16/01/2018
Quels sont les droits de cette première cour de judicature ? A-t-elle quelquefois celui de s'opposer aux ordres émanés du trône ?
... Je me suis laissé dire qu'il est encore question de réformer notre monde judiciaire ; qu'en sera-t-il demain ?
http://www.liberation.fr/france/2018/01/15/chantiers-de-l...
« A Gabriel Cramer
à Genève
[vers le 15 février 1763]
Je prie monsieur Cramer de vouloir bien avoir attention à la page 313 du 8è tome sur l'Histoire générale ; après ces mots,
Il s'élève ici une difficulté dans tous les esprits,
ôtez ce qui suit, et mettez,
Quels sont les droits de cette première cour de judicature ? A-t-elle quelquefois celui de s'opposer aux ordres émanés du trône ? Les remontrances de cette cour etc.
Il faudra porter cette correction sur le volume des suppléments .
Je suppose que monsieur Cramer a fait usage de l'errata que je lui ai envoyé, j'en ai un aussi tout prêt pour le volume de supplément, dont il me manque les feuilles X,Y.
Je prie monsieur Cramer de me faire tenir ces deux feuilles .
J'attends la première feuille du Traité sur la tolérance, auquel il faudra joindre beaucoup de notes nouvelles . »
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15/01/2018
Il aura incessamment La Toison d'or
... Qui donc ? Alain Juppé, Jason moderne .
Avec Alain Wauquiez - véritable Médée divisant son frère Absyrte - le LR et osant se présenter comme étant Eétes tentant d'en rassembler les morceaux , petit roi du puzzle politique .
http://www.huffingtonpost.fr/2018/01/15/avec-alain-juppe-...
« A Gabriel Cramer
à Genève
[vers le 15 février 1763]
Je prie monsieur Cramer de vouloir bien nous envoyer le papier dont il nous avait communiqué la minute .
Je demande aussi trois feuilles de la feuille X du huitième tome de l’Histoire générale .
La première feuille de la Tolérance corrigée .
Et les feuilles de Pertharite .
Il aura incessamment La Toison d'or et Sertorius .
Mais , ce que je lui demande avec plus d’insistance, c'est qu'il me fasse dire comment il se porte .
Comme je dictais, moi aveugle, cette présente, le paquet de monsieur Cramer arrive . Je le remercie ; il aura demain de la copie . Mme Denis est toujours malade ; nos deux enfants toujours amoureux, et moi aimant toujours de tout mon cœur monsieur Gabriel . »
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La vieillesse et la jeunesse se réunissent dans les mêmes sentiments
... Il serait bon que ce soient des sentiments de joie . La grogne a assez fait de mal, tous âges confondus, qu'elle disparaisse au plus tôt .
« Voltaire,
Pierre-Jacques-Claude Dupuits
et Marie-Françoise Corneille
à Béatrix de Choiseul-Stainville, duchesse de Gramont, et à
Etienne-François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul
Au château de Ferney, 15 février 1763
Madame et Monseigneur le Duc,
La lettre dont vous daignez m'honorer 1 fondra nos neiges et me rendra la vue . Nous sommes à vos pieds et à ceux de Monseigneur le duc de Choiseul, votre digne frère ; et quoique je sois de l'Académie, nous ne trouvons point de termes pour vous exprimer notre respectueuse reconnaissance . La vieillesse et la jeunesse se réunissent dans les mêmes sentiments . Nous sommes tous ici sous votre protection, nous nous regardons comme vos créatures, et nous sommes, avec le plus profond respect, Madame, vos très humbles et très obéissants serviteurs
Voltaire, Dupuits, Corneille. »
1 Lettre du 21 [11] février 1763 : « Je vous renvoie ci-jointe, monsieur , la requête que vous m'avez fait passer ; vous deviez être bien sûr qu'il y serait fait droit . Je l'ai communiquée à Mme de Gramont, qui vous prie instamment , ainsi que moi, de vous regarder autorisé par la présente à signer pour nous au contrat de Mlle Corneille, nous soumettant ma sœur et moi, dans le cas où cela serait jugé nécessaire, à passer acte par-devant notaires à la première réquisition qui nous en sera faite, portant que c'est avec grand plaisir et de notre propre mouvement que nous vous avons prié de signer en nos noms le contrat de Mlle Corneille , et de l'assurer du désir que nous avons, l'un et l'autre, de trouver des occasions de lui donner des marques plus essentielles de l'intérêt que nous prenons à son bonheur . Ma sœur m'a dit être entrée avec vous dans quelques détails relatifs à cet établissement ; j'ose croire qu'elle ne proposera rien qui puisse nuire aux vues que vous avez de procurer à Mlle Corneille tous les avantages dont son nom la rend susceptible. Vous connaissez les sentiments, etc. ». Cette lettre répond à la demande de V* du 25 janvier 1763 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/12/15/je-n-ai-pas-ose-mais-j-ose-vous-demander-si-je-peux-vous-sup-6008700.html
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il aime le service, il a du bien, il s'avancera, et nous ne voyons qu'une perspective très agréable
... Qui que ce soit qui réponde à ce signalement, il donne goût à l'optimisme . Serait-ce Emmanuel Macron ? Why not !?
