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10/06/2018

Considérez encore que tous les personnages mourraient, et qu’il faut bien au moins qu’il en reste un, n’importe lequel. Mais c’est le plus coupable qui s'est sauvé ? Oui !..., c’est ainsi que la Providence est souvent faite, et j’en suis bien fâché

... Je ne peux manquer ici de penser à Donald Trump dont l'égo l'amène à retourner vite fait chez lui, faute d'avoir des arguments valables à exposer à ses contradicteurs . Beau courage en vérité ! il part comme un roquet, la queue entre les pattes .

 America first ? first pour se barrer, oui .

 

 

A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

13 juin [1763]

Mes divins anges j'ai reçu le paquet de Mme la duchesse d'Anville . J'écris à M. des Parcieux 1 et je souhaite au gouvernement l'honneur et la gloire d'exécuter le projet d'un académicien aussi habile que bon citoyen . Votre projet d'établir les feuilles de MM. Arnaud et Suard 2 est celui de saint Michel d'écraser le diable . Vous pensez bien que je servirai avec zèle dans votre armée . Si M. le duc de Praslin veut seulement favoriser la bonne volonté de quelques directeurs des postes qui m'enverront les nouveautés d'Angleterre, d'Italie et d’Allemagne, moyennant une petite rétribution, je fournirai exactement votre armée, et les deux chefs rédigeront à leur gré tout ce que je leur ferai parvenir . Je m'instruirai, je m'amuserai, je vous servirai . Rien ne pouvait m'arriver de plus agréable .

C’est monsieur le contrôleur-général 3 qui a fait graver Tronchin . C’est lui qui donne ces estampes et c’est lui faire plaisir de lui en demander. Je ne crois pas qu’il fasse graver messieurs de la grand’chambre, ni que messieurs fassent la dépense de son portrait : on siffle sa pièce 4, mais je ne l’en crois pas l’auteur. Pour celle d’Olympie, il est bien difficile d’exécuter l’idée que vous approuvez, et que je n’ai proposée que comme nouvelle, et non comme heureuse. Songez qu’Antigone étant mort, rien ne pourrait plus alors empêcher Olympie de se faire religieuse . Le pontife n’aurait plus à craindre le combat des deux rivaux dans le temple ; et s’il craignait la violence de Cassandre, il démentirait son caractère . Le théâtre serait trop vide, la fin trop maigre. Olympie, entre les deux rivaux, forme un bien plus beau spectacle qu’en se trouvant seule avec Cassandre ; et c’est peut-être quelque chose d’assez heureux d’introduire devant elle les deux princes, obligés tous deux de respecter celle qu’ils veulent enlever, et réduits à l’impossibilité de troubler la cérémonie. La mort d’Antigone ne peut jamais faire un grand effet. Ce n’est pas un tyran dont la mort soit nécessaire pour mettre deux amants en liberté, et ce n’est guère que dans ce cas que le spectateur aime la mort d’un personnage odieux. Antigone mort ne serait qu’un personnage de moins au cinquième acte. Considérez encore que tous les personnages mourraient, et qu’il faut bien au moins qu’il en reste un, n’importe lequel. Mais c’est le plus coupable qui s'est sauvé ? Oui . Par ma foi, mes anges, c’est ainsi que la Providence est souvent faite, et j’en suis bien fâché.

En attendant que je débrouille mes idées, voici une Zulime pour M. de Thibouville-Baron 5. Cette Zulime me paraît assez rondement écrite ; c’est tout. J’ai peu d’enthousiasme pour mes ouvrages, mes anges ; je n’en ai que pour vous.

A l'égard de Mlle Clairon si les frères Cramer débitent avec quelque avantage le tome d'Olympie, de Zulime et du Droit du seigneur 6 il faudra bien qu'ils fassent un présent . Mais peut-être pour assurer le débit du livre il faudra faire jouer ces pièces . Mes anges feront comme ils le jugeront à propos . Ils sont les maîtres, et je suis bien honteux de leur soumettre un si petit empire . »

1 Sur le physiocrate Deparcieux, voir lettre du 5 janvier 1763 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/11/15/il-faut-qu-il-mette-du-vin-dans-son-eau.html

2 Sur la Gazette littéraire d'Europe, voir lettre du 23 juin 1763 à d'Argental ; la « feuille » est la Gazette littéraire de l'Europe et la « gazette » est la Gazette de France dont Arnaud est un des éditeurs .

