03/08/2021
Je vous avouerai franchement que je ne connais, parmi les discours prononcés au parlement de Paris, rien qui mérite d’être lu, excepté deux ou trois discours
... Dont celui de Simone Veil sur l'IVG , le 26 novembre 1974 : https://www.youtube.com/watch?v=45MOc6PYoY8
et celui de Robert Badinter sur l'abolition de la peine de mort du 17 septembre 1981 : https://m.ina.fr/video/I00004546/discours-de-robert-badin...
« A Joseph-Michel-Antoine Servan
9è mai 1766 à Ferney 1
Enfin, monsieur, on a retrouvé Moïse sous un tas de fumier, et il est sauvé des mains des muletiers, comme de celles de Pharaon. Les conjectures sur la Genèse 2 sont actuellement dans ma bibliothèque ; mais je vous assure que je fais plus de cas du discours que vous avez eu la bonté de m’envoyer 3. L’auteur a dû se complaire dans son œuvre, et voir que cela était bon 4; mais il est trop modeste pour le dire, et moi, je suis trop véridique pour lui cacher ce que j’en pense.
Je vous demande en grâce, monsieur, de vouloir bien honorer mon petit cabinet de livres de tout ce qui partira de votre plume . J’ai des recueils qui assurément ne vaudront pas celui-là. Je vous avouerai franchement que je ne connais, parmi les discours prononcés au parlement de Paris, rien qui mérite d’être lu, excepté deux ou trois discours de M. d’Aguesseau ; tout ce qu’on a fait depuis lui est sec et mal écrit ; tout ce qu’on a fait auparavant est de l’éloquence de Thomas Diafoirus 5. J’ai déjà eu l’honneur de vous dire 6 qu’en qualité de provincial j’aimais fort à voir le bon goût renaître en province. Vous et moi, nous sommes allobroges . Je m’intéresse à vos succès, comme compatriote , et, en cette qualité, je vous demande la continuation de vos bontés. Autrefois la cour donnait le ton à Paris, et Paris aux provinces . Il me paraît que c’est à présent tout le contraire, à cela près qu’il n’y a plus de ton à Versailles . Je ne suis pas, au reste, comme les autres vieillards qui vantent toujours ce qu’ils ont vu dans leur jeunesse . Je vous jure que je n’ai vu que des sottises . Le bon temps était le siècle de Louis XIV, dont je n’ai bu que la lie. Cependant il faut être juste : j’avoue qu’il n’y a en France aujourd’hui aucun grand talent, dans quelque genre que ce puisse être, pas même à l’opéra-comique, qui est devenu le spectacle de la nation ; mais, en récompense, il y a beaucoup de philosophie, le monde est plus éclairé, la superstition est bannie chez tous les honnêtes gens, et voilà ce qui me console.
Soyez toujours, monsieur, ma plus grande consolation, et comptez sur la tendre et respectueuse estime de
V.
9è mai 1766
Dès qu'il paraîtra quelque chose de curieux, j'aurai l'honneur de vous l’adresser.»
1 L'édition Beuchot donne un texte incomplet et peu soigné, ce qui semble indiquer qu'il n'a pas vu l'original . La lettre de Servan du 30 avril 1766 est conservée .
2 De Jean Astruc : Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraît que Moïse s'est servi pour composer le livre de la Genèse, 1753 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10405623.image
3 M. S*** [J. M. Servan], Discours sur l'administration de la justice criminelle, 1766 : https://ledroitcriminel.fr/la_science_criminelle/penalistes/introduction/servant_justice_criminelle.htm
4 Genèse, I, 18 : https://saintebible.com/genesis/1-18.htm
5 Dans Le Malade imaginaire , bien entendu .
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02/08/2021
Le héros dont vous me parlez fait bien de l'honneur à Genève de gratifier de sa présence une ville où l'on ne trouve à présent que des tracasseries
... La preuve : https://www.20min.ch/fr/story/la-police-saisit-six-e-trot...
Pour le héros (aux yeux des banquiers ), il suffit de trouver celui qui va faire les plus grosses dépenses dans le canton cet été , et au delà !
