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20/01/2011

il n'y a qu'à suspendre pour quelque temps le débit de ce livre qui aurait le crime d'être utile

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-grâce Bosc du Boucher, comtesse d'Argental

 

Aux Délices près de Genève

le 20 janvier 1764

 

Ce n'est pas un petit renversement du droit divin et humain que la perte d'un conte à dormir debout i et d'un 5è acte ii qui pourrait faire le même effet sur le parterre qui a le malheur d'être debout à Paris. J'ai écrit à mes anges gardiens une lettre ouverte que j'ai adressée à M. le duc de Praslin ; j'adresse aussi mes complaintes douloureuses et respectueuses à M. Jannel, qui étant homme de lettres doit favoriser mon commerce. Je conçois après tout que dans le temps que l'Antifinancier causait tant d'alarmes iii on ait eu aussi quelques inquiétudes sur L'Anti-intolérant iv. Ce dernier ouvrage est pourtant bien honnête, vous l'avez approuvé. MM. Les ducs de Praslin et de Choiseul lui donnaient leur suffrage , Mme de Pompadour en était satisfaite v. Il n'y a donc que le sieur évêque du Puy vi et ses consorts qui puissent crier . Cependant si les clameurs du fanatisme l'emportent sur la voix de la raison, il n'y a qu'à suspendre pour quelque temps le débit de ce livre qui aurait le crime d'être utile, et en ce cas je supplierais mes anges d'engager frère Damilaville à supprimer l'ouvrage pour quelques mois, et à ne le faire débiter qu'avec la plus grande discrétion. Ah! Si mes anges pouvaient m'envoyer la petite drôlerie vii de l'hiérophante de Paris viii, qu'ils me feraient plaisir ! Car je suis fou des mandements depuis celui de Jean-Georges ix. Mes anges me répondront peut-être qu'ils ne se soucient point de ces bagatelles épiscopales, qu'ils veulent qu'Olympie meure au cinquième acte, que c'est là l'essentiel. Je leur enverrai incessamment des idées et des vers. Mais pourquoi avoir abandonné la conspiration x? pourquoi s'en être fait un plaisir si longtemps pour y renoncer ? Si vous trouvez les Roués passables, que ne leur donnez-vous la préférence que vous leur aviez destinée ? Si vous trouvez les Roués insipides, il ne faut jamais les donner. Répondez à ce dilemme, je vous en défie ; au reste votre volonté soit faite en la terre comme au ciel ! Je me prosterne au bout de vos ailes.

 

N.B. - J'ai écrit une lettre fort bien raisonnée à M. le duc de Praslin sur les dîmes xi.

Respect et tendresse. »

 

 

i Les Trois Manières : où l'on trouve : « ...n’exagérer rien, chose assez difficile / Aux femmes, aux amants, et même aux avocats. » ,  «... il n’était point là de prêtre / Et, comme vous pouvez penser, /Des valets on peut se passer  /Quand on est sous les yeux du maître. », « Les dieux sont bons, les prêtres sont cruels. »

http://www.voltaire-integral.com/Html/10/05_Trois_Ma.html

 

 

ii Du Triumvirat ; cf. lettre du 18 janvier .

 

iii Le 13 janvier, V* juge ainsi l'ouvrage : « il est violent et porte à faux d'un bout à l'autre . Comment un conseiller au parlement peut-il toujours prononcer la chimère de son impôt unique, tandis qu'un autre conseiller devenu contrôleur général est indispensablement obligé de conserver tant d'autres taxes ? » Ouvrage écrit par Darigrand, avocat, à Paris : voir page 90 : http://books.google.be/books?id=96d7IwtHmlgC&pg=PA90&...

 

iv = Traité sur la Tolérance.

 

v Le duc de Choiseul a écrit à V* le 27 novembre 1763 : « Mme de Pompadour, Mme de Gramont, tous ceux qui ont lu le livre ... en ont été enchantés... ».

 

vi Le frère de Simon Le Franc de Pompignan ; cf. lettre du 4 novembre 1763 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/04/l...

 

vii Réf. au Bourgeois Gentilhomme.

 

viii L'Instruction pastorale de Mgr l'évêque de Paris sur les atteintes ... Cf. lettre à d'Alembert du 31 décembre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2008/12/31/f...