3 Bertin .

4 Ses édits .

5 Surnom donné par Voltaire au marquis de Thibouville, qui jouait fort bien les rôles tragiques.

09/06/2018

Quand on a abdiqué un trône, il faut être sage

... N'est-ce pas Fanfoué-l'écrivain de Tulle ?

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« A François Lacombe

[vers le 10 juin 1763]1

Je reçus, avant-hier, monsieur, par madame la duchesse , les Lettres secrètes de la reine Christine 2, dont vous avez bien voulu m’honorer. Je ne suis pas étonné de voir combien l’assassinat de Monaldeschi vous révolte. Vous faites bien de l’honneur aux autres États de dire qu’on aurait puni Christine partout ailleurs qu’en France. Elle l’eût été sans doute dans les pays où les lois règnent ; mais ces pays sont en petit nombre, et Christine eût été impunie à Rome, à Madrid, à Vienne. Je vous serais très obligé, monsieur, de vouloir bien me donner quelques éclaircissements sur l’authenticité de ces lettres 3. J’ai donné quelques lettres de Henri IV très curieuses 4, dans la nouvelle édition de l’essai sur l’Histoire générale. Je les tiens de M. le chevalier de La Motte, qui les a copiées à Andouin sur l’original. J’ignore si les lettres secrètes de Christine sont écrites en italien et traduites en français. Je vois avec peine dans ces lettres les termes de pompons et de calotins , mots que j’ai vu naître dans notre langue 5. Au reste, si ces lettres sont de Christine, elles font peu d’honneur à son jugement. Quand on a abdiqué un trône, il faut être sage ; mais, supposé qu’elle ait eu le malheur d’écrire avec un orgueil si imprudent, ce livre est toujours un monument précieux. Je vous en remercie, et je vous supplie d’éclaircir mes doutes.

J’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous dois,

M.»

1 La date approximative est indiquée par le fait que V* répond à une lettre de Lacombe du 1er juin 1763, au verso de laquelle d'ailleurs figure la présente minute intitulée « répons ».

2 Lettres secrètes de Christine, rein de Suède, aux personnages illustres de son siècle, par François Lacombe, 1761 : https://books.google.fr/books?id=nsYTAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

3 Les doutes de V* sont de bon sens : les lettres de Christine sont apocryphes et écrites par Lacombe qui l'avoue à V* en lui répondant .

4 Voir lettre du 25 juin 1762 à La Motte-Geffrard ( datée du 26 dans l'édition suivante : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-... ) avec note : « Voici deux lettres de M. de Voltaire à M. le ch[evalier] de La Mothe, major du rég[imen]t de Bresse . Celui-ci a fait présent de quarante lettres écrites de la propre main d'Henri IV à Corisande d'Andouin, connue sous le nom de comtesse de Guiche [ou plutôt, de Gramont] . », et voir l'Essai sur les mœurs CLXXIV : https://fr.wikisource.org/wiki/Essai_sur_les_m%C5%93urs/Chapitre_174

5 Calotin est en effet attesté seulement en 1717 au sens de « membre du régiment de la Calote » et ne prend le sens de « clérical » qu'en 1780 . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9giment_de_la_Calotte

Je ne sais rien de nouveau que je puisse mander

... Aussi ne pourrai-je pas donner quelque renseignement qui soit concernant la fin du G7 ce jour . Trump and Co ont encore le monopole des embrouilles .

 

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 10 juin 1763]

J'envoie à monsieur Caro, Ariane, et i[n]cessamment il aura Le Comte d'Essex . J’attends l'avis touchant l'Histoire etc.

Je ne sais rien de nouveau que je puisse mander à monsieur Caro ; mes respects à Mme Cara et à madame sa mère . »

08/06/2018

Voici un homme qui a été saisi en portant des bourneaux

... Amicales salutations à ceux qui parlent encore un peu le patois gessien .

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Borne-fontaine de mon enfance, à manivelle ( fonctionnant dans les deux sens), indispensable alors .

 

 

« A Joseph-Marie Balleidier, Procureur

à Gex

Voici un homme qui a été saisi en portant des bourneaux 1 de Gex à Prégny chez M. de Sales 2 sur la terre de France . Monsieur Balleidier peut minuter et présenter requête pour lui . Je le prie de demander à MM. de Crassy s'ils veulent poursuivre ou non l'affaire d'Ornex .

Je croyais que toute la pièce qui avait été subhastée par Mme Burdet et que j'ai achetée contenait aussi le jardin qui y est joint et qu'on n'a pas spécifié . Il faudra donc subhaster ce jardin qui est d'un arpent .

Voltaire.