« A David-Louis-Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches
15è février 1763 à Ferney
Notre joie, monsieur, a été bien mêlée d'amertume ; Mme Denis a été très malade, elle était au lit pendant que Mlle Corneille était à l'église ; il y a douze jours qu'elle est assez mal ; pour moi, je suis aveugle comme le dieu dont Mme Dupuits est la très humble servante ; mais l'amour n'a jamais perdu la vue par une fluxion, et n'a jamais été vieux . Notre mariage, d'ailleurs, est très heureux, le roi daigne le favoriser et l'honorer de son approbation ; elle épouse un jeune homme plein de candeur et de mérite, il aime le service, il a du bien, il s'avancera, et nous ne voyons qu'une perspective très agréable. L'intérêt que vous avez la bonté de prendre à ce petit événement, nous le rend encore plus cher . Agréez nos très humbles remerciements, et nos compliments à toute votre aimable famille . Vous savez que M. Constant 1 va demeurer à Tournay, cela me rend tout glorieux . Mais quand aurai-je l'honneur de vous revoir ? »
1 François-Marc-Samuel de Constant : voir : https://gw.geneanet.org/bourelly?lang=en&n=constant+de+rebecque&oc=0&p=marc+samuel+francois
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14/01/2018
nous espérons justice, une grande partie de l'Europe la demande avec nous
... Suite aux propos imbéciles de Mr Trump, président par accident .
« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis
Au château de Ferney 15è février 1763
Une des raisons, monseigneur, qui font que je n'ai eu depuis longtemps l'honneur d'écrire à Votre Éminence, n'est pas que je sois fier ou négligent avec les cardinaux, et les plus beaux esprits de l’Europe ; mais le fait est que je deviens aveugle , au milieu de quarante lieues de neige, pays admirable pendant l'été, et séjour des trembleurs d'Isis pendant l'hiver 1. On dit que la même chose arrive aux lièvres de nos montagnes . Je me suis mêlé ces jours-ci des affaires d'un autre aveugle, petit garçon fort aimable, inconnu sans doute, aux princes de l’Église romaine, mais avec lequel on ne laisse pas de jouer avant qu'on ne soit prince : j'ai marié Mlle Corneille à un jeune gentilhomme, dont les terres touchent les miennes . Il se nomme Dupuits, il est officier de dragons, estimé, et aimé dans son corps, très attaché au service, et voulant absolument faire de petits militaires qui ne se feront pas tuer par des Anglais ou des Allemands . Je regarde comme un devoir de vous donner part de ce mariage, comme à un des protecteurs du nom de Corneille, et au meilleur connaisseur de ses beautés et de ses fatras .
Je cherchais un descendant de Racine , pour ressusciter le théâtre, mais n'en ayant point trouvé, j'ai pris un officier de dragons . J’écris à l'Académie française, à laquelle je dédie l'édition, qui fera une partie de la dot, et je demande que tous ceux qui assisteront à la séance, à la réception de ma lettre, me permettent de signer pour eux au contrat .
Je commence par demander la même grâce à Votre Éminence, l'ombre de Pierre vous en sera très obligée, et moi, autre ombre, je regarderai cette permission comme une très grande faveur . Nous n’avons point clos le contrat, et nous vous laissons, comme de raison, la première place parmi les signataires, si vous daignez l'accepter .
