14/06/2018
Je ne sais quelle maligne influence est tombée sur ce pauvre peuple ; mais il m’est avis qu’il est sorti de son élément, qui était la gaieté
...
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
A Ferney , 22 juin [1763]
Si je pouvais rire, monseigneur le grand médecin, ce serait de voir maître Omer de Fleury usurper vos droits, et se mêler de l’inoculation en plein parlement, sans vous avoir consulté. Cet ennemi de l’inoculation a pourtant gardé madame de Forcalquier, et fait des vers pour Tronchin, non pas le fermier-général, mais Tronchin l’inoculateur. Vous me direz que ces vers valent sans doute sa prose ; et vous aurez raison. Mais avouez qu’il est plaisant de voir le parlement donner un arrêt contre la petite-vérole. Il est bien clair que la faculté de médecine sera contre l’inoculation, et que la sacrée faculté sera de l’avis de l’autre. Tout le monde viendra se faire inoculer à Genève ; il faudra agrandir la ville. Je crois que madame la comtesse d’Egmont a eu la petite-vérole . C’est bien dommage . Sans cela nous l’inoculerions, et nous lui donnerions des fêtes. Je voudrais bien, pour la rareté du fait, voir, avant de mourir, M. le maréchal amener sa fille dans notre pays huguenot. Le bruit a couru que vous alliez troquer votre gouvernement de Guyenne contre celui de Languedoc . C’était une grande joie chez toutes les parpaillotes. Cependant il paraît que votre nation n’est pas si aimable que vous . Elle est toute rassotie 1 de vos lits de justice et de vos parlements, qui ne veulent pas obtempérer.
Je ne sais quelle maligne influence est tombée sur ce pauvre peuple ; mais il m’est avis qu’il est sorti de son élément, qui était la gaieté. Pour moi, il est vrai que je suis aussi dérouté que la nation ; mais je suis vieux, aveugle, et sourd ; et ces petits agréments ne rendent pas un homme excessivement folâtre. Il n’appartient qu’aux héros d’être toujours gais . Vous le serez quand vous aurez mon âge, et fort au-delà. Avec de la santé, de la gloire, de grands établissements, de l’esprit, des amis, on peut se livrer tout naturellement à une joie honnête.
Vous protégez donc de près mademoiselle d’Epinay 2. Cela dit qu’elle est buona roba 3, mais cela ne dit pas qu’elle soit bonne actrice. Qu’elle soit ce qu’il vous plaira, j’obéis à vos ordres de très grand cœur.
Je me prosterne devant votre force permanente, et devant vos agréments toujours nouveaux, devant votre esprit aussi sensé que gai, qui met aux choses, leur véritable prix, et qui sait très bien que la vie n’est qu’un pèlerinage qu’il faut semer de coquilles et de fleurs. Ma philosophie est la très humble servante de la vôtre 4.
Ed in tanto la riverisco sommamente con ogni ossequio 5.
V. »
1 Rassotie est une forme des dialectes du nord (picardie, etc.) de rassotée .
2 Sur les rapports de Richelieu et Mlle d'Epinay, voir lettre du 23 décembre 1762 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/10/30/temp-je-ne-vois-pas-comment-on-pourrait-supposer-que-des-anglais-qui-se-piq.html
3 C'est-à-dire « une bonne marchandise » .
4 Souvenir de Molière, Le médecin malgré lui, II, 4 : « Ma médecine est la très humble esclave de votre nourricerie. »
5 Et cependant je vous révère parfaitement avec tout le respect possible .
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13/06/2018
Autrefois le triste emploi d’instruire la jeunesse était méprisé des honnêtes gens, et abandonné aux pédants, et, qui pis est, aux moines... faites de l’institution des enfants un grand objet de gouvernement.
... Voltaire a encore raison à ce sujet . Puisse le gouvernement actuel persévérer dans les réformes nécessaires de l'éducation nationale, et puissent les gugusses de la SNCF cesser de ponctionner les finances publiques (à leur seul profit) aux dépens de la filière éducative ou comment sacrifier l'avenir au bénéfice du seul présent .
« A Louis-René de Caradeuc de La Chalotais
A Ferney, le 22 juin [1763]
Monsieur, j’ai reçu enfin, et j’ai dévoré votre excellent Traité de l’Éducation 1. Autrefois le triste emploi d’instruire la jeunesse était méprisé des honnêtes gens, et abandonné aux pédants, et, qui pis est, aux moines. Vous donnez envie d’être régent de physique et de rhétorique . Vous faites de l’institution des enfants un grand objet de gouvernement. Pourquoi ne tirerait-on pas du sein de nos Académies les meilleurs sujets qui voudraient se consacrer à des emplois devenus par vous si honorables ? Mais il faudrait Michel de L’Hospital, ou M. de La Chalotais, pour chancelier.