Dousssssement y'a pas l'feu au lac !
« A David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches, major, etc.
à Landrecy
Flandre
9è mai 1766 à Ferney
Je n'ai point encore vu monsieur votre frère, monsieur, mes maladies, qui augmentent tous les jours, m'empêchent d'aller à Genève où le droit négatif tourne toutes les têtes de la petite fourmilière ; mais j'ai eu le bonheur de voir à Ferney Mme de Gentil et Mme d'Aubonne . Quand aurai-je celui de vous embrasser ?
Le héros dont vous me parlez 1 fait bien de l'honneur à Genève de gratifier de sa présence une ville où l'on ne trouve à présent que des tracasseries . Il fait le tour de l'Europe comme Germanicus faisait celui de son camp pour jouir de sa gloire , ut frueretur fama sui 2. Les échos de nos montagnes ont retenti de ses belles actions aussi bien que ceux du pays d'Arminius . Je ne suis qu'un vieux malade mourant, mais j'imagine que je reprendrai des forces en le voyant seulement passer .
Voilà votre ami M. le prince de Ligne en possession d'un bel héritage 3 . Je ne sais pas si son âge lui permet de compter parmi les joyaux de la Toison d'or de son père ; je vous prie de ne me pas oublier quand vous lui écrivez . Il m'a paru avoir une espèce de philosophie qui s'accorde tout à fait avec la mienne .
Adieu, monsieur, Mme Denis se joint à moi pour vous dire combien nous vous aimons, et à quel point nous vous regrettons.
V. »
1 Le prince de Brunswick : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Guillaume-Ferdinand_de_Brunswick-Wolfenb%C3%BCttel
2 Pour jouir de sa renommée : la citation semble inspirée de Tacite, on attend sua pour sui .
3 Son père, Claude Lamoral, prince de Ligne est mort le 7 avril 1766 ; voir : https://gw.geneanet.org/frebault?lang=fr&pz=henri&nz=frebault&p=claude&n=de+ligne&oc=1
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01/08/2021
Laissez moi faire mon devoir sans quoi je me brouille avec vous
... Tel semble devoir être le leitmotiv des membres du gouvernement à l'heure de leurs vacances , mais en vérité il y a loin des paroles aux actes, ministres ou pas : https://www.lefigaro.fr/politique/les-vacances-des-minist...
Pas impossible !
« A Etienne-Noël Damilaville
9 mai 1766 1
Mon cher frère, j’ai mis l’estampe des Calas au chevet de mon lit, et j’ai baisé, à travers la glace, Mme Calas et ses deux filles. Je leur en rends compte dans la petite lettre que je vous envoie.
On se plaint beaucoup de la gravure ; on trouve que les doigts ressemblent à des griffes d’oiseaux mal faites, et les bras à des cotrets 2; mais pour moi, je suis si content d’avoir cette famille sous mes yeux que je pardonne tout, et que je trouve tout bon.
Le paquet contenait aussi un Lucain et deux tomes de Goldoni, mais je m'attendais à un Fréret dont vous m’aviez tant parlé . Je suis persuadé avec vous que la sagesse du ministère n'a pas voulu qu'on débitât le Grand Dictionnaire avant qu'on eût examiné combien il est instructif et circonspect . Cette conduite du ministère est d'autant plus prudente qu'on dit que l'assemblée du clergé approche, ou du moins qu'on disait qu'elle approchait . Je vous prie de me mander si en effet elle se tiendra et dans quel temps .
Je compte vous envoyer mardi prochain, par la diligence de Lyon le buste d'un de vos amis . Il est dans le goût antique et est assurément mieux fait que l'estampe des Calas 3. Ayez la bonté, je vous en supplie, de ne point écrire aux sculpteurs et de n’avoir aucun commerce avec eux . Laissez moi faire mon devoir sans quoi je me brouille avec vous .
Je ne sais rien de nouveau car les tracasseries de Genève ne sont pas nouvelles .