Je suppose que vous vous faites apporter les nouveaux ouvrages qui en valent la peine, et que vous avez vu les factums pour les Calas . L'affaire a été rapportée au conseil avec beaucoup d’équité, c'est-à-dire, de la manière la plus favorable ; nous espérons justice, une grande partie de l'Europe la demande avec nous . Cette affaire pourra faire rentrer bien des gens en eux-mêmes, inspirer quelque indulgence, et apprendre à ne pas rouer son prochain, uniquement parce qu'il est d'une autre religion que nous .
Voulez-vous, monseigneur, vous amuser avec l'Héraclius de Calderon, et la conspiration contre César de Shakespear ? J'ai traduit ces deux pièces, et elles sont imprimées, l'une après Cinna, l'autre après l'Héraclius de Caldéron 2, comme objets de comparaison . Cela rendra cette édition assez piquante . J'aurai l'honneur de vous adresser ces deux morceaux, si vous me le commandez . Je n'ai point encore reçu le discours de notre nouveau confrère l'abbé de Voisenon ; on en dit beaucoup de bien .
Agréez, monseigneur, les tendres respects du vieil aveugle de soixante et dix ans, car il est né en 1693 3. Il est bien faible, mais il est fort gai , il prend toutes les choses de ce monde pour des bouteilles de savon 4, et franchement, elles ne sont que cela . »
1Allusion à l'opéra de Quinault et Lulli, Isis, 1677 . Acte IV , scène 1, la scène représente « l'endroit le plus glacé de la Scythie », un chœur des peuples des climats glacés » paraissent « transis de froid » chante sur des notes répétées à effet saisissant de tremblement : « L'hiver qui nous tourment / S'obstine à nous geler ; / Nous ne saurions parler / Qu'avec une voix tremblante ./ La neige et les glaçons / Nous donnent de mortels frissons / Les frimas se répandent / Sur nos corps languissants, / Le froid transit nos sens / Les plus durs rochers se fendent ./ La neige et les glaçons / Nous donnent de mortels frissons . ». Ecouter : https://open.spotify.com/album/3OQkSKJ7VX9ApIGW9aSfs7
2 Lapsus pour Corneille .
3 On sait qu'en réalité V* est né en 1694, le 21 novembre .
4 Sur ce mot bouteille, « bulle », voir lettre du 22 juillet 1761 à Mme du Deffand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/06/24/qu-on-me-montre-un-homme-qui-soutienne-la-gloire-de-la-natio-5819043.html
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13/01/2018
se défier de tous les saints
... et davantage encore de ceux qui les ont créés, créateurs diablement intéressés qui en attendent diverses prébendes et miracles (fumeux !) à usage personnel .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
15 février 1763 1
En réponse à la lettre du 8 janvier qui était probablement
du 9 février puisqu'elle a été reçue le 14 février .
Mes anges, maman Denis est toujours malade, moi aveugle, et le tuteur de M. Dupuits sourd . Tout cela a dérangé notre petite fête à la Pompignan. Nous n’avons point tiré de canon, maman n’a point soupé, et on s’est marié sans cérémonie.
Je réponds à la lettre dont madame d’Argental honore ma nièce. Elle me l’a montrée, et j’ai été très affligé qu’elle ait pu s’attirer quelques reproches en vous donnant, sans me consulter, des paroles qu’elle ne pouvait pas donner, et qui ne dépendent point du tout d’elle. Elle m’a répondu que, dans sa lettre du 6 de janvier, elle avait eu l’honneur de vous écrire nos intentions ; mais des intentions ne sont pas un contrat. Nous avons eu beaucoup de peine à faire regarder, par ce tuteur de M. Dupuits, l’espérance de la vente d’un livre comme une dot. Ce sourdaud est un vieux marin à peu près de mon âge, et plus difficile que moi en affaires. Son neveu a un très joli bien, précisément à ma porte ; il était parfaitement informé de la condition du père et de la mère, qui ne descendent point de Pierre Corneille, et qui ne participent en rien aux prérogatives de la branche éteinte. C’est, par parenthèse, une obligation que nous avons à Fréron, qui eut, il y a plus d’un an, l’insolence impunie d’imprimer dans ses feuilles que le père de mademoiselle Corneille était un facteur de la petite poste, à cinquante francs par mois 2; et cette injure personnelle nous fit manquer alors un mariage. Celui-ci est beaucoup plus avantageux que celui qui fut manqué ; mais nous n’aurions jamais pu parvenir à le faire si nous avions insisté sur le partage du produit des souscriptions, que le tuteur a regardé et regarde encore comme un objet fort mince.