Il vient d’arriver à Genève des ballots de votre livre . Il est lu et admiré. Genève croira que je vaux quelque chose, en voyant comme vous avez daigné parler de moi. C’est là tout ce qu’on pourra critiquer dans votre livre. Il me semble, à l’empressement que tous les pères de famille ont à vous lire qu’on sera bientôt obligé de faire ici une nouvelle édition, quoiqu’on ait fait venir de France une grande quantité d’exemplaires . En ce cas, je vous demanderai les additions dont vous voudrez embellir votre ouvrage . Ne voudriez-vous pas dire, en parlant des vingt-cinq ans que mettrait un boulet de canon à parcourir l’espace qui s’étend de notre globe au soleil, que c’est en supposant la vitesse toujours égale ? c’est une bagatelle. Je me conformerai exactement à tous vos ordres.
Vous donnez de beaux exemples en plus d’un genre au parquet de Paris. On prétend que maître Omer de Fleury ne les a pas suivis en faisant son réquisitoire contre l’inoculation.
J’ai peur que le gouvernement ne soit si embarrassé de la peine qu’auront tant d’hommes faits, à payer les impôts, qu’il ne pourra donner à l’éducation des enfants l’attention qu’elle mérite . Curtae nescio quid semper abest rei 2. C’est assurément ce qu’on ne dira pas de votre livre, quoiqu’on le trouve trop court.
Agréez, monsieur, le respect, l’attachement, et la reconnaissance de votre très humble, etc. »
1 Imprimé ; V* avait déjà reçu le manuscrit , voir lettre du 9 juin 1763 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/06/08/il-vous-faudra-un-jour-reprimer-les-bacheliers-en-fourrures-ainsi-que-les-g.html
2 Horace, Odes, III, xxiv, 64 ; ce vers conclut une ode contre la recherche excessive des richesses au détriment de la formation humaine . On peut traduire cette fin de vers : sans doute ses richesses s’accroissent sans scrupule, mais toujours, pour être complet, quelque chose manque à son avoir .
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12/06/2018
On saisit un livre, passe encore ; mais saisir la lettre qui l’accompagne ! se rendre maître du secret des particuliers, comme si nous étions dans une guerre civile ! cela n’est pas dans l’esprit des lois
... C'est monnaie courante de nos jours, parfois selon la loi du dictateur en place, parfois hors la loi , le résultat est le même . Big brother is watching you ! (and me too !- ( ).
Alors pour se détendre : https://www.youtube.com/watch?v=tKVzm0SBYtQ
« A Jean-François Marmontel
19 juin [1763]1
Tout ce que je peux vous dire, mon cher ami, c’est que le droit des gens s’accommode peu de l’infidélité de la poste. On saisit un livre, passe encore ; mais saisir la lettre qui l’accompagne 2! se rendre maître du secret des particuliers, comme si nous étions dans une guerre civile ! cela n’est pas dans l’esprit des lois. Voilà, encore une fois, ce que nous a valu Jean-Jacques avec sa Lettre à Christophe. Ce polisson insolent gâte le métier. Il semble qu’on ne cherche qu’à rendre la philosophie ridicule.
Je n’ai laissé imprimer Olympie qu’en faveur d’une petite note sur les grands-prêtres, qu’on aura sans doute retranchée à Paris. Je voudrais vous faire parvenir deux exemplaires d’un extrait de Jean Meslier ; cet ouvrage m’a toujours frappé. Il est nécessaire qu’il soit connu, et vous pourriez le mettre en bonnes mains. Il faut servir la raison autant qu’on le peut ; c’est notre reine, et elle a encore bien des ennemis à Paris. Elle s’est formé beaucoup de sujets dans le pays où je suis, parce qu’on y a plus le temps de penser. Je tâcherai de vous envoyer Jean Meslier par une voie bien sûre.
Mango-Capac est un étrange nom pour un héros de tragédie . Mahomet est plus sonore 3.
C’est pure malice à vous de ne rien faire pour le théâtre . On ne peut en parler mieux que vous faites dans votre excellent livre de la Poétique. Je vous dis que vous ferez des tragédies dignes de votre Poétique, quand il vous plaira. Je vous parlais fort au long de votre Poétique, dans ma lettre tombée entre les mains des ennemis. Je vous remerciais surtout d’avoir rendu justice à Quinault, dont on n’a pas assez connu le mérite.
