10/07/2021
La première chose qu’il faut faire quand on veut écrire, c’est de penser
... J'essaie ! Pour quelques essais transformés, combien de coups de botte en touche ? Ce n'est pas à moi d'arbitrer .
1° - Y penser 2° - Passer outre 3°- Ecrire 4° Y repenser ....
« Au chevalier Pierre de Taulès
À Ferney, 5è avril 1766
Je n’oublierai jamais, monsieur, le discours de M. Thomas , mais j’ai oublié sa demeure, et d’ailleurs je ne peux m’adresser qu’à vous pour le remercier ; de tous ceux qui ont fait l’éloge du dauphin, il est le seul qui m’ait fait connaître ce prince. Je n’ai vu que des mots dans tout ce que j’ai reçu de Paris, en prose et en vers, sur ce triste événement. La première chose qu’il faut faire quand on veut écrire, c’est de penser ; M. Thomas ne s’exprime éloquemment que parce qu’il pense profondément.
À propos de penseur, puis-je vous supplier, monsieur, de présenter mes respects à Son Excellence ? Elle donne des indigestions à tout Genève avant de lui donner une paix inaltérable . J’ose me flatter que quand nous aurons des feuilles, et que vous aurez le temps de prendre l’air, vous voudrez bien donner la préférence à l’air de Ferney . Ce n’est pas assez de faire du bien à des hérétiques, il faut encore consoler les vieux catholiques malades. Je compte hardiment sur vos bontés et sur celles de M. Hennin.
Daignez, monsieur, être sans cérémonie avec votre très humble et très obéissant serviteur.
V. »
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09/07/2021
Je voudrais vous donner bien des causes à soutenir
... Comme les 30km/h à Paris qui est un modèle de fausse bonne idée, les chauffeurs , les yeux rivés sur leurs compteurs, vont devenir des escargots la tête dans la coquille . Mme Hidalgo , écologiste inconséquente, vous vous tirez une balle dans le pied, adieu la présidence , heureusement .
Au fait, en êtes vous, vous et le président en exercice, pour la cause des sans-logis ? L'hiver n'a jamais été si près, savez-vous ? "La misère est moins pénible au soleil" comme chantait le défunt exilé fiscal ; "moins", sans doute , mais "pénible" quand même . Bougez vous les fesses et sortez de vos bureaux climatisés, ça urge !
La construction de stades est-elle plus prioritaire que celle de logements ?
Et le feu d'artifices du 14 juillet ?
« A Jacques Lacombe
Pour vous dédommager, monsieur, du recueil que vous avez bien voulu faire de tout ce qu’une certaine personne a écrit sur la poésie, on vous propose de faire un recueil plus piquant de tous les chapitres un peu philosophiques répandus dans les ouvrages du même auteur 1, en mettant le tout par ordre alphabétique, et en puisant même dans un certain dictionnaire où l’on pourrait trouver, avec discrétion, quelques morceaux curieux.
Vous n’avez point changé de profession : vous serez l’avocat de la philosophie. Je voudrais vous donner bien des causes à soutenir ; mais je suis si vieux qu’il ne m’appartient plus d’avoir de procès.
Comptez, je vous en supplie, sur l’estime et l’amitié de votre très humble et très obéissant serviteur.
V.
5è avril 1766. »
1 Il ne s'agit pas ici des Pensées philosophiques qui sont déjà sous presse ainsi qu'en témoigne la lettre du 11 février 1766 à Contant d'Orville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/05/29/chaque-siecle-a-ses-vices-dominants-je-crois-que-la-calomnie-6318794.html
Mais la suggestion de V*, quoique apparemment négligée par Lacombe, peut avoir conduit à la sixième édition, corrigée et augmentée de 34 articles par l'auteur du Dictionnaire philosophique, 1767 , laquelle effectivement reprend à peu près la moitié de ces « trente-quatre articles » dans les éditions de 1765 .