10 juin [1763] 3»

1 Le Dictionnaire de l'ancienne langue française, de Frédéric Godefroy explique fort bien ce mot : « Dans la Suisse romande, en Savoie et dans le Midi de la France, bourneau signifie tuyau de bois, de grès ou de terre cuite destiné à conduire l'eau à une fontaine ; à Genève, la fontaine elle-même. [NDLR - de même que dans le pays de Gex, où j'ai appris ce terme de mes parents]»

3 Le manuscrit olographe était en dernier lieu la propriété de Georges Gazier, de Besançon ; l'édition Charrot qui est littérale et a été suivie, propose 1760 ou 1762, bien que le manuscrit porte la mention « De M. de Voltaire . Du 10è juin 1763 »

il vous faudra un jour réprimer les bacheliers en fourrures, ainsi que les gens en bonnet à trois cornes

... Tout à fait exacte prédiction voltairienne !

 

« A Louis-René de Caradeuc de La Chalotais

Au château de Ferney

le 9 juin [1763]

Je n’ai point reçu, monsieur, l’imprimé dont vous daignez m’honorer, et qui m’avait tant plu en manuscrit 1. Il se pourra fort bien faire que je ne le reçoive pas, quelque contresigné qu’il puisse être, à moins qu’on ne l’adresse à M. Jeannel, intendant des postes, et maître absolu de tous les imprimés qu’on envoie, ou qu’on ne me dépêche le paquet par la diligence de Lyon, à l’adresse de M. Camp, banquier à Lyon. Il y a, depuis peu, une petite inquisition sur les livres ; on coupe les vivres à nos pauvres âmes tant que l’on peut. Je crois que nous en avons l’obligation à la lettre que M. Jean-Jacques Rousseau s’est avisé d’écrire à Christophe de Beaumont.

Je ne suis point du tout étonné, monsieur, que le pédant, lourd, crasseux, et vain 2, soit fâché qu’un homme qui n’a pas l’honneur d’être pédant de l’université lui enseigne son métier. Vous avez chassé les jésuites, et vous avez bien fait, messieurs ; je vous en loue, je vous en remercie ; mais il vous faudra un jour réprimer les bacheliers en fourrures, ainsi que les gens en bonnet à trois cornes 3. La Fontaine a raison de dire :

Je ne connais de bête pire au monde

Que l’écolier, si ce n’est le pédant. 4

Dès que j’aurai votre excellent ouvrage, je le proposerai à un libraire, et j’aurai l’honneur de vous en donner avis.

Permettez-moi, monsieur, de vous dire que le sénat de Suède est un conseil de régence perpétuel. Vous savez mieux que moi que chaque gouvernement a sa forme différente, et que rien ne se ressemble dans ce monde. Je suis partisan de l’autorité des parlements, et j’aimerais passionnément celui de Paris si vous en étiez le procureur-général. Je voudrais surtout qu’il fût un peu plus philosophe ; il ne l’est point du tout, et cela me fâche. Mais vous me consolez autant que vous m’instruisez. Dieu nous donne bien des magistrats comme vous, afin que nous puissions nous flatter d’égaler les Anglais en quelque chose !

Agréez, monsieur, le très sincère respect d’un pauvre homme près de perdre les yeux, et qui veut les conserver pour vous lire.

Voltaire. »

2 Souvenir d'un vers de V* lui-même dans Les chevaux et les ânes, v. 65 : « Le lourd Crevier, pédant crasseux et vain. » (http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/05/facetie-les-chevaux-et-les-anes-ou-etrennes-aux-sots.html ); sur Crevier voir lettre du 6 décembre 1762 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/12/07/est-ce-du-vieux-est-ce-du-nouveau-est-ce-du-bon-5883799.html

3 C'est-à-dire les docteurs en Sorbonne et les parlementaires .

4 Citation approximative de La Fontaine dans « L'écolier , le pédant et le maître d'un jardin » : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/ecolpedant.htm

 

07/06/2018

Pour moi j'avoue que je ne sais pas encore de quel air il a couché avec la justice

... Ce désormais trop célèbre Théo Luhaka :http://www.liberation.fr/checknews/2018/06/06/est-ce-que-...

 

 

« A Gabriel Cramer

Mardi [7 juin 1763]1

Caro,

Même caractère je crois pour toutes les tragédies ou soi-disant telles de Pierre, et de Thomas .

Le pis-aller sera de commencer le onzième tome par Le comte d'Essex . Les comédies suivront en petit caractère si on veut, et le tout ira tout au plus à 13 tomes .

Les deux Bérénice avec Attila feront le neuvième .

Pulchérie, Suréna, Ariane le dixième .