Venons, s'il vous plait à notre grande affaire, au mémoire des Sirven . J'ai été bien confondu quand je ne l'ai pas vu avec l'estampe des Calas . Est-ce la maladie de M. de Beaumont qui l'a empêché de finir ce grand ouvrage ? est-ce quelque difficulté survenue sur la forme ? les avocats sont-ils d'accord ? ne le sont-ils pas ? aurons-nous beaucoup de signatures ? N'oubliez pas , je vous en conjure, un objet si digne de vous . La pauvre famille Sirven est désespérée, parce qu'on lui avait donné l'espérance la plus flatteuse .
Je viens de lire l'article Vertu ; il me console, il m'assure que notre cher Beaumont achèvera son ouvrage . Je vous réitère mon cher ami, la prière de payer l'honoraire des avocats qui signeront la consultation .
Adieu , mon cher frère, ma santé empire tous les jours, mais j'ai fait provision de patience . Embrassez pour moi Platon . »
1 L'édition de Kehl insère des extraits de cette lettre dans celle du 12 mai 1766, également incomplète : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6338
2 Ce sont des fagots de petit bois pour allumer le feu .
3 Le sculpteur franc-comtois Jean-Claude-François-Joseph Rosset (1706-1786), qui fréquente Ferney à partir de 1765, diffuse des portraits de Voltaire dès 1766.
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31/07/2021
Vous et votre famille, vous êtes la première chose que je vois en m'éveillant
... A voir au château de Voltaire
« A Anne-Rose Calas
à Paris
9è mai 1766 à Ferney
J'ai baisé votre estampe, madame, je l'ai placée au chevet de mon lit . Vous et votre famille, vous êtes la première chose que je vois en m'éveillant . Monsieur votre fils Pierre est parfaitement ressemblant, je suis persuadé que vous l'êtes de même . Je vous souhaite, et à mesdemoiselles vos fille, toute la prospérité que vos vertus méritent .
J'ai l’honneur d'être, madame, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
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30/07/2021
ni les morts, ni les mourants, ne font de longs compliments
... Moi non plus !
« À Giuseppe Colpani 1
à Brescia
6è mai 1766 au château de Ferney par Genève 2
Monsieur,
J’ose vous dire que personne n’est plus en état que moi de juger les Dialogues des morts 3, attendu que je serai bientôt de leur nombre, et que, me faisant actuellement construire un petit sépulcre, je suis à portée d’entendre ce que ces messieurs disent là-bas. Ils n’auront jamais tant d’esprit que vous leur en donnez. Pour le peu que j’ai encore de vie je vous remercie des plaisirs que vous me faites ; ni les morts, ni les mourants, ne font de longs compliments, mais ils détestent tous votre inquisition, et ils souhaitent aux vivants cette heureuse liberté sans laquelle ce n’est pas la peine d’être au monde.
J’ai l’honneur d’être, avec la plus grande sensibilité pour votre mérite, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire. »
2 Voir lettre du 10 janvier 1766 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/04/30/je-ne-suis-pas-juge-de-votre-merite-mais-je-me-flatte-de-le-6313071.html
3 Dialoghi dei morti, 1765, de Giuseppe Colpani : https://c18.net/vll/vll_fiche.php?id_vo_vll=825
et : https://www.treccani.it/enciclopedia/giuseppe-colpani_%28Enciclopedia-Italiana%29/
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29/07/2021
On ne peut s’intéresser plus que moi, monsieur, à un homme qui honore comme vous la profession que vous avez daigné embrasser
... En fait, ce grand homme est une femme (comme Emilie du Châtelet pour Voltaire ) : la doctoresse Irène Frachon qui appelle les récalcitrants à se faire vacciner d'urgence contre le Covid 19 : https://www.lci.fr/sante/vaccination-covid-dans-une-tribu...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ir%C3%A8ne_Frachon
Le virus va pourrir vos vacances si vous restez sourds à de tels appels ; ne dites pas non, ça a déjà commencé, sauf erreur de ma part .
https://rmc.bfmtv.com/emission/sur-rmc-l-appel-d-irene-fr...