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Il est bien difficile, de quelque manière qu’on s’y prenne, qu’il ne reste quelque aigreur dans les esprits
... J'élimine à ce sujet les discutailleries politiciennes pour en revenir aux choses vraiment importantes : les Jeux Olympiques . Aigreur chez les sportifs privés de public, et plus encore aigreur, déjà nettement présente, chez nos hôtes nippons qui se retrouvent avec un déficit kolossal ! Où en sera le virus pour les Jeux d'hiver l'an prochain en Chine ( je n'ose pas mettre à Pékin, qui comme chacun sait, est une station de sports d'hiver de réputation mondiale ) ?
Tous mes voeux aux sportifs qui vont défendre leurs couleurs dans une ambiance de catacombes, ou mieux ( ? = pire ) de flicage permanent . Les Grecs n'en reviendraient pas !
https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/07/08/covid-1...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
5è avril 1766
Jusques à quand abuserai-je des bontés de mes anges ? Voilà l’historien 1 de François Ier qui de secrétaire d’un grand monarque veut se faire secrétaire des pairs, et je ne sais où il demeure, et je crains de faire encore une méprise. Je prends donc la liberté de leur adresser ma lettre , et de les supplier de vouloir bien faire mettre l’adresse.
Mes anges connaissent plus de pairs que moi ; je puis à peine le servir ; ils pourront le protéger fortement, en cas qu’ils n’aient pas une autre personne à favoriser.
Je ne sais si je me trompe, mais je prévois que les citoyens de Genève pourront perdre leur cause au tribunal de la médiation. Il est bien difficile, de quelque manière qu’on s’y prenne, qu’il ne reste quelque aigreur dans les esprits. Je suis donc toujours pour ce que j’en ai dit. Je voudrais que la médiation se réservât le droit de juger les différends qui pourront survenir entre les corps de la République. J’ai peur que les médiateurs ne veuillent pas se charger de ce fardeau, fardeau pourtant bien léger et bien honorable. Ce serait, ce me semble, une manière assez sûre d’attacher les Genevois à la France, sans leur ôter leur liberté et leur indépendance. Je sais bien qu’on n’a pas à faire des Genevois ; mais les temps peuvent changer, on peut avoir des guerres vers l’Italie. Je serais fâché de penser autrement que monsieur l’ambassadeur, et je croirais avoir tort ; mais j’aime ma chimère, et je voudrais que M. le duc de Praslin l’aimât un peu aussi.
Dites-moi, je vous prie, mes divins anges, comment réussit l’Éloge de M. le dauphin, par M. Thomas. Il me paraît que [de] tous les ouvrages qu’on a faits sur ce triste sujet, le sien est celui qui inspire le plus de regrets sur la perte de ce prince.
Me sera-t-il encore permis de recourir à vos bontés, non-seulement pour une lettre de remerciements que je dois à M. Thomas , mais pour un petit paquet que M. d’Alembert attend ? Figurez-vous mon embarras : je ne sais l’adresse d’aucun de ces messieurs ; il faut pourtant leur écrire, pardonnez donc mon importunité . Je prendrai dorénavant si bien mes mesures que je ne tomberai plus dans le même inconvénient.
Le petit ex-jésuite attend sa toile de Pénélope, qu’il défait et qu’il refait toujours ; mais songez que c’est pour vous plaire qu’il se plaît si peu à lui-même.
N. B. -- M. d’Alembert ne demeure plus rue Michel-le-Comte, comme on l’avait mis sur la lettre ; c’est, je crois, près de Bellechasse. Encore une fois, pardon. »
1 Gabriel-Henri Gaillard, auteur d'une Histoire de François Ier, roi de France, 1766-1769, dont les quatre volumes viennent de paraître . Il a écrit à V* le 11 février 1766 pour lui annoncer l’envoi de ceux-ci et lui demander ce qu'il pense de son œuvre . Mais il n'est pas question dans cette lettre de la requête dont parle ici V* .