 

ix L'évêque du Puy de 1742 à 1774 , Jean-Georges Lefranc de Pompignan ; cf. lettre du 4 novembre 1763 . Frère de Jean-Jacques Le Franc de Pompignan, adversaire des philosophes et de V*.

 

x  A savoir, abandonné le projet de donner Octave ou Le Triumvirat (ses « Roués ») à la Comédie Française sous le nom d'un jeune auteur ; cf. lettre aux d'Argental du 1er aout et 27 septembre 1763 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/09/27/v...

 

xi Toujours sur cette affaire avec le curé de Ferney, que V* veut faire juger par le Conseil du roi ; voir lettre du 1er août, 14 août, 27 septembre 1763 aux d'Argental.

faites présenter la requête au vénérable foutu Conseil ; il la refusera

 

 

 

 

« A Cosimo Alessandro Collini

 

[vers le 20 janvier 1759]

 

Voici, mon cher Collini, la lettre que vous pouvez écrire i. Gardez-vous bien de prétendre que vous étiez alors à moi . Ne demandez justice qu'en qualité de sujet de l'Empereur . Adressez-vous à Bohem ii chez qui vous protestâtes, faites présenter la requête au vénérable foutu Conseil ; il la refusera . Vous en appellerez au Conseil aulique iii, et je vous réponds que le scélérat sera condamné , vous n'aurez qu'à envoyer la requête à Mme de Bentick et la supplier de vous donner son avocat, M. le comte de Bauer iv peut vous servir. J'agirai fortement en temps et lieu.

 

N.b. que vous pouvez me citer comme témoin de vos effets volés. »

 

i Au prince de Soubise qui s'était emparé de Francfort le 2 janvier 1759 . Il y demandait « un mot » du maréchal pour « obliger le Conseil de Francfort à rendre justice (à Collini) », à prononcer « une sentence prompte, favorable ou injuste, afin qu'(il) puisse (s)e pourvoir au Conseil Aulique ». Il s'agissait de faire condamner Schmidt qui, comme spécifié dans le mémoire joint, l'avait emprisonné et volé ; cf. lettres du 20 juin et 8 juillet 1753. Collini renoncera aux poursuites : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/06/21/n...

et : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/07/08/b...

et note de lettre MMDCCLXVI page 208 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f213.image.p...

et MMDCCLXXI page 212 .

 

ii Notaire Böhm .

 

iv De Sauer ; une lettre précédente est adressée à Collini « gouverneur de M. le comte de Sauer ».

 

19/01/2011

Je maudis Ferney quatre mois de l'année au moins, mais je ne puis le quitter, je suis enchaîné à ma colonie.

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

19è janvier 1771

 

Mon cher ange,j'ai dit au jeune homme i que la fin de son deuxième acte était froide, et je l'en ai fait convenir. C'est une chose fort plaisante que la docilité de cet enfant. Il s'est mis sur la champ à faire un nouvel acte. Je vous l'enverrais aujourd'hui s'il ne travaillait pas les autres.

 

Quand je vous dis que vous n'avez rien perdu ii, j'entends que vous conservez votre place, votre belle maison de Paris, et que vous allez au spectacle tant qu'il vous plait. Pour moi, je vous ai donné des spectacles, et je ne les ai point vus. J'ai établi une colonie, et je crains bien qu'elle ne soit détruite iii. Les fermiers généraux la persécutent, personne ne la soutiendra. Je ne suis pas même à portée de solliciter la restitution de mon propre bien qu'on s'est avisé de me prendre sans aucune forme de procès iv. Voilà comme j'entends que je perds, et malheureusement je perds aussi la vue. Je suis enseveli dans les neiges qui m'ont arraché les yeux par l'âcreté de l'air qu'elles apportent avec elles. Je maudis Ferney quatre mois de l'année au moins, mais je ne puis le quitter, je suis enchaîné à ma colonie.

 

J'ai bien envie de vous envoyer pour votre amusement une grande lettre en vers que j'ai écrite au roi de Dannemark sur la liberté de la presse qu'il a donnée dans tout son royaume v: bel exemple que nous sommes bien loin de suivre. Vous l'aurez dans quelques jours ; on ne peut pas tout faire à la fois surtout quand on souffre.

 

Je vous prie de vouloir bien me mander s'il est vrai qu'un homme de considération qui écrivit le 23è décembre à un de ses anciens amis vi, lui manda qu'il l'aurait envoyé voyager plus loin sans madame sa femme qui est fort délicate.

