du 10 avril 1766 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/07/12/le-grand-point-mon-cher-caro-c-est-d-imprimer-correctement-6326657.html
2 Jupiter, amoureux d’Alcmène, prolongea la nuit qu’il passa dans ses bras sous la figure d’Amphitryon son mari.
3 L'édition Correspondance inédite, 1825, suit l'indication « 25 avril 1766 » portée sur le manuscrit par une autre main, ainsi que toutes les éditions . C'est une réponse à un billet du [14 avril] 1766.
16:58 | Lien permanent | Commentaires (0)
Quand on ne peut parvenir,[... ], à faire cesser l’opprobre jeté sur un état que l’on honore, il n’y a certainement d’autre parti à prendre que de quitter cet état
... Mlle Clairon ne figure pas sur la liste des quatre-cent-soixante-sept récipiendaires de la Légion d'honneur de le fournée 14 juillet 2021; combien la méritent vraiment, non par leurs titres mais par leurs actions, sensées être bénéfiques à la nation et ses citoyens, les fameux "services éminents" ?
Y a-t-il un plaisir égal à épingler la rosette sur la poitrine du centenaire Edgar Morin et sur celle de la quadragénaire Laetitia Casta , tous deux méritants valables ? Qui choisit le buste à orner ? Si cette responsabilité m'incombait, je sais bien où irait ma préférence, mais chut !
« A Claire-Josèphe-Hippolyte Léris de La Tude Clairon
À Ferney, 15 avril 1766
Quand on ne peut parvenir, mademoiselle, à faire cesser l’opprobre jeté sur un état que l’on honore, il n’y a certainement d’autre parti à prendre que de quitter cet état. Vous avez une grande réputation par vos talents ; mais vous aurez de la gloire par votre conduite. Je voudrais que cette gloire ne fût point unique, et que vos camarades eussent assez de courage pour vous imiter ; mais c’est de quoi je désespère. Je vois qu’après avoir disposé des empires sur la scène, vous n’allez à présent donner que des cures. Mon protégé, dont j’ai oublié le nom 1, m’a paru, par sa lettre, un drôle de prêtre : c’est tout ce que j’en sais.
La petite tracasserie avec M. Dupuits doit être entièrement finie . Je ne la connaissais pas. Vous savez que je passe ma vie dans mon cabinet pendant qu’on médit dans le salon . M. Dupuits est en Franche-Comté . Il en reviendra bientôt. Mon premier soin sera de l’instruire de vos bontés ; et comme il sait mieux l’orthographe que madame sa femme, il ne manquera pas de vous écrire dès qu’il sera de retour.
Au reste, mademoiselle, je crois que, dans le siècle où nous vivons, il n’y a rien de mieux à faire que de se tenir chez soi, et de cultiver les arts pour sa propre satisfaction, sans se compromettre avec le public. Il n’y a plus de cour, et le public de Paris est devenu bien étrange. Le siècle de Louis XIV est passé ; mais il n’y a point de siècle que vous n’eussiez honoré.
Mme Denis vous fait mille tendres compliments. Je ne vous parle pas de mes sentiments pour vous , je n’ai pas assez d’éloquence,
V. »
1 Il s’appelle Doléac ; voir la lettre du 30 mars 1766 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/07/03/je-vous-serai-attache-toute-ma-vie-soit-que-vous-donniez-des-benefices-a-de.html
12:03 | Lien permanent | Commentaires (0)