Voir note 6 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome7.djvu/254
et : https://data.bnf.fr/fr/13010406/gabriel-henri_gaillard/
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08/07/2021
je parle des honnêtes gens, qui n’ont point de principes fixes sur la nature des choses, qui ne savent point ce qui est, mais qui savent très-bien ce qui n’est pas : voilà mes vrais philosophes
... "Dans le doute , abstiens-toi" disent certains, et d'autres "commence par agir" . Et moi, je dis "fais-toi vacciner, toi , tes enfants et tes proches !" : voilà mes vrais concitoyens .
Facile à faire .
« A Jean Le Rond d'Alembert
5 avril [1766]1
Mon cher et grand philosophe, dans un fatras de lettres que je recevais par la voie de Genève, mon étourderie a ouvert celle que je vous envoie. Je ne me suis aperçu qu’elle vous était adressée qu’après avoir fait la sottise de la décacheter ; je vous en demande très humblement pardon, en vous protestant, foi de philosophe, que je n’en ai rien lu. J’avais ordonné en général qu’on retirât toutes celles qui vous seraient adressées d’Italie. Je n’ai trouvé que celle-là dans mon paquet ; je me flatte qu’elle n’est pas du pape régnant ; je présume qu’elle est d’un être pensant, puisqu’elle est pour vous.
Il y a peu de ces êtres pensants. Mon ancien disciple couronné me mande 2 qu’il n’y en a guère qu’un sur mille ; c’est à peu près le nombre de la bonne compagnie , et, s’il y a actuellement un millième d’hommes de raisonnables, cela décuplera dans dix ans. Le monde se déniaise furieusement. Une grande révolution dans les esprits s’annonce de tous côtés. Vous ne sauriez croire quels progrès la raison a faits dans une partie de l’Allemagne. Je ne parle pas des impies, qui embrassent ouvertement le système de Spinosa 3, je parle des honnêtes gens, qui n’ont point de principes fixes sur la nature des choses, qui ne savent point ce qui est, mais qui savent très-bien ce qui n’est pas : voilà mes vrais philosophes. Je peux vous assurer que, de tous ceux qui sont venus me voir, je n’en ai trouvé que deux qui fussent des sots. Il me paraît qu’on n’a jamais tant craint les gens d’esprit à Paris qu’aujourd’hui. L’inquisition sur les livres est sévère : on me mande que les souscripteurs n’ont point encore le Dictionnaire encyclopédique. Ce n’est pas seulement être sévère, c’est être très-injuste. Si on arrête le débit de ce livre, on vole les souscripteurs, et on ruine les libraires. Je voudrais bien savoir quel mal peut faire un livre qui coûte cent écus. Jamais vingt volumes in-folio ne feront de révolution ; ce sont les petits livres portatifs à trente sous qui sont à craindre. Si l’Évangile avait coûté douze cents sesterces, jamais la religion chrétienne ne se serait établie.
Pour moi, j’ai mon exemplaire de l’Encyclopédie, en qualité d’étranger et de Suisse. On veut bien que les Suisses se damnent, mais on veille de près, à ce que je vois, sur le salut des Parisiens. Si vous pouviez m’envoyer quelque chose pour achever ma damnation, vous me feriez un plaisir diabolique, dont je vous serais très-obligé. Je ne peux plus travailler, mais j’aime à me donner du bon temps, et je veux quelque chose qui pique.
Il faut que je vous dise que je viens de lire Grotius, de Veritate, etc. 4 Je suis bien étonné de la réputation de cet homme ; je ne connais guère de plus sot livre que le sien, excepté l’ampoulé Houtteville 5. On avait, de son temps, de la réputation à bon marché. Il y a un bon article de Hobbes dans l’Encyclopédie 6. Plût à Dieu que tout cet ouvrage fût fait comme votre Discours préliminaire !