 

Au reste, cette dame a encore plus de délicatesse dans l'esprit que dans la figure, et à cette délicatesse se joint une grandeur d'âme singulière qui n'est égalée que par la bonté de son cœur.

 

Est-il vrai, comme on le dit, que monsieur et madame sont endettés de deux millions vii?

 

Est-il vrai qu'on leur ait offert douze cent mille francs le jour de leur départ viii?

 

Reçoivent-ils des visites ? Comment se porte votre ami de trente-cinq ans ix? Son séjour est bien beau, mais il est bien triste en hiver.

 

Pouvez-vous me dire ce que devient M. de La Ponce x? Vous me direz que je suis un grand questionneur mais vous répondrez ce qu'il vous plaira, on ne vous force à rien.

 

Conservez votre santé, mes deux anges; c'est là le grand point . Je sens ce que c'est que de n'en avoir point ; c'est être damné au pied de la lettre . Je mets ma misère à l'ombre de vos ailes.

 

V. »

 

 

ii Consécutivement à la disgrâce de Choiseul.

 

iii V* dit que Choiseul avait promis d'exempter sa colonie d'impôts ; cf. lettre du 22 juin 1770 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/06/24/q...

ou page 96 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80040v/f101.image.p...

 

 

iv Rappel de l'argent des rescriptions que les édits de l'abbé Terray lui ont fait perdre.

 

v Epître au roi de Danemark Christian VII sur la liberté de la presse accordée dans tous ses Etats.

http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89p%C3%AEtre_109

 

vi Etienne-François de Choiseul, comte de Stainville, puis duc de Choiseul, avait reçu l'ordre du roi de se retirer à Chanteloup jusqu'à nouvel ordre .http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne_Fran%C3%A7ois_d...

 

vii Ce qui est vrai .

 

viii  Le roi ayant accordé trois millions à Choiseul pour payer ses dettes, cette somme ne fut jamais versée.

 

ix César-Gabriel de Choiseul-Chevigny , marquis de Choiseul, puis duc de Praslin exilé à Praslin.

 

x Secrétaire du duc E.-F. de Choiseul .

 

18/01/2011

vous songez à ce paillard de Samson, et à cette putain de Dalila, et de plus, vous nous envoyez du beurre de Bretagne. Il faut que vous ayez une belle âme

 

 

 

« A Michel-Paul-Guy de Chabanon

 

18è janvier 1768

 

La grippe, en faisant le tour du monde, a passé par notre Sibérie, et s'est emparée un peu de ma vielle et chétive figure . Ce qui m'a empêché , mon cher confrère, de répondre sur le champ à votre très bénigne lettre du 4 janvier. Quoi ! lorsque vous travaillez à Eudoxie vous songez à ce paillard de Samson, et à cette putain de Dalila, et de plus, vous nous envoyez du beurre de Bretagne. Il faut que vous ayez une belle âme.

 

Savez-vous bien que Rousseau avait fait une musique délicieuse sur ce Samson i? Il y avait du terrible et du gracieux. Il en a mis une partie dans Castor et Pollux ii. Je doute que l'homme à qui vous vous êtes adressé iii ait autant de bonne volonté que vous ; et je serai bien étonné s'il ne fait pas tout le contraire de ce que vous l'avez prié de faire, le tout en douceur et en cherchant les moyens de plaire. Je pense, ma foi, que vous vous êtes confessé au renard. Je ne sais pourquoi M. de La Borde m'abandonne obstinément . Il aurait bien dû m'accuser la réception de sa Pandore iv, et répondre au moins en deux lignes à deux de mes lettres . Sert-il à présent son quartier ? couche-t-il dans la chambre du roi ? est-ce par cette raison qu'il ne m'écrit point ? est-ce parce que Amphion n'a pas été bien reçu des Amphions modernes v? est-ce parce qu'il ne se soucie plus de Pandore ? est-ce caprice de grand musicien ou négligence de premier valet de chambre ?

 

On dit que les acteurs et les pièces qui se présentent au tripot tombent également sur le nez . Jamais la nation n'a eu plus d'esprit, et jamais il n'y eut moins de grands talents.