Le Cramer que vous voyez à Paris avait offert de donner quarante mille francs du produit des souscriptions et de la vente de l’édition, et ensuite il avait laissé tomber cette offre. On savait très bien dans Genève que nos seigneurs de France avaient donné leurs noms, et rien de plus, et qu’un d’eux ayant souscrit pour vingt louis d’or, en avait payé un. Les Cramer avaient fait retentir que M. le contrôleur-général avait demandé deux cents exemplaires payables en papiers royaux, à huit francs l’exemplaire au-dessous de la valeur ; et ce n’est qu’après les fiançailles que nous avons appris les nouvelles offres de M. Bertin.
Les Anglais qui sont à Genève se moquaient un peu de notre générosité française. On nous disait encore que les libraires de Paris, ayant dans leurs magasins deux éditions de Corneille qui pourrissent, se plaignaient continuellement de la nôtre, et empêchaient plusieurs personnes de souscrire. Le sieur Philibert Cramer était trop occupé des plaisirs de Paris pour me rendre le moindre compte, pendant que je travaillais nuit et jour à des commentaires très fatigants qui me font enfin perdre les yeux.
Si dans de pareilles circonstances j’avais voulu couper en deux la partie de la dot fondée sur les souscriptions, soyez très sûrs, mes anges, qu’on m’aurait remercié sur-le-champ, en se moquant de moi. Le père et la mère de madame Dupuits n’y perdront rien ; leur fille les a nourris du bout de ses dix doigts, avant qu’ils eussent été présentés à M. de Fontenelle . Elle ne manquera jamais à son devoir, et j’y mettrai bon ordre. Le contrat est fait dans la meilleure forme possible. Ne troublons point les plaisirs de deux amants, et jouissons tranquillement du fruit de nos peines, et de la consolation que me donne madame Dupuits dans ma vieillesse.
Au reste je dois vous dire mes anges, et je crois vous avoir déjà dit, que j'avais assigné mille livres par année sur la terre de M. de La Marche . Cela est d'autant plus convenable , que M. Dupuits étant établi en Bourgogne sera plus à portés de recevoir cette partie de la dot de sa femme . Ainsi je compte que M. de La Marche voudra bien avoir la bonté de m'envoyer l'acte qu'il m'a promis ; je n'ai actuellement aucun titre, lui ayant envoyé ses billets ; et si nous mourions actuellement lui et moi, comme cela est très possible, ce fonds de vingt mille livres serait entièrement perdu . J'ose vous supplier de vouloir bien dans l'occasion en rafraichir la mémoire de M. de La Marche avec votre bonté et votre prudence ordinaires .
Permettez-moi de vous supplier encore d’empêcher Philibert Cramer de faire présenter aux spectacles et aux promenades des billets de souscription, comme des billets d’huîtres vertes . L’ami Fréron ne manquerait pas d’en faire de mauvaises plaisanteries dans ses belles feuilles.
On m’a mandé que l’affaire des Calas avait été rapportée par M. de Crosne, et qu’il a très bien parlé. Je vous assure que toute l’Europe a les yeux sur cet évènement.
J’ai lu le Second Appel à la Raison 3 ; je ne sais rien de si insolent et de si maladroit. Les jésuites ont des amis dans le parlement de Bourgogne, mais certainement ils n’en auront plus quand on connaîtra ce libelle. Ils étaient des tyrans du temps du père Le Tellier ; ils ne sont aujourd’hui que des fous . J’ai un jésuite pour aumônier, mais je donnerais volontiers ma voix pour abolir l’ordre. Je n’ai vu qu’une seule bonne chose dans tout ce qu’ils ont écrit, c’est qu’ils ont prouvé invinciblement ce que j’avais déjà dit dans quelques petites réflexions sur Pascal, que les jacobins avaient écrit plus de sottises qu’eux 4. J’ai eu le plaisir de vérifier, dans saint Thomas, le docteur angélique, toute la doctrine du régicide 5 ; que conclure de là ? qu’il serait très expédient de se défaire de tous les moines, et de se défier de tous les saints.
Je me mets au bout de vos ailes . Mme Denis a été bien malade et l'est encore ; nous sommes tous bien fâchés .
V.»
1 La copie Beaumarcahis et l'édtion de Kehl omettent le sixième paragraphe et le dernier, rayés sur le manuscrit ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-7.html
2 Voir lettres de janvier 1761 ; on observe que les dires de Fréron sont souvent confirmés par V* lui-même .
3 Ce nouvel Appel est de l'abbé Caveyrac . Voir lettre du 28 janvier 1763 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/12/23/nous-sommes-dans-un-etrange-temps-ou-il-faut-craindre-qu-un-6010865.html
4 On ne trouve pas cette réflexion dans les différentes Remarques sur Pascal : https://fr.wikisource.org/wiki/Remarques_sur_les_Pens%C3%A9es_de_Pascal/%C3%89dition_Garnier
5 V* écrit une longue note sur ce point dans le Traité sur la tolérance, chapitre XI : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/07/traite-sur-la-tolerance-chapitre-xi.html
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12/01/2018
Je goûte le seul bonheur convenable à mon âge, celui de voir des heureux. Il y a de la destinée dans tout ceci, et où n’y en a-t-il point ?
...
« A Bernard-Louis Chauvelin
Ferney 14è février 1763
Je deviens à peu près aveugle, monsieur, un petit garçon qui passe pour être plus aveugle que moi, et qui vous a servi comme s’il était clairvoyant, s’est un peu mêlé des affaires de Ferney. Ce fut hier que le mariage fut consommé . Je comptais avoir l’honneur d’en écrire à Votre Excellence. Deux époux qui s’aiment sont les vassaux naturels de madame l’ambassadrice et de vous. Je goûte le seul bonheur convenable à mon âge, celui de voir des heureux. Il y a de la destinée dans tout ceci, et où n’y en a-t-il point ?
J’arrive au pied des Alpes, je m’y établis . Dieu m’envoie mademoiselle Corneille, je la marie à un jeune gentilhomme qui se trouve tout juste mon plus proche voisin ; je me fais deux enfants que la nature ne m’avait point donnés ; ma famille, loin d’en murmurer, en est charmée ; tout cela tient un peu du roman.
Pour rendre le roman plus plaisant, c’est un jésuite qui a marié mes deux petits. Joignez à tout cela la naïveté de mademoiselle Corneille, à présent madame Dupuits, naïveté aussi singulière que l’était la sublimité de son grand-père.
Je jouis d’un autre plaisir, c’est celui du succès de l’affaire des Calas . Elle a déjà été rapportée au conseil de la manière la plus favorable, c’est-à-dire la plus juste. Ceci est bien une autre preuve de la destinée ; la veuve Calas était mourante auprès de Toulouse ; elle était bien loin de venir demander justice à Paris, elle disait : Si le fanatisme a roué mon mari dans la province, on me brûlera dans la capitale . Son fils vient me trouver au milieu de mes neiges. Quel rapport, je vous prie, d’un roué de Toulouse à ma retraite ? Enfin nous venons à bout de forcer cette femme infortunée à faire le voyage, et, malgré tous les obstacles imaginables, nous sommes sur le point de réussir : et contre qui ! contre un parlement entier ; et dans quel temps ! Repassez, je vous prie, dans votre esprit, tout ce que vous avez fait et tout ce que vous avez vu ; examinez si ce qui n’était pas vraisemblable n’est pas toujours précisément ce qui est arrivé, et jugez s’il ne faut pas croire au destin, comme les Turcs. Qui aurait dit, il y a cinq ans, que le roi de Prusse résisterait aux trois quarts de l’Europe, et que vous seriez trop heureux de céder le Canada aux Anglais ?
Vous n’aurez rien de moi, monsieur, pour le mois de février ; mais, à la fin de mars, je vous demanderai votre attention sur quelque chose de fort sérieux.
Je me mets aux pieds de vos deux très aimables Excellences ; madame Denis et mes deux petits (1), qui demeurent toujours avec moi, joignent leurs sentiments aux miens, et notre petit château espère toujours avoir l’honneur de vous héberger quand vous prendrez le chemin de la France.
V... l’aveugle. »
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