Adieu, mon très-cher philosophe : sera-t-il dit que je mourrai sans vous revoir ? »
1 L'édition de Kehl, suivies par les autres, place cette lettre en 1765 ; or elle appartient incontestablement à 1766 comme le montre entre autres l’allusion à la lettre italienne pour d'Alembert ; voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/07/07/qui-sont-les-examinateurs-quelles-mesures-prend-on.html
2 La lettre de Frédéric est perdue, voir lettre du 19 mars 1766 Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/06/26/il-n-y-aurait-guere-que-deux-mille-sages-en-france-mais-ces-6323830.html
3 V* rejette ici l'athéisme ouvert, il reviendra fortement sur cette idée dans l'Histoire de Jenni ou le Sage et l'Athée : https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Histoire_de_Jenni_ou_le_Sage_et_l%E2%80%99Ath%C3%A9e
4 De veritate religionis chritianae, 1627, ouvrage de Grotius qui a eu une vogue égale à celle de son De jure belli ac pacis . Voir : https://data.bnf.fr/fr/11985485/hugo_grotius/
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hugo_Grotius
et : https://data.bnf.fr/fr/14566191/hugo_grotius_de_veritate_religionis_christianae/
et : https://data.bnf.fr/fr/12360080/hugo_grotius_de_jure_belli_ac_pacis/
et : https://fr.wikisource.org/wiki/La_D%C3%A9fense_de_mon_oncle/%C3%89dition_Garnier/Chapitre_6#P380
5 Allusion à La Religion chrétienne prouvée par les faits, 1722, de l'abbé d'Houtteville ; voir lettre du 10 décembre 1731 à Formont : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/12/11/mais-que-dites-vous-de-l-injustice-des-mechants-qui-pretende.html
6 C'est l'article sur Hobbes, « Hobbisme » qui est de Diderot ; rédigé avec un fort enthousiasme . Voir : http://classiques.uqac.ca/classiques/Diderot_denis/encyclopedie/hobbisme/hobbisme.html
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07/07/2021
qui sont les examinateurs ? quelles mesures prend-on ?
... Ô Bac sacré, combien d'heureux fais-tu cette année ? à combien de buggs as-tu donné naissance ?
https://www.bfmtv.com/societe/education/en-direct-bac-202...
« A Etienne-Noël Damilaville
4 avril 1766 1
Mon cher ami, il n’y a qu’une pauvre petite lettre à la poste d’Italie pour M. d’Alembert. Je la lui ai envoyée dans un paquet adressé à M. d’Argental, qui demeure dans son quartier.
Je saurai demain si vous avez reçu une lettre adressée à Monsieur d’Auch 2, ou plutôt à frère Patouillet, auquel il n’a fait que prêter son nom.
M. Thomas m’a envoyé l’Éloge de Mgr le dauphin 3. Il y a de l’éloquence et de la philosophie. Il n’est pas vraisemblable qu’il ait attribué à ce prince des qualités et des connaissances qu’il n’aurait pas eues ; il se serait décrédité auprès des honnêtes gens. Enfin, de tout ce que j’ai lu sur ce triste événement, il est le seul qui m’ait instruit et qui m’ait fait plaisir. Il y a quelques défauts dans son ouvrage ; mais, en général, c’est un homme qui pense beaucoup, et qui peint avec la parole.
En lisant le Dictionnaire, je m’aperçois que le chevalier de Jaucourt en a fait les trois quarts 4. Votre ami 5 était donc occupé ailleurs ? Mais, par charité, dites-moi pourquoi ce livre, qui, à mon gré, est nécessaire au monde, n’est pas encore entre les mains des souscripteurs ? Au nom de qui l’examine-t-on ? qui sont les examinateurs ? quelles mesures prend-on ?
Vous m’aviez bien dit que la comédie 6 que vous m’aviez envoyée était meilleure à voir qu’à lire. Bonsoir, mon très-cher philosophe. »
1 L'édition Correspondance littéraire, philosophique et critique, de Grimm, n'identifie pas le destinataire .
2 De la Lettre pastorale à M. l’archevêque d’Auch, J. -F. Montillet ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/479
Voir lettre du 24 mars 1766 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/06/29/persequitur-pede-poena-claudo-le-chatiment-poursuit-le-crime-6324372.html
Il faut manifestement lire ensuite n'a fait et non n'avait comme le portent les copies et l'édition Besterman.