 

Je crois que les beaux-arts vont se réfugier à Moscou. Ils y sont appelés du moins par la tolérance singulière que ma Catherine a mise avec elle sur le trône de Thomiris vi. Elle me fait l'honneur de me mander qu'elle avait assemblé dans la grande salle de son Kremlin de fort honnêtes païens, des grecs instruits, des latins nés ennemis des grecs, des luthériens, des calvinistes ennemis des latins, de bons musulmans, les uns tenant pour Ali, les autres pour Omar, qu'ils avaient tous soupé ensemble, ce qui est le seul moyen de s'entendre, et qu'elle les avait fait consentir à recevoir des lois moyennant les quelles ils vivraient tous de bonne amitié vii. Avant ce temps-là un grec jetait par la fenêtre un plat dans lequel un latin avait mangé quand il ne pouvait pas jeter le latin lui-même. Notre Sorbonne ferait bien d'aller faire un tour à Moscou, et d'y rester.

 

Bonsoir, mon très cher confrère. Je suis à vous bien tendrement pour le reste de ma vie.

 

V. »

 

i V* ,librettiste, et Rameau, musicien, avaient composé cet opéra fin 1733,inachevé, suspendu par l'exil de V* en 1734, et censuré en 1736, il ne fut jamais représenté,

 

ii Musique de Rameau, livret de Pierre-Joseph Bernard (dit Gentil Bernard) ; cf. lettre du 19 janvier 1764

 

iii Sans doute Moncrif , auquel il sera fait allusion plus nettement le 29 janvier et qui avait écrit les Essais sur la nécessité et sur les moyens de plaire, 1738. http://books.google.fr/books?id=ZLmz3XtsqbwC&printsec...

 

iv Le 21 décembre, à Chabanon, V* dit avoir « passé une journée entière à rapetasser » cet opéra et envoyé son manuscrit à La Borde qui avait commencé à composer la musique lors de son séjour à Ferney, ce dont Mme Denis était enchantée.

Lettre MMMMMCCXLVII page 18 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80039n/f23.image.pa...

 

v Opéra d'Antoine-Léonard Thomas, musique de La Borde, représenté le 13 octobre 1767.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_L%C3%A9onard_Thomas

Selon la légende, Amphion, poète et musicien a bâti les murs de Thèbes , les pierres venant se placer seules au son de sa lyre.

 

vi Reine des Amazones.

 

vii Dans une lettre écrite vers le 20 décembre 1767, Catherine parla de cette assemblée. En décembre 1768, elle lui envoie « une traduction française de l'Introduction russe donnée aux députés qui doivent composer le projet de Code » , lettre 16 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-35511192.html

et cf. lettre à d'Alembert du 19 juin 1767.Lettre MMMMXCVI page 343 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800389/f348.image.p...

Ensuite, elle sera moins optimiste quant à la rapidité et à la facilité de la réalisation.

Y a-t-il une âme de boue aussi lâche , aussi méprisable ?

 

 

 

Voltaire

et

Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet-Lomont

à

Charles -Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

Cirey, ce 18 [janvier 1739]

 

Mon cher ange, pourquoi faut-il que le chevalier de Mouhy, qui ne me connait pas, agisse comme mon frère, et que Thieriot, qui me doit tout, se tienne les bras croisés dans sa lâche ingratitude ? Quoi ! Mouhy court déposer cher M. Hérault i et Thieriot se tait ! Lui qui a été traité avec tant de mépris par Desfontaines, lui qui m'a écrit cette lettre de 1726 et tant d'autres, où il avoue que Desfontaines fit un libelle contre moi au sortir de Bicêtre ! Il a aujourd'hui l'insolence et la bassesse d'écrire, de publier une lettre à Mme du Châtelet dans laquelle il désavoue ses anciennes lettres ii, il l'envoie au prince royal iii et pour se justifier il dit tranquillement que les Lettres philosophiques ne lui ont valu que 50 guinées, et qu'il ne m'a mangé que 80 souscriptions . Y a-t-il une âme de boue aussi lâche , aussi méprisable ? Ce malheureux dit froidement qu'il ne fera rien que vous ne lui ordonniez. Eh bien ! Ordonnez lui donc sur le champ de courir chez M. Hérault, et de confirmer sa lettre du 16 août 1726 , et les autres, dont voici copie.

 

Cela nous est de la dernière importance, mon cher ami, il y va du repos de ma vie. Je vous conjure avec autant d'insistance que M. de V. et je vous aime aussi tendrement. Nous disons mille choses à Mme d'Argental et à monsieur votre frère. »

 

i René Hérault, lieutenant de police.