Je hais Rousseau, je parle du poète , ce malheureux a fini par faire de mauvais vers contre la philosophie.
Adieu ; vous ne tomberez jamais dans ce péché infâme, et je vous aimerai toujours.
V. »
1 Noter que le 9 du 19 sur le manuscrit est d'une lecture douteuse .
2 S'il s'agit d'une lettre de V* à Marmontel, on ne la connait pas .
3 Pour un phonéticien moderne, cette remarque n'a guère de sens , Mango-Capac est plus « sonore » que Mahomet .
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Les renards et les loups furent longtemps en guerre.
... Les moutons transpiraient .
Les loups se font renards .
Qui mangera qui ?
Donald ou Kim ?
Ainsi va le monde ... Embrassons-nous !
Au revoir Yvette Horner , tu as embelli ce monde ! Vaya con dios : https://www.youtube.com/watch?v=uKatijssTS0
« A Etienne-Noël Damilaville
19 juin [1763] 1
Quelqu'un ayant dit que l'extinction des jésuites rendrait la France heureuse, quelqu'un ayant répondu que pour compléter son bonheur il fallait se défaire des jansénistes, quelqu’un se mit à dire ce qui suit :
Les renards et les loups furent longtemps en guerre.
Les moutons respiraient . Des bergers diligents
Ont chassé par arrêt les renards de nos champs ;
Les loups vont désoler la terre .
Nos bergers semblent entre nous
Un peu d'accord avec les loups .
Je vous demande pardon mon cher frère de vous avoir demandé 2 si on payait cette année le troisième vingtième . J'ai su qu'on le payait, et je trouve cela très juste car il faut acquitter les dettes de l’État . Tout bon citoyen doit penser ainsi .
Que fait frère Thieriot ? Vous verrai-je ?
Écrasez l'inf .3
Vous noterez qu'Omer a gardé Mme de Lauraguais pendant sa petite vérole, quoiqu'il ne la gardât par par état 4; et il a fait des vers dignes de sa prose ne faveur de l'inoculation . Je les aurai ces beaux vers et nous rirons mes frères . »
1 L'édition Nouveaux mélanges philosophiques, historiques, critiques, 1768 , est limitée aux vers .
2 Voir lettre du 23 mai 1763 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/05/24/le-premier-service-est-ce-me-semble-d-oter-l-ivraie-et-les-c-6054025.html
3 En fin de première page, V* a ajouté : t. s. v. p.
4 Par état est une formule utilisée dans les ordonnances du parlement ; V* fait malicieusement allusion aux préliminaires de la procédure engagée par Mme de Lauraguais pour obtenir la séparation d'avec son mari ; voir G . Dansaert : Une grande suzeraine au XVIIIè siècle : Élisabeth-Pauline de Grand-Mérode-Ysenghien, comtesse de Lauraguais, 1943 .
09:37 | Lien permanent | Commentaires (0)
ce nouvel arrêt manquait à ma chère patrie
... Peuvent désormais dire en choeur Donald Trump et Kim Jung un !
En marche pour la paix , enfin .
« A Etienne-Noël Damilaville
[vers le 18 juin 1763] 1
Vraiment le ridicule de ce nouvel arrêt manquait à ma chère patrie . Nous sommes les polichinelles de l'Europe . Courage Messieurs . Je prie mon cher frère de m'envoyer les édits du roi qui me paraissent plus sages que celui contre la petite vérole . Est-il vrai que Messieurs font des remontrances sur ces édits ? Qu'ils se chargent donc des dettes de l’État .
Que je voudrais que mon frère vint dans ma retraite philosopher avec ses amis !
Écrasez l'infâme . »
1 L'édition Lettres inédites place la lettre à la fin de décembre 1763 . datée ici par la lettre précédente à d'Argental ; elle peut être reculée d'un jour par Besterman, car V* semble ici savoir que le règlement qui fait l'objet de la lettre à d'Argental émane du parlement ; voir lettre du 19 juin 1763 à Damilaville .