3 Voltaire publia peu après un Petit Commentaire sur cet ouvrage de Thomas ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/481
4 Sur la participation de Jaucourt à l'Encyclopédie que Richard N. Schwab estime à 15 000 articles dans son Inventory of Diderot's Encyclopédie, 1972, voir aussi J. Lough, « Louis, chevalier de Jaucourt » dans les Essays Presented to C. M. Girdlestone, 1960 .
5 Diderot .
6 Le Philosophe sans le savoir, de Sedaine.
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Cette santé est un bien dont je n’ai jamais joui, et c’est ce qui me rend la retraite à la campagne absolument nécessaire. La réputation est une chimère, et le bien-être est quelque chose de solide.
...
« A Pierre-Joseph Thoulier d'Olivet
de l'Académie française, etc.
quartier du Louvre
à Paris
1er avril 1766 à Ferney
Mon cher maître, je ne vous donne point un poisson d’avril quand je vous dis que je vous aimerai tendrement toute ma vie, et que je vous souhaite les années de Nestor, et surtout cette santé inaltérable sans laquelle la vieillesse n’est qu’une longue mort. Cette santé est un bien dont je n’ai jamais joui, et c’est ce qui me rend la retraite à la campagne absolument nécessaire. La réputation est une chimère, et le bien-être est quelque chose de solide.
En vous remerciant de l’Alexandre. Il n’y a personne qui ne voulût pencher le cou avec un si beau surnom. Je vous trouve quelquefois bien sévère avec Racine 1. Ne lui reprochez-vous pas quelquefois d’heureuses licences qui ne sont pas des fautes en poésie ? Il y a dans ce grand homme plus de vers faibles qu’il n’y en a d’incorrects ; mais, malgré tout cela, nous savons, vous et moi, que personne n’a jamais porté l’art de la parole à un plus haut point ni donné plus de charme à la langue française. J’ai souscrit, il y a deux ans, pour une édition qu’on doit faire de ses pièces de théâtre, avec des commentaires 2. J’ignore qui sera assez hardi pour le juger, et assez heureux pour le bien juger. Il n’en est pas de ce grand homme, qui allait toujours en s’élevant, comme de Corneille, qui allait toujours en baissant, ou plutôt en tombant de la chute la plus lourde. Racine a fini par être le premier des poètes dans Athalie, et Corneille a été le dernier dans plus de dix pièces de théâtre, sans qu’il y ait dans ces enfants infortunés ni la plus légère étincelle de génie, ni le moindre vers à retenir ; cela est presque incompréhensible dans l’auteur des beaux morceaux de Cinna, du Cid, de Pompée, de Polyeucte, etc.
Vous avez bien raison de dire qu’il y a moins de fautes dans Racine que dans nos meilleurs écrivains en prose . Les belles oraisons funèbres de Bossuet en sont pleines ; mais, en vérité, ces fautes sont des beautés, quand on les compare à la plupart des pièces d’éloquence d’aujourd’hui. Vous savez bien que Louis Racine, cité par vous quelquefois, a frappé souvent des vers sur l’enclume de Jean, son père . Pourquoi donc a-t-il si peu de réputation ? C’est qu’il manque d’imagination et de variété ; il n’y a rien chez lui de piquant : il n’a pas sacrifié aux Grâces ; il n’a sacrifié qu’à saint Prosper 3, et, quoiqu’il tourne bien ses vers,
On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.4
Vous voyez que j’ai avec vous le cœur sur les lèvres ; voilà cette franchise parisienne que vous avez louée, ce me semble, et qui doit plaire à la franchise franc-comtoise. C’est une consolation pour moi de m’entretenir aussi librement avec vous. J’ai eu besoin depuis quelque temps de me remettre à relire vos Tusculanes 5 et le De Natura deorum, pour me confirmer dans l’opinion où je suis que jamais philosophe, ancien et moderne, n’a mieux parlé que Cicéron. J’aime bien mieux ces ouvrages-là que ses Philippiques, qui l’ont fait tuer à l’âge de soixante-trois ans.