 

iii Frédéric, futur roi de Prusse.

17/01/2011

perdre une somme considérable que M. le Contrôleur général m'a fait l'honneur de me prendre dans ma poche pour le service de la patrie

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

17è janv[ier] 1774, à Ferney

 

 

Je vous remercie infiniment, mon cher ange, de la bonté que vous avez eue pour La Harpe i. C'est une petite goutte de baume versée sur la blessure que je lui fais malgré moi en passant devant lui supposé qu'en effet cette Sophonisbe de Mairet ii soit jouée avant les Barmécides iii. La Harpe m'avait demandé avec beaucoup d'adresse ce petit plaisir que vous lui avez fait . Il m'avait écrit que j'avais un prodigieux crédit auprès du Contrôleur général, et que je pouvais aisément lui faire obtenir une gratification. J'ai mieux aimé la lui faire que d'user de mon grand crédit, lequel a consisté jusqu'à présent à perdre une somme considérable que M. le Contrôleur général m'a fait l'honneur de me prendre dans ma poche pour le service de la patrie iv.

Je connais fort L'Épine v, horloger du roi, qui a dans Ferney un établissement, et même à mes dépens ; mais je ne connais point Caron Beaumarchais, quoiqu'il m'ait envoyé ses très comique Mémoires vi, dans lesquels il a fourré notre ami l'hippopotame vii, et Baculard le conseiller d'ambassade ; Caron est si plaisant, sur les ordinaires de la dame Goësmann viii, il est si impétueux, si extravagant et si drôle, que je mettrais ma main au feu qu'il n'a jamais empoisonné ses femmes ix. Les empoisonneurs ne font pas pouffer de rire ; ce sont d'ordinaire des chimistes très sérieux, et très peu amusants ; et il faut songer que Beaumarchais n'est pas médecin. D'ailleurs Beaumarchais n'avait nul intérêt à purger si violemment ses femmes, il n'héritait point d'elles et les vingt mille écus dont vous me parlez sont l'argent de la dot qu'il rendit à la famille en gardant pour lui tout ce qu'il put, qui n'était pas grand chose. Je crois qu'il est assez aisé à une femme d'empoisonner son mari, et à Monsieur d'empoisonner Madame ; il y en a eu des exemples dans les siècles passés ; mais Beaumarchais est trop étourdi pour être empoisonneur. C'est un art qui demande une prudence infinie.

 

Pour la plupart de vos comédiens de Paris, ce sont des meurtriers qui massacrent mes vers ; il n'y a que Lekain qui les fasse vivre.

 

Vous êtes-vous jamais donné la peine de lire la Sophonisbe de Corneille tant louée par Saint-Evremond ? C'est à mon gré le plus ridicule ouvrage qui soit jamais sorti du bec inégal de la plume de ce grand homme.

 

Le temps est fort doux au mont Jura. Je me flatte qu'il en est de même à Paris près de Montmartre ; et que la santé de Mme d'Argental va mieux. Jouissez de la vie, mes deux anges. Je me mets toujours à l'ombre de vos ailes, quoique de bien loin. Votre culte est établi à Ferney. »

 

i V* lui avait demandé de lui donner vingt-cinq louis, à valoir sur ce que d'Argental devait à V*.CF. Lettre du 30 décembre 1773 :

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/29/j...

 

iii Sophonisbe a été jouée le 15 janvier sans succès, ce qui fait que V* parlera de cabale. Les Barmécides, tragédie, sera créée à la Comédie Française le 11 juillet 1778.

Les Barmécides, historiquement parlant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Barmécides

Tragédie de La Harpe : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6124677v.r=.langFR

 

iv Rappel des actions de l'abbé Terray et des rescriptions.

 

v Beau-frère de Beaumarchais.

 

vi Les mémoires Goësmann sur son procès ; cf. lettre du 30 décembre 1773 à d'Argental.

 

vii Marin, appelé «animal marin » dans les Mémoires Goësmann ; Beaumarchais rajoute dans l'Addition au supplément du mémloire ...: « Qui sait si l'éclaircissement de ce fait ne nous montrera pas le noeud caché de toute l'intrigue, entre Bertrand, marin et consorts : Tel qui croyait n'avoir harponné qu'un marsouin / Amène quelquefois un lourd hippopotame » Sur le soi-disant « ami » Marin voir lettre à d'Argental du 30 décembre 1773. et voir Page 206 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5452641z/f229.image...