« A Jacques Lacombe , Libraire
Quai de Conti
à
Paris
5è mai 1766
On ne peut s’intéresser plus que moi, monsieur, à un homme qui honore comme vous la profession que vous avez daigné embrasser. Mandez-moi comment je pourrais vous faire tenir la nouvelle édition, en deux volumes, d’un livre intitulé mal à propos Dictionnaire philosophique, lequel a occasionné encore plus mal à propos beaucoup de contradictions. Si vous n’avez pas l’édition des œuvres du même auteur, faite à Genève, et les trois volumes de Mélanges qui viennent de paraître, on vous les adressera par la voie que vous indiquerez. Vous trouverez aisément dans ces trois volumes, dans la collection de Genève et dans les deux volumes du Dictionnaire philosophique, de quoi faire un recueil de chapitres par ordre alphabétique 1. Vous trouverez plusieurs chapitres sur le même sujet ; mais, comme ils sont différemment traités, ces variétés pourront n’être que plus piquantes. Tous ces ouvrages imprimés sont remplis de fautes typographiques, qui ne se retrouveront plus dans votre édition.
Un homme de mes amis, qui veut être inconnu, m’a communiqué une tragédie 2, laquelle m’a paru très singulière, et qui n’est ni dans le style ni dans les mœurs d’aujourd’hui. Elle est accompagnée de notes que je crois curieuses et intéressantes, et d’un morceau historique qui l’est encore davantage 3. Cela pourra faire un juste volume. Il faudrait non-seulement garder le profond secret qu’on exige de moi, mais, en cas que l’ouvrage se vendît, il faudrait faire un petit présent d’une quinzaine de louis d’or à un comédien 4 qu’on vous indiquerait, et en donner trois ou quatre autres à une personne qu’on vous indiquerait encore.
Ne doutez pas, monsieur, de mon empressement à vous marquer, dans toutes les occasions, les sentiments dont je suis pénétré pour vous. »
1 Voir lettre du 5 avril 1766 à Lacombe : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/07/09/je-voudrais-vous-donner-bien-des-causes-a-soutenir-6326213.html
2 Octave ou Le Triumvirat , que Lacombe va effectivement publier fin 1766 (daté de 1767 ).
3 Morceau intitulé « Du gouvernement et de la divinité d'Auguste » : https://fr.wikisource.org/wiki/Du_gouvernement_et_de_la_divinit%C3%A9_d%E2%80%99Auguste/%C3%89dition_Garnier
4 Lekain .
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28/07/2021
Madame, Votre département dans le ministère est toujours de faire du bien
... N'est-il pas vrai Mme Elisabeth Borne, ministre du Travail ? Il en est qui peuvent douter : https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/elisabeth-born...
A moins qu'il faille faire mal pour un bien supérieur ! Je sens venir un vent de manif force 10 , ça va décoiffer .
"C'est évident, je les ai à zéro !"
« A Béatrix de Choiseul-Stainville, duchesse de Gramont 1
A Ferney, près de Genève, 5 mai 1766
Madame,
Votre département dans le ministère est toujours de faire du bien . Je ne puis vous séparer de monsieur le duc votre frère .
Souffrez donc que je vous supplie, madame, de lire cette lettre 2, qui n'est point une lettre du bureau des affaires étrangères, mais du bureau des bienfaits . J'ose vous prier de la lui faire lire quand il ne travaille point, supposé qu'il ait de tels moments .
Soyez toujours ma protectrice auprès de mon protecteur .
Nous sommes à vos pieds, Marie Corneille et moi, son vieux père adoptif .
Agréez , madame, le profond respect et la reconnaissance de votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
1 Voir : https://gw.geneanet.org/pierfit?n=de+choiseul+stainville&p=beatrix
et : http://favoritesroyales.canalblog.com/archives/2012/10/06/25266183.html
et : https://gw.geneanet.org/pierfit?lang=fr&p=etienne+francois&n=de+choiseul+stainville
2 Cette lettre au duc de Choiseul n'est pas connue .
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