Adieu ; vivez heureux et longtemps, mon cher maître, et souvenez-vous du mot de votre ami Marcus Tullius : Non est vetula quæ credat.6, etc. »
1Voir lettre du même jour à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/07/05/beaucoup-d-artistes-et-d-ouvriers-des-fils-de-marchands-d-av-6325470.html
. L'Alexandre est-il celui de la pièce de Racine ? Sans la lettre de l'abbé d'Olivet, cette allusion n'a pu être éclaircie .
2 Les commentaires que Blin de Sainmore vendit à Luneau de Boisjermain. (Georges Avenel.) . Voir lettre du 8 février 1765 à Blin de Sainmore : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/04/29/etant-juge-sans-interet-vous-serez-plus-eclaire-et-moins-suspect-de-partial.html
Voir : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/533-pierre-luneau-de-boisjermain
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Joseph_Luneau_de_Boisjermain
3 Dans la mesure où Louis Racine fait, dans son poème de La Grâce, une place aux controverses théologiques de Saint Augustin, saint Prosper et autres docteurs de l’Église . « De l'illustre Prosper j'ose suivre les pas …. » : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Gr%C3%A2ce/Chant_I
4 Art poétique, I, 73-74, de Boileau : http://wattandedison.com/Nicolas_Boileau1.pdf
5 Voir lettre du 12 février 1736 à d'Olivet : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1736/Lettre_560
6 Il n'y a pas toujours une vielle pour croire [...] . Ce membre de phrase n'est pas retrouvé chez Cicéron, mais on ne dispose pas d'une concordance complète des œuvres de cet auteur .
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06/07/2021
Je crois que nous ne nous entendons pas sur l’article du peuple, que vous croyez digne d’être instruit. J’entends par peuple la populace, qui n’a que ses bras pour vivre
... J'ai longtemps hésité avant de choisir ce titre, mais il y a ce que dit Voltaire et ce qu'il fait . Certains le disent un ignoble richard qui méprise le peuple, ne connaissent que partiellement ses écrits et ignorent ses oeuvres matérielles à Ferney . Cette populace , il la connait, il lui fournit du travail, il la fait vivre . Soit ! il préfère avoir de bons laboureurs que des philosophes, mais outre le soutien inaltérable qu'il apporte aux paysans, aux artisans, il créera une école ! Cet homme n'est pas simple, il est humain , il est du monde des idées, et fraternel au quotidien .
"... tout vieux et infirme que je suis, je planterai aujourd'hui, sûr de mourir demain . Les autres en jouiront ." Voltaire à François Moreau, le 1er juin 1767 .
Que ceux qui se bornent à le critiquer passent leur chemin , ils perdent l'essentiel .
Un salut particulier pour Axel Kahn qui donna jusqu'au bout de la qualité à sa vie et celle de ses contemporains, tout à fait voltairien selon moi : https://www.20minutes.fr/sante/3078219-20210706-axel-kahn-geneticien-ancien-president-ligue-contre-cancer-mort
« A Etienne-Noël Damilaville
1er avril 1766 1
Le Philosophe sans le savoir, mon cher ami, n’est pas à la vérité une pièce faite pour être relue, mais bien pour être rejouée. Jamais pièce, à mon gré, n’a dû favoriser davantage le jeu des acteurs ; et il faut que l’auteur ait une parfaite connaissance de ce qui doit plaire sur le théâtre ; mais on ne relit que les ouvrages remplis de belles tirades, de sentences ingénieuses et vraies, en un mot des choses éloquentes et intéressantes.