 

viii Beaumarchais l'accusait d'avoir reçu des épices.

 

ix Cette opinion de V* n'est pas partagée dans Paris et provoque des réactions ; Beaumarchais racontera une scène amusante à ce propos.

16/01/2011

Jean-Jacques fait des lacets dans son village avec les montagnards; il faut espérer qu'il ne se servira pas de ces lacets pour se pendre

 

 

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

 

 

18 janvier [1763]

 

Mon cher philosophe, si vous faites de la géométrie i pour votre plaisir, vous faites bien; s'il s'agit de vérités utiles, encore mieux; mais s'il ne s'agit que de difficultés surmontées, je vous plains un peu de prendre tant de peine. J'aimerais bien mieux, pour ma satisfaction, que vous donnassiez de nouveaux mémoires de littérature, qui amusent et qui instruisent tout le monde; mais l'esprit souffle où il veut.

Dès qu'il ne fera plus si froid, j'enverrai à M. le secrétaire l'Héraclius espagnol ii, et j'espère qu'il vous fera rire.

Nous ne connaissons point du tout ici les deux lettres de ce pauvre Vernet iii. Vous savez que le père du cardinal Mazarin étant mort à Rome, on mit dans la gazette de Rome : Nous apprenons de Paris que le seigneur Pierre Mazarin, père du cardinal, est mort ici; de même nous apprenons de Paris qu'il y a à Genève un nommé Vernet qui a écrit deux lettres.

La philosophie a fait de si merveilleux progrès, depuis cinq ou six ans, dans ce pays-ci, qu'on ignore parfaitement tout ce que font ces cuistres-là. Cette philosophie n'a pourtant pas empêché qu'on ait incendié le livre de Jean-Jacques; mais ç'a été une affaire de parti dans la petitissime république. Jean-Jacques fait des lacets dans son village avec les montagnards; il faut espérer qu'il ne se servira pas de ces lacets pour se pendre. C'est un étrange original, et il est triste qu'il y ait de pareils fous parmi les philosophes. Les jésuites ne sont pas encore détruits; ils sont conservés en Alsace; ils prêchent à Dijon, à Grenoble , à Besançon; il y en a onze à Versailles iv, et un autre qui me dit la messe v.

Je suis vraiment très édifié du discours sage et mesuré de votre conseiller au parlement, qui s'adresse à l'avocat des Calas pour lui dire qu'ils n'obtiendront point justice, parce qu'ils plaident contre messieurs, et qu'il y a plus de messieurs que de roués. Je crois pourtant que nous avons affaire à des juges intègres qui ont une autre jurisprudence.

O l'impie !vi n'est pas juste, car rien n'est plus pie que cette pièce; et j'ai grand'peur qu'elle ne soit bonne qu'à être jouée dans un couvent de nonnes, le jour de la fêle de l'abbesse.

Comment donc, ce Le Brun, sous les lauriers touffus, me pique de ses épines!vii lui qui m'a fait une si belle ode pour m'engager à prendre la nièce à Pierre ! On ne sait plus à qui se fier dans le monde.

Il est difficile de plaindre l'abbé Caveirac , quoique persécuté viii. Cet aumônier de la Saint-Barthélemy est, dit-on, un des plus grands fripons du royaume, et employé par plusieurs évêques pour soutenir la bonne cause.

Pour l'autre prêtre qu'on a pendu pour avoir parlé ix, il me semble qu'il a l'honneur d'être unique en son genre; c'est, je crois, le premier, depuis la fondation de la monarchie, qu'on se soit avisé d'étrangler pour avoir dit son mot; mais aussi on prétend qu'à souper, chez les mathurins, il s'était un peu lâché sur l'abbé de Chauvelin ; cela rend le cas plus grave ; et il est bon que messieurs apprennent aux gens à parler. ,

Depuis quelque temps les folies de Paris ne sont pas trop gaies; il n'y a que l'Opéra-Comique qui soutienne l'honneur de la nation. Nos laquais pourtant le soutiennent ici; car ils ont donné un bal avec un feu d'artifice, en l'honneur de la paix, avec les laquais anglais. Un scélérat de Genevois a dit qu'il n'y avait que les laquais qui pussent se réjouir de cette paix x; il se trompe, tous les honnêtes gens s'en réjouissent. J'espère que l'auguste maison d'Autriche fera aussi la sienne, et que les révérends frères jésuites de Prague et de Vienne ne seront pas despotiques dans le saint empire romain.