09:04 | Lien permanent | Commentaires (0)
11/06/2018
Plus la raison se fortifie d’un côté, plus la grave folie établit ses tréteaux
... Comme s'il fallait garder un état moyen entre les deux, que quelques uns, plus statisticiens que de bonne volonté, trouvent raisonnable et invariable , comme si le bien devait obligatoirement être contrebalancé par le mauvais pour un équilibre finalement médiocre .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ArgentaI
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
18 juin [1763]
Mes anges, est-ce encore le coadjuteur qui a fait rendre ce bel arrêt contre la petite-vérole 1? Messieurs ont apparemment voulu fournir des pratiques à Genève. Depuis l’arrêt contre l’émétique, on n’avait rien vu de pareil. Il me semble que la philosophie a donné de l’ardeur aux gilles. Plus la raison se fortifie d’un côté, plus la grave folie établit ses tréteaux. Vous ne concevez pas jusqu’à quel point on se moque de nous en Europe. Je vous le dis souvent . Après qu’un Berrier a gouverné votre marine, il manquait un Omer, et vous l’avez. Ce sont là de ces pièces qui sont sifflées dans le parterre de toutes les nations qui pensent. A vous dire le vrai, je ne suis pas fâché de cette équipée . J’en ferai mention en temps et lieu, pour égayer mes œuvres posthumes.2
Je n’ai nulles nouvelles de la Gazette littéraire que vous protégez, nulle correspondance encore établie. J’ai bientôt épuisé ma Suisse qui fournit plus de soldats que de livres. Les auteurs ne m’ont pas fait tenir une feuille de leur Gazette. Si M. le duc de Praslin approuvait la manière dont je veux m’y prendre pour avoir les livres nouveaux d’Italie, d’Angleterre, et de Hollande, je servirais avec zèle et avec promptitude . Mais je ne reçois ni ordres ni livres, et je reste oisif. Tant mieux, me dites-vous, vous aurez plus le temps de travailler à Olympie. Mes anges, je suis épuisé, rebuté ; je renifle sur cette Olympie. Il faut attendre le moment de la grâce, et cultiver le jardin de Candide.
Je baise les plumes de vos ailes.
V.
Permettez-vous que je mette l'incluse dans votre paquet ? »
1 Ce n'est pas le coadjuteur ( l'abbé Chauvelin ) ou l’archevêque de Paris , mais le parlement qui à la requête d'Omer Joly de Fleury a promulgué le 8 juin 1763 un règlement interdisant, entre autres choses, la pratique de l'inoculation dans le voisinage immédiat de la cour . V* répondit à cette mesure par son Omer de Fleury étant entré , ont dit ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome24.djvu/477
2 Effectivement, le petit essai mentionné ci-dessus ne parut que dans l'édition de Kehl .
15:40 | Lien permanent | Commentaires (0)
je n’ai rien à vous dire, sinon que je suis fidèle à votre culte et que je fais mes foins
... dès que j'aurai fini de bloquer les raffineries et dépôts de carburant de Total, multinationale parfaitement malfaisante ( une fois de plus ) envers la nature en général, et le monde paysan français en particulier ! Bio-carburant, belle escroquerie !
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'ArgentaI
15 juin [1763]
Mes bons anges, je n’ai rien à vous dire, sinon que je suis fidèle à votre culte et que je fais mes foins, au lieu de faire un cinquième acte d’Olympie, que je n’ai reçu aucune Gazette littéraire, que je n’ai encore aucune correspondance établie et que je suis un serviteur inutile.
Mes anges, permettez-vous que je vous adresse ce gros paquet pour frère Damilaville ? Il m’a mandé que je pouvais lui écrire sous l’enveloppe de M. de Courteilles ; la meilleure façon est de mettre le paquet dans celui qui est intitulé mémoire et qui est pour vous.
Je suis fâché qu’on ait fait de Socrate une mauvaise pièce 1 ; mais si elle eût été bonne, on n’aurait jamais pu la jouer. On me parle de Manco-Capac 2 . Cela pourra réussir en Périgord, où les noms se terminent en ac . Mais je crois que ce législateur du Pérou ne vaudra pas un pérou aux comédiens. Est-il vrai qu’on veut bâtir une salle de comédie à l’hôtel de Conti ?3 Vous voyez que je m’intéresse toujours au tripot, malgré ma stérilité sur le 5ème acte d’Olympie. Je suis un mauvais serviteur mais je ne manque pas de zèle. Si vous voulez me voir jouer Trissotin 4, vous n’avez qu’à partir.
Tendresse et respect.
V. »
1 Mort de Socrate, de Sauvigny .
2 Manco – Capac, d'Antoine Le Blanc, fut joué le 13 juin 1763 et eut six représentations ; la pièce ne fut jamais reprise . Cette tragédie ne réussit pas plus que son Albert Ier et ses Druides . Voir : http://data.bnf.fr/12460062/antoine_le_blanc_de_guillet/
3 On ne sait rien de ce projet, ni de sa réalisation .
4 Dans Les Femmes savantes ; V* parle métaphoriquement .
08:28 | Lien permanent | Commentaires (0)