Je crois que nous ne nous entendons pas sur l’article du peuple, que vous croyez digne d’être instruit. J’entends par peuple la populace, qui n’a que ses bras pour vivre. Je doute que cet ordre de citoyens ait jamais le temps ni la capacité de s’instruire ; ils mourraient de faim avant de devenir philosophes ; il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants. Si vous faisiez valoir comme moi une terre, et si vous aviez des charrues, vous seriez bien de mon avis, ce n’est pas le manœuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois, c’est l’habitant des villes ; cette entreprise est assez forte et assez grande. Il est vrai que Confucius a dit qu’il avait connu des gens incapables de sciences, mais aucun incapable de vertu ; aussi doit-on prêcher la vertu au plus bas peuple ; mais il ne doit pas perdre son temps à examiner qui avait raison de Nestorius ou de Cyrille, d’Eusèbe ou d’Athanase, de Jansénius ou de Molina, de Zwingle ou d’Œcolampade. et plût à Dieu qu’il n’y eût jamais eu de bon bourgeois infatué de ces disputes , nous n’aurions jamais eu de guerres de religion, nous n’aurions jamais eu de Saint-Barthélemy, toutes les querelles de cette espèce ont commencé par des gens oisifs et qui étaient à leur aise ; quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu. Je suis de l’avis de ceux qui veulent faire de bons laboureurs 2 des enfants trouvés, au lieu d’en faire des théologiens ; au reste, il faudrait un livre pour approfondir cette question, et j’ai à peine le temps, mon cher ami, de vous écrire une petite lettre.
Je vous prie de vouloir bien me faire un plaisir, c’est d’envoyer l’édition complète de Cramer à M. de La Harpe ; ce n’est pas qu’assurément je prétende lui donner des modèles de tragédies ; mais je suis bien aise de lui montrer quelques petites attentions dans son malheur 3 en cas que je ne lui aie pas déjà fait ce présent, car il me vient un scrupule en vous écrivant ; gardez donc l'exemplaire , mon cher ami, jusqu'à ce que je sois instruit s'il en a eu de ma part .
Je suis beaucoup plus inquiet du mémoire pour les Sirven, je vous supplie de m'en dire des nouvelles . Je vais faire retirer les lettres pour M. d'Alembert, qui probablement ne pourront partir que vendredi prochain 4 avril . J'ai été si malade que je n'ai pu vous écrire la poste dernière..
Je n’ai point reçu le panégyrique fait par M. Thomas 4. Sûrement on fait examiner secrètement le Dictionnaire des sciences 5, puisqu’il n’est pas encore délivré aux souscripteurs. Mais qui sont les examinateurs en état d’en rendre un compte fidèle ? Faudrait-il qu’un scrupule mal fondé, ou la malignité d’un pédant, fit perdre aux souscripteurs leur argent, et aux libraires leurs avances ? J’aimerais autant refuser le payement d’une lettre de change, sous prétexte qu’on en pourrait abuser.
J'attends toujours quelque chose de Fréret 6. On dit que ma nièce de Florian passera son temps bien agréablement à Hornoy ; vous irez la voir, elle est bien heureuse . Adieu, mon très cher ami .
Je vous prie de me dire s’il y a eu en effet une troisième remontrance du parlement de Paris sur les affaires du parlement de Bretagne 7 ; je ne le crois pas, cela serait bien peu convenable. »
1 Voir lettre du 24 mars 1766 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/06/29/persequitur-pede-poena-claudo-le-chatiment-poursuit-le-crime-6324372.html
2 Cela semble être l’idée du physiocrate Moreau de La Rochette exposée dans un de ses ouvrages ( V* lui adressera une lettre le 1er juin 1767) . Voir : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3230
3 Le Gustave Vasa de La Harpe a été joué sans succès le 3 mars 1766 .
4 Éloge de feu Mgr le dauphin de France, 1766 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63720222.texteImage
5 L’Encyclopédie .
6 Examen des apologistes de la religion chrétienne. Ce livre, publié sous le nom de Fréret, 1766, in-8°, est de Lévesque de Burigny. Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k845348.image
et : https://www.honorechampion.com/fr/champion/5842-book-08530371-9782745303714.html
7 Voir lettre du 12 mars 1766 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/06/22/je-ne-suis-pas-assez-bon-financier-pour-savoir-si-l-impot-su-6323015.html
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