Mon cher philosophe, je dicte, parce que je perds les yeux au milieu des neiges. Je vous embrasse de tout mon cœur, et je vous serai attaché tant que je végéterai et que je souffrirai sur notre globule terraqué.

N. B. On a lu le Sermon des cinquante publiquement, pendant la messe de minuit, dans une province de ce royaume, à plus de cent lieues de Genève xi; la raison va grand train. Ecrasez l'Infâme. »

 

 

i Ce que d’Alembert lui dit le 12 janvier : page 205 : http://books.google.fr/books?pg=PA205&lpg=PA210&d...

 

ii Pièce de Calderon qu’il a traduite et commentée pour la comparer à celle de Corneille ; http://www.voltaire-integral.com/Html/07/10HERACL.html ; cf. lettre du 4 juin 1762 à Capacelli et du 15 septembre à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/15/t...

Calderon : http://wapedia.mobi/fr/Pedro_Calder%C3%B3n_de_la_Barca

 

 

iii D’Alembert lui a écrit : « Voilà encore le socinien Vernet qui vient d’imprimer deux lettres contre vous et contre moi. » Le pasteur Vernet a été un des principaux adversaires de V* de 1757 à 1759 : affaires de « l'âme atroce de Calvin », l'article Genève de l'Encyclopédie, la Guerre littéraire : voir lettres du 20 mai au 12 décembre 1757, 8 janvier au 27 décembre 1758, 7 février au 10 mars 1759.

 

iv  L’arrêt de dissolution de l’Ordre ne sera pris dans toute la France qu’en novembre 1764 ; cf. lettre à d'Alembert du 28 novembre 1762 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/27/a...

 

v Le père Adam.

 

vi  Allusion à un poème de Piron ou Fréron sur Olympie. D’Alembert avait écrit : « on dit que vous serez obligé de changer le titre de cette … pièce à cause de l’équivoque ô l’impie ! »

 

vii D’Alembert signalait à V* « une nouvelle feuille périodique, intitulée La Renommée littéraire, où l’on disait qu’il était assez maltraité » ; il ajoutait qu’ « on disait que l’auteur de cette infamie … est un certain Le Brun à qui (V*) avait eu la bonté d’écrire une lettre de remerciement sur une mauvaise ode qu’il lui avait adressée », et il commentait l’expression « lauriers touffus »qui finissait un de vers . Sur Ponce-Denis Ecochard Le Brun, sa recommandation en faveur de Marie-Françoise Corneille, son ode sur Corneille, la polémique qui s’ensuivit, voir lettres du 19 novembre 1760 à Thiriot, 15 janvier à Dumolard-Bert, 2 février aux d’Argental, le 6 mai 1761 à Le Brun.

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/18/mais-vous-ne-disiez-pas-que-vous-aviez-gobelotte-au-cabaret1.html#more

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/01/17/trop-forts-ces-jeux-du-xixeme.html#more

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viii  D’Alembert :« le châtelet venait de décréter …Caveyrac (auteur de l'Apologie de la Saint Bathélémy) de prise de corps pour avoir fait l’Appel à la raison en faveur des jésuites ». En réalité l’auteur de l’Appel à la raison, des écrits et libelles publiés par la passion contre les jésuites de France (1762) pourrait être André-Christophe Balbany, Caveyrac n’étant que l’auteur du Nouvel Appel à la raison.

 

ix Jacques Ringuet, prêtre du diocèse de Cambrai, le « fou de Verberie », avait proféré blasphèmes, calomnies et insanités chez les mathurins à Verberie, il est exécuté en décembre 1762.

 

x La veille, V* en a décrit les préparatifds aux d'Argental et ajoutait : « Les perruques carrées de Genève ont trouvé cela mauvais ; elles ont dit que Calvin défendait le bal expressément ; qu’ils savaient mieux l’écriture que le duc de Praslin ; que d’ailleurs pendant la guerre ils vendaient plus cher leurs marchandises de contrebande ; … ils ont empèché la cérémonie . » Page 173 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80036m/f178.image.p...

 

 

xi Chez le marquis d’Argence, au château de Dirac, près d’Angoulême, semble–t-il .