Le reste en son temps .

Voici Pulchérie pour le commencement du dix .

Que savez-vous du lit du roi ? Pour moi j'avoue que je ne sais pas encore de quel air il a couché avec la justice . Vale caro . »

1 La date est donnée en fonction de la tenue du lit de justice du 31 mai 1763 .

Voilà bien des paroles pour peu de choses mais c'est à quoi les ministres sont exposés

...

 

« A César-Gabriel de Choiseul, duc de Praslin

A Ferney, 6 juin 1763

Monseigneur,

Tant que j'aurai un œil, je serai à votre service ; et je vous épargnerai un Suisse .

Je ferai venir si vous le trouvez bon, les livres de Hollande, d’Angleterre et d'Italie par les messagers jusqu'aux endroits où l'on pourra les mettre à la poste sous votre enveloppe, ou je prendrai telles autres mesures que vous prescrirez, et alors il ne vous en coûtera rien du tout . Si je me sers des voitures publiques les livres seront trois ou quatre mois en chemin, la dépense pourra être grande ; et vous n'aurez que du réchauffé .

J'ignore si on veut des pièces de théâtre, des pièces fugitives, ou si on se borne à l'utile . Je supplie M. l'abbé Arnaud de m'en instruire . Ce travail m’amusera beaucoup et le plaisir de vous servir me soutiendra .

Vous avez mis monseigneur le doigt sur l’article essentiel de ma requête, vous avez deviné qu'il s'agissait de mes dîmes . J'ai honte de vous parler d'une affaire particulière, mais vos bontés m’enhardissent .

Mon curé que j'ai comblé d'amitiés et de biens, dit qu'il est mon ami .mais il faisait un procès à mon devancier pour les dîmes inféodées . Il a continué sans rien m'en dire . Le procès était au Conseil du roi en vertu du traité d'Arau, mon devancier m'ayant tout vendu et n'étant point garant des dîmes, avait tout abandonné . Le curé a fait rendre au Conseil un arrêt par défaut qui le renvoie au parlement de Dijon . Mon curé redemande à mon devancier cent ans de jouissance . Il ne me demande rien à moi, car il m'aime trop mais il me ruinera cordialement à mon tour .

Dans mon désert, dans mon incertitude et toujours intimement ami de mon curé j'ai pris le parti de vous présenter requête générale pour le maintien de ce beau traité d'Arau . J'ai supposé que ma requête admise arrêterait touts les curés du monde, et empêcherait tous les procès . Mieux vaut sans doute les prévenir que de les évoquer .

Je serai à l'abri de tout avec mon attribution . Mais si la chose souffre la moindre difficulté, j'attendrai qu'on m'assigne, pour implorer votre protection , et pour réclamer la foi des traités .

Je vous demande très humblement pardon de vous avoir tant parlé de mon curé . Il ne s'en doute pas . Je vous remercie de l’extrême bonté avec laquelle vous avez daigné entrer dans mes misères .

Je vous supplie d'agréer la reconnaissance, l’attachement et le profond respect avec lequel je serai toute ma vie

monseigneur

votre très humble , très obéissant et très obligé serviteur

Voltaire .

N. B. – Il n'est pas , monseigneur, que vous n'ayez quelque correspondance avec M. Jeannel . Je vous demande en grâce de me recommander à ce M. Jeannel afin que vous soyez plus promptement servi .

Et indépendamment de la Gazette littéraire je vous supplie de me recommander à ce M. Jeannel – que M. Jeannel ne me fasse pas de peine . C'est un homme bien instruit que M. Jeannel – mais je ne le crois pas malfaisant, et je vous demande en général votre protection envers lui, le tout avec ma discrétion requise .1

 

N. B. – Voici la façon dont je m'y prendrai si vous l’agréez pour que vous soyez servi promptement à Londres . Si ma lettre au sieur Vaillant libraire de Londres vous paraît convenable, il n'y a qu'à la faire partir sans l’honneur du contreseing . Reste à savoir s'il ne faut pas l'affranchir car c'est encore une anicroche . Et supposé que vous n'approuviez pas cet expédient, ce n'est que du papier de gâté . J'établirai pour les autres pays mes correspondances comme je pourrai . Vos rédacteurs feront de mes mémoires tout ce qu'ils voudront – je ne suis point jaloux . Je serai expéditif, mais de longtemps je n'aurai rien à envoyer .

Voilà bien des paroles pour peu de choses mais c'est à quoi les ministres sont exposés . »

1 A cette fin de 7è page du manuscrit V* a ajouté t.